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Première leçon.

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Table des matières

«Si vous le voulez bien, petit cousin, nous ferons nos leçons en nous promenant, et pour cause.»

Cette façon de procéder plut tout d’abord à M. Paul qui n’était pas habitué au lycée à cette manière d’enseigner. La perspective d’un cours fait entre quatre murs, rédigé entre quatre murs, corrigé entre quatre murs ne lui avait pas semblé tout d’abord se concilier avec l’idée que l’on se fait, à seize ans, des heures consacrées aux vacances, et bien que l’architecture lui parût une fort belle chose après ses premiers essais; qu’il fût assez fier de penser que son projet était peut-être à ce moment sous les yeux de sa sœur Marie et de son beau-frère, cependant, au moment où il se dirigeait vers l’appartement de son cousin, il avait regardé d’un œil de convoitise les grands arbres du parc et les prairies verdoyantes qui brillaient entre leurs troncs noirs. Un soupir de satisfaction s’échappa de sa poitrine en descendant l’escalier du château.

«Allons-nous-en tout doucement vers la partie du domaine où nous devons bâtir la maison, reprit le grand cousin, dès qu’ils furent dehors; la connaissance du terrain est la première de toutes celles que l’architecte doit posséder. Il y a, comme vous savez, plusieurs natures de terrains; les uns sont résistants, les autres mous et compressibles à différents degrés. Les roches forment les terrains les plus fermes et sur lesquels on peut bâtir en toute assurance, à la condition toutefois que ces roches n’aient pas été excavées ou dérangées. On donne le nom de sol vierge à tous les terrains que l’on rencontre dans l’état où les phénomènes géologiques les ont placés, le nom de sol de rapport ou de remblai[18] à tout terrain qui a été bouleversé ou apporté par la main de l’homme, par la végétation ou des alluvions torrentielles brusques. En règle générale, il ne faut fonder que sur le sol vierge, et cependant, parmi ceux-ci, il en est dont on doit se défier, comme je vous l’expliquerai tout à l’heure.

«Il faut donc s’appliquer à distinguer un sol vierge d’un sol rapporté ou bouleversé; pour ce faire, certaines connaissances de géologie élémentaire sont indispensables[19]. Ainsi, les roches cristallisées, les granits, les gneiss, les schistes cristallins demeurent dans l’état où le refroidissement du globe et les soulèvements de sa croûte les ont placés. Les grès, les calcaires, les marnes, les sables, même les argiles, déposés par les eaux sous une énorme pression, sont stratifiés, c’est-à-dire déposés par couches, comme des assises d’une construction, et présentent une assiette excellente. Le coteau que nous avons là sur notre droite, et vers lequel s’étend le bois de votre sœur, présente, vous le voyez d’ici, des escarpements érodés par les eaux du ru que nous allons traverser; remarquez que la pierre qui paraît dénudée, se présente par lits à peu près horizontaux. C’est un calcaire jurassique excellent pour bâtir, mais sur lequel aussi on peut s’appuyer en toute sécurité. Ainsi, dans ces bancs[20], peut-on creuser des caves et se servir de ce qu’on a extrait de l’excavation pour élever les murs. Ici nous marchons sur des argiles sablonneuses entremêlées de pierre meulière. Cela forme aussi un très bon sol qui n’est pas compressible. Il en est autrement des argiles pures, non qu’elles soient compressibles; mais, si elles ne sont pas encaissées, si, par exemple, elles se trouvent sur une déclivité du sol, par l’effet des eaux qui s’infiltrent entre leurs couches, elles glissent et la maison qu’on a élevée sur leur surface descend avec elles. On voit parfois ainsi, sur des rampes argileuses, des villages tout entiers qui descendent dans la vallée. Il faut donc apporter une grande attention à la manière de fonder sur les argiles si l’on veut éviter ces dangers. Parfois aussi, lorsqu’elles sont fortement comprimées par une construction lourde, les argiles s’affaissent sous leur poids pour se relever d’autant un peu plus loin, par un mouvement de bascule. Les sables marins, purs, fins ou graveleux, sont excellents pour recevoir des fondations, parce que le sable se tasse naturellement pour peu qu’il soit mouillé. Si bien qu’on peut former, au besoin, un sol factice en apportant de bonnes couches de sable marin sur un sol douteux, et en mouillant fortement ces couches. Plus le sable est fin et dépourvu d’argile et meilleur est-il, car tous ces petits grains lourds, égaux, ne laissent entre eux que des intervalles très faibles et se touchent par plusieurs points. Si le poids comprime la couche de sable et la force à se tasser, ce tassement est régulier et par conséquent sans danger. La construction descend ainsi de quelques millimètres suivant son poids, mais ne se disloque pas parce qu’elle s’enfonce régulièrement. Les alluvions formées par des cours d’eau peu rapides, c’est-à-dire par des rivières ou par des lacs, composent aussi de bons sols, parce que les couches de gravier ou de limon ont été déposées peu à peu et bien tassées par le poids du liquide qui les charriait. Il en est tout autrement des sols marécageux, car les eaux n’ayant pas de courant, ont permis à des végétaux de pousser dans leurs lits. Ces végétaux venant à mourir sont remplacés chaque année par d’autres. Il se forme alors des couches successives de détritus sous une pression minime, qui laissent entre elles des cavités innombrables, comme serait un amas de foin pourri. On désigne ces dépôts sous le nom de tourbières. Là-dessus on ne peut rien asseoir, car ces dépôts s’affaissent sous la moindre charge. Tenez! nous voici près du ru, sur un point qui présente ce phénomène... Frappez du pied sur ce sol gazonné dru... Vous sentez que la terre sonne creux et s’ébranle sous le choc. Quelquefois ces tourbières atteignent des profondeurs telles par l’accumulation des détritus végétaux, qu’on ne peut en atteindre le fond; si vous bâtissez là-dessus, votre construction s’enfoncera peu à peu, et souvent inégalement, en raison de la déclivité du sous-sol, de telle sorte que la bâtisse s’inclinera d’un côté. C’est ainsi qu’à Pise, à Bologne en Italie, des tours se sont inclinées pendant qu’on les élevait, jusqu’au moment où la tourbe a été complètement comprimée sous la charge. Quand on trouve ces sols, ou bien il faut enlever la tourbe jusqu’à ce qu’on trouve la roche ou le gravier, ou bien il faut enfoncer des pilotis très rapprochés les uns des autres, comme un jeu de quilles, jusqu’à ce que les pieux refusent d’entrer plus avant. Alors, sur les têtes de ces pilotis, on établit ce qu’on appelle un radier, sorte de châssis de charpente, entre lequel on coule du béton[21] et sur lequel on pose les premières assises de maçonnerie. Des villes entières sont ainsi bâties: Venise, Amsterdam, ne reposent que sur des forêts de pilotis enfoncés dans une vase spongieuse parce qu’elle s’est formée sous une mince nappe d’eau qui n’avait pas assez de puissance pour la comprimer.

«Mais il ne suffit pas de reconnaître la nature du sol sur lequel on doit établir une construction; il faut examiner les cours d’eau sous-jacents, ou comment se comportent les écoulements des eaux pluviales sur leur surface ou dans leurs interstices. La présence d’un banc d’argile, si faible qu’il soit, entre des couches calcaires, de grès ou de sable, doit préoccuper le constructeur, car ces bancs étant étanches, c’est-à-dire ne laissant pas pénétrer l’eau des pluies dans leur épaisseur, favorisent des courants ou nappes d’eau, qui peuvent occasionner les désordres les plus fâcheux dans les fondations. Examinez ici près, le long de l’escarpement, cette couche verdâtre... C’est de l’argile, elle est très mince et ne peut point retenir les eaux; mais supposez qu’elle ait 50 centimètres d’épaisseur. Les pluies, qui pénétreront facilement à travers le gravier placé au-dessus, s’arrêteront sur cette couche et feront leur chemin suivant le plan d’inclinaison de cette couche d’argile; peu à peu elles formeront des cavités comme de petites grottes, et un courant caché. Si vous faites un mur de cave ou de fondation qui descende au-dessous de cette nappe d’eau, celle-ci viendra se heurter contre votre mur, le pénétrera, quoi que vous fassiez, et remplira vos caves. C’est pourquoi, dans ce cas, il sera nécessaire, au préalable, de détourner cette nappe d’eau, en la recueillant dans un égout pour l’éloigner de vos constructions. Prêtez-moi votre carnet afin que je vous indique clairement, par un tracé, ce que je vous dis ici (fig. 6). Soit A B la couche d’argile, C D la couche de gravier ou de sable perméable. Il se formera une nappe d’eau courante, après chaque averse, de E en F. Cette nappe sera arrêtée par le mur de fondation ou de cave G H, et le traversera bientôt, puisqu’elle ne peut ni remonter, ni traverser l’argile. Il faut donc, en I, établir un égout transversal avec ouvertures en amont par lesquelles ces eaux s’introduiront dans le chenal, ainsi que vous le démontre le tracé K. Cet égout dirigera les eaux recueillies où bon vous semblera et laissera le mur G H parfaitement sec. Vous comprenez, n’est-ce pas?...

Fig. 6

«Mais si vous fondez en plein dans l’argile, faut-il prendre des précautions autrement sérieuses; car, ainsi que je vous le disais tout à l’heure, il peut se faire que le banc d’argile tout entier vienne à glisser.

«Les bancs d’argile glissent, surtout lorsqu’en coupe[22] ils présentent la section que je trace ainsi (fig. 7): soit A un banc de roche, B un banc d’argile. Les eaux pluviales qui tombent en amont, de D en C, passeront en C sous ce banc d’argile; et, si les pluies sont persistantes, elles formeront de C en E une couche molle, grasse, savonneuse, de telle sorte que le banc d’argile C B E glissera sur cette couche par son propre poids, mais surtout si, en G, on l’a chargé d’une construction.

Fig. 7

«Comment parer à ce danger? 1º en recueillant les eaux en C dans un égout ou une pierrée, de telle sorte qu’elles ne puissent passer sous le banc d’argile si celui-ci est très épais; 2º s’il n’a qu’une épaisseur de quelques mètres, en descendant le mur de fondation H jusqu’au roc ou gravier, et en faisant en I un égout collecteur, comme il vient d’être dit tout à l’heure. Alors le triangle d’argile C I K ne pourra glisser, retenu par le mur bien assis et chargé. La partie argileuse en aval, n’étant pas mouillée par dessous, ne glissera pas. Mais faut-il que ce mur H et son égout I soient assez épais pour résister à la charge du triangle C I K.

«Vous sentez donc combien il est important de se rendre compte des terrains sur lesquels on opère; et combien il est essentiel qu’un architecte possède quelques connaissances en géologie. Rappelez-vous bien ceci, car les architectes de la génération qui nous précède dédaignent ces études et s’en rapportent à leurs entrepreneurs en bien des cas.

«Nous parlerons aussi des terrains vaseux, plats, pénétrés d’eau et que l’on ne peut fouiller parce qu’ils n’ont guère que la consistance d’une boue compacte et dans lesquels plus on creuse, moins on rencontre de résistance. Quand ces terrains ne sont pas tourbiers, qu’ils ne contiennent guère de détritus de végétaux, qu’ils sont toujours pénétrés de la même quantité d’eau, on peut fonder dessus, car l’eau n’est pas compressible. Votre construction est alors comme un bateau: toute la question consiste à empêcher l’eau de s’échapper, de fuir sous le poids de la bâtisse comme elle fuit sous le poids d’un bateau. Quand vous vous plongez dans une baignoire à moitié pleine, l’eau remonte le long des bords d’une quantité égale au volume de votre corps. Mais supposez qu’une planche, découpant exactement le contour de votre corps, empêche l’eau de remonter autour de vous, vous ne pourrez entrer dans l’eau et cette eau vous portera sur sa surface. Eh bien, quand on doit bâtir sur un sol boueux, le problème consiste à empêcher cette boue de remonter autour de la maison à mesure qu’elle s’enfoncerait. Il faut encore un tracé pour vous expliquer les moyens propres à obtenir, en ce cas particulier, un bon résultat (fig. 8).

«Nous avons creusé dans un sol de remblais A, c’est-à-dire sur lequel on ne saurait bâtir avec sécurité. En B, nous atteignons le sol vierge; mais ce sol est très humide, c’est une ancienne vase pénétrée d’eau et dans laquelle on enfonce en marchant. Plus nous enlevons de cette vase et plus nous la trouvons molle. Une sonde enfoncée à deux ou trois mètres donne toujours le même fond, et les trous que l’on fait se remplissent d’eau immédiatement. Des pilotis battus s’enfoncent jusqu’à la tête. Or, vous pensez bien que, pour élever une construction ordinaire, on ne peut dépenser en fondations le double de ce que coûterait la bâtisse elle-même. Il faut donc aviser... Alors nous ferons, pour recevoir les murs qui forment le périmètre de la maison, une tranchée de 0m,50 à 0m,60c de profondeur environ, ainsi que je le trace en E; puis, dans ces tranchées et sur toute la surface de la construction, nous coulerons du béton ayant une épaisseur de 0m,60 à 0m,80c entre les tranchées, comme je le trace en F. Nous aurons fait ainsi comme un couvercle d’une matière homogène qui empêchera la vase G H, comprise sous ces bords, de remonter. Le poids du remblai A se chargera de comprimer le reste. Ainsi pourrez-vous, sur ce plateau, élever vos constructions en toute sécurité.

«Vous me demanderez peut-être ce que c’est que du béton et comment on le fait? Vous apprendrez cela plus tard.»

Comment on construit une maison

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