Читать книгу Comment on construit une maison - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc - Страница 8
CHAPITRE V
ОглавлениеM. PAUL SUIT UN COURS DE CONSTRUCTION PRATIQUE
Cependant, les lettres, les journaux apportaient chaque matin les plus tristes nouvelles. Depuis huit jours, le territoire était envahi par l’ennemi. Bâtir n’était guère de saison. M. de Gandelau voyait entrer à chaque instant, dans son cabinet, des paysans qui venaient lui faire part de leurs craintes et chercher des conseils. Les jeunes gars étaient appelés pour être incorporés dans la mobile. Les usines du voisinage se fermaient faute de bras. On rencontrait sur les chemins des groupes de paysans et de paysannes qui, contrairement aux habitudes paisibles de cette province, parlaient avec animation; quelques-unes de ces femmes pleuraient. Les travaux des champs étaient suspendus; on sentait partout comme un frémissement douloureux; on voyait dans les chaumières des lumières à une heure avancée de la nuit; on entendait des voix qui s’appelaient. Les bestiaux rentraient plus tôt que d’habitude et sortaient tard le matin. Sur les chemins, dès que deux hommes se rencontraient, ils s’arrêtaient longtemps pour causer. Quelquefois, au lieu de s’en aller chacun de leur côté, ils hâtaient le pas ensemble et se dirigeaient vers le bourg voisin.
C’était le 20 du mois d’août 1870; en entrant chez son père de bon matin, M. Paul le trouva plus soucieux encore que les jours précédents; et ce n’était pas seulement sa goutte aggravée qui causait son souci. Le cousin était là. «Les uns sont trop vieux, les autres sont trop jeunes. Si cet enfant avait quatre ou cinq ans de plus, dit M. de Gandelau en embrassant son fils, je l’enverrais avec tous ces jeunes gars qui sont appelés sous les drapeaux; mais il est trop jeune, heureusement pour sa mère... Ce sera long! dit-on; Dieu sait ce qu’il adviendra de notre pauvre pays engagé dans une guerre insensée: mais nous n’avons qu’un parti à prendre: rester ici au milieu de toutes ces familles anxieuses et privées de leurs enfants; attendre et tâcher d’occuper tout ce monde qui perd un peu la tête. Ne nous abandonnons pas, ne cédons pas à des inquiétudes stériles; travaillons, c’est le remède à tous les maux; et le malheur ne nous trouvera pas plus dépourvus de courage après des journées de labeur qu’après l’oisiveté fiévreuse. Je prévois que Paul ne pourra rentrer de sitôt à son lycée, à Paris. Vous, grand cousin, rien ne vous oblige à demeurer en ce moment plutôt dans un lieu que dans un autre. Vos affaires vont être suspendues partout; restez ici, où vous pourrez vous rendre utile aussi longtemps que le pays n’aura pas besoin de vous.
«Qui sait? Si les choses traînent en longueur, nous essayerons quand même de bâtir la maison de Marie; ce sera une occasion de faire travailler des bras inoccupés. Vous pourrez enseigner, par la pratique, à Paul, les éléments de la construction. Nous manquerons peut-être de ce nerf indispensable pour bâtir: l’argent. Eh bien! cela nous mettra dans la nécessité de chercher les moyens de nous en passer. Nous avons les matières premières, nous avons des bras et de quoi les nourrir quelque temps. Ne nous laissons donc pas aller au découragement et à d’inutiles récriminations; travaillons, nous n’en serons que mieux préparés si, dans un suprême effort, il faut recourir à tous, vieillards et enfants, pour défendre le sol.»
Mme de Gandelau joignant ses instances à celles de son mari, il ne fut pas difficile de décider le grand cousin à venir s’établir au château. En effet, trois jours après, le grand cousin, ayant été régler quelques affaires, revenait avec une ample provision de papier et d’instruments nécessaires à l’exécution des détails d’une bâtisse.
Il fallait attendre que le projet envoyé à la sœur de Paul revînt approuvé ou amendé pour se mettre à l’œuvre. Il fut décidé que pendant cet intervalle, le grand cousin donnerait à Paul les premières notions de la construction d’une habitation, que ce cours serait fait le matin, et que, dans l’après-midi, notre architecte en herbe rédigerait la leçon, laquelle serait corrigée en famille le soir. Ainsi les journées devaient-elles être bien remplies.