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II

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Table des matières

Comme les deux artistes l’avaient dit au charlatan, la maison qu’ils habitaient appartenait au père de Virginie, M. Thomas Ribolard, ancien fabricant de vermicelle, macaroni et autres pâtes alimentaires.

Ribolard était bête comme un pot, et il avait deux millions.

Bien souvent on rencontre des individus dont on se dit: «Comment cet imbécile a-t-il pu faire fortune?» La réponse est bien simple. Par cela même qu’il est un crétin, il a inventé une grosse ineptie qu’il a lancée sérieusement. Et comme, si stupide que soit un homme, il existe toujours des gens dix fois plus buses que lui, ils font aussitôt un succès à l’absurdité lancée par cet idiot.

Donc Thomas, au lieu de fabriquer ses vermicelles arrondis en boucles de cheveux, les avait offerts carrés. Premier succès!

Pour les potages, il avait inventé les pâtes guerrières, c’est-à-dire qu’en place des produits carrés, étoiles ou losangés, il avait fait découper à l’emporte-pièce sa pâte en petits sapeurs, canonniers, généraux de brigade, etc., etc., et comme le public n’avait pu résister au plaisir de manger des généraux de brigade dans son bouillon, l’inventeur Thomas avait récolté de l’or.

Mais le grand triomphe de Ribolard avait été obtenu par son macaroni! Au lieu de le faire à un trou, il l’avait confectionné à deux trous et l’avait lancé sous le nom de macaroni hygiénique à double courant d’air.

Voilà comment les deux millions étaient arrivés à Ribolard, que sa femme regardait comme un dieu.

Joignez à cela un rhume de cerveau qui ne l’avait pas quitté depuis l’âge de douze ans, une petite taille, une tête aussi chevelue qu’une pomme de rampe d’escalier, des yeux en boules de loto, et vous aurez le portrait de l’ancien vermicellier.

Madame Ribolard,—de son petit nom Cunégonde,—était bien la meilleure preuve qu’un imbécile trouve toujours plus crétin que lui, car elle était d’une bêtise à couper à la hache. On lui avait dernièrement escroqué dix francs pour une quête, en lui faisant croire que les ouvriers qui travaillaient aux mines de gruyère, sous Montmartre, s’étaient mis en grève contre les entrepreneurs avides qui voulaient leur décompter les trous du fromage.

Et pourtant de ces deux abrutis était née Virginie, charmante blonde de dix-huit ans, gracieuse et spirituelle jeune fille.

—Nous avons dépensé les yeux de la tête pour lui donner tous les arts d’agrément, répétaient à tout le monde les Ribolard en se rappelant les douze francs par mois qu’on leur avait demandés pour apprendre à Virginie à faire du bruit sur un piano en poussant des miaulements plaintifs. Car, il faut tout dire, si charmante qu’elle fût, l’aimable Virginie n’était pas taillée pour le chant. Elle vous avait une petite voix si aiguë que les globes de pendule se fêlaient quand elle chantait.

A sa sortie du pensionnat, les Ribolard avaient remué ciel et terre pour trouver à leur fille une institutrice qui lui donnât les belles manières du grand monde, et, sur les renseignements de leur charbonnier, ils avaient enfin trouvé mademoiselle de Veausalé.

Paméla de Veausalé prétendait avoir été élevée à la cour de Monaco. Aussi ses nobles et fières allures effarouchaient les Ribolard, qui s’extasiaient surtout au sujet de son altière vertu.

Car, à table, la pudibonde Paméla devenait rouge comme un radis et se cachait la figure sous sa serviette quand, par hasard, un domestique avait posé devant elle une volaille du côté du croupion.

Elle était si grande, si sèche et si maigre, qu’on aurait pu s’en servir pour déboucher un plomb ou nettoyer des verres de lampe. A l’entendre, vingt-deux hommes, dont trois nègres, s’étaient tués par désespoir de n’avoir pu attendrir son cœur.

Elle passait le temps à tricoter des paletots et des jambières pour son chien Raoul, un affreux roquet oubliant la propreté avec un cynisme qui étonnait les Ribolard.

—C’est bien drôle, se disaient-ils, mademoiselle de Veausalé nous affirme pourtant que Raoul était reçu dans les salons du prince de Monaco.

Un épouvantable malheur était venu frapper cet objet de l’unique affection de Paméla, car l’infortuné Raoul avait eu la queue coupée dans la porte cochère, qu’on avait refermée à son passage. Aussi, la hargneuse fille avait-elle voué une haine bleue au meurtrier de la queue de son chien.

Quand, escortant son élève, elle rencontrait le musicien Paul dans l’escalier, elle lui faisait des yeux qui auraient effrayé le joueur de grosse caisse si, pour calmer sa peur, il n’avait vu en même temps les regards, beaucoup plus doux, que la gentille Virginie abaissait sur lui.

Paméla inspirait donc aux époux Ribolard un saint respect, mêlé d’espoir, qui leur faisait dire, en songeant à l’avenir:

—Quand Virginie sera en âge d’être mariée, mademoiselle de Veausalé, parmi toutes ses belles connaissances de la cour de Monaco, saura nous trouver quelque duc ou prince.

Tous les domestiques de la maison avaient reçu l’ordre d’obéir aux moindres caprices de l’altière Paméla, qui en abusait.

Cocher, soubrette, valet de chambre, groom, concierge, cuisinière exécraient la veille fille. N’osant l’affronter en face, ils lui faisaient une guerre sourde. Ils se vengeaient surtout sur le chien Raoul en le gavant des étranges pâtées qui amenaient le roquet à ces oublis que les Ribolard trouvaient étonnants de la part d’un quadrupède qui avait fréquenté la cour de Monaco et vécu sur les genoux de la plus haute société.

Tel était le milieu dans lequel avait végété Virginie, milieu si triste que la blonde jeune fille en bâillait à la journée.

Or, quand on bâille, on lève assez naturellement les yeux aux ciel.

Donc, un jour qu’elle se livrait à cet exercice devant sa fenêtre, ses yeux levés avaient aperçu à une mansarde du toit la tête d’un jeune homme qui la contemplait.

D’abord, on s’était regardé.

Puis, de la part de Paul, la télégraphie du geste avait marché, timide en commençant, pour se continuer, après, de plus en plus expressive.

Enfin, les deux jeunes gens en étaient arrivés à s’aimer sans s’être jamais parlé.

Donc Nicolas Borax s’était rudement avancé en se vantant de faire le mariage qui devait réunir le demi-million de dot de Virginie aux soixante-dix francs par mois que sa grosse caisse produisait à Paul. Car le musicien ne comptait que comme une ressource passagère les quinze francs payés par l’élève qui apprenait la grosse caisse pour se traiter de la surdité... attendu qu’il s’en irait aussitôt guéri.

Or, au moment où les deux jeunes gens introduisaient Borax dans la maison, ils ne se doutaient guère que mademoiselle Paméla de Veausalé, en prenant ses grands airs, venait de dire aux Ribolard:

—Chers amis, j’ai une bien importante proposition à vous faire au sujet de Virginie, qui me semble être en âge de se marier.

—Auriez-vous trouvé un époux pour notre fille? s’écrièrent aussitôt les époux.

La gouvernante inclina majestueusement la tête.

—Un de vos amis de la cour de Monaco? demanda le vermicellier.

—Oui, dit la grave Paméla.

Elle attendit, pour continuer, que Ribolard eût fini de palpiter de joie, car il faut dire qu’à la moindre émotion éprouvée par le digne homme son continuel rhume de cerveau lui faisait aussitôt rage dans le nez. C’étaient des gloc, gloc, gloc, qui grondaient alors dans sa trompe nasale engorgée avec un tel fracas que le roquet Raoul se mettait à aboyer en furibond.

Enfin les gloc, gloc, de Ribolard ému s’apaisèrent, et mademoiselle de Veausalé put continuer.

—Oui, reprit-elle, j’espère marier Virginie au comte Bonifacio de Aricoti, le neveu du fameux duc de Croustaflor.

—Des nobles! s’écria le joyeux père dont le nez lâcha une seconde série de gloc, gloc.

—De la plus vieille noblesse. Tous leurs ancêtres sont morts aux croisades.

—Quel honneur pour notre famille!

—A ma vive sollicitation, le duc de Croustaflor a bien voulu consentir à n’accepter pour son neveu qu’un demi-million de dot.

—Vraiment!

—Pour lui, ce n’est qu’une goutte d’eau.

—Il est donc bien riche?

—Si le duc est riche! mais jugez-en par son seul train de maison. Cinquante chevaux, seize phoques apprivoisés, cent domestiques et trente pompiers.

—Pourquoi les pompiers?

—Pour veiller sur ses titres de propriété et sur les diamants de famille, qui sont enfermés dans un pavillon à part.

—Et les phoques apprivoisés?

—Pour se faire promener en mer.

Madame Ribolard avait écouté tout cela bouche béante et ouvrant des yeux surpris, comme si elle voyait passer un veau à deux têtes.

—Alors, cette fortune reviendrait un jour à Virginie? demanda-t-elle.

—Naturellement, puisque le duc, qui est garçon, n’a que Bonifacio pour héritier de ses immenses propriétés d’Italie, d’Egypte, du Mexique, du Pérou... car M. de Croustaflor possède des propriétés dans tous les pays.

—Excepté en France, pourtant?

—Ah! je ne saurais vous le dire. Vous comprenez bien que je n’ai pas été assez indiscrète pour exiger des détails quand le duc m’a annoncé qu’il daignait accepter votre demi-million. «Que la petite plaise à Bonifacio et je me contenterai de cette misère.» Voilà ce qu’il m’a dit hier.

—Comment! hier! il n’est donc pas en ce moment à Monaco? s’informa Ribolard aussi vite que le lui permettait son nez, dont les gloc, gloc, avaient repris leur train.

—Il est maintenant à Paris, où il est venu pour se faire couper les cheveux. Il prétend qu’on ne sait tailler les cheveux qu’à Paris. Aussi, avec son énorme fortune, il ne regarde pas à ce que peut lui coûter cette coquetterie.

—Ça lui reviendrait à meilleur marché de faire venir un coiffeur de Paris à Monaco.

—Alors, on ne lui taillerait pas les cheveux à Paris.

—Tiens! c’est juste! que je suis bête! confessa modestement madame Ribolard, qui avait avancé cette idée économique.

—Et son neveu Bonifacio?

—Le comte accompagne le duc.

—Est-ce qu’il vient aussi pour se faire couper les cheveux à Paris?

—Oh! non, le comte Bonifacio de Aricoti ne pense qu’à une chose, lui... à épouser une Française blonde.

—Pourvu, que Virginie lui plaise! s’écria la maman tremblante.

—Pour cela, il suffit que le comte voie votre fille un seul instant, dit mademoiselle de Veausalé en souriant à la mère craintive.

—Oui, mais comment la verra-t-il?

—J’ai un moyen tout trouvé. En causant hier avec M. de Croustaflor, il m’a appris que son neveu et lui devaient aller ce soir à l’Ambigu. Envoyez retenir des fauteuil de balcon. Ces messieurs seront à l’orchestre et le jeune homme pourra ainsi s’enivrer des charmes de Virginie.

—C’est une idée!

—Dans la soirée, je préviendrai M. de Croustaflor que nous sommes là.

—Bon!

—Alors, je conviendrai que si Virginie a su captiver le comte de Aricoti, ces messieurs nous feront un signe quelconque.

—Oui, mais quel signe?

—Si M. le duc, par exemple, pendant le dernier entr’acte, tenait à la main le petit banc de l’ouvreuse? proposa madame Ribolard.

—Oh! fit le mari, on ne peut solliciter une telle complaisance d’un homme si riche. J’aimerais plutôt qu’il se mît à brosser son chapeau à rebrousse-poil. Cela attire moins l’attention des voisins que le petit banc. Qu’en dites-vous, mademoiselle de Veausalé?

—J’ai mieux à vous proposer. Ces messieurs se passeront les pouces dans l’entournure du gilet.

—Chacun dans son gilet à soi? demanda la mère.

—Oui, oui, Cunégonde, ma bonne; ne veux-tu pas que le duc aille fourrer son pouce dans le gilet de son neveu et réciproquement?... Ce serait trop exiger.

—Mais, mon ami, je m’informe, moi. Il faut bien convenir de tout pour qu’il n’y ait pas de malentendu.

Ce point arrêté, Paméla de Veausalé continua sa leçon aux époux.

—Quant à vous, dit-elle, si vous agréez le jeune homme...

—Oh! il est tout agréé d’avance. Vous comprenez bien que le neveu d’un homme qui possède des phoques et des pompiers est tout reçu... à moins qu’il ait deux nez... et encore!... cela pourrait passer pour un caprice d’homme riche.

—Soit! Vous ferez donc aussi connaître votre consentement par un signal discret.

—Très-bien. Cherchons un signal discret.

—Si tu laissais tomber ton chapeau dans l’orchestre, gros chéri? avança Cunégonde.

—Alors je prendrai mon plus vieux.

L’institutrice fit la moue, en disant:

—Il faudrait quelque chose de plus simple, monsieur Ribolard.

—Si j’ôtais ma cravate en ayant l’air d’être incommodé par la chaleur.

—Non, je propose que vous vous mouchiez.

—Oui, c’est cela. Je me moucherai trois fois de suite en regardant ces messieurs. Et puis, après, que ferons-nous, mademoiselle de Veausalé? Quand tout le monde aura dit oui, irons-nous boire ensemble une chope au café?

—Les choses ne se traitent pas comme cela à la cour de Monaco, mon cher monsieur. Le grand monde a d’autres usages. Il ne faudrait pas abuser de la complaisance de M. le duc à accepter votre demi-million, dit Paméla d’un air pincé.

—Mon Dieu! mademoiselle de Veausalé, il faut me pardonner. Je n’ai jamais été à la cour de Monaco. Ce que vous me direz, je le ferai.

—Eh bien! je vous amènerai ces messieurs ici pour vous les présenter. Vous les inviterez à dîner.

—Justement, la cuisinière réussit des flans délicieux. Nous dirons qu’ils ont été faits par Virginie; il est bien permis à des parents de faire valoir leur fille.

—Maintenant que tout est convenu, il faut envoyer retenir des places à l’Ambigu, si nous ne voulons pas être dans un coin où ces messieurs ne pourraient nous découvrir.

On expédia aussitôt un domestique.

Puis toute la maison fut en révolution.

On pressa le dîner.

On bouleversa les armoires pour les toilettes.

A tout moment, les époux Ribolard embrassaient leur fille; mais comme ils ne lui soufflaient pas un mot du motif pour lequel ils la conduisaient au théâtre, la jeune fille, étonnée de ces caresses répétées, se disait:

—Comme l’Ambigu les rend tendres!

Nous marions Virginie

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