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IV

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Il est sept heures. On a déjà joué la petite pièce et la foule, arrivée pour le drame à succès, emplit la salle de l’Ambigu.

Sur le premier rang des fauteuils de balcon, la famille Ribolard s’étale dans tout son plein. Virginie est prise entre mademoiselle de Veausalé et sa mère; Ribolard est assis entre sa femme et un vieux monsieur, à tournure militaire, qui commence à s’effaroucher des étranges allures de son voisin.

La jeune et jolie blonde a déjà aperçu Paul, placé devant son instrument, dans un coin de l’orchestre. Elle lui lance de bien doux regards quand elle ne se sent pas surveillée par Paméla, qui se tient raide et immobile comme une girafe qui réfléchit.

Son maintien fait l’admiration de Ribolard, et il murmure à sa femme:

—Ne t’appuie pas à ton dossier, Cunégonde; imite la prestance de mademoiselle de Veausalé. Copie donc ses manières du grand monde.

—C’est que je suis très-mal assise. Il y a une grosse bosse dans mon fauteuil, de sorte que, quand je veux me redresser, j’ai une... joue qui porte à faux.

Quant à Ribolard, qui prêche les bonnes manières à son épouse, il se tient pour ainsi dire le ventre sur l’appui en velours du balcon, le corps à demi penché en dehors et fouillant du regard le public de l’orchestre pour tâcher de découvrir le noble duc de Croustaflor et son neveu.

En dessous de lui se trouvent les claqueurs du parterre qui, en voyant ce monsieur suspendu sur leurs têtes, commencent à manifester des inquiétudes d’autant plus sérieuses que le nez du vermicellier ému fait entendre un bruyant gloc gloc qu’ils prennent pour un hoquet.

—Est-ce que son dîner lui fait mal? murmurent-ils ça sera du propre quand il va être secoué par la grande scène entre Machanette et madame Laurent. Justement nous l’avons au-dessus de nous! il faut aller reprendre nos parapluies au vestiaire pour le moment de l’averse.

—Eh! là haut! rentrez donc votre pochard! crie un de ces messieurs.

—Tapez-lui dans le dos, ça tue le hoquet, ajoute un autre.

Mais Ribolard ne remarque pas l’orage qui gronde à ses pieds. Il est dévoré par l’impatience de connaître les illustres amis de Paméla, et bientôt il souffle à sa femme:

—Cunégonde, trouve donc une phrase ingénieuse pour demander à mademoiselle de Veausalé, sans donner de soupçons à Virginie, si ces messieurs sont arrivés.

Madame Ribolard se creuse la cervelle pour trouver la phrase ingénieuse, puis, elle murmure à sa fille:

—Ma bichette, prie donc de ma part mademoiselle de Veausalé de te dire si la viande est dans la marmite.

Virginie, surprise par cette question étrange, regarde un instant sa mère pour s’assurer si elle plaisante, mais elle la voit si sérieuse qu’elle suppose qu’au départ on a fait mettre le pot-au-feu pour prendre un bouillon en rentrant du théâtre, et elle transmet l’interrogation à son institutrice.

Mademoiselle de Veausalé accueille la question avec une moue de dédain. Elle en devine le sens caché, mais la façon vulgaire dont la demande lui est posée froisse ses grandes manières, et elle répond dans son beau langage de la cour de Monaco:

—Dites à votre maman que les narcisses ne sont pas encore en fleur.

Virginie est encore plus étonnée par cette réplique, qui ne rime pas du tout avec la question, mais elle la répète à sa mère, après s’être dit tout bas:

—Quel drôle d’effet leur produit l’Ambigu!

En recevant la réponse de Paméla, madame Ribolard reste un instant pensive. On voit qu’elle cherche à comprendre.

—Eh bien! qu’a-t-elle répondu? demande l’impatient et curieux vermicellier.

—Elle dit que la réglisse ne fond pas dans le beurre, lui murmure Cunégonde.

Ce renseignement plonge le vermicellier dans un ahurissement qui se manifeste aussitôt par de si bruyants glocs glocs que son voisin, le vieux militaire, impatienté par ce fracas, s’écrie d’un ton hargneux:

—Ah çà! mille escadrons! vous n’avez donc pas fini de faire craquer vos bottes neuves, vous?

Une querelle est sur le point de s’engager, mais les trois coups se font entendre derrière la toile et l’ouverture commence.

—Mon Dieu! que je suis mal assise, murmure la pauvre Cunégonde.

Pendant que les Ribolard cherchaient à découvrir leurs illustres étrangers, ils ne se doutaient guère qu’ils étaient eux-mêmes le point de mire de deux spectateurs, placés tout près de la grosse caisse, au premier rang des fauteuils d’orchestre.

C’était le peintre Ernest, accompagné de Borax, qu’il avait revêtu d’un de ses habillements. Séparés de l’orchestre par la cloison basse, ils pouvaient causer avec Paul qui, pendant la pièce, n’avait pas autre chose à faire que d’appuyer de grands coups de grosse caisse les éclats de voix du traître quand il persécute l’héroïne.

—Voici le papa Ribolard, dit Ernest à Borax.

—Pourquoi agite-t-il ainsi les bras, avec son ventre posé sur le balcon?... Il apprend donc à nager? Il va se jeter dans le parterre.

—La grande raide est l’institutrice.

—Elle est grasse comme un manche de fouet. Qu’a-t-elle donc sur les yeux... des soucoupes?

—Non, des lunettes.

—Mazette! elles sont de taille! elle a de quoi voir deux actes à la fois... Allons, bon! voilà le père Ribolard qui se remet sur le ventre!

—Il cherche son futur gendre.

—Ah! on frappe les trois coups; il paraît que nos rivaux ne viendront qu’à l’acte suivant.

Mais au moment où la toile se lève, la porte de l’orchestre s’ouvre avec fracas, puis deux messieurs entrent bruyamment et dérangent Borax et Ernest pour gagner leurs stalles, placées à l’extrémité de la banquette.

L’un est très-grand et très-mince. Son œil est hardi, son allure sans gêne, et sa figure fatiguée est ornée, sur chaque joue, d’un énorme favori brun teinté de fil blanc, qui lui retombe sur la poitrine.

L’autre est petit, blond, très-gros, avec un nez retroussé en hameçon.

A leur apparition, Ernest s’est vivement retourné du côté de mademoiselle de Veausalé, qui, en entendant claquer la porte de l’orchestre, avait braqué son regard de ce côté pour examiner les arrivants. Le peintre surprend un imperceptible salut qu’elle adresse aux nouveaux venus.

—Je crois que voici nos gens, souffle-t-il à Borax, en reprenant sa place après le passage des retardataires.

—Alors le futur serait donc le petit gros? Autant vaudrait épouser un saucisson à pattes. Ah! nous allons leur procurer de l’agrément, à ces deux gilets en cœur.

A la fin de l’acte, le duc de Croustaflor et le comte Bonifacio sortent en adressant un petit signe à Paméla, qui, de son côté, se lève pour gagner le couloir et rejoindre ces messieurs.

Les Ribolard, en voyant disparaître mademoiselle de Veausalé, comprennent qu’elle va faire connaître à ses illustres amis les signaux qui ont été convenus pour le dernier entr’acte.

—Cunégonde, voilà le moment décisif. Es-tu émue, ma bonne? murmure le vermicellier tout pâle.

—Ah! mon chéri, je suis trop mal assise pour être à la joie...

—Moi, ma louloute, je suis tellement impressionné que tu dois entendre mon cœur battre.

Ce que Ribolard prend pour le battement de son cœur est le gloc gloc de son rhume de cerveau qui crépite si fort que le vieux militaire voisin s’écrie, exaspéré:

—Mille escadrons! vous voulez donc me rendre enragé, vous, en faisant craquer vos bottes neuves! Décampez au plus vite à une autre place ou retirez vos bottes, je vous donne le choix!

Ribolard, tout abasourdi, n’a pas encore eu le temps de répondre que la tremblante Cunégonde lui presse le bras en soufflant:

—Mon chéri, ne cède pas à la fougue de ton caractère. Ne te compromets pas, cet homme est un fou!

—Je le vois bien; il veut que je m’en aille à une autre place ou que je retire mes bottes.

—Montre-toi le plus sage, il faut céder aux insensés. Retire-les plutôt que d’avoir une dispute qui compromettrait le mariage de Virginie.

Nous marions Virginie

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