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II

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Le christianisme ne veut pas de roman, disait-on tout à l’heure. — Le roman ne veut pas de christianisme, reprend-on maintenant. Le roman chrétien est une utopie?

«Pourquoi, dit l’ingénieux causeur du samedi, dans un de ses charmants articles sur les conteurs contemporains, pourquoi ne pas se contenter du roman honnête, où une idée morale est développée selon les forces de l’auteur, où les passions mauvaises et les sophismes corrupteurs sont réfutés en action, où rien ne peut troubler les imaginations timorées, mais d’où un sentiment respectueux d’incompatibilité et d’incompétence éloigne tout ce qui se rapporterait de trop près à nos dogmes, à nos mystères, à notre culte?...»

Je réponds d’abord qu’en fait ces romans honnêtes et inoffensifs, sans être chrétiens, sont excessivement rares. J’ai essayé jadis de le montrer dans une étude sur les Nouvelles de madame d’Arbouville, romans honnêtes et prônés comme tels par les maîtres de l’art, et où beaucoup de choses cependant pouvaient troubler les imaginations timorées.

Un second exemple se présente ici de lui-même: dans l’article que j’ai déjà cité, immédiatement après ses observations sur les Scènes de la vie chrétienne, M. de Pontmartin écrit la phrase suivante: «Rentrons, avec M. Louis Enault et sa charmante Christine, dans les vraies conditions du roman.»

C’est donc là, selon l’éminent critique, comme un type du roman honnête.

Je l’ai lue cette charmante Christine, et je déclare que c’est une très-mauvaise lecture, fort peu morale, et que je ne conseillerais à personne.

Oserai-je prendre un exemple plus prochain encore? — M. de Pontmartin, qui est si souvent le vrai critique chrétien, dont les études sur Balzac, sur madame Sand, sur Bérenger, sont de si courageux chefs-d’œuvre, M. de Pontmartin affirmerait-il que rien, dans les Mémoires d’un Notaire, n’est de nature à troubler les imaginations timorées?

Non, toutes ces théories qui prétendent construire quelque chose de fécond et de durable en dehors du christianisme, sont aussi fausses, et presque aussi dangereuses, au point de vue littéraire qu’au point de vue social.

Le roman est la peinture de la vie. Le côté pratique de la religion ne doit pas être mis hors du roman, pas plus que hors de la vie.

N’y a-t-il pas ici, quand on veut être fidèle aux principes, comme un enchaînement inévitable de vérités?

Point de vraie morale, de morale pratique, d’honnêteté, sans religion. Louis Racine l’a dit dans des vers qui seront éternellement aussi vrais qu’ils sont peu poétiques:

A la religion soyez toujours fidèle,

On ne sera jamais honnête homme sans elle.

Mais la religion elle-même n’a d’influence sérieuse sur une âme qu’autant qu’elle en a vraiment pris possession, qu’elle domine toutes ses pensées, dicte tous ses jugements et tous ses actes, qu’elle règne et gouverne dans cet empire intérieur.

Or, tout cela ne peut pas se faire à huis clos. On peut bien être en cachette un demi-chrétien; celui qui est chrétien tout entier, l’est ouvertement. Il ne s’affiche pas; mais il y a en lui une lumière qui brille, pour ainsi dire, à travers la prison de son corps, et qui indique aux moins clairvoyants que cette prison est un sanctuaire où luit une lampe divine. Luceat lux vera coram hominibus, a dit le divin Maître, le même qui recommandait à ses disciples de cacher, avec un soin extrême, leurs bonnes œuvres et leurs mortifications.

La vie vraiment honnête, dans les temps et les pays chrétiens, c’est une vie toute saturée de christianisme. — Quelle étrange honnêteté nous proposez-vous donc où le christianisme n’ait point de part? Quelle nouvelle manière de réfuter en action les passions mauvaises et les sophismes corrupteurs, sans faire intervenir l’esprit chrétien; douce brise ou vent impétueux, mais seul souffle assez puissant pour dissiper efficacement la passion et le sophisme? Quel fâcheux sentiment d’incompétence et d’incompatibilité interdit à votre plume tout ce qui toucherait de trop près à nos dogmes, à nos mystères, à notre culte?

Sans doute il faut éviter, avec le plus grand soin, dans le roman religieux comme dans la vie chrétienne, tout ce qui tendrait à jeter sur nos croyances ou sur la pratique du christianisme le moindre ridicule, tout ce qui nous ferait ressembler à des faiseurs ou à des intrigants.

Mais, entre ce zèle intempérant et maladroit et l’abstention totale qui, partout ailleurs qu’à l’église, met, par principe, son drapeau dans sa poche, il y a une position excellente. C’est celle qui consiste à ne rien cacher de ce que l’on croit, à agir toujours, dans les grandes circonstances comme dans les petites, d’après ses convictions. Quelquefois même, et avec un discernement mêlé de tact et de hardiesse, il faut savoir montrer à ceux qui révoquent en doute l’action du christianisme, quel lien intime et indissoluble existe entre la foi qui croit, la vertu qui agit, et cet ensemble de secours divins où le chrétien puise la force de conformer ces actes à ses croyances.

J’avoue que je ne saurais comprendre ces mots d’incompétence et d’incompatibilité, si souvent répétés dans cette controverse.

Je ne les comprendrais qu’autant qu’il faudrait admettre la définition, au moins hasardée, du roman, telle qu’elle résulte de cette phrase que j’emprunte encore à M. de Pontmartin: «C’est qu’il existe un antagonisme inévitable entre l’idée de sacrifice, de mortification, de renoncement, qui est l’esprit même de la religion, et cette sensibilité un peu factice, cette exaltation un peu maladive, qui est la vie propre du roman.»

Mais une pareille définition, ce serait la condamnation du roman en général, du roman simplement honnête et moral, comme du roman religieux et chrétien.

Y a-t-il, en effet, rien de moins moral, rien de moins propre à réfuter en action les passions mauvaises et les sophismes corrupteurs, qu’une sensibilité factice, qu’une exaltation maladive? Mais c’est précisément dans le développement exagéré de la sensibilité, dans cette exaltation glorifiée comme une vertu, tandis qu’elle est presque toujours un péril, dans cette soif fébrile de l’émotion quand même; c’est précisément dans ces énervements, ces mirages, ces stériles rêvasseries, qu’est presque toujours le germe des passions mauvaises et des sophismes corrupteurs. — Et ce serait là l’essence du roman! A Dieu ne plaise!

Que c’en ait été trop souvent la pratique; que ce soit là le danger permanent dont il faut se garer, la pente glissante sur laquelle il faut se roidir sans cesse, — qui en doute?

Mais qu’est-ce que cela prouve contre le genre en lui-même? On en pourrait dire autant de tous les arts, où l’abus est si près de l’usage, de l’imagination en général, cette gracieuse et souriante faculté, toujours sur le point de redevenir la folle du logis.

Encore une fois, que conclure de là ? Qu’il faut établir un cordon sanitaire contre cette puissance dangereuse; arrêter impitoyablement au passage toutes ses productions, quelles qu’elles soient: peinture, musique, poésie, etc...?

Tout cela n’est pas sérieux. Nous n’empêcherons pas l’immense majorité des hommes de demander à l’imagination quelques-unes de ses brillantes créations. Seulement, les honnêtes gens resteront en dehors de ce mouvement, et laisseront les œuvres immorales et impies inonder la société, sans rien essayer à l’encontre. — Ce ne serait, ce me semble, ni très-courageux, ni trèshabile.

J’ajoute que cette définition du roman, malheureusement trop vraie à l’égard d’un grand nombre, est manifestement très-injuste, quand il s’agit des beaux romans chrétiens, et même de quelques romans simplement honnêtes.

Quelle exaltation maladive, quelle sensibiliié fébrile voyez-vous dans les Fiancés, à l’égard desquels je ne fais pas difficulté de reconnaître que je me suis jadis montré un peu sévère, — ou dans Fabiola, — même dans la plupart des romans de Walter Scott, dans le Vicaire de Wakefield, dans Clarisse, ou dans Tom Jones? Les regrettables défauts de ce dernier chef-d’oeuvre sont d’un tout autre ordre.

Je ne sache pas une meilleure manière de préciser les droits et les devoirs du romancier chrétien, que de se rappeler quels sont les droits et les devoirs du simple chrétien dans la vie.

Il y a dans le monde deux choses mauvaises et que Notre-Seigneur lui-même a maudites: c’est l’esprit du monde; ce sont les scandales qui en procèdent. Mais vivre dans le monde, y tenir son rang, recevoir et rendre ces bons offices et ces politesses dont l’échange constitue le commerce des hommes; avoir, si l’on peut, toutes les grâces décentes qui gagnent les cœurs, même se mêler aux divertissements du monde dans la proportion que permettent la raison de l’homme de sens et la conscience de l’homme de foi, plus souvent d’accord que l’on ne pense, — c’est le droit, c’est souvent le devoir du chrétien.

En effet, s’il faut qu’il y ait des âmes d’élite qui mettent toutes ces choses sous leurs pieds en les abandonnant, en se vouant à de volontaires et continuels abaissements; — il faut que d’autres montrent comment on peut user des biens, des grandeurs, des plaisirs, des aises de la terre sans y attacher son cœur, et en devenir l’esclave. Il faut que le monde apprenne qu’on peut être riche, aimable, beau, lettré, puissant, avoir tout ce qui fait la joie et l’enivrement de cette vie, sans oublier la vie à venir; que Dieu et la religion, en entrant dans une âme, l’agrandissent au lieu de la mutiler; qu’aucune des affections légitimes n’est proscrite par le christianisme, qui leur communique au contraire une élévation, une dignité, une perpétuité, que l’âme, par ses propres forces, ne pourrait jamais atteindre.

Il en est de même du roman.

Tenez-vous que le roman ait absolument besoin de ce que j’appellerai, faute d’un meilleur nom, la licence de l’esprit et du cœur, je ne dis pas la révolte déclarée contre les principes, mais ce qui, de près ou de loin, en vient ou y mène... la touche sensuelle, si délicate et si peu accusée qu’elle soit..., et c’est en effet à cela que reviennent trop souvent cette sensibilité maladive et cette exaltation que vous excusez, quand vous ne les glorifiez pas? — Tenez-vous que ce soit là l’essence même du roman?

Alors il est évident qu’un chrétien sincère, qui aurait eu l’idée de se faire romancier, devra briser sa plume sur-le-champ. Car, il lui est absolument interdit d’écrire un mot qui, de près ou de loin, risque de devenir, pour le moindre de ses lecteurs, un sujet de scandale. Il n’y a pas de poétique non-seulement chrétienne, mais honnête, qui autorise une pareille infraction aux lois les moins discutables de la probité littéraire. Et l’homme surtout qui, ayant la foi, pense pouvoir acheter le succès par cette lâche concession, sait très-bien qu’il commet l’un des péchés les plus graves et les plus difficiles à réparer, le péché de scandale. Il le sait, et les morsures de sa conscience le lui rappelleraient, s’il était tenté de l’oublier.

Mais si, au contraire, vous reconnaissez que la licence n’est pas le caractère propre, mais le vice du roman, vous êtes, vous romancier chrétien, dans la position où sera toujours un chrétien, qu’il s’agisse pour lui d’écrire ou d’agir. Il a à sa disposition, en commun avec tous ceux qui ne partagent pas ses croyances, tous les moyens honnêtes. Les moyens coupables lui sont interdits, et c’est sans doute un élément de succès dont beaucoup usent et abusent. Mais il a pour lui, et pour lui seul, tout un arsenal de moyens d’émotion et d’intérêt.

J’ai dit ailleurs quels étaient ces moyens: même au point de vue de l’art, ce n’est pas pour rien qu’on est catholique.

Pour transformer un roman non chrétien en un roman chrétien, que pensez-vous qu’il faille faire? Deux choses: en retirer tout ce qui est faux ou immoral, ou qui conduit, par des voies si détournées qu’elles soient, à l’erreur ou au vice. Le livre ainsi désinfecté, il faut y faire circuler l’esprit chrétien, lui infuser comme une séve nouvelle.

Parmi les productions des auteurs en renom, la plupart sans doute ne pourraient supporter un semblable traitement. Radicalement mauvaises, c’est tout qu’il faudrait en retrancher, pour les purifier.

Il en est plus d’une cependant où il suffirait de la suppression de quelques pages, d’un mot sacrifié, changé ou ajouté par-ci par-là, pour faire d’une lecture fâcheuse, à cause de certains détails, une lecture, en somme, salubre.

Mais ce travail d’épuration, du moment qu’il est possible, est presque toujours nécessaire. L’écrivain qui n’est pas chrétien, alors même que, soit par une sorte d’illumination, soit pour faire du nouveau, soit par réminiscence d’une enfance pieuse, soit en peignant fidèlement quelque modèle chrétien qui aura frappé ses regards, il semble faire une œuvre bien intentionnée et qui devrait être irréprochable, cet écrivain se reconnaît toujours à quelque signe. Presque infailliblement il laissera tomber sur ces belles pages, sorties de la meilleure partie de lui-même, quelque tache où se révèle la corruption habituelle du cœur et de l’esprit.

Donnez à l’écrivain chrétien le même talent qu’à l’écrivain irréligieux ou indifférent, ces taches n’existeront pas dans son œuvre. Mais qui empêche que les beautés y existent, ces beautés qui tiennent à la richesse de l’imagination, à la limpidité du style, à sa force, à son éclat, à la délicatesse de l’analyse, à l’habileté de la mise en scène, toutes choses où les mauvaises doctrines n’ont rien à voir, et qui ne sont pas, que je sache, le privilége des ennemis de l’Église?

J’ajoute que ce serait méconnaître les trésors que la vérité recèle toujours dans ses profondeurs, surtout cette vérité catholique si complète, si lumineuse et si mystérieuse en même temps, si intimement liée à tout ce qui touche et remue le cœur de l’homme, que de ne pas comprendre quelle mine inépuisable d’intérêt le christianisme va offrir au romancier religieux, en échange des sacrifices et des entraves que lui imposent ses croyances.

Quand du haut de ces théories je retombe à mes modestes essais, je suis honteux de demeurer, dans l’exécution, si loin de l’idéal que j’ai conçu.

Je persiste cependant à écrire des Nouvelles..... un peu trop pieuses, me disent quelques amis, et pas assez dramatiques; ils doivent avoir raison, chacun n’écrit que ce qu’il sait écrire. — Mais ces simples récits font quelque bien, j’espère, et même quelque plaisir, à ceux qui ne dédaignent pas de les lire.

Je persiste surtout à aimer et à professer une théorie dont tout ce qui précède n’est que l’imparfait développement. Je la crois, je la sens vraie; je demande à Dieu de nous envoyer un homme d’un grand talent et d’une foi vive, qui veuille bien mettre ces idées en pratique et nous donner enfin de beaux et bons romans chrétiens.

Je lui promets la plus belle récompense, la seule qui vaille la peine d’être poursuivie, une riche moisson d’âmes.. Mais le reste, un immense succès, lui arrivera par surcroît.

Scènes de la vie chrétienne

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