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MANIÈRE CRIBLÉE

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La manière criblée est une des formes primitives de la gravure. Elle paraît avoir pris naissance en Allemagne, et elle y a été exercée jusque vers la fin du quinzième siècle.

«Comme la gravure sur bois, dit Passavant, celle-ci est exécutée sur des planches d’un métal doux (probablement du laiton) ou sur du cuivre, de manière à ce que le fond reste en relief pour être imprimé en noir, mais cependant varié d’un pointillé ou d’un travail à guise de tapisserie. De la même façon les draperies sont souvent ornées de points de différentes grosseurs imitant les broderies en perles et en soie des tentures d’église, ou d’étoiles, de grains oblongs, etc., poinçonnés sur des hachures très fines ou sur le fond noir. Les parties claires sont dégradées vers les ombres en enlevant le métal. Il en résulte un jeu particulier d’ornements, de lumière et d’ombre qui ne manque pas d’un certain charme, quoique ce genre de travail ne puisse avoir la prétention d’occuper une place distinguée comme objet d’art.»

Il faut encore remarquer à ce sujet que les plus anciens échantillons de ce genre offrent la reproduction la plus exacte des ornements en perles et de la broderie en soie, et que cette exactitude arrive peu à peu jusqu’à dégénérer, vers la fin du quinzième siècle, en un travail grossier imitant le nielle.

Généralement les. gravures en manière criblée appartiennent à une classe d’artistes d’un genre secondaire et sont quelquefois assez barbares. C’est à cause de cette particularité qu’on a voulu aussi leur attribuer une très grande antiquité, quand il est de fait qu’elles appartiennent à une époque relativement récente. Pour les rendre plus acceptables, on les coloriait souvent d’une manière très négligée, au moyen de patrons découpés, en laque rouge, en brun-jaune, en vert-de-gris et couleur de chair.

Le Cabinet des estampes de Paris est possesseur de deux pièces dont M. Delaborde fait remonter la date précise à l’année1406. Elles sont d’autant plus curieuses qu’elles font partie intégrante d’un manuscrit du quinzième siècle. Elles avaient précédé le travail du copiste, c’est ce que prouvent, avec la dernière évidence, les lignes écrites sur le recto autour des gravures et d’autres lignes espacées de manière à charger aussi peu que possible, sur le verso, le champ de l’impression. La date du manuscrit était difficile à fixer. On y trouvait bien dans le calendrier une date de1413, mais qui, par la manière dont le chiffre1est formé, pouvait très bien indiquer l’année1473.



Gravures en manière criblée, dites de1406. LE PORTEMENT DE CROIX.

M. Delaborde, par l’examen du calendrier comprenant dix-neuf années à partir de1394, s’est efforcé de prouver que les calculs sur les phases lunaires, suivis d’un tableau des années, des heures et des minutes auxquelles ces phénomènes doivent s’accomplir, ne peuvent s’accorder avec l’année1473; qu’il faut donc voir là un lapsus calami.

Ensuite, comme le copiste indique qu’un certain nombre d’années ne se sont pas écoulées, M. Delaborde a pensé qu’il y avait des raisons sérieuses pour reporter à1406la date du manuscrit.

D’ailleurs, l’aspect tout à fait primitif et même barbare des deux estampés ne permet de leur assigner qu’une date assez reculée.

Si celle de1406est admise, elle est la plus ancienne connue jusqu’à présent; mais, quoi qu’il en soit, nous en citerons une qui, du moins, a une date authentique et incontestable: c’est le Saint Bernardin de1454.

Il est debout, les bras élevés, tenant de la main droite le monogramme entouré de rayons h + | 9, et de la gauche un livre avec l’inscription: Viae lege, etc. En bas, une autre inscription de cinq lignes se termine, après l’amen, par la date1454. Le tout est circonscrit par un ornement de nuages dans le style de l’époque, et les symboles des évangélistes se trouvent dans les quatre coins.

Passavant dit que c’est la gravure la plus ancienne en manière criblée qui porte une date. Elle fut trouvée en1800, à Mayence, par le commissaire français Maugerard. Duchesne, dans le Voyage d’un Iconophile, attribue cette gravure, ainsi que plusieurs autres d’un travail très varié en manière criblée, qui sont au Cabinet des estampes de Paris, à un certain Bernard Milnet, dont il croyait avoir trouvé le nom sur une estampe représentant la sainte Vierge et l’enfant Jésus, en manière criblée, et qu’il pensait être un maître français, graveur sur métal. D’après l’inscription que Léon de Laborde a reproduite en fac-simile, ce nom s’écrirait Bernhardinus Milnit. Il serait difficile de dire quelque chose de satisfaisant sur ce dernier mot; mais il est évident, dit Passavant, par la manière dont le premier nom est écrit avec une h, et la terminaison nit du second, que cette gravure est plutôt d’origine allemande que française.

La gravure en manière criblée ne paraît pas avoir parcouru une longue carrière: elle appartient presque tout entière au quinzième siècle. On a même prétendu que la plupart de celles qui ont survécu sont antérieures à1450. Nous pensons que cette assertion n’est pas exacte. L’opinion de M. Weigel nous semble approcher davantage de la vérité. Ce savant collectionneur avait une très nombreuse réunion d’estampes de ce genre. Elles figurent dans son catalogue sous les numéros302à400, comprenant une centaine de gravures; aucune d’elles n’étant datée, M. Weigel n’a pu leur assigner une époque précise.

Il en place une seule, le numéro322, dans les années1425à1440; une autre, le numéro323, de1425à1450. Toutes les autres sont renvoyées au troisième et même au dernier quart du quinzième siècle jusqu’à1500.

Ces dates, comme cela est très facile à comprendre, sont conj ecturales; mais c’est déjà une appréciation très plausible que celle de M. Weigel, et même presque une certitude que ce genre de gravure était encore pratiqué vers le commencement du seizième siècle.

En France on a aussi employé le criblé, mais on ne paraît pas l’avoir appliqué à des gravures de grande dimension. La lourdeur des figures et l’effet peu gracieux des compositions exécutées par ce procédé peuvent n’avoir pas engagé les artistes à s’en servir sous l’unique forme où il nous apparaît en Allemagne. On l’a assez souvent adopté pour les fonds des encadrements qui décorent les pages des livres d’heures. Ce mode de gravure produit dans cette circonstance un effet très piquant. Nous avons remarqué beaucoup de ces petites vignettes où les personnages, les détails d’architecture, les fleurs, les arabesques et autres accessoires, s’enlevaient de la manière la plus heureuse sur un fond rempli des petits trous du criblé. Il n’est pas rare non plus de trouver les fonds des grandes planches exécutés de la même manière.

ANONYMES

GRAVEURS ALLEMANDS APPARTENANT A L’ÉPOQUE LA PLUS ANCIENNE

Estampes de notre collection.

Calvaire. 1423-1430.

Le Christ en croix entre les deux larrons. A gauche, la Vierge évanouie, soutenue par saint Jean et une sainte femme coiffée d’un turban. Au pied de la croix, Madeleine agenouillée lève les bras; à droite, une autre sainte femme assise, vue de dos. Les draperies sont parsemées d’une infinité de petits points blancs, et le fond est orné de rosettes. Le terrain offre un tapis de verdure. Au bas, sous la figure de la Madeleine, on voit un petit écusson avec deux glands croisés.

Haut., 191millim.; larg., 119.

Passavant a décrit la même pièce, mais il n’a pas fait mention du petit écusson. Il est probable que l’épreuve du cabinet de Berlin qu’il a eue sous les yeux n’est pas dans son intégrité.

Très belle épreuve, bien conservée, à l’exception de quelques petits trous de vers. On voit dans certaines places les restes d’un ancien coloris. L’épreuve a une marge de 11millim. Collection Alféroff de Bonn.

Adoration des Rois. La sainte Vierge, la tête entourée d’une gloire, est assise dans le milieu, sous un toit; elle est tournée vers la droite, et tient l’enfant Jésus dans ses bras. A droite, on voit un roi à genoux et un autre debout. Le roi nègre est à gauche. Les deux rois debout portent des souliers à la poulaine; ils tiennent des présents. Le roi à genoux apporte une boîte; celui de derrière, une espèce de vidrecome en forme de corne; le roi nègre, un ostensoir. Saint Joseph est à genoux, à gauche, vers le fond; dans le haut, une étoile. A gauche, Dieu le père tient une banderole où est écrit: REGES ARABVM SABA; un ange, de l’autre côté, a une banderole sur laquelle on lit: VELT STELLAM CLARAM. Le terrain est couvert de plantes. Le travail du graveur imite la broderie.

Haut., 241millim.; larg., 180.

Pièce très rare qui nous paraît appartenir à la première moitié du quinzième siècle. Nous ne croyons pas qu’elle ait été décrite.

Manuel de l'amateur d'estampes

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