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CHAPITREI

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Table des matières

Un type, le commandant Besson. Grand, sec, nerveux, l’œil haut, la face bronzée, bouclé dans une redingote étroite sur laquelle saillaient les hanches, une cravate à triple tour, noire et lustrée d’où émergeait un cou long et maigre, tel était l’homme dans son ensemble. Sa barbiche hérissée lui donnait à première vue l’air d’un dindon en courroux. Il épouvantait tout d’abord. Mais dès qu’on avait été admis dans son intimité, on ne pouvait s’empêcher de l’aimer, parce que sous cette enveloppe rude et dénuée de grâce, se cachait une âme loyale et foncièrement honnête.

Engagé volontaire à dix-sept ans, il était arrivé, grâce aux circonstances, (l’Algérie était alors en pleine insurrection), assez rapidement à l’épaulette. Peu après, une action d’éclat lui valait la croix. A quarante-deux ans il était promu au grade de capitaine et perclus de rhumatismes contractés en Crimée. Il se trouvait en congé de convalescence lorsqu’il fit la folie d’épouser Mlle Blondeau.

Elle était pourtant jolie Mlle Blondeau, trop jolie même, et pendant un an le capitaine fut bien le plus heureux des hommes. Mais, hélas! tout a une fin ici-bas, surtout les lunes de mi et celle de M. Besson n’avait pas encore atteint son deuxième quartier, qu’il s’apercevait avec effroi qu’au lieu de la compagne rêvée, sa femme était légère, coquette, esclave du plaisir, toute au monde, mais pas du tout à lui. Son désenchantement fut profond. Bon, tendre, naïvement fat comme le sont en général ces privilégiés du sabre et des bottes molles, il se croyait aimé pour lui-même et s’imaginait avec candeur que cette jeune épouse allait passer sa vie à l’adorer et à lui frictionner les jambes. Malheureusement il n’en fut rien et on prévoit aisément ce qui serait advenu par la suite si, après dix-huit mois de ménage faits d’orages et d’éclaircies, Madame Besson n’était morte en mettant au monde une ravissante petite fille que le brave homme reçut dans ses bras et qui débuta dans la vie en poussant des cris affreux au contact de cette moustache en brosse.

Le capitaine devint donc veuf et père. Il regretta sa femme qu’il aimait malgré tout et adora sa fille. Celle-ci lui fit oublier l’autre; ce qui prouverait en faveur du système d’Azaïs.

La petite Jeanne fut élevée dans le Comtat Venaissin. Son père, né à L’Isle, voulut ainsi la rapprocher d’une vieille tante qui lui avait tenu autrefois lieu de mère. Il accompagna donc lui-même l’enfant, jugea de visu des formes plantureuses de la nourrice, embrassa sur les deux joues Misé Gothon, c’était le nom de la tante, et fut rejoindre son régiment qui allait de nouveau tenir garnison en Afrique.

Mademoiselle Agathe ou Misé Gothon, selon l’abréviation usitée dans le pays, avait à cette époque soixante-cinq ans sonnés bien qu’elle parût plus jeune que son âge.

D’une taille au-dessous de la moyenne, ronde et replète, elle était restée vive et alerte grâce à son existence active et à sa sobriété devenue proverbiale. Vivre de peu, s’imposer même des privations, voir chaque année s’arrondir le sac renfermant les économies destinées à son neveu, tel était le rêve de cette bonne vieille que tout le monde aimait parce qu’on la savait toujours prête à obliger malgré sa parcimonie bien connue.

L’arrivée de cette petite nièce fut donc pour elle un véritable événement. Elle l’aima avec cette passion absorbante qu’éprouvent les vieillards pour les enfants. Aussi, il fallait voir comme la nounou était soignée. Cette bonne grosse campagnarde, bâtie pour allaiter toute une couvée de bébés, se laissait choyer, dorloter, engraisser avec un ahurissement qui témoignait suffisamment du peu d’habitude qu’elle avait de la chose.

L’enfant grandit en toute liberté sous l’œil de la tante dont elle était devenue l’unique affection. Nous disons l’unique affection, car les grands parents ont ceci de particulier c’est de préférer leurs petits-enfants à leurs enfants propres.

Est-ce parce qu’ils n’ont que peu de temps à les aimer ou bien parce qu’entre cet être qui arrive et cet être qui s’en va il y a une affinité de sentiments qui les attire, est-ce en vertu de la loi des extrêmes? Qui pourrait le dire?...

Ce qui est certain, c’est qu’on ne peut guère voir sans quelque tristesse ces boucles blondes et blanches confondues et mêlées ensemble dans un baiser. Ils s’entendent si bien ces deux enfants, ils sont si heureux quand ils vont se tenant par la main, que ce n’est point sans amertume qu’on songe au temps, trop proche hélas! où il leur faudra se quitter pour toujours.

A quatre ans, Jeanne était jolie comme un amour, vive et espiègle comme un démon. Elle grimpait aux arbres, courait à travers champs, et faillit se noyer deux fois dans la Sorgue en faisant la chasse aux papillons.

On doit penser dans quelles angoisses cela jetait la tante. Elle était pourtant si heureuse, cette bonne Misé, quand elle la voyait bondir dans la prairie comme un poulain échappé, les cheveux au vent, livrant sa petite tête brune aux morsures du soleil. Le teint hâlé, les joues en feu, elle allait, courant toujours, moissonnant ça et là, une brassée de narcisses et de boutons d’or, dont elle faisait un bouquet informe qu’elle venait jeter aux pieds de la vieille demoiselle, inondée ainsi de fleurs et des caresses de l’enfant.

C’était alors des récriminations sans fin.

–Comme tu as chaud! Comme tu es fatiguée! Viens ici, Jeanne, viens ma mignonne. Jeanne? Jeanne?..,

Mais, Jeanne était déjà loin. Un hanneton attardé, un martinet rasant la terre, un mouton éloigné du troupeau, tout lui était sujet à des courses folles après lesquelles, brisée de fatigue, exténuée, elle se refugiait dans les bras de la tante où elle ne tardait pas à s’endormir. On la portait alors jusqu’à la ferme avec des précautions infinies, on la couchait aussitôt dans un fouillis de dentelles où, peletonnée comme une chatte, elle reposait jusqu’au lendemain pour recommencer de plus belle.

La liberté dont elle jouissait, le grand air et les soins incessants dont elle était l’objet, avaient tellement contribué à son développement, qu’à six ans elle était forte et robuste malgré cette maigreur native qu’elle tenait de son père.

Il fallut pourtant songer à l’envoyer à l’école.

Ah! ce fut un bien triste jour pour Misé que celui où l’enfant, son petit panier sous le bras, accompagnée d’une servante, se rendit à l’Isle chez les Dames de Saint-Charles où elle venait d’être admise comme demi-pensionnaire. Il lui sembla qu’un voile de deuil s’était tout à coup étendu sur cette maison, la veille encore si gaie, si remplie des cris de joie de la fillette. Inquiète, anxieuse, elle compta les heures qui la séparaient du retour de l’enfant, et alla vingt fois sur le seuil de la ferme pour guetter son retour.

Quand Jeanne revint le soir, elle éprouva une véritable joie à embrasser sa tante. Quoique les sœurs se fussent montrées très-bonnes, elle n’avait pas trouvé en elles cette faiblesse de caractère, cette bonté à toute épreuve, cette affection sans bornes, qui résumaient Misé Gothon tout entière.

Les enfants ont aussi leur égoïsme. Ils paraissent aimer d’autant plus qu’on les gâte davantage. Aussi, à ce titre la vieille fille était elle pour sa petite nièce l’objet d’un culte particulier. Ce que celle-ci employa de ruses le lendemain pour ne pas retourner à l’école, ce qu’il fallut d’énergie à Misé pour ne pas céder, serait trop long à raconter. Ce qui est certain, c’est que peu après la fillette s’en allait chaque matin sans trop de chagrin et qu’au bout de deux ans elle écrivait à son père une petite lettre naïve, agrémentée de fautes de syntaxe, d’une orthographe boiteuse, mais qui témoignait suffisamment des progrès qu’elle avait faits.

La bonne tante était ravie, mais les sœurs de Saint-Charles ne laissaient pas d’être inquiètes, car si l’enfant était douée d’une intelligence rare, qui ne pouvait que flatter leur amour-propre d’enseignantes, elles voyaient non sans effroi, s’affirmer en elle de jour en jour une volonté et un entêtement inexplicables encore à cet âge.

Sa nature fantasque et capricieuse en rendait du reste l’étude impossible. Tantôt elle acceptait sans se plaindre les punitions qui lui étaient infligées, les subissant jusqu’au bout plutôt que d’en diminuer la durée par un repentir sincère et spontané; tantôt elle poussait des cris affreux qui obligeaient ses maîtresses à lever la consigne, sous peine de la voir blémir de colère, puis tomber en proie à des crises nerveuses dont les suites pouvaient lui devenir fatales.

Misé, à qui la supérieure faisait part quelquefois des craintes que lui inspirait l’avenir de l’enfant, répondait invariablement avec ce bon sourire stéréotypé sur ses lèvres.

«Laissez la faire, ma sœur. Tout cela changera avec l’âge.»

C’est ainsi que, sans s’en douter, la pauvre fille compromettait le bonheur de Jeanne, ignorant hélas! qu’il en est des caractères comme de ces arbustes qui sont d’autant plus faciles à redresser que leur tronc est plus souple et leurs racines moins profondes.

Il est onze heures du soir et Jeanne est encore debout, luttant contre la fatigue qui l’accable et attendant fiévreusement le premier coup de la messe de minuit, car c’est demain Noël.

Noël! jour béni des enfants, jour fait de joies et de surprises, jour où le bébé, dès la première heure, court sous le manteau de la cheminée et y découvre avec des transports bruyants ces mille riens qu’ont déposés les grands parents, et qui font son bonheur pendant la matinée toute entière.

Mais ce ne sont pas les cadeaux que doit lui apporter le petit Noël qui font Jeanne si heureuse, c’est la messe de minuit et les surprises qui l’y attendent qui la rendent folle d’impatience.

En écrivant ces lignes, l’auteur ne peut s’empêcher lui-même de dédier un souvenir de regret à ces premières émotions de son enfance. Il se rappelle, lui aussi, la longue veillée au coin du feu, ses efforts inouis pour ne pas céder au sommeil et ce premier coup du bourdon si impatiemment attendu.

La place de l’Église s’animait alors comme par enchantement; on entendait retentir sur le pavé le bruit sonore des socques que portent les femmes du peuple, et lui, blotti sous le grand manteau brun du père, arrivait, transporté, sur le seuil du temple inondé de lumières et saturé d’encens.

Le Comtat est aujourd’hui un des rares départements de France où la tradition de ces fêtes de famille soit restée à peu près intacte. Si les mœurs primitives ont subi de nombreuses transformations, il est heureusement quelques vieilles coutumes qui n’ont point encore été déflorées.

Aussi, lorsqu’à rapproche de minuit, les cloches sonnent à toutes volées, conviant les fidèles, on voit descendre de tous les points de la montagne qui s’étend vers le nord de la ville, des paysans avec leurs femmes et leurs enfants, causant et devisant entre eux, munis d’une lanterne dont la lueur vacille et tremblotte sous un admirable ciel étoilé. Chaque ferme forme un groupe de serviteurs et de parents qui marchent côte à côte éclairés par cette lumière blafarde du anal. Ces petites flammes, qu’on distingue déjà dans le lointain, vont, sautillant dans l’ombre, semblables à des feux follets poussés par le vent, puis, arrivées aux portes de la ville, s’éteignent subitement pendant que le carillon jette ses dernières vibrations dans le silence de la nuit.

Jeanne, en prenant place dans la petite chapelle de la vierge, où, d’ordinaire, se tenait la tante, fut littéralement éblouie.

L’Église était brillamment illuminée et l’officiant, dont la châsuble d’or réflétait les feux des cierges disposés en gradins, venait de commencer l’office. L’orgue préludait de sa voix puissante, et l’enfant d’écouter avec ivresse ces noëls si populaires dont, autrefois, sa nourrice l’avait bercée.

Tout à coup, une grande rumeur. La foule s’agite comme une houle immense et par la grande porte, au pas et marchant en cadence, des bergers, portant des falots, entrent, suivis des fifres et des tambourins dont on entend déjà les notes aiguës et discordantes.

Jeanne, Jeanne, la «charrette!» s’écrie Misé Gothon, en prenant la fillette dans ses bras.

En effet, de l’extrémité de l’enceinte, lentement, claudicant et se traînant vers l’autel, s’avance une petite voiture faite de feuillage et de branches de saules à laquelle sont attelées quatre brebis de blancheur éclatante et tout enrubannées comme des bergères de Watteau.

Au milieu, sur un coussin de velours rouge, un agneau, frisé comme un chérubin, étonné, ahuri, baisse les paupières sous la lumière qui l’aveugle et tout cela va, bêlant à qui mieux mieux, cherchant à se frayer un passage dans cette foule, naguère si recueillie maintenant si bruyante.

Puis, le prêtre consacre l’agneau, que les fidèles viennent baiser dévotement.

Jeanne, à son tour, lui prend la tête de ses deux petites mains et veut absolument l’emporter.

Alors se produisit une scène burlesque.

Insensible à la majesté du lieu, n’écoutant plus sa tante, qui s’épuisait en remontrances vaines, sans souci des objurgations du vicaire, dont la situation devenait de plus en plus comique, elle se cramponnait au «mémé», qu’elle ne voulait plus lâcher. Celui-ci, tiraillé dans tous les sens, poussait des bêlements déchirants qui se mêlaient à la voix des chantres et formaient la plus atroce cacophonie.

Misé avait beau lui en promettre un semblable, l’enfant ne l’écoutait plus et piétinait de colère sur les dalles de l’autel. Pour mettre fin à ce scandale, il fallut l’emporter.

Le prêtre, rouge de colère, eut à subir encore les sourires moqueurs de tous ceux des assistants qui vinrent après l’enfant effleurer de leurs lèvres la toison naissante de la pauvre victime, remise à peine de cette terrible secousse.

Le lendemain, Misé Gothon ne se souvenait de cet incident que pour tenir sa promesse. Aussi, et dès la première heure, choisissait-elle elle-même dans une ferme voisine un ravissant petit chevreau dont elle ornait le cou d’une faveur rose et que la fillette trouvait à son réveil.

Pauvre Misé! comme elle était bonne et comme elle l’aimait cette enfant presque orpheline dont le père était si loin, qu’elle se demandait parfois avec épouvante s’il reviendrait jamais. Elle craignait n’avoir plus longtemps à vivre, et la perspective de cet inconnu dans lequel elle allait la laisser la glaçait d’effroi.

C’est ainsi que pour la dédommager des éventualités que lui réservait l’avenir, elle se prit à la chérir avec une sorte d’idolâtrie, satisfaisant à ses moindres caprices avec une faiblesse coupable qui, plus tard, ne pouvait manquer de porter ses fruits.

Il y avait peut-être des trésors de tendresse dans l’âme de cette enfant, et toute autre que sa tante eût pu les mettre à découvert, comme le filon sous la pioche du mineur. Mais il aurait fallu une main de fer, et celle de Misé était bien trop faible et trop débile. Avec de l’énergie, elle en aurait fait sans doute une vraie femme. Par sa faiblesse et son excès d’amour elle en fit, au contraire, ce que nous apprendra plus tard la suite de ce récit.

Dix ans se sont écoulés. Jeanne est maintenant une grandeet belle fille, à l’œil noir, langoureux et rêveur, aux formes à peine accusées, à la chevelure opulente. Le soleil l’a brunie, et sous son épiderme, légèrement bistré, on devine un sang ardent et chaud.

Sa taille, souple et flexible comme un jet d’osier, se dessine sous une longue robe noire qui fait ressortir davantage le mat de son teint.

La jeune fille se mire avec complaisance dans cette toilette de deuil, qu’on lui a apportée la veille, en essuyant par intervalles ses beaux yeux inondés de pleurs. Car de cette bonne Misé qui lui a tenu lieu de mère, il ne reste plus maintenant qu’un cadavre, dont le souvenir est vivace au fond de son cœur.

Et pourtant, il y a dans le désespoir de cette enfant, deux fois orpheline, quelque chose de vrai et d’exagéré tout à la fois. Certes, elle regrette sa tante, cette excellente femme dont la vie n’a été qu’une série de sacrifices et qui, après lui avoir donné pendant seize ans des preuves constantes de son affection, n’a quitté ce monde qu’avec la crainte de n’avoir pas assez fait pour elle. Elle a cependant bien pris ses dispositions, Misé, car, redoutant que son neveu ne se remariât tôt ou tard et ne fît alors un mauvais usage de cette modeste fortune si péniblement amassée, elle a en quelque sorte et au profit de la fille deshérité le père.

–Ce sera pour mettre dans ta corbeille de noce, lui avait-elle dit souvent.

Une mère n’eût pas fait mieux. Jeanne ne l’ignorait pas et ses larmes étaient sincères.

Mais dans cette nature étrange, toute de contrastes et d’oppositions, le chagrin prenait parfois des proportions presque choquantes. Elle paraissait se complaire dans son affliction, elle s’y abîmait avec une obstination outrée, ne s’en écartant tout à coup que pour entrer dans certains détails puérils et froids avec une lucidité d’esprit qu’on ne saurait attendre de ceux qui souffrent.

Peu après la mort de la tante, le commandant, prévenu par dépêche, arrivait à l’Isle en toute hâte et trouvait, au débotté, sa fille, qu’il croyait plongée dans le plus profond désespoir, en grande conférence avec sa couturière.

Le premier moment d’effusion passé, M. Besson, après avoir chargé son notaire de la gestion des biens composant la succession, loua la ferme et, ne pouvant emmener sa fille, la confia, le jour même de son départ, aux soins de la sœur Saint-Louis, supérieure de la Providence, à Avignon, et dont le frère était son compagnon d’armes.

En entrant au couvent, Jeanne se trouva dépaysée au milieu de ses nouvelles camarades. Quoique naturellement fine et distinguée, elle n’avait pu gagner au contact de sa tante cette élégance et ce bon ton dont Mesdemoiselles de la Providence paraissaient s’être fait une règle.

Appartenant pour la plupart à l’aristocratie du Comtat, elles affectaient dans leurs allures et leur maintien cette morgue impertinente et sotte qui caractérise si bien la petite noblesse de province.

Froidement accueillie à cause de sa modeste origine, Jeanne fut tout d’abord tenue à l’écart et eut à souffrir de l’éloignement auquel elle paraissait condamnée.

Loin de se plaindre, loin de chercher à rentrer en grâce au prix de quelque ingénieuse concession qui eût mis son amour-propre à l’abri, elle s’éloigna de ses compagnes, pour lesquelles elle n’éprouvait qu’une profonde aversion.

Six mois s’écoulèrent ainsi, six mois d’humiliations, de guerres intestines et de déboires. Jeanne y usa toute son énergie. Elle était sur le point de capituler et d’abandonner la place, elle allait supplier son père de lui faire quitter ce couvent dont le séjour lui était devenu insupportable, quand l’arrivée d’une autre pensionnaire vint changer pour l’instant sa détermination.

Mlle Donat, la nouvelle venue,–une roturière comme Jeanne,–était une fillette de 16ans à peine, blonde, pâle et timide, qu’on nommait Berthe et qu’on était tenté d’appeler Marguerite, tant elle rappelait l’héroïne de Gœthe par la grâce virginale et l’élégante simplicité.

Indécise et hésitante dans sa démarche, elle se perdait au milieu de ces demoiselles orgueilleuses et fières, comme un bluet aux couleurs tendres dans un champ de coquelicots. Aussi la voyait-on errer sans cesse ainsi qu’une âme en peine parmi ces groupes bruyants et animés.

Elle était bien seule et bien triste, la pauvre enfant, quand, heureusement, Mlle Besson, qui pressentait en elle une seconde victime et désirait s’en faire une alliée, vint lui offrir son amitié.

Ses avances furent acceptées avec empressement et peu après les deux jeunes filles devinrent inséparables. Elles se firent une existence à part, vivant de la même vie, échangeant mutuellement leurs impressions, leurs projets d’avenir, leurs espérances et coudoyant sans cesse ces petits despotes en jupons sans plus s’en soucier.

Ce fut une véritable révolution dans le couvent. Ces demoiselles voulaient bien s’arroger le droit d’éliminer l’élève qui leur déplaisait, mais elles ne pouvaient se faire à l’idée d’une résistance.

Quelle ne fut donc pas leur stupéfaction, en voyant Mlle Besson relever de nouveau le défi qu’on lui avait jeté, et rendre cette fois avec usure les sarcasmes et les dédains.

Des petits complots s’organisèrent, il y eut des conciliabules, on discuta, on pérora, l’honneur se trouvait atteint, la dignité était en jeu; bref, il fallait un exemple, et on ne sait trop ce qui serait advenu, si la supérieure, informée à temps, n’était intervenue de son autorité.

Les hostilités cessèrent momentanément.

Elles allaient reprendre avec plus d’animosité que jamais, lorsqu’arriva l’époque des grandes vacances.

Jeanne, n’ayant plus aucun parent dans le Comtat, devait les passer au couvent, près de ces dames. Mais Berthe plaida si bien en faveur de son amie près de sa mère, que celle-ci obtint de l’emmener à la campagne avec sa fille.

Ce fut donc par une belle après-midi d’août que les deux jeunes filles, mollement étendues dans un huit-ressorts, firent leur entrée dans la magnifique propriété, située à quelques kilomètres d’Avignon, qu’habitait, l’été, M. Donat père.

Mademoiselle Besson

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