Читать книгу Les antiquités de la ville de Rome aux XIVe, XVe et XVIe siècles - Eugène Müntz - Страница 4

I

Оглавление

L’étude de la topographie romaine est trop entièrement liée à la connaissance des institutions, des mœurs, de la littérature, des arts de Rome antique, pour que les premiers efforts de renaissance ne lui aient pas du coup imprimé la plus vigoureuse impulsion.

Dans un ouvrage aujourd’hui classique, M. le commandeur de Rossi a passé en revue les tentatives du moyen âge. Avant d’aborder l’étude des documents topographiques qui forment la base du présent travail, je ne saurais mieux faire que de retracer sommairement, d’après M. de Rossi, et en complétant ses recherches par quelques observations nouvelles, l’histoire de ces tentatives parfois enfantines.

Reportons-nous, pour commencer, à l’époque où la rupture entre le monde antique et la société chrétienne est entièrement consommée, ou peu s’en faut, c’est-à-dire au IXe siècle. A ce moment, les études topographiques ont subi une éclipse à peu près complète. Un seul plan contemporain est parvenu jusqu’à nous, et encore ne se rapporte-t-il pas à Rome. Nous voulons parler du plan de Saint-Gall (vers830) publié d’abord par M. Lenoiret, plus récemment, par M. Rahn. Cet ouvrage rappelle ceux que les anciens Romains gravaient sur le marbre, avec cette différence toutefois qu’il ne nous fournit pas l’indication des mesures. Sur les autres ouvrages de même nature exécutés au VIIIe ou IXe siècle, nous ne possédons que des renseignements fort sommaires, M. de Rossi rappelle à cette occasion la «descriptio orbis terrarum,» que le pape Zacharie fit peindre en741dans le triclinium du Latran, et les trois «mensæ argenteæ» de Charlemagne, avec les représentations gravées «totius mundi», «romanæ urbis» et «urbis Constantino politanæ». Ajoutons toutefois que le savant romain est disposé à voir dans ces tables d’argent, dont l’une fut léguée par Charlemagne à l’archevêque de Ravenne, des ouvrages bien antérieurs à l’époque dont nous nous occupons, et peut-être contemporains de la Notitia utriusque imperii.

Après Charlemagne, toute tradition de ces études intéressantes se perd. La table cosmographique du géographe arabe Edrisi, exécutée en1154pour le roi Roger, n’offre aucun intérêt pour la topographie romaine. M. de Rossi fait remarquer avec raison que les fables accueillies, dès le IXe siècle, par les Arabes, au sujet de Rome, étaient inconciliables avec l’idée même de la topographie.

L’influence exercée par les guides destinés aux pèlerins et connus sous le nom de Mirabilia ne fut pas moins pernicieuse. Toute trace de la configuration de la Ville éternelle a disparu dans ces recueils de légendes plus bizarres les unes que les autres. Un plan de Rome, inséré dans un exemplaire, relativement assez moderne, du Liber Guidonis (Riccardienne; milieu du XIVe siècle), se borne à nous montrer une porte crénelée, au-dessous de laquelle passe un fleuve et, derrière cette porte, sept collines grossièrement dessinées. Sans l’inscription Roma civitas Septicollis, on aurait de la peine à deviner que l’on a devant soi une vue de Rome.

Un autre plan, que M. de Rossi n’a pas cité, dépasse peut-être encore en barbarie celui du Liber Guidonis. C’est une miniature reproduite dans l’ouvrage de Jomard, d’après un manuscrit de Mathieu Paris appartenant au XIIIe siècle. Rome a ici la forme d’un rectangle dans lequel sont figurées quelques constructions représentant la basilique Saint Pol; le Domine quo vadis; Saint Jehan de Latrane; Saint-Père; la porte devers la reaume de Poille; la porte vers Lumbard(ie). Un fleuve traverse la cité; mais des collines, nulle trace. L’inscription qui accompagne cette grossière esquisse est ainsi conçue: La cite de Rumme. Remus e Romulus fiz Martis et de une luve la funderent. Ele fu faite des remasilles de Troie. Romulus l’apela Romme de sun nun.

Signalons encore le revers d’un sceau de Frédéric I, d’une authenticité d’ailleurs douteuse. L’artiste a voulu y représenter la ville de Rome vue en perspective; mais le seul monument qui soit reconnaissable est le Colisée qui paraît couronné de créneaux

Le plus ancien plan, vraiment digne de ce nom, que M. de Rossi ait découvert, se trouve dans le Cod. Vat. 1960; il appar tient au XIIIe siècle. C’est à peine s’il peut être question d’orientation dans ce document vénérable, dont l’ouvrage de M. de Rossi nous offre (pl. 1) une gravure fort exacte. Le dessin des édifices, pris isolément, ne laisse pas moins à désirer; rien de plus arbitraire que les coupes ou les élévations (ces deux systèmes de représentation sont employés concurremment) de l’artiste du moyen âge. S’il n’avait pas pris soin d’inscrire les noms à côté des monuments, il serait vraiment impossible de reconnaître ses dessins du Colisée ou du Panthéon, pour ne citer que ceux-là. On peut dire que de l’étude de ces deux chefs-d’œuvre de l’art de bâtir, encore si bien conservés à cette époque, le dessinateur n’a retenu qu’une chose, c’est qu’ils étaient circulaires. Des colonnes, des pilastres, des arcades, nulle trace. Pour le Colisée, il n’a pas même indiqué le nombre des étages, division qui s’impose cependant à l’œil le moins exercé. Par contre, il a affublé ce monument de la coupole en bronze qui n’a jamais existé que dans l’imagination des auteurs ou des lecteurs des Mirabilia. C’est une preuve de plus à ajouter à celles que nous possédons déjà de l’impuissance du moyen âge à reproduire, même dans leurs lignes les plus élémentaires, les créations antiques.

Heureusement, ce plan nous offre d’autres indications d’un caractère moins négatif. Il permet notamment de démontrer l’existence, près du château Saint-Ange d’un cirque élevé par Adrien. On ne possédait jusqu’ici que des renseignements précaires sur cette construction qui a disparu à l’époque de la enaissance. Grâce à M. de Rossi nous savons aujourd’hui que c’est dans ce cirque que les Goths se sont fortifiés lors du siège de Rome, que c’est là aussi que, pendant le moyen âge, ont eu lieu les combats de fauves organisés sous les auspices du peuple romain.

La bulle d’or de Louis le Bavarois (1328)nous montre dans un espace très restreint les principaux monuments de Rome, ceux qui devaient le plus frapper l’imagination des contemporains: la basilique de Latran, la pyramide de Cestius, l’arc de Titus, le Colisée (cette fois-ci avec sa forme véritable), le Capitole, le Panthéon, S. Maria in Trastevere, l’obélisque du Vatican, Saint-Pierre, le môle d’Adrien, la colonne Trajane. Quelque imparfait que soit le dessin, le progrès est incontestable. Désormais le don de l’observation augmentera rapidement.

M. de Rossi est disposé à rattacher également au XIVe siècle une vue de Rome qui se trouve dans un manuscrit de notre Bibliothèque nationale, le Dittamondo de Fazio degli Uberti (fonds ital., no81). Ce manuscrit, à la vérité, a été écrit en1447, par Andrea Morena de Lodi; mais l’illustre savant romain croit que la miniature représentant Rome est la copie d’un original plus ancien, remontant à l’époque de la composition du Dittamondo (1355-1364). Si son hypothèse est fondée, il faut avouer que l’écart est grand entre la bulle de Louis le Bavarois et la miniature de Fazio. Dans cette dernière, les monuments commencent à revêtir des formes assez rapprochées de la réalité. Le Panthéon est précédé d’un portique, dont la disposition, il est vrai, rappelle plus les édifices du moyen âge que ceux de l’antiquité classique. La statue équestre de Marc-Aurèle, les dompteurs de chevaux du Quirinal témoignent également d’une étude plus approfondie. Le Colisée, par contre, reparaît avec sa fameuse coupole. Notons aussi le nom de colonna Adriana donné à la colonne Trajane.


BULLE D’OR DE LOUIS LE BAVAROIS.

Dès cette époque, les monuments qui faisaient la gloire de la Ville éternelle hantaient l’imagination des artistes. Dans une des fresques de la basilique inférieure d’Assise, attribuées à Giotto, ou reconnaît distinctement une des colonnes triomphales de Rome.

Au Campo Santo de Pise, dans une fresque représentant Job assis sur le fumier (attribuée à Francesco de Volterra), on retrouve, à côté du Palais vieux de Florence, reconnaissable à son gigantesque beffroi, plusieurs monuments romains plus ou moins défigurés: une colonne triomphale surmontée d’une sorte de guérite, un obélisque et une pyramide, une coupole à lanterne, qui ressemble singulièrement au Panthéon (il me semble même reconnaître au sommet de cette lanterne la fameuse pomme de pin en bronze, la pignia, aujourd’hui conservée au Vatican), enfin un édifice dont les lignes générales offrent de nombreuses analogies avec le fort Saint-Ange.

Une autre fresque du Campo Santo, les Miracles de Saint-Renier, attribuée à Antonio Veneziano, contient un petit édifice circulaire qui n’est pas sans ressemblance avec le temple de la Sibylle, à Tivoli.

A la fin du XIVe siècle, ou au plus tard aux premières années du XVe appartient un plan qui a échappé à toutes les recherches, quoiqu’il fasse partie d’un manuscrit célèbre, le précieux volume de la bibliothèque de Mgr le duc d’Aumale, à Chantilly, le roi des Livres d’heures du duc de Berry, ainsi que M. Léopold Delisle l’appelle dans une savante notice.

Ce plan, de forme circulaire, occupe le folio140du manuscrit. Les principaux monuments de la Ville éternelle y sont représentés avec une netteté extrême, qui n’est égalée que par l’extrême inexactitude de l’interprétation. Qu’on en juge: une simple colonne monolithe, à fût lisse, représente les colonnes triomphales; une arcade sans ornements, les arcs de triomphe. Le Panthéon est une rotonde, de petites dimensions, précédée non d’un portique, mais d’un portail reposant sur deux colonnes seulement; les étages du Colisée sont chacun en retrait sur l’autre, comme des gradins; bref, on reconnaît partout cette impuissance du moyen âge à voir les choses telles qu’elles sont réellement, et à substituer aux formes véritables des formes conventionnelles.

Mon premier soin, après avoir obtenu de Mgr le duc d’Aumale l’autorisation de faire photographier ce document précieux, fut de le rapprocher des plans publiés par M. de Rossi. Mais parmi ces différents relevés, je n’en trouvai qu’un dont l’orientation répondît quelque peu à celle du plan du Livre d’heures; je veux parler du plan emprunté à un manuscrit de Ptolémée, de notre Bibliothèque Nationale (fonds latin, no4802).

Par contre, on remarque des analogies frappantes entre le plan du Livre d’heures et le plan de Taddeo di Bartolo, peint dans le palais communal de Sienne et publié par M. Stevenson; ce dernier est non pas le prototype, mais bien le pendant de celui du mystérieux enlumineur employé par le duc de Berry. Essayons de serrer de plus près ces points de contact. Le plan de Taddeo di Bartolo a été exécuté en1413-1414; celui du Livre d’heures de Chantilly appartient au plus tard à l’année1416, date de la mort du duc de Berry. Mais tout tend à prouver qu’il remonte à une époque antérieure, aux dernières années du siècle précédent. Tous deux, et à cet égard le doute n’est point possible, dérivent d’un original commun, plus ou moins modifié dans les détails, selon les goûts ou les convenances du peintre et du miniaturiste.

En thèse générale, le plan publié par M. Stevenson est plus détaillé, plus exact, plus consciencieux que le mien. L’enlumineur du duc de Berry en a pris à son aise; il a supprimé un certain nombre de monuments du plus haut intérêt, tels que les colosses du Quirinal; d’autres ont été défigurés de la façon la plus étrange, par exemple le Panthéon, dont Taddeo di Bartolo, par contre, a fort convenablement reproduit les lignes générales.

Notre artiste ne reprend sa revanche que dans la représentation de la pyramide de Cestius, qu’il semble avoir dessinée de visu, et dans celles du fort Saint-Ange, du mausolée d’Auguste et du château de Monte Giordano, de tout point supérieures aux représentations correspondantes de Taddeo di Bartolo. Relevons encore, à son actif, la fidélité avec laquelle il a dessiné le cours du Tibre: tandis que le pont jeté à gauche en avant du fort Saint-Ange, le Ponte Molle, ne compte que six arches dans la fresque de Sienne, dans la miniature du Livre d’heures il en compte neuf; cette dernière nous montre, en outre, deux constructions qui manquent dans l’œuvre rivale: un édifice, rectangulaire à sa base, circulaire dans sa partie supérieure, situé à quelque distance du pont que nous venons de décrire; enfin, un peu plus loin, un second pont fortifié, peut-être le Pont Salaro.

Je commencerai la description du plan par celui des monuments qui m’en a tout d’abord fourni la clef, je veux parler de la statue équestre de Marc Aurèle, ou de Constantin, comme on l’appelait à cette époque. Cette statue se dresse dans la partie supérieure, vers la gauche, en avant d’une longue ligne d’aqueducs. Près d’elle s’élève le Colisée; un peu plus bas, on reconnaît la basilique de Constantin, puis, à droite, le Palatin, représenté comme un château-fort du moyen âge, avec des tours, des tourelles, des créneaux et des arcs-boutants. En remontant vers le sommet du plan, nous parcourons le quartier du Latran, plus ou moins reconaissable à la basilique de Santa Croce, à l’amphitheatrum castrense, au baptistère de Constantin, enfin à la basilique de Saint-Jean. Prenons maintenant à droite, en suivant la ligne des fortifications; nous reconnaissons sans peine au sommet la basilique de Saint-Sébastien, puis la porte de Saint-Paul, la pyramide de Cestius, et enfin, en dehors des murs, la basilique de Saint-Paul. En rentrant dans la ville, s’offrent à nous l’Aventin, le Transtévère, avec San Crisogono, Sainte-Cécile et Sainte-Marie, l’île du Tibre, puis le Borgo; avec un peu de bonne volonté, on parvient à identifier le palais du Vatican, la basilique de Saint-Pierre, la meta Romuli. Plus loin se développent le Monte Giordano (en face du château Saint-Ange), le mausolée d’Auguste, le Champ de Mars, avec le Panthéon au centre. Au-dessus, on distingue le Capitole; un gibet colossal y fait pendant au palais des sénateurs. La partie gauche, correspondant au Quirinal, au Viminal, à l’Esquilin, est plus difficile à déterminer. Je me bornerai à signaler la Torre Milizia, les thermes de Dioclétien, et à gauche, près des remparts, les «Horti Sallustiani» et la «Domus Pinciana,» identique au «Gran Castello» du plan de Mantoue publié par M. de Rossi. L’espace resté en blanc marque l’emplacement des colosses du Quirinal, les Dioscures, si célèbres pendant tout le moyen âge sous le titre de opus Phidiae, opus Praxitelis. Au-dessus, près de la basilique de Constantin, la «Torre dei Conti.» Plus à gauche, les églises de Sainte-Marie-Majeure, de San Martino ai Monti, et peut-être de Saint-Pierreès-Liens.

Telles sont les données essentielles que fournit le plan dressé par l’artiste anonyme attaché au service de Jean de Berry. Pour pleinement tirer parti de son relevé, j’ose compter sur l’érudition et la courtoisie des savants spécialement voués à l’étude de la topographie de Rome: il leur appartient de résoudre divers problèmes que j’ai évité d’aborder, faute d’éléments de contrôle suffisants.

Les antiquités de la ville de Rome aux XIVe, XVe et XVIe siècles

Подняться наверх