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L’NGERIACUM GALLO-ROMAIN

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C’est au temps de la conquête des Gaules et par les Commentaires de leur conquérant romain, Jules César, que le peuple et le pays des Santons (Santones, Santoni) entrent vraiment, pour la première fois. dans l’histoire.

Dès lors, ce pays de plaines et de coteaux légèrement ondulés, quoique beaucoup plus boisé et sauvage (sylvaticus) qu’il ne l’est de nos jours, avait été essarté, défriché, labouré, ouvert à la culture du blé sur une assez vaste étendue pour que sa réputation de fertilité et de richesse, répandue au loin, excitât la convoitise des tribus pauvres et populeuses des montagnes helvétiques. On sait que le prétexte invoqué par César pour intervenir dans les affaires des Gaules fut justement l’intérêt qu’il y avait pour les Romains à arrêter les Helvètes dans leur migration belliqueuse vers le pays des Santons: car il eût été «très dangereux, écrit-il, pour la Province romaine (qui s’étendait alors jusqu’à Toulouse et au-delà) de laisser une horde guerrière et ennemie du peuple romain s’établir en ce pays fertile des Santons et menacer, de là, ses frontières».


Nous n’avons pas à raconter ici les événements de cette guerre, ni comment les Santons, s’ils furent sauvés peut-être de l’invasion des Helvètes par l’intervention de Jules César, durent subir, avec tous les autres petits Etats ou cités (civitates) de la Gaule, jusque-là indépendante, la conquête, puis l’hégémonie de leurs défenseurs.

Malgré la résistance de Vercingétorix et quelques autres tentatives postérieures pour secouer le joug des Romains, la Gaule dut renoncer à son indépendance politique et se contenter d’être une des grandes divisions de l’empire romain.

Les Santons furent de ceux qui, — la preuve faite de l’infériorité des armes gauloises vis-à-vis des légions romaines, — prirent le plus vite et le plus facilement leur parti du nouveau régime.

L’empereur Auguste les en récompensa en accordant à leur petite république le privilège de «cité libre» . Plusieurs Santons de marque furent admis au titre alors si envié de «citoyens romains » . Une grande impulsion fut donnée aux travaux publics: voirie, aqueducs, bains publics. Pour amuser le peuple conquis, on lui bâtit des cirques et des théâtres dans ses principales villes ou lieux d’assemblée: tel Mediolanum, qui semble avoir été la capitale des Santones et qui prit d’eux, un peu plus tard, son nom de Saintes; tel ce centre de peuplement dont on découvre aujourd’hui les ruines au bois des Bouchauds, près de Saint-Cybardeaux (Charente), et qui doit avoir été le Germanicomagus (ou «Marché de Germanicus»), du vieil itinéraire romain connu sous le nom de Table de Peutinger.

Un réseau d’importantes roules stratégiques solidement établies et pavées, reliant entre eux tous les chefs-lieux des civitates, sillonna toute la surface de la Gaule. Saintes, pour sa part, à la fin de la période gallo-romaine, ne comptait pas moins de huit voies romaines, — dont les traces se retrouvent encore aisément sur le sol de Saintonge, et qui rattachaient la métropole des Santons à celles des Lemovices (Limoges), des Petrocorii (Périgueux), des Pictones ou Pictavi (Poitiers), des Andecaves (Angers), des Namnetes (Nantes), ainsi qu’aux ports de Novioregum (Royan?), Tamnum (Talmont?), Blavia (Blaye) et Burdigala (Bordeaux) .

Entre la voie de Saintes à Poitiers, par Ecoyeux, Ebéon, Varèse ou Varaise ( Varesia), Aulnay (Aunedonacum), Brioux (Brigiosum), Rom (Rauranum, etc.). et la voie de Saintes à Angers, par «la Chaussée» de Taillebourg, Malevau (Mala Vallis), «la Chaussée » de Saint-Félix, Usseau (Uxellum), Voultegon (Segora), etc., , entre ces deux voies, disons-nous, et à égale distance, ou peu s’en faut, de l’une et de l’autre, et sur une voie transversale secondaire qui ne prit que plus tard une réelle importance, un petit village gaulois, c’est-à-dire un assemblage de huttes autour de l’habitation d’un chef, s’élevait peut-être, antérieurement même à l’époque romaine, au centre d’une clairière ou d’un «essart» de la forêt primævale, sur le coteau qui domine la Boutonne (Vultona), en quelque point de l’emplacement actuel de la ville de Saint-Jean-d’Angély . Peut-être, lorsque les légions romaines occupèrent le pays, des travaux de castramétation y furent-ils faits, pour la nécessité de protéger le passage de la Boutonne, à cet endroit où la rivière fait un coude presque aussi accentué que celui d’un angle droit. Et peut-être un camp militaire précéda-t-il le stabulum ou palatium dont il sera parlé ci-après .

Lorsque l’empereur Auguste, dans un intérêt de fiscalité, fit faire la grande opération du cadastre des Gaules, les villages alors existants reçurent, du nom de leur chef, modifié en terminaison d’adjectif possessif, la dénomination sous laquelle ils nous sont parvenus, à travers de légères modifications de forme, et par laquelle nous les désignons encore aujourd’ hui . Pour prendre des exemples empruntés à notre voisinage, Aulnay (Aunedonacam, nom marqué sur l’Itinéraire d’Antonin) avait reçu son nom du chef Aunedo, nom gaulois qui se trouve sur diverses inscriptions ou marques de potier; Cressé (autrefois Cressac, de Crisciacum) était le village ou le domaine du chef Crixcios, nom gaulois fourni par des médailles. Charentenay était le village ou le domaine d’un chef Carantonos (également nom gaulois). De même ont été formés les noms de Mazeray (de Maceriacum, domaine de Macer (Le Maigre) , Lozay (Luciacum, de Lucius), Loulay (Lulliacum de Lullius), Blanzac, Blanzay (Blandiacum, de Blandus), etc. Cette finale primitive: ac (de acum) si fréquente dans le sud de la Saintonge, s’est plus tard adoucie, en remontant vers le Poitou, en ay, en é ou en y. Ces terminaisons en acum indiquaient d’ordinaire que le chef du village ou du territoire était un Gaulois. Les désinences en anum, arius, esia, comme Lucinianum (d’où Lusignan), Juliarius (d’où Juliers, Jaillers), Varesia (Varèse ou Varaize, propriété d’un Varus), provenaient au contraire de chefs romains ou de gallo-romains ayant acquis le droit de cité.

Le nom d’Angely ou Angery — primitivement Angeriac, suivant Elie Vinet , venant d’Angeliacum ou Angeriacum , — atteste donc une provenance gauloise, d’après un nom de chef qui put être Angerus ou Angeros, ou tout autre nom similaire (on pourrait même penser à Andecavus, puisque ce nom de peuple a formé le nom de la ville d’Angers, qui rappelle Angery) .

Le Fanum d’Ebéon.


Quel qu’ait pu être exactement le nom du chef gaulois d’après lequel le territoire ou le village d’Angeriacum a pu recevoir son nom, au temps du cadastre d’Auguste, on est autorisé à penser que ce chef, ou l’un de ses héritiers, ou bien vendit son fonds à quelque riche Romain, ou bien, riche lui-même, prit tout à fait les goûts et les coutumes des patriciens ou des fonctionnaires romains, pour faire plus grande figure dans la civitas Santone, si l’on en juge par les vestiges de l’importante villa gallo-romaine qui s’édifia à cet emplacement d’Angeriacum, entre le 1er et le ve siècle de notre ère .

En effet, diverses découvertes faites, notamment en 1864, au lieu dit le Pré-Véron, lors du percement de la rue de la Fontaine du Coi, permettent d’affirmer avec MM. Saudau et Georges Musset «l’existence, en ce lieu et à cette époque, d’une villa gallo-romaine dont l’origine et la splendeur sont attestées par les fragments d’une riche mosaïque découverte pendant les fouilles, ainsi que par les nombreux morceaux de marbre taillés en losange recueillis dans les environs». M. Saudau ajoute: «La construction toute romaine de l’aqueduc de la fontaine du Coi, qui amenait de trois kilomètres les eaux de la source du Rousseau au palais et plus tard à l’abbaye, est une autre preuve irrécusable de l’établissement des Romains en ce lieu .» C’est vers la villa du Pré-Véron que semblait se diriger l’aqueduc du Coi qui, sans doute, à une époque postérieure, fut détourné pour alimenter les fontaines de l’abbaye créée par Pépin d’Aquitaine .

Dans le courant d’avril de cette même année 1864, lors de l’ouverture d’une nouvelle rue entre la route nationale et le port, les ouvriers mirent à nu des quantités considérables de briques à rebord mêlées à des fragments de marbre de différentes couleurs et à des pierres taillées. Près de là se rencontra une muraille de deux mètres d’épaisseur construite en moyen appareil et liée par du mortier ordinaire, longeant un terrain ayant servi de douve, ce qui démontrait qu’on se trouvait sur l’emplacement du mur d’enceinte. A quelques mètres de la muraille existait un conduit formé de grandes tuiles carrées à rebords, posées debout et appuyées l’une à l’autre par leur sommet, de manière à offrir une ouverture triangulaire. Ce conduit paraissait avoir la même direction que celui de la fontaine du Coi, et servait vraisemblablement à l’alimentation de la demeure qui avait laissé dans le sol les débris découverts. Il est à noter que, parmi ces vestiges, on découvrit des monnaies des Antonins et de Constantin .

Depuis cette époque, d’autres découvertes ont été faites. En septembre 1880, un terrassement pratiqué dans la rue Texier a mis au jour plusieurs vestiges de constructions anciennes; on y voyait des tuiles à rebords, des fragments de marbre, des débris de carrelage et des fondations liées par un ciment jaune. Malheureusement, les restes de ces deux trouvailles, qui avaient été déposées à l’Hôtel de ville, ont, depuis, totalement disparu .

En 1885, une nouvelle découverte, également caractéristique, était faite dans un champ situé entre le fief Graveau et les anciennes fortifications de la ville: c’était celle d’un cippe brisé, ayant pu servir de pierre tumulaire à quelque personnage de distinction de l’époque gallo-romaine .

De tout ce qui précède il semble bien résulter, selon la remarque de M. Georges Musset, que le lieu d’Angeriacum, sans qu’on puisse déterminer sûrement si c’était une villa, un bargum ou une curtis, «était habité par des membres de la classe supérieure de l’époque gallo-romaine». On peut penser, avec le même auteur, que cet endroit était, tout à la fois, le centre de l’administration de la forêt d’Essouvert ; le centre de l’exploitation agricole de la vallée de la Boutonne, à son confluent avec la Nie; peut-être en plus, et comme conséquence, un lieu de marché destiné à l’écoulement des produits de ce coin de terre et à l’approvisionnement des choses nécessaires aux habitants.

Le nom de l’Estap, de Stapio, modifié en Escap, que porte le bourg très proche voisin de Saint-Julien de l’Escap, tend à confirmer cette supposition. En effet, le stapalum ou stapula, en bas-latin, (d’où staplum, puis stapium) a désigné «à la fois le logement où l’on mettait les bestiaux (l’étable), puis, par extension, l’établissement agricole servant de centre à une exploitation; puis encore, par extension, le lieu où les agents du fisc, plus tard les rois mérovingiens et carolingiens, avaient une habitation où leurs officiers venaient présider à la régie de leurs domaines. Le terme staplus, qui en est une variante, eut même, par suite, le sens de palais, palatium . Comme ces centres d’exploitation, ces stapli ou palatia, étaient le lieu de réunion de personnages importants, des serviteurs et des troupes qui les accompagnaient, il s’y formait également des rassemblements de marchands qui y tenaient des sortes de foires; d’où, comme conséquence, les lieux où se tenaient ces marchés prirent le nom d’étapes . Plus tard encore, le terme d’étape finit par désigner les lieux où les troupes en marche s’arrêtaient pour passer la nuit; ce qui semble bien la conséquence de l’habitude qu’avaient les rois ou leurs officiers de se transporter successivement d’une habitation dans l’autre » .

«La connaissance du pays ou un simple examen d’une carte de Saint-Jean-d’Angély et de sa banlieue, suffisent, poursuit M. G. Musset, à établir que le territoire de cette ville et celui de Saint-Julien devaient évidemment n’en faire qu’un à l’origine. D’où nous concluons qu’il y avait, dès l’époque gallo-romaine, en ces lieux, une villa servant de centre à l’exploitation et à l’administration de la forêt d’Essouvert, un stapulum qui, par suite de sa proximité, donna son nom à la villa et au groupement d’habitations de Saint-Julien, placé tout proche du temple ou fanum de la Clie , puisque ce stapulum fut ensuite le palatium des princes mérovingiens et carolingiens, pour devenir le château des comtes de Poitiers.» .

Malgré le prestige relatif de cet établissement, rien ne pouvait faire prévoir qu’une ville d’une certaine importance s’élèverait un jour, hors du passage des grandes voies romaines, sur ce coteau à l’horizon borné par les arbres de la forêt et les peupliers de la vallée, que baignait une rivière limpide, mais trop peu profonde pour être aisément accessible aux nefs du commerce. Aussi ne voyons-nous pas qu’il soit question dans l’histoire de ce lieu d’Angeriacum avant le temps de Charlemagne; et même la première mention qu’on en voudrait fixer à ce temps-là est-elle assez discutable et sujette à contradiction .

Ce fut donc d’une façon pour ainsi dire anonyme que les habitants d’angeriacum, quelles que fussent leur origine et leur condition ethnique et sociale, assistèrent au mouvement de l’histoire durant ces huit premiers siècles de notre ère, subirent, après la période gallo-romaine relativement prospère, les invasions des conquérants germaniques, Wisigoths et Francs, sans parler des passages d’Alains ou de Vandales, et participèrent à la crise religieuse qui, de païens ou sectateurs des druides qu’ils étaient d’abord, les transforma en chrétiens unitaires, selon la doctrine d’Arius, puis en catholiques trinitaires, selon l’orthodoxie et les rites imposés par la cour des rois francs.

Il serait bien intéressant de savoir comment les Santons, qui se montrèrent pour un temps si dévots au culte de la Triade gauloise (voir les études sur «l’autel de Saintes» aujourd’hui au Musée de Saint-Germain) puis au culte tout officiel de Rome et d’Auguste mais qui, plus longtemps et plus profondément, gardèrent leurs croyances naïves aux génies des bois, des sources, des rivières, des hauts lieux, du soleil et de la lune en leurs phases, comment, dis-je, ils accueillirent l’apostolat des prédicateurs du Christ Jésus, et si c’est librement ou par contrainte qu’ils se rangèrent à ce nouveau culte .

Malheureusement une nuit profonde couvre toute cette période, au moins pour le coin d’histoire locale qui nous occupe. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que, lorsque Angéry entre vraiment dans l’histoire avec la fondation de son abbaye au IXe siècle, tout le pays de Saintonge est nominalement christianisé. Un texte de ce temps mentionne même l’existence, dès l’an 402, non loin de la Boutonne, d’une modeste chapelle placée sous le vocable de la Vierge mère et aussi d’un oratoire dans lequel se trouvait un autel consacré au saint Sauveur. Grégoire de Tours mentionne aussi l’existence, vers le pays de Saintonge (ad Santonicam urbem), d’une église qu’une noble dame du nom de Victorine, avait élevée sur le territoire de sa villa et qui renfermait des souvenirs de saint Julien . «C’est le seul renseignement, écrit M, Longnon , que l’on possède sur cette basilique mérovingienne; il n’est cependant pas impossible d’indiquer son emplacement probable. En effet, nous pensons qu’une église jouissant déjà, au VIe siècle, en raison des reliques qui y étaient conservées, d’une certaine notoriété, a pu fort bien donner son nom à la villa dont elle dépendait. Or, il n’existe dans l’ancien diocèse de Saintes, où les églises consacrées au martyr de Brioude sont d’ailleurs peu communes , qu’un seul village du nom de Saint-Julien, Saint-Julien de l’Escap, dont l’église actuelle, datant du XIe siècle, est désignée, dès 1095, sous la simple dénomination d’ecclesia sancti Juliani. Aussi n’hésitons-nous pas à inscrire le nom de la basilica sancti Juliani, mentionnée par Grégoire de Tours, sur la rive gauche de la Boutonne, à l’emplacement de Saint-Julien de l’Escap, qu’un édicule romain ou gaulois signale comme une localité certainement antérieure à l’époque mérovingienne » .

Mais le christianisme de Grégoire de Tours et de ses contemporains était, déjà, comme le latin qu’ils parlaient, singulièrement altéré ; à plus forte raison, en était-il ainsi de la religion des simples fidèles profondément ignorants et crédules. Aussi cette christianisation, toute de surface, n’empêchera-t-elle pas les bonnes gens du pays, restés païens au demeurant , de croire, pour des siècles encore, et l’on peut dire jusqu’à nos jours, à tous les fantômes, à toutes les légendes, à toutes les superstitions qui se sont transmises, de grands-pères à petits-fils, par les contes des fées, des lutins, des farfadets, des revenants, des oiseaux ou bêtes de mauvais augure: bigournes, ganipotes, loups-garous, chasse-galeries ou ganneries, et de tout le grimoire de la sorcellerie du moyen âge .

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