Читать книгу Étude sur l'économie rurale de l'Alsace - Eugène Tisserand - Страница 6
ОглавлениеLE CLIMAT.
Les trois grandes régions naturelles qui viennent d’être décrites ne se distinguent pas seulement par la nature, l’altitude et le relief des terrains qui les constituent: elles ont encore chacune un climat caractéristique.
La région montagneuse a un climat froid, rigoureux comme celui de tous les pays de montagnes; la neige recouvre, pendant six mois de l’année, les cimes qui atteignent 1,000 mètres de hauteur: ailleurs les froids durent quatre et cinq mois, suivant l’altitude. Les pluies y sont fréquentes et abondantes: la couche d’eau météorique qui tombe annuellement dans cette région atteint, dans certains districts, 1m,50 et plus, comme il résulte d’une communication faite à l’Académie des sciences par M. Charles Grad. La quantité d’eau tombée est généralement proportionnelle à l’altitude du lieu, c’est-à-dire qu’elle est d’autant plus forte que l’on s’élève davantage; quoique l’air y soit chargé de beaucoup d’humidité, l’atmosphère ne laisse pas d’être pure et souvent claire sur les plus hautes cimes. Pendant l’hiver et l’automne, il n’est pas rare de voir la brume envelopper la plaine, des journées entières, d’un sombre et triste manteau, alors que, dans la montagne et même sur les collines, le soleil brille de tout son éclat. Le petit nombre de jours durant lesquels la température est propice à la végétation, explique le peu d’extension de la culture arable dans la région montagneuse; l’avoine, le seigle et la pomme de terre, à peu près seuls, y trouvent la chaleur suffisante pour pousser, et encore ont-ils de la peine à arriver à parfaite maturité, aussi la production des grains y est-elle très-aléatoire, et fournit-elle de faibles rendements dans les années les plus favorables.
L’abondance des pluies et la grande humidité de l’air y permettent, par contre, la croissance des graminées, qui donnent des fourrages de qualité supérieure; et de belles et riches prairies garnissent le fond des vallées bien exposées; partout ailleurs, les magnifiques forêts qui ont pris possession du sol et couvrent presque toute cette région montrent, par la beauté et la vigueur de leurs arbres, que les bois se trouvent réellement à leur place dans les montagnes.
Le climat de la plaine d’Alsace, quoique tempéré, est variable. La température moyenne de l’année est la même qu’à New-York, à Londres, à Paris, à Dresde, à Prague et en Crimée; mais elle présente les caractères du climat continental plus qu’aucune autre partie de la France sous le même degré de latitude. Pendant l’été, elle est plus élevée, et le froid de l’hiver plus intense; ainsi, durant les trois mois de juin, juillet et août, la température moyenne est de 18 degrés centigrades. Durant le printemps et l’automne, elle est de 10 degrés, tandis que la moyenne des trois mois d’hiver descend à 1°,3. Les écarts de température, dans le même jour, dans le même mois, sont considérables, ainsi qu’on peut le constater à l’examen des tableaux météorologiques.
Un fait important à noter dans le climat de la plaine d’Alsace, c’est la persistance d’une température élevée pendant une grande partie de l’année; en ne considérant que les moyennes mensuelles, on constate que, des premiers jours d’avril au 1er novembre, la température est supérieure à la moyenne de l’année. Avril et octobre ont à peu près la température moyenne. Les mois de mai, juin, juillet, août et septembre, c’est-à-dire cent cinquante jours, jouissent d’une température variant entre 15 et 19 degrés. Du 1er novembre au 1er avril, la température tombe considérablement: elle varie entre 0°,5 et 5°,5.
Cette répartition de la chaleur solaire et la haute température qui règne en Alsace durant les mois d’été expliquent pourquoi certains végétaux qui exigent, dans un temps donné, une grande somme de calorique, prospèrent parfaitement en Alsace, tandis qu’ils ne réussissent pas dans des localités où la température moyenne de l’année est égale ou supérieure même à celle de la vallée du Rhin. C’est à leurs étés chauds que les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin doivent de posséder de riches vignobles, de pouvoir cultiver le maïs dans leurs champs, et d’ombrager leurs routes et leurs habitations de beaux châtaigniers, de noyers productifs et d’autres arbustes de pays bien plus méridionaux.
Ce climat exceptionnel provient, d’une part, de ce que, en raison de son éloignement des mers, l’Alsace ne subit pas l’influence tempérante de l’Océan, et, de l’autre (c’est la cause principale), de la conformation de la vallée rhénane. La grande chaîne des Vosges abrite, en effet, cette contrée du vent d’ouest; de l’autre côté, les montagnes de la Forêt-Noire la protègent contre les vents d’est. Ce n’est qu’au sud-ouest, entre les dernières collines du Jura et le massif des Vosges, et au nord, entre les Vosges et la Forêt-Noire, que la plaine d’Alsace manque d’abri et se trouve ouverte aux mouvements de l’atmosphère.
Nos départements rhénans sont ainsi parfaitement abrités de toutes parts, sauf en deux places, relativement peu étendues. Les rayons du soleil, pouvant s’y concentrer, en élèvent considérablement la température, comme il arrive dans toutes les vallées encaissées. De là vient encore que les vents d’ouest ne s’y font presque jamais sentir, non plus que les vents d’est, tandis que ceux du nord et du sud y dominent. Ceux du sud-ouest, par suite, sont les plus fréquents; ils appartiennent au grand courant d’air chaud qui, formé à la surface des sables brûlants du Sahara, franchit en tourbillonnant la Méditerranée, et se déverse sur l’Europe. Le courant saharien, après avoir remonté tout droit la vallée où roulent le Rhône, puis la Saône, arrêté par les monts Faucilles, s’infléchit à droite; et, trouvant près de Massevaux l’espace resté libre entre les Vosges et le Jura, pénètre en Alsace pour aller ressortir, en suivant une ligne diagonale, par la trouée située à l’angle nord-est du Bas-Rhin. A son entrée dans le bassin rhénan, il a déjà perdu une partie de sa force et ses propriétés énervantes, mais il retient encore assez de chaleur pour réagir sur le climat local. De plus, il ne s’est pas dépouillé entièrement des vapeurs dont il s’était chargé en traversant la mer; aussi, quand il souffle, provoque-t-il un rapide dégel en hiver, et amène-t-il la pluie en été ; les nuages qu’il forme dans cette dernière saison tempèrent l’ardeur du soleil.
Les vents du nord et du nord-est, dérivés du grand courant polaire, suivent une direction diamétralement opposée et agissent d’une façon essentiellement contraire: froids et très-secs en hiver, ils font monter le baromètre et descendre le thermomètre parfois jusqu’à 15 et 18 degrés au-dessous de zéro; en revanche, l’été leur doit le beau temps le plus durable. La sécheresse arrive quand ils règnent; par eux, enfin, sont chassés les nuages épars à la face du ciel, et le soleil dore de ses rayons bienfaisants et les pampres des coteaux et les moissons naissantes de la plaine.
Leur action prédominante cesse au mois de juin pour ne reprendre qu’à la fin de septembre; les vents du sud-ouest soufflent davantage, rendent la pluie à la fois plus fréquente et plus abondante pendant l’été, et rangent l’Alsace parmi les pays à pluies estivales; d’où il suit que, tandis que la floraison, la maturité et la moisson des céréales s’effectuent péniblement les vendanges sont presque toujours très-favorisées. C’est pendant l’été qu’éclatent de fréquents orages, dont la direction suit la diagonale mentionnée plus haut; de là vient que le nord-ouest de l’Alsace est toujours épargné par la grêle, tandis que le sud-ouest en souffre très-fréquemment, l’inverse ayant lieu dans le grand-duché de Bade. Un courant contraire et plus élevé explique avec assez de probabilité comment les hauteurs jouissent d’un ciel pur alors que la pluie ou la brume cache la plaine aux regards.
Les observations prouvent que ces circonstances climatériques n’ont pas changé depuis soixante-six ans, malgré les déboisements et la mise en culture des terres. La température moyenne n’a pas varié d’un dixième de degré, et l’on constate qu’il y a plutôt augmentation que diminution dans la quantité d’eau pluviale. (?)
A côté des grandes causes que l’on vient de montrer en activité, il en est de secondaires qui ne laissent pas de manifester leur influence. Par suite de l’horizontalité du sol et de la présence à une faible profondeur d’une couche de gravier perméable en communication avec le lit du Rhin, il existe très-près de la surface de la vallée de puissantes nappes d’eau qui contribuent à la formation de brouillards plus ou moins intenses et, selon la saison, de gelées blanches. La couche brumeuse ne s’élève guère dans les hautes régions, car la flèche de la cathédrale de Strasbourg la dépasse souvent, et les collines sous-vosgiennes en sont rarement couvertes. C’est à leur exposition aux chaudes haleines méridionales, en même temps qu’à la concentration de la chaleur solaire sur leurs parois, qu’elles doivent de se couvrir de vignes, de maïs, de noyers. Ces conditions favorables ne se retrouvent plus à quelques kilomètres de là sur le versant occidental des Vosges; le grand courant du Sahara ne s’y fait plus sentir, les vents humides de l’Océan y soufflent fréquemment, les étés y sont moins chauds, les automnes plus humides et la culture de la vigne et du maïs cesse d’y être possible: aussi le contraste des cultures des deux côtés de la chaîne des Vosges est-il des plus frappants; et cependant les deux versants du massif sont aussi boisés l’un que l’autre, le sol y est le même, tant il est vrai que le climat d’un pays dépend bien plus de circonstances d’un ordre supérieur que de la culture et de l’état de la surface.