Читать книгу Cri des colons contre un ouvrage de M. l'évêque et sénateur Grégoire, 'De la Littérature des nègres' - F.-R. de Tussac - Страница 21
CHAPITRE III.
Оглавление«Les systèmes qui supposent une différence essentielle entre les nègres et les blancs, ont été accueillis (ch. II, p. 30) 1º. par ceux qui veulent à toute force matérialiser l'homme, et lui arracher des espérances chères à son coeur; 2º. par ceux qui, dans une diversité primitive de races, humaines, cherchent un moyen de démentir le récit de Moïse; 3º. par ceux qui, intéressés aux cultures coloniales, voudroient, dans l'absence supposée des facultés morales du nègre, se faire un titre de plus, pour le traiter impunément comme des bêtes de somme.»
Abstraction faite de ce que nous enseigne la religion catholique, de la création de l'homme; dans la supposition (sans doute gratuite) que Dieu eût créé deux espèces d'hommes, l'une blanche et l'autre noire, ce que nous ne croyons pas contradictoire à sa toute-puissance qui est sans bornes, ne pouvoit-il pas avoir doué l'une et l'autre espèce de ce souffle divin que nous appelons ame, et que nous regardons avec raison comme immortelle? La supposition de cette diversité primitive de races humaines, ne tend donc en aucune manière à matérialiser l'homme; si cela étoit, la race blanche se trouveroit dans la même hypothèse, et l'on auroit le même titre pour la traiter comme des bêtes de somme.
«L'opinion de l'infériorité des nègres n'est pas nouvelle; la prétendue supériorité des blancs, n'a pour défenseurs que des blancs juges et parties, dont on pourroit d'abord discuter la compétence, avant d'attaquer leur décision (chap. II, pag. 35).»
M. Grégoire nous dit, d'une part, que l'opinion de l'infériorité des nègres n'est pas nouvelle; nous le savions déjà, et ils viennent d'en donner une preuve toute récente, par la manière dont ils se sont comportés en recevant la liberté. D'une autre part, il nous cite des autorités imposantes, qui nous assurent que ces mêmes nègres ont été nos pères et nos maîtres dans les sciences et dans les arts: cela ne nous paroît pas trop conséquent; ce qui ne l'est pas plus, c'est que, selon lui, les blancs ne peuvent pas s'ériger en défenseurs de leur propre cause, pour prouver leur prétendue supériorité sur les nègres. L'évêque Grégoire, appelle-t-il être juge de sa cause, que d'en être l'avocat? C'est sans doute pour éviter que l'on ne fasse ce reproche aux nègres, qu'il s'est constitué leur défenseur officieux. Ce n'est qu'après avoir mis dans un creuset de comparaison les productions des blancs et celles des nègres, qu'on peut assigner le degré de supériorité des uns sur les autres; l'évêque Grégoire nous fera sans doute revenir de notre prévention, en nous mettant sous les yeux les chefs-d'oeuvres de ces protégés; il peut être certain que nous serons justes. Amicus Plato, magis amica veritas. Nous demanderons, à M. Grégoire, si la citation de l'apologue du lion, qui, en voyant un tableau où l'on voyoit un lion terrassé par un homme, dit, les lions n'ont point de peintres, a bien le mérite de l'a'propos? Les nègres, d'après son ouvrage, n'ont-ils pas des artistes et des savans?
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
L'évêque Grégoire cite des autorités respectables, pour avoir le plaisir de les confondre (chap. II, p. 36). «Hume, Jefferson, qui tous deux prétendent que la race blanche est la seule cultivée, que dans des circonstances données les mêmes pour des blancs et des nègres, ceux-ci ne pouvoient jamais rivaliser avec ceux-là, que jamais on ne vit un nègre distingué par ses actions et par ses lumières.» Il cite encore Barré de S. Venant, à qui il fait dire, que si la nature promet aux nègres quelques combinaisons, qui les élèvent au-dessus des autres animaux, elle leur interdit les impressions profondes, et l'exercice continu de l'esprit, du génie et de la raison. Nous nous permettrons d'observer, à M. Grégoire, qu'il a dénaturé le passage de Barré de S. Venant, en n'en citant qu'une partie. Le voici tel qu'il est: «Dans la Guinée, une atmosphère embrasée, une chaleur constante, affaisse le corps, porte la torpeur dans tous les membres, et éloigne l'homme de tout travail; le développement des forces physiques et morales y est sans cesse arrêté par je ne sais quelle action secrète, qui ôte toute énergie, et plonge l'homme (il ne dit pas seulement le nègre) dans une sorte de stupidité et d'engourdissement qui le réduit presque à l'état des brutes: si elle lui permet quelques petites combinaisons, qui l'élèvent au-dessus des autres animaux, elle lui interdit les impressions profondes et l'exercice continu de l'esprit, du génie et de la raison.» C'est donc au climat et non à la qualité d'homme noir, que Barré de Saint-Venant attribue l'espèce d'abrutissement des hommes, de quelque couleur que vous les supposiez, qui habitent la zone torride. La preuve en deviendra évidente, par la citation suivante du même auteur (chap. I, pag. 5): «La nature repousseroit-elle la civilisation dans les pays chauds? Il est impossible de le croire; l'homme, dans tous les climats, a reçu le même germe d'intelligence, qui le rend partout également perfectible, le nègre d'Afrique, est donc appelé, comme le blanc d'Europe, à jouir de ce bienfait; son organisation est la même, mais son gouvernement est différent.» Il est évident que ce passage détruit absolument l'inculpation que l'auteur fait à Barré de S. Venant. Quand bien même Hume, Jefferson et Barré de S. Venant admettroient une différence entre l'homme nègre et l'homme blanc, quant aux facultés intellectuelles, qu'en conclueroit-on? Ne remarque-t-on pas cette même différence d'individu à individu parmi les, blancs; de famille à famille; de département à département; de royaume à royaume? à plus forte raison peut-elle exister d'un climat à un climat tout à fait opposé; il n'y auroit donc rien d'étonnant que cette différence, existât entre la race blanche et la nègre; l'auteur a même cité des autorités qui font pencher la balance du côté de cette dernière. En notre qualité de colons, nous avons eu occasion d'observer différentes nations nègres; nous avons trouvé, dans quelques-unes, des degrés d'intelligence» d'aptitude à l'instruction, de beaucoup supérieurs à ceux que nous rencontrions dans d'autres. Les Congos sont, de tous les nègres, les plus spirituels, les plus propres à faire des ouvriers, des domestiques; ils sont en général petits. Pour les travaux de la terre, on choisit de préférence les Sénégalais et les Aradas; ils ont moins d'intelligence que les Congos, mais ils sont plus laborieux. Les Aradas ont une aptitude ou un goût particulier pour la connoissance des plantes usuelle, même des vénéneuses, aussi trouve-t-on parmi eux beaucoup de caprélatas, ce qui signifie en françois des médecins; il y en a aussi de macandals, ce qui signifie empoisonneur, ensorcelleur. Les Congos sont naturellement gais, railleurs, improviseurs de chansons qui ont toujours pour sujet de se moquer de quelqu'un, nègre ou blanc; quelquefois même de leurs maîtres. Les Mandingues ou Mondongues ont un caractère de stupidité qui va jusqu'à la férocité; ils sont, pour la plupart, anthropophages; peut être est-ce pour cela que dans leur pays on leur lime les dents en pointes: on est souvent forcé de les détruire sur les habitations, pour avoir dévoré un camarade, ou des enfans.
«Il faut, pour qu'un peuple soit taxé avec raison d'absence totale de génie, qu'il ait existé en corps de nation, aussi long-temps que les Grecs, avant d'avoir un Homère; les Romains, un Virgile; les François, un Racine (chap. I, pag. 38).» Quel pompeux éloge l'évêque Grégoire fait de la race nègre, puisqu'avant cette époque, elle peut compter un nombre si considérable de savans distingués dans tous les genres, dont il promet de nous faire connoître les noms et les ouvrages. Genty a donc grand tort, lorsqu'il avance que le génie ne peut naître au sein de l'opprobre et de la misère, quand on n'entrevoit aucune récompense, aucun espoir de soulagement. Genty veut-il parler des nègres en Afrique, ou des esclaves de S. Domingue? Ceux d'Afrique existent depuis long-temps en corps de nation; ils n'y ont pas été sans doute assez long-temps. Quant à ceux des Antilles et autres colonies de S. Domingue, nous ferons observer, à M. Genty, que les deux mots opprobre et misère sont inconvenans. Le mot opprobre ne peut nullement s'appliquer aux esclaves honnêtes, qui, en remplissant les devoirs attachés à leur condition qui n'est malheureuse que comparativement, sont tout aussi respectables, et s'estiment autant qu'une infinité de blancs qui, en se targuant du titre illusoire d'hommes libres, sont, sous plusieurs rapports, plus esclaves qu'eux, surtout, sous celui de la misère, dont le nom seul est ignoré dans les Antilles; fille des besoins naturels multipliés sous les zones tempérées ou froides, elle n'a jamais dépassé les tropiques. Tout aussi Vrais philantropes que quelques Européens, nous désirons, pour beaucoup d'individus, que nous avons sous les yeux, un sort pareil à celui des nègres esclaves bons sujets. Hélas! plus d'un tiers des Américains sont réduits en France à le désirer pour eux-mêmes. Selon le curé Sibire, nous en sommes bien dignes; pourtant nous ne l'avons pas.
«La religion chrétienne seroit sans doute un grand moyen de hâter et de maintenir la civilisation (ch. I, p. 41).»
Nous n'en pouvons disconvenir; sa morale sublime devroit être un des moyens les plus puissans de rendre les hommes meilleurs; mais hélas! nous voyons avec peine que son effet n'est pas toujours infaillible; le sang des ministres de cette sainte religion, ne fume-t-il pas encore? ne crie-t-il pas vengeance contre ceux qui, en se décorant du nom pompeux de chrétien, se sont vautrés dans la fange, et se sont rendus coupables de tous les crimes de la barbarie la plus sauvage? Ne se disoient-ils pas chrétiens, les émissaires qui nous sont venus de France aux Antilles, et qui ont souillé nos villes et nos campagnes, par des sacrifices de sang humain? N'eût-il pas mieux vallu, pour nous servir des propres expressions de M. Grégoire, nous envoyer des serpens à sonnettes? A Dieu ne plaise que nous en accusions la religion, si nous maintenons seulement qu'elle n'ait pas toujours un frein assez puissant pour la multitude, si un chef juste et ferme ne se réunit à elle pour faire respecter et exécuter ses lois.