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CHARLIE
PREMIÈRE PARTIE

Table des matières

I

Table des matières

Au sortir de chez la fleuriste où elle avait prétexté d'aller faire une commande, Mme Lahonce se courba vers son fils, un petit garçon d'une dizaine d'années, drôlement vêtu d'un authentique costume de marin, à pantalon tromblon, à grand col de toile bleu ciel, et, la voix câline, elle murmura:

—Veux-tu que nous marchions un peu avant de rentrer, mon chéri? Dis, Charlie, veux-tu?

L'enfant, qui s'absorbait à mordiller le bout de ses gants blancs, répondit d'un ton machinal:

—Oui, maman!

Alors Mme Lahonce le saisit par la main, et tournant, à droite, l'angle de l'avenue d'Antin, elle s'achemina, d'un pas pressé, le long de l'avenue des Champs-Elysées, presque déserte, par ce dimanche grisâtre et pluvieux d'octobre, à cette heure tardive de midi proche.

Elle marchait vite, vite, la tête baissée, afin d'éviter, sans doute, les rudesses de la bourrasque qui lui écrasait contre le front ses légers frisons blond pâle, lui collait au corps sa jupe de drap bleu sombre; et Charlie, pour la suivre, était obligé de trotter, de s'appuyer à sa main qui le faisait sauter, rebondir comme une balle, comme enlevé puis lâché par un souple élastique.

Il s'amusait même beaucoup, s'excitait à ce jeu, souriant à Mme Lahonce, souriant aux passants, pour les prendre ingénument à témoin de son agilité, de sa grâce aisée; si bien que tous, au passage, fixaient la jeune femme et l'enfant, se retournaient pour les contempler encore.

Seulement ce regard variait selon les personnes. Chez les bourgeois, chez les braves gens dénués de malice, c'était une admiration instinctive, attendrie, pour le joli groupe que formaient Mme Lahonce et son fils, avec leurs visages fins à cheveux blond pâle, leurs discrets et pareils costumes sombres que rehaussait le clair des gants blancs.

Et chez les autres au contraire, chez les mondaines informées ou les experts clubmen qui descendaient l'avenue, le parapluie sous le bras, la figure importante et soigneusement rasée, l'expression était toute différente. Il y avait dans leurs yeux méchants un reflet immédiat d'évaluation, un air d'impertinence connaisseuse, un air gouailleur de n'être pas dupe, de bien savoir, à peu près, ce qu'elle valait, ce qu'elle représentait de vertu, où elle courait peut-être si prestement, cette touchante jeune mère parfumée et son gentil matelot de sauvegarde.

Mais de toutes ces sympathies, de toutes ces curiosités envieuses, Mme Lahonce ne semblait rien voir. Elle continuait hâtivement son chemin, le front toujours baissé, toujours tendu, comme un front de bête, vers un but invisible et charmeur.

Les femmes, elle ne les examinait ni de près ni de loin. Les hommes, à distance, elle les inspectait d'un coup d'œil froid et net. Puis, assurée qu'ils n'étaient pas celui qu'elle guettait, celui qui devait venir de là-haut, de l'extrémité embrumée de la large avenue, elle rebaissait le regard, laissait dédaigneusement ces messieurs passer à côté d'elle, comme des ombres indistinctes et médiocres, sans sexe, sans visage, sans intérêt. Et pour s'étourdir, se distraire de l'étouffante angoisse d'attente qui lui gonflait le cœur, elle comptait ses pas, additionnait les numéros des maisons, posait à Charlie cent questions désordonnées sur ses camarades du lycée, sur son travail du lendemain, quand, tout à coup, ses traits se détendirent en un rayonnement de satisfaction et elle s'écria:

—Regarde, Charlie!... Regarde donc qui arrive là!

Elle désignait de la tête un jeune homme à moustache brun roux, à tournure élégante de clubman ou d'officier, qui s'avançait, tout souriant à leur rencontre.

—Favierres! s'exclama Charlie.

—Oui, ton ami Fav! Je te permets d'aller au-devant de lui... Va, mon chéri!...

Charlie s'élança en courant et stoppa droit devant le jeune homme, le béret à la main, les joues offertes pour un baiser, dans une posture correcte de petit garçon bien élevé. Favierres l'embrassait, lui tapotait affectueusement la nuque:

—Comment ça va, mon vieux Charlie?... Comment ça va?

Il se redressa pour saluer Mme Lahonce, et retenant longuement la main qu'elle lui tendait:

—Bonjour, Madame!... Dehors si tard? Vous rentrez chez vous, je suppose?

Mme Lahonce retira sa main et d'une voix un peu altérée d'émotion:

—Mais oui, nous rentrons... Nous rentrons par le plus long... Et Mme Favierres se porte bien?

Favierres riposta:

—Très bien... Très bien, je vous remercie...

Ils restaient, face à face, les yeux dans les yeux, tout heureux de se retrouver, tout au soulagement d'être sûrs enfin qu'ils se verraient ce matin-là.

Puis Favierres reprit d'un ton de prière et de commandement aussi:

—Vous rentrez par l'avenue Hoche, n'est-ce pas, Madame?... Voulez-vous me permettre de vous accompagner?

—Mais bien volontiers!

Et ces préliminaires accomplis, selon le cérémonial usité par eux au dehors, dans leurs rencontres matinales, ils se remirent lentement en route, marchant côte à côte, la tête de profil, souriante, avec cet air joyeux, ces regards avides l'un de l'autre qui distinguent des époux repus les couples d'amoureux furtifs.

Charlie pourtant, par sa présence, pouvait donner le change, ajouter comme un aspect conjugal à cette promenade clandestine. Il s'accrochait à Mme Lahonce, ne la lâchait pas, la devançant même, se jetant contre elle, par instants, comme un gros chien turbulent, pour happer la conversation, entendre ce que racontait son grand ami Vincent Favierres.

Mais ils parlaient à mi-voix de choses mystérieuses, inintelligibles, d'un certain «on», entre autres, dont les paroles, les volontés, les actions semblaient celles d'une personnalité toute-puissante, que Charlie, lui, ne connaissait nullement. Ils se disaient avec volubilité, et dans ce langage symbolique et obscur que se créent, à la longue, les amants, tout ce qui s'était passé chez eux ou ailleurs durant ce siècle de vingt heures écoulé depuis leur rendez-vous de la veille, les petites remarques amusantes ou bizarres qu'ils avaient chacun faites, tout ce qui leur avait paru, dans l'intervalle, propre à gêner ou à servir leurs amours difficiles.

Alors Charlie, ne réussissant pas à comprendre, prit le parti d'aller seul, de gambader, de courir en éclaireur, à quelques pas devant sa mère et son grand ami Fav dont, à la fin, l'indifférence le lassait.

—C'est étonnant comme cet enfant vous aime! disait rêveusement Mme Lahonce en le voyant s'éloigner. Tout le temps il est à me demander si vous viendrez, quand vous viendrez, tout le temps à me parler de vous... C'est extraordinaire! Véritablement, il y a des moments où je songe que si vous étiez son père il ne vous aimerait pas davantage!

—Oh! pour ça, répondit Favierres avec un mélancolique sourire, pour ça, il peut être tranquille, le pauvre petit... C'est un Lahonce, un vrai... Il est paraphé, signé...

Et il se glissait un doigt sur les lèvres, y dessinait les fines sinuosités de la bouche de Charlie, la mince bouche des Lahonce, rendue si célèbre, si populaire jadis, par le grand-oncle de l'enfant, Germain Lahonce, l'ancien ministre et conseiller de l'Empereur.

Mme Lahonce continua:

—Et puis, lorsqu'il me parle de vous, il faut voir avec quelles précautions, quelles minuties de discrétion!... Toujours à l'oreille, toujours en me chuchotant, comme par peur que quelqu'un ne soit là à l'écouter... Et si votre nom vient à être prononcé, si on cause de votre musique, de votre talent, il ne bronche pas cet amour, il a seulement vers moi un petit regard du coin de l'œil, un regard timide et tellement risible pour me rassurer, pour me faire signe qu'il sait qu'il ne doit rien dire... Tenez! quelquefois il me semble que j'ai en lui une sorte de petit complice qui ne nous trahira jamais, qui veut notre bonheur sans le vouloir... Vous ne trouvez pas ça curieux?

Favierres hésitait:

—Evidemment c'est curieux!... Mais cela s'explique au fond... Cet enfant m'aime parce que vous m'aimez... Il m'aime parce qu'il n'est pas encore tout à fait détaché de vous, qu'il tient encore presque à votre chair... qu'il est encore une partie de vous-même... Plus tard il changera peut-être, malheureusement... oh! oui, plus tard, plus tard...

Ils arrivaient près de la grille du parc Monceau. Et, sans achever sa pensée, Favierres revint brusquement à des considérations plus prochaines, plus pratiques.

—Voyons, ma chérie, demain, à quelle heure vous verrai-je?...

—Deux heures et demie? proposa Mme Lahonce.

—Bien, deux heures et demie... Ce soir je dîne tout à côté de vous chez les Jehandy, vous savez pour les chœurs... Que diriez-vous si, vers dix heures, je venais prendre le thé?... Cela vous ferait-il plaisir? Est-ce bien prudent, hé?

—Mon Dieu oui! Pourquoi pas? répliqua Mme Lahonce. Nous restons à la maison, car mes parents viennent... Je n'aurai qu'à annoncer votre visite, et on sera très content de vous avoir pour finir la soirée... C'est entendu?

Favierres s'était arrêté et, de nouveau, la pénétrait de son regard tenace et tendre, comme au premier instant de la rencontre, là-bas, tout à l'heure, dans les Champs-Elysées.

—Entendu! Cela me diminuera la longueur de la journée, l'idée de vous voir ce soir... Est-ce triste tout de même que nous soyons contraints de nous quitter ainsi, de retourner, vous à votre mari, moi à ma femme!... Est-ce décourageant, est-ce révoltant, ma chérie!

Mme Lahonce poussa un soupir, le visage soudain assombri, tout sévère de douleur:

—Oh! je vous en prie, mon ami, ne me dites pas cela!... Que voulez-vous?... Vous savez bien à quel point cela me torture... Vous savez bien que je ne puis être à vous plus que je ne suis...

Et comme Charlie se rapprochait en sautillant, elle se domina, se raidit à faire monter à ses lèvres un sourire enjoué et mondain:

—Au revoir monsieur... A ce soir, n'est-ce pas?...

—A ce soir, Madame! Certainement!...

Il serrait ardemment la main de Mme Lahonce, ne pouvait se résoudre à l'abandonner. Alors la jeune femme, aussi faible que lui, n'ayant pas le courage de s'arracher d'elle-même à cette étreinte, murmura doucement:

—Charlie, dis au revoir à ton ami!...

Favierres avait deviné la supplication que cachait cet ordre courtois.

Il laissa aller la main de Mme Lahonce, embrassa Charlie qui, derechef, le béret retiré, lui tendait ses joues à baiser. Puis, après un dernier salut cordial, il tourna à gauche, dans la rue de Courcelles, pendant que Mme Lahonce tournait à droite.

Elle précipitait l'allure maintenant, un peu inquiète de s'être attardée, d'avoir des explications à fournir.

Mais, tout en se hâtant, elle rassemblait ses arguments, organisait un plan de récit embrouillé, pour le cas peu probable où son mari lui demanderait des détails sur cette promenade prolongée; et quand elle parvint près de chez elle, rue de Lisbonne, elle était armée, prête à la défense, munie de tous les mensonges nécessaires.

Dans l'escalier seulement, elle avertit Charlie qu'elle ne dirait pas à M. Lahonce que Favierres l'avait accompagnée si loin, si longtemps:

—Cela pourrait contrarier ton père, chéri... C'est inutile... Je lui dirai simplement que nous avons rencontré Fav. Tu m'entends, mon chéri?

Charlie répondit à voix basse, d'un air grave, d'un air comiquement soucieux:

—Bien, maman!

Charlie

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