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ACTE DEUXIÈME

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DEUXIÈME TABLEAU

L'IMAGERIE DE LAURENT COSTER, À HARLEM

Une salle de l'imagerie de Laurent Coster, à Harlem.—Au fond, une porte.—De chaque coté de la porte, un vitrage, sur lequel sont accrochées des images.—Portes latérales.—À droite, un dressoir, couvert de vaisselle.—À gauche, un bahut, sur lequel sont un vase de fleurs et un sablier.—Près du bahut, un guéridon, avec ce qu'il faut pour écrire.—Au milieu du théâtre, une table.—Escabeaux, etc.

SCÈNE PREMIÈRE

MARTHA, elle met le couvert, en allant du dressoir à la table.—Gaiment

Mon père m'a dit: «Martha, mets à la broche le poulet le plus gras; monte de la cave le meilleur vin; sors de l'armoire une nappe de la plus belle toile de notre Hollande, des assiettes de faïence et des gobelets d'argent, car j'ai à déjeuner quelqu'un que je désire bien traiter, et que tu ne seras pas fâchée de voir à notre table.» Pour accueillir ainsi un convive, il faut que mon père le tienne en grand estime. (Pensive.) Si c'était Gutenberg? Je n'ose le croire, et pourtant quel autre pourrait mériter mieux que lui l'amitié de mon père! Depuis que ce jeune homme est entré à l'imagerie, il ne s'est pas attiré un seul reproche, et j'ai souvent entendu dire à mon père qu'il est au-dessus du rôle de contre-maître qu'il remplit ici… Oui, oui, c'est de Jean Gutenberg qu'il s'agit. (Elle approche un escabeau de la table.) C'est Jean qui s'assiéra là. (Elle met un pâté sur la table.) Toutes ces bonnes choses seront pour lui… Il va venir!… (Elle regarde au vitrage.) Jamais le ciel ne me parut si beau. (S'approchant du vase, prenant une fleur et la respirant.) Jamais les fleurs ne m'ont paru aussi parfumées. (Elle met la fleur à sa ceinture.) Jamais enfin, je ne me suis sentie si heureuse de vivre, et si fière d'être la fille de Laurent Coster… Mais pourquoi suis-je pensive et distraite? J'aime à rêver pendant de longues heures… Pourquoi? (Elle s'assied.—Après un silence.) Puisque je trouve Gutenberg aimable et bon, comment se fait-il que je sois si craintive devant lui? Le son de sa voix suffit à me faire rougir, (Elle se lève.) et à la pensée de le voir, mon cœur bat à briser ma poitrine. (Elle s'approche du sablier.) Je renverserais ce sablier, si cela pouvait ralentir la marche du temps, et cependant je voudrais qu'il marquât déjà l'heure de midi!… Quel est donc le sentiment étrange, qui me fait à la fois redouter et souhaiter la présence de Gutenberg?… Pourquoi, en l'attendant, suis-je si émue? Je me sens frémir, comme une feuille qui tremble au vent…

SCÈNE II

FRIÉLO, MARTHA

FRIÉLO, entrant par la droite, portant des feuilles et des images

Pardine, damoiselle, ou je me trompe fort, ou ce mal mystérieux s'appelle l'amour. Pour le soulager, il ne faut ni médecin, ni sorcier.... Il faut seulement trouver un cœur qui réponde au sien. (Mouvement de Martha.) Ne baissez pas les yeux, damoiselle; votre amour est de ceux qui peuvent s'avouer à la face de tous. La fille de Laurent Coster, l'imagier, n'a point à se cacher d'aimer Jean Gutenberg! Vrai Dieu! heureuse sera la main mignonne que le prêtre mettra dans la main loyale de mon maître. (Plaçant les feuillets au vitrage.) Là!

Il sort par la gauche.

SCÈNE III

MARTHA, pensive

C'est de l'amour, a dit Friélo!… J'aurais de l'amour pour Gutenberg! Mais lui, m'aime-t-il?… Friélo ne l'a pas dit!…

Coster arrive par le fond.

SCÈNE IV

MARTHA, COSTER

COSTER

Tout est-il prêt, mon enfant?

MARTHA

Oui, mon père.

COSTER, il l'embrasse

Eh bien! va chercher, pour le dessert, un cruchon de vieux curaçao.

MARTHA

J'y vais, mon père.

Elle sort par la gauche.

COSTER, seul.—Il ferme la porte du fond, va à la porte de droite, puis à celle de gauche.—Regardant autour de lui

Je suis seul!… bien seul!… Vous savez, sainte dame, la vierge, si j'aime ma fille, l'ange consolateur de ma vieillesse. Eh bien! que je sois privé du salut éternel, si je ne regarde pas mon invention comme un second enfant, qui, autant que ma fille, a droit à ma tendresse… (Il ouvre un tiroir du bahut, et y prend une casse d'imprimerie.) Mon invention, la voilà! (Il pose la casse sur le guéridon.) Jusqu'ici, l'existence d'un pauvre copiste était à peine suffisante pour transcrire une bible ou un livre d'heures; mais désormais, grâce à mes caractères mobiles, on pourra reproduire mécaniquement les manuscrits. (Il prend quelques caractères dans la casse d'imprimerie, les regarde et s'assied près du guéridon.) Chers caractères, enfants de mon esprit, fruits de mes veilles et de mes labeurs, idée qui a germé dans ma tête, pendant quarante années, quel bonheur j'éprouve à vous contempler!… À vous appartiendra le pouvoir d'exprimer les sentiments les plus divers et les plus opposés de l'âme humaine!… La science, l'histoire, la poésie, naîtront, tour à tour, de votre arrangement multiple… En vous, l'écolier épèlera son rudiment, le savant consignera ses doctrines, le vieillard relira ses prières… Aux financiers, vous parlerez de chiffres; aux femmes, de parures; à la jeunesse, de plaisirs. Vous chanterez l'amour, après avoir célébré la gloire, et vous raconterez à l'avenir, les événements du passé… À vous reviendra l'honneur de régénérer le monde; car vous vous nommerez l'imprimerie, c'est-à-dire la voix universelle de l'humanité!… Puisse l'hypocrisie, le mensonge, ni la calomnie, ne jamais souiller vos empreintes!… (Il se lève et va remettre les caractères dans la casse, puis il replace la casse dans le tiroir du bahut.) Personne ne connaît mon secret. Si mon imagerie est ouverte et accessible à chacun, l'atelier où je cisèle et fonds mes caractères, est fermé à tous les regards. Là, comme en un sanctuaire, où l'on aime à prier seul, je travaille dans la solitude et le silence… Mais, à mon âge, la mort est proche, et je dois léguer ma découverte à un héritier capable de la faire grandir… Lorsque Gutenberg est arrivé à Harlem, il m'a semblé que le ciel l'envoyait; car le feu sacré de l'artiste brûle dans l'âme honnête de ce jeune ouvrier. Il aimera ma fille et perfectionnera mon œuvre. Je quitterai la terre avec moins de regret, lorsque j'aurai assuré le bonheur de Martha et l'avenir de l'imprimerie. (Apercevant à travers le vitrage Gutenberg, qui arrive du fond gauche.) Gutenberg!

SCÈNE V

COSTER, GUTENBERG

COSTER, tendant la main à Gutenberg

Arrive donc, mon ami… aurais-tu oublié que tu déjeunes avec moi?

GUTENBERG, souriant

Non, maître, je n'aurais garde de l'oublier. Et je vous remercie de tout mon cœur, de l'honneur que vous me faites.

COSTER

Alors, à table! (Ils se mettent à table.)16 Dès le jour où tu es entré ici, j'ai vu que tu n'étais pas un ouvrier ordinaire, et je t'ai voué une affection paternelle.

GUTENBERG

Je suis fier de posséder votre estime, maître Coster; et je me souviendrai toujours de l'accueil bienveillant que vous avez fait au jeune inconnu qui vint frapper, il y a trois ans, à la porte de votre maison.

COSTER

C'est moi qui dois te remercier; car, depuis ton arrivée, mon imagerie n'a cessé de prospérer.

SCÈNE VI

Les Mêmes, MARTHA

Elle entre par la gauche, portant, sur un plateau, un cruchon de curaçao, qu'elle place sur le bahut, à gauche.—Elle fait une révérence à Gutenberg.—Gutenberg la salue et ne la quitte pas des yeux, Coster regarde les deux jeunes gens, en se frottant les mains.

COSTER, à Gutenberg17

Une coutume qui nous est douce, à nous, bourgeois de la Hollande, c'est de nous faire servir par nos femmes et nos filles. Les mets et le vin semblent meilleurs lorsque c'est une main chérie qui vous les présente… Verse-nous à boire, Martha. (Martha remplit les verres de vin.—Élevant son verre.) À notre belle et bonne imagerie!

GUTENBERG, élevant son verre

Oui, à l'imagerie de Harlem!…

Martha sert Coster et Gutenberg.—Gutenberg mange, les yeux toujours attachés sur Martha.

COSTER, regardant Gutenberg d'un air satisfait.—À part

Allons, allons, je ne me suis pas trompé… (À Martha.) Martha, fais-moi passer ce curaçao. (Martha va prendre le cruchon.) Il date de ta naissance. Si notre convive a dans le cœur quelque tendre sentiment, qu'il n'ose nous dire, eh bien! un verre de cette précieuse liqueur lui donnera peut-être la force de l'exprimer.

Il verse du curaçao dans un petit verre, et le présente à Gutenberg.

GUTENBERG

Un tendre sentiment? Ah! oui, maître, (Il regarde Martha.) bien tendre!… (À Coster.) Et puisque vous le permettez, (Élevant son verre.) je boirai à… à… (Regardant Martha.—À part.) Non, je n'oserais jamais…

Il remet son verre sur la table.

COSTER

Eh bien!… Tu ne bois pas?

GUTENBERG, prenant une résolution subite

Si!… (Il se lève, prenant son verre.) À Hébèle, à ma chère, à ma bien-aimée sœur! (Il boit, mouvement de Coster.—À Coster.) Je suis orphelin, messire, et ma sœur a été la seule tendresse de mon enfance… (À Martha.) Quand je quittai Mayence, ma sœur avait votre âge, damoiselle. Tout en vous me la rappelle, et en buvant à elle, il me semble que c'est à vous que je bois… Voulez-vous me permettre de prendre votre main, comme je prenais la sienne, (Il lui tend la main.) et de vous dire qu'en m'apparaissant à travers votre visage, le souvenir de ma sœur me devient plus cher encore.

COSTER, à part

Il l'aime, mais il n'ose pas le lui avouer… Allons, c'est à moi de le faire parler. (Il se lève. Appelant à la porte de gauche.) Friélo! Friélo!

16

Coster, Gutenberg.

17

Coster, Gutenberg, Martha derrière la table, au fond.

Gutenberg

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