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CHAPITRE IV

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Débuts sombres de l'année 1789. —Journal de Bombelles. – L'ambassade de Venise en perspective. – Mariage de Mlle de Mortemart avec le prince de Croy. – Nouvelles de Cour. – Le prince Henri de Prusse. – Préparation des Etats généraux. – Necker et Mme de Staël. – Considérations politiques. – En route pour le bailliage de Sens. – Mort du Dauphin.

Bombelles n'est pas le dernier à comprendre que cette année 1789 «sera bien remarquable pour l'histoire de France». C'est dans son cours que se balanceront, que se heurteront, que se traiteront les plus grands intérêts.

«Le Roi, livré à l'insouciance de quelques-uns de ses ministres, aux combinaisons personnelles et intéressées des autres et à la dangereuse audace de M. Necker, cédera aux orages qui s'accumulent et qu'il eût été si possible de conjurer. Nul au dehors, insulté au dedans de son royaume, un Prince qui avait ce qui suffisait pour être adoré de ses peuples, en est, en sera plus encore, le triste jouet; le désir du bien, les vertus nécessaires pour l'effectuer, tout en lui est devenu inutile par l'impéritie de ses conseillers. La brèche s'agrandit chaque jour davantage, et personne ne se présente, ou pour la réparer, ou pour la défendre; une haine aveugle contre la Reine fait oublier à tous les ordres de l'État ce qu'ils auraient à faire pour le bien de leur patrie; pour se venger de quelques négligences, de quelques légèretés pardonnables, des grands se séparent des intérêts de leurs égaux, personne ne se sent ni les talents ni l'énergie qu'il faudrait à des chefs de partis, et chacun, sans se rendre compte de ce qu'il désire, agit confusément, contribue ridiculement à l'augmentation du désordre, uniquement parce que nous nous sommes lassés d'être la première nation du monde.»

Il y a encore de l'espoir, suivant Bombelles, puisque rien n'est perdu, que les autres puissances traversent aussi leur moment de crise. L'Angleterre est frappée de léthargie avec la démence de son roi; «nos ennemis naturels, la Russie et l'Empereur, font une guerre honteuse et malheureuse à nos vrais alliés; le ciel veut que le Roi de Prusse se presse trop de faire montre de sa puissance… Il ne permettra pas que la première des nations se dégrade, se détruise au moment où elle pourrait jouer le plus beau des rôles.»

Et sur cette belle illusion, le marquis continue à noter jour par jour les événements grands et petits. Le prince de Luxembourg et M. de Brienne ont été reçus chevaliers de l'ordre, M. de Thiard a été autorisé à porter les insignes jusqu'à ce qu'il soit reçu publiquement… Bombelles a vu le jeune Dauphin chez le duc d'Harcourt, «qui en prend des soins aussi respectables que touchants; il serait à désirer qu'ils fussent couronnés d'un plus grand succès. Mais ce prince, malgré tout ce qu'en disent les médecins, n'acquiert aucune force et aura bien de la peine à sortir du marasme dans lequel il est».

Le marquis a dîné chez l'évêque de Laon où ils étaient seize à attaquer la réponse de Necker et le système du ministre. Bombelles enrage d'entendre Montmorin faire l'éloge «de ce digne successeur des Sully et des Colbert» et se ranger sous sa bannière, comme d'ailleurs il s'était précédemment inféodé à l'archevêque de Sens et à Lamoignon.

Chez la duchesse de Richelieu78 il y a eu brillante réunion, mais de là les conversations sérieuses sont bannies. Tandis que quelques-uns, dont Bombelles, jouent au quinze, de jeunes femmes, Mmes de Fronsac, de Fleury, de Galliffet, de Montagnac, jouent dans une pièce voisine à colin-maillard et au pied-de-bœuf. «L'on ne cause guère, note l'austère marquis, où l'on rit, où l'on folâtre toujours.»

On peut prévoir des chassés-croisés dans le corps diplomatique, car dès le 5 janvier, Bombelles écrit dans son Journal:

«La crainte de me voir retourner à Lisbonne, pour souffrir encore des effets de ce climat, fait désirer aujourd'hui à Mme de Bombelles que je me prête au troc d'ambassade dont on avait eu l'idée avant mon arrivée ici.»

M. de Châlons se voyant pressé de retourner à Venise, craint tous les désagréments qui l'y attendent, et sa famille les redoute plus que lui-même. On cherche à me tenter en m'observant que Lisbonne est un poste ruineux et pour ma santé et pour ma famille, et que si je me résigne à prendre l'ambassade de Venise, il y a toute chance pour que j'en sois tiré promptement pour être porté à un poste où j'aurais plus de travail; c'est obligeant à dire, mais j'aimerais mieux à cet égard des certitudes que des compliments.

«Cependant si cette mutation ne m'était pas comptée pour une grâce, si je n'ai l'air de céder qu'aux convenances réciproques, je pourrais bien renoncer sans regrets au Portugal, et m'aller confiner dans les lagunes de Venise. Avec un ministère aussi nul que le nôtre, les places nulles sont presque désirables, parce qu'on n'a pas le chagrin de voir perdre les occasions de faire de bonne besogne. Je prendrais le port de l'Adriatique comme un abri pendant l'orage qui va fondre sur nous, j'y verrais venir dans le silence de meilleurs jours, et je ressortirais de mon trou lorsque l'effervescence de nos têtes aura baissé et fait place à un ordre de choses plus satisfaisantes.»

M. de Châlons a eu des difficultés avec le Gouvernement vénitien79, il ne saurait retourner à un poste où on lui a manqué d'égards. M. Hénin, comme principal du ministère a montré à Bombelles un mémoire qui allait être renvoyé à la République de Venise en réplique à ses allégations contre le comte de Châlons. «Le parti était pris, si la Seigneurerie voulait nous tenir le mors tant soit peu haut de retirer entièrement notre ambassadeur et de congédier le sien. Mais comme M. le comte de Montmorin a aversion pour tout parti un tant soit peu ferme, Hénin croit qu'il sera ravi de pacifier le différend en adoptant l'accommodement qui aurait pour prétexte suffisant le mal que m'a causé le climat de Lisbonne et le peu de désir que doit avoir M. de Châlons de se retrouver avec des gens qui lui ont manqué de toutes les manières et qui ne sont nullement disposés à le mieux traiter.»

C'est en raison de «la platitude actuelle» que le prétexte est suffisant, car «sous un autre régime, ajoute Bombelles, j'aurais supprimé aussi promptement l'ambassade de Venise que j'aurais conservé celle de Hollande, ce n'est que par pusillanimité que nous craignons l'humeur des Vénitiens et que nous redoutons que les Hollandais insultent notre ambassadeur». Mme de Polignac a parlé à Mme de Châlons «qui décide despotiquement de toutes les résolutions de son mari», et a saisi avidement le moyen de le tirer de l'étau où il s'était mis.

Chacun s'évertue pour ou contre Necker, en faveur du Parlement ou contre lui. Les brochures continuent à pulluler. Bombelles ne retient guère celles qui tendent à détruire définitivement son cher ancien régime; mais il est d'autres sans portée politique bien sérieuse qui dérident les fronts soucieux: «L'une d'elles serait très plaisante si son auteur, au lieu de trente pages, n'en eût fait dix. Il est censé être le gouverneur de l'île Sainte-Marguerite qui se plaint qu'un pauvre fou sorti tel jour de son île a la rage de prendre le nom de M. d'Éprémesnil80, et sous ce nom a fait à Marseille, à Aix, à Lyon, telle extravagance. Cette manière de tourner en ridicule le fameux personnage qui voulait à toute force jouer un rôle au-dessus de ses forces a paru gaie.»

Le 10. – «L'amitié dont m'honorent depuis longtemps les maisons d'Harcourt et de Mortemart les a engagées à me prier d'assister à la messe de Mlle de Mortemart qui épouse le prince de Croy, fils du duc et petit-fils de feu le maréchal81. Le mariage devait se faire à l'hôtel d'Harcourt et la bénédiction être donnée par le prince de Salm, évêque de Tournay, mais ce prélat n'ayant pu arriver à temps, c'est Mgr l'archevêque de Paris82 qui a uni les deux jeunes gens. Tout le monde devait être rassemblé à midi à l'archevêché. Après la cérémonie une partie des personnes de la noce a été dîner chez le duc de Beuvron. Mme la comtesse de Brionne83 qui y était, m'a parlé en femme d'esprit des affaires du moment et de la levée de lettre de cachet du cardinal de Rohan. Elle va demain le voir à Couprai, auprès de Chelles, où il va se reposer quelques jours avant de se rendre en Alsace, et il y a bien à craindre qu'il n'y refasse de nouvelles folies.

«Le soir entre sept et huit heures les femmes en blanc et or, les hommes en habits riches se sont rendus à l'hôtel d'Harcourt pour le souper. Vers minuit la mariée a disparu; elle est aussi fraîche, aussi jolie que son mari est fluet, délicat et fané.»

Le 11. – «La noce s'est continuée à l'hôtel de Croy, mais la mariée ne s'y est rendue que pour l'heure du souper. C'est chez sa grand'mère la duchesse d'Harcourt que le mariage s'est consommé, ou qu'au moins il a passé pour tel.

«Les nouvelles de Bretagne sont effrayantes, et il y a une division entre les ordres de la Noblesse et du Tiers dont les suites sont bien inquiétantes. La Franche-Comté n'est pas plus calme: notre ministre flotte dans ses insoutenables indécisions, et ses décisions sont chaque jour de nouvelles absurdités.

«J'ai été dîner chez le curé de Saint-Roch avec le nonce, M. le baron de Breteuil et le duc de Gesvres, à l'occasion de la fête instituée sous la dénomination «du Triomphe de la foi». De là je suis allé chez Mme la comtesse de Rougé, femme d'esprit, dont je ne saurais assez louer toutes les qualités essentielles.»

Le 12, le 13. – «La marquise d'Harcourt m'a mené à Versailles, l'ambassadeur de Naples m'en a ramené et j'ai été souper chez le baron de Bezenval. Là des gens de lettres, avec de jolis mots, décidaient que notre commerce était desséché dans tous ses canaux; que notre agriculture faisait pitié; que c'était miracle que nous eussions une population assez forte; mais qu'ils allaient régénérer ce pays-ci, et qu'après on pourrait se permettre de l'habiter.»

Le 14. – «Les plus belles dames de Paris et nos jeunes gens les plus élégants ont soupé aujourd'hui chez Mme de Matignon: elle avait Mme de Balbi et la marquise de Coigny; mais je me suis cantonné dans ce grand monde avec Mmes de Rougé et de Caylus.»

Le 16, à Versailles. – «J'ai été doublement aise de revenir aujourd'hui à Versailles, auprès de ma femme et de mes enfants, et j'ai eu le plaisir d'assister à la représentation des Deux Savoyards

78

Née de Galliffet, belle-fille du maréchal, mère du ministre de la Restauration.

79

Voir Aff. Etrangères, Venise, dt 260 et suiv.

80

On se rappelle que d'Éprémesnil avait été emprisonné l'année précédente à la suite de sa brochure. Son voyage à travers la France jusqu'à Paris avait été un triomphe.

81

D'importants fragments des Mémoires du maréchal, duc de Croy, ont été publiés par M. le vicomte de Grouchy, 1896.

82

M. de Juigné, qui avait succédé à M. de Beaumont.

83

Née Rohan-Rochefort, veuve d'un prince lorrain, avait eu une longue liaison avec Choiseul.

Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles

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