Читать книгу Dinah Samuel - Félicien 1859-1934 Champsaur - Страница 3

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PREFACE

Table des matières

Homère, c’est le Bottin de la Grèce; la Bible, celui des Hébreux, Aristophane traîne sur la scène ses contemporains, il les ironise, sans même leur mettre un masque. Le Dante précipite et torture, en enfer, ses ennemis. Shakespeare prend pour sujets de ses drames toutes les histoires de son temps; Rabelais allusionne toute son époque: Molière en copie si bien les ridicules qu’il se fait rosser de coups de canne par le marquis de «Tarte à la crème»; La Bruyère les portraicture, en petits traits nets et impertinents; Racine compose ses tragédies, alors pas même jouées sous le déguisement grec ou romain, avec les amours de Louis XIV et les passions de la cour.–Quant au duc de Saint-Simon, il traverse, sans préjugés ni scrupules, les dernières années, si moroses, du grand règne, et la Régence délicieuse,–comme a dit je ne sais plus qui, «un trousseau de clefs à la main».

Cervantès Saavedra, lui, fut cynique; quelques jours après l’apparition des premiers livres de ce chef-d’œuvre, Don Quichotte, il fit lui-même une brochure anonyme où il protestait contre linconvenance du roman nouveau et du petit scribe qui osait y caricaturer les grands personnages de son pays. Du XVIIIe siècle, en France, que reste-t-il, littérairement? Les correspondances, les mémoires, et un livre vécu, caractéristique des mœurs d’alors: Manon Lescaut. Henri Beyle n’a écrit que d’après ses sentiments et ses sensations; tous les personnages de son plus important travail, le Rouge et le Noir, sont d’après nature; ils ont figuré dans une procès célèbre, jugé à Crenoble en1828. Mérimée empruntait ses sujets aux faits-divers des journaux. Victor Hugo seul a fait exception; le romantisme est un tourbillonnement avec des fracas de tempête et de tonnerre, une vingtaine de lieux communs, oratoires ou poétiques, comme des feux d’artifice monstrueux, d’où éclaboussent des étoiles. Encore Victor Hugo s’est inspiré, par exemple, dans le prélat Myriel de sa puissante et douloureuse épopée, les Misérables, du bon et doux évêque de Digne, Mgr Miollis. Et (puisque Dinah Samuel est une étude de grande actrice,–sans parler de croquis inoubliables, l’Enterre ment de Mlle Mars, et Mlle Georges, vieille et pauvre, implorant un secours, dans ce livre d’un reporter génial: Choses vues) le meil leur de ce prodigieux souverain littéraire, de cet assembleur fantastique de mots, est, peut-être, une passionnante satire: Les Châtiments. On peut citer également ceux qu’on a prétendu reconnaître dans les personnages de Balzac.

A quoi bon?

Les modèles–plutôt ceux qui furent à l’imagination de l’Ecrivain le prétexte de personnages créés ensuite de toutes pièces– disparaissent; Balzac seul reste, plus ou moins.

La Dame aux Camélias, de Dumas fils, une jolie fille dont le nom, par hasard demeure: Marguerite Gautier.–Quant aux personnages d’Alphonse Daudet, Numa Roumestan, Sapho, pour ne citer que ceux-là, sont copiés, l’auteur s’en vantait, d’après des personnages réels.

On pourrait prouver, s’il était loisible de passer en revue la littérature de toutes les époques et de toutes les races, que pas un seul livre ne dure qui ne soit, d’une façon générale, le témoignage d’un temps. Cela est si vrai que, même écrit sans goût et sans art, avec seulement de l’observation, avec une vue pénétrante des choses, un ouvrage a chance de survie. Ainsi. le fatras de Restif de la Bretonne, dont le style n’existe guère. Mais il a su regarder autour de lui: il écrivit sincèrement, sans mise au point qui aurait faussé les études qu’il nous a laissées de mœurs intimes et familières. Et ce Restif de la Bretonne, ce pitoyable écrivain, est toujours réimprimé. Ce n’est pas la gloire pour Restif; mais c’est, au moins, incontestablement, la postérité.

Malgré tant d’exemples, je veux déclarer, une fois de plus,– en tête de la cinquième réimpression de ce roman, Dinah Samuel, mon premier livre, l’essai de ma vingtième année,–que, si j’ai tâché de noter, à coups d’une jeune plume, un monde que j’ai fréquenté, d’écrire d’après la vie, j’ai eu, dès ce temps,–pour mon œuvre de romancier, du moins,–l’horreur orgueilleuse du portrait. Certes, il m’est arrivé d’emprunter des traits à plusieurs, pour la composition d’un personnage, mais ils ne furent à mon imagination que les matériaux de types créés ensuite de toutes pièces.

Dinah Samuel, Régina Sandri, Lulu,–pour ne rappeler, ici, dans mon œuvre, que trois héroïnes prises au monde original et factice de la scène ou du cirque–n’ont pas d’autres noms. Pourtant, des comédiennes françaises, et même italiennes, que je ne connaissais pas et qui s’étaient retrouvées dans Régina Sandri, m’adressèrent de gracieuses lettres où respiraient, à chaque phrase, leur grâce et leur avril. Comment compter toutes les jolies sveltesses qui se sont regardées en Lulu comme en un miroir, Lulus de bourgeoisie, Lulus de théâtre, Lulus du monde? Des centaines de lettres de femmes me sont parvenues, signées: Lulu; c’est la récompense d’un romancier de rencontrer parfois, dans la vie, celles qu’il rêvait et que son cerveau–d’après des observations, de-ci, de-là,–par bonne aventure de réflexion et d’art, avait devinées. Certes, l’artiste accompagnant l’homme en moi sans cesse, je me suis, dès le matin, observé en même temps que j’ai observé les autres; mais nulle, si adorable soit-elle par l’esprit, le talent, du génie, à l’occasion, ne peut prétendre, par gentillesse de sympathie, ou affolement de réclame, qu’elle est,–comme à un tableau, le modèle ayant posé pour le peintre,–Dinah Samuel, Régina Sandri, Lulu, ou bien, Marquisette. De même, on a cherché qui pouvait être Claude Barsac, l’Arriviste, l’avocat socialiste et assassin, ministre d’hier et de demain, Président du Conseil. C’est Claude Barsac, comme l’héroïne de cette étude de comédienne est Dinah Samuel,–rien de moins.

A vingt ans,–à l’âge des grands espoirs, où l’on ne doute de rien, où l’on espère atteindre les sommets, parmi les dieux, où la gloire semble une maîtresse qui vous attend,–à vingt ans, j’écrivis ce livre. Le voici plus de quarante ans après. Eh bien, à vingt ans, j’ambitionnais, non certes de faire une photographie plus ou moins ressemblante, mais de peindre une sorte de fresque moderne, d’évoquer,–autour d’une femme dominatrice, merveilleusement enchanteresse et compliquée,–un fourmillement d’humanité, la bataille intelligente et perfide, de donner l’impression d’une mêlée étourdissante dans une ville vraiment unique, Paris. J’ai voulu ériger, durablement, par l’artifice de mots assemblés, une comédienne imaginaire, pétrie pourtant avec des nerfs affinés, du sang, des passions flambantes, de la vie, une Femme, modernité intense et troublante, qui, en d’autres temps, eût été Phryné, Cléopâtre,–ou Messalina, l’Impératrice Nue (celle que, depuis, j’ai tenté de ressusciter dans ce livre, l’Orgie latine),–ou bien encore, Dahu, la fille du roi Grallon, mystérieuse et énigmatique (qui m’a hanté aussi et que j’ai caressée, depuis, dans les pages d’un autre roman: Lulu). Dahu, la Satane qui s’est fait une couronne des sept péchés capitaux et qui ouvre, pour se distraire, sur la ville d’Is les portes d’argent de la mer. Bref, à l’âge de l’enthousiasme et de la foi, quand la jeunesse nous fait ses promesses divines, j’eus l’ambition hardie de créer, issue de la vie et de mon front, une immatérielle, une immortelle.

FÉLICIEN CHAMPSAUR.

1925.

Dinah Samuel

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