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LE BAISER DU SOLEIL

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A Dinah Samuel.

Une blonde, au front pur, dans la svelte chapelle

dominant le château, depuis bientôt mille ans,

est peinte en un vitrail. Sous les fins voiles blancs,

transparaît, aux contours, sa beauté corporelle.

Nul, parmi les mortels, ne put être aimé d’elle,

dont le cœur ignora tous profanes élans.

On l’a mise en lieu saint, car l’amour en ses flancs

ne pénétra jamais; elle lui fut rebelle.

L’artiste a joint les mains, demi baissé les yeux.

Et pourtant, chaque jour, les rayons d’or des cieux

caressent cette enfant que l’aube claire inonde.

Ils viennent effleurer, à l’heure de l’éveil,

la bouche, les seins, tout, de la vierge blonde

qui connaît, seulement, le Baiser du Soleil

Il y eut un petit silence. Enfin, Gill:

–Eh bien? qu’est-ce que t’en dis, Daubray?

Daubray appuyant ses mains potelées, mains de fermier général du dix-huitième siècle, sur le dos de la chaise, répondit qu’il connaissait une jeune fille, un «comble de pudeur». Après un repos, pour produire l’effet, en avançant encore plus son chapeau sur les yeux, le bouffe ajouta:

–Oui, pour ne pas tromper son amant, lorsqu’elle sort, elle met une voilette... qui va juste au-dessous de sa bouche minuscule, afin que la brise même ne la caresse pas.

Montclar laissa échapper un petit rire afin d’être agréable au comédien, qui ajouta:

–Mais pourquoi est-ce adressé à Dinah?

Montclar aurait été embarrassé d’exposer la vraie raison. Dinah Samuel, dans cette matinée où il avait assisté, au Théâtre-Français, à la représentation du chef-d’œuvre de Racine, l’avait, sans le savoir, comme une étoile est aimée d’un berger, charmé par la délicatesse de ses traits et par la douceur de sa voix. Elle lui avait paru, à lui, dans ce prestige de la scène, lorsque de ses lèvres s’envolaient les vers du poète, flottant sur les fauteuils d’orchestre, venant vibrer dans les loges, harmonieux comme un chant ou un murmure de brise sur une lyre, elle lui avait paru, cette comédienne, la personnification inviolée de toutes les créatures idéales, Ninon, Marguerite, Ophélie. Manon, Juliette, Desdémone. Montclar, ne voulant rien déceler de cet enthousiasme et d’un amour vague, répondit:

–Par antithèse, peut-être.


André Gill agita sa chevelure avec un mouvement de tête olympien. Ce caricaturiste, dont on craignait l’esprit acéré, avait des ridicules. Ayant, jusqu’à sa trentième année, vécu à la grâce du temps, qui était âpre, de divers métiers peu lucratifs, sur la rive gauche, il avait continué à habiter le Quartier Latin, sans en sortir presque. Il jouissait de sa gloire, lorsque, à Bullier, des filles venaient, accortes, lui souhaiter un bonsoir, quémander un bock, mais il n’acceptait jamais des invitations à des soirées, sauf chez d’autres artistes.

Il n’aurait su comment s’avancer dans un salon, cravate blanche, le claque sous le bras, simplement: il y serait plutôt entré la tête en bas, le claque entre les dents,–sur les mains gantées.

Maintenant, pour épater le débutant, il jonglait avec des grelots de rhétorique:

–Si Dinah Samuel n’est pas vierge, elle devrait l’être! Cette aérienne, faite de nuages et de nos rêves, devrait toujours s’habiller comme les saintes des vitraux des anciennes églises... de la sainte du sonnet de Montclar... Cette grande artiste n’est plus une Aphrodite qui a, pour le baiser, des seins que la main caresse et dont la langue érige les pointes... des hanches avides et lascives, des lèvres visibles à tous, attirantes, et des lèvres intimes qui s’entre-bâillent, amoureuses... des jambes et des cuisses qui étreignent nerveusement dans les secousses de la possession, dans les triomphes nus où s’exaspère, se mouille et se détend le désir... Dinah Samuel, celle qui incarne Phèdre, dona Sol, et tant d’autres immortelles en une seule: l’Inoubliable, est une âme! une Poésie vivante!

Gill s’emballait, il enflait sa voix et la poitrine, il choisissait des mots sonores que son geste secouait. Mais, dans sa sortie dithyrambique, il désirait épater Montclar, et cette vanité se mêlait à la sincérité de sa tirade. Levant son bras gauche, il avait saisi la barre du trapèze:

–Mon vieux Daubray, je finirai demain, ton portrait Dans ce sacré décembre, il n’y a pas assez de jour, ici, à quatre heures Quand je suis seul, je ne veux pas de lampe, je reste dans l’atelier, et, dans la pénombre où rougeoie seulement une clarté chaude, le brasier du poêle, je compose des vers. Ne pouvant plus peindre avec des couleurs, je peins avec des mots, comme un aveugle... Oui, Dinah Samuel n’a rien de matériel. Son corps est une ligne d’art qui ondule sous des robes de luxe. On m’a conté que Bürgster, un banquier, couchait avec elle. Je ne le crois pas. Elle est, dans Paris, tout à l’argent, aux ruts, un nuage insaisissable, une apparition idéale... une vapeur de femmes vagues et blondes.

Le petit au lorgnon ne paraissait pas partager le sentiment de Gill sur Dinah Samuel. Il déclara qu’elle est idéale, mais avec l’escarcelle à la ceinture. Gill lâcha le trapèze, lequel oscilla quelques instants. –A quatre heures et demie, le maître d’études devait être au lycée pour prendre les élèves à la fin de la classe. Montclar s’avança vers Gill, lui demandant l’honneur de lui serrer la main, et le caricaturiste dit à Patrice qu’il était, dorénavant, un de ses collaborateurs.

Montclar partit. Peut-être était-il en retard? Il souriait à la vie, à sa chance, malgré cette inquiétude. Quatre heures vingt. Le jour d’hiver baissait. Tout ce que Patrice avait entendu, chez Gill, avait enfiévré son cerveau. Puis, il était fier d’avoir parlé à des gens célèbres, d’être entré, un instant, dans la coulisse littéraire. C’était samedi. Un journal de Paris, la semaine prochaine, publierait des vers de lui. Du premier coup, il atteignait son but, et sa joie bourdonnait dans sa tête. Le voilà rédacteur au journal d’André Gill: la Lune Rousse. Il fallait, néanmoins, rentrer au lycée et se constituer geôlier de trente enfants. Le pion y retourna par la rue du Val-de-Grâce et la rue Saint-Jacques. D’autres pions, arrêtés sous la galerie de la cour d’honneur, où est le buste de Musset, trouvèrent Patrice irradiant de verve. Un d’ eux, en riant, comme s’il devinait la cause de cette gaîté:

–Vous êtes allé chez une femme?

Montclar, après un geste négligent, rentra au petit lycée. Les autres répétiteurs, avec qui il avait échangé des blagues, étaient des pions des «grands» ou des «moyens». Devant le parloir, des parents attendaient leurs gamins, afin de rester avec eux jusqu’à cinq heures, pendant la récréation, et de les embrasser. Patrice Montclar, alla, songeant à son rêve étoilé, devant les portes des deux classes dont il était chargé, attendre les élèves dans le couloir. La cloche retentit bientôt. Ce fut un brouhaha dans les deux salles. Quelques élèves, la prière bâclée (on priait Dieu dans les lycées, en ce temps-là), montaient sur les tables et sautaient à terre avec tapage.

Montclar ne punit personne. Il était content.

Dinah Samuel

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