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II

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Table des matières

Lady Duncombe avait quitté ce monde dix-huit mois environ avant le jour où les deux petits spectateurs, que nous avons décrits, considéraient par la fenêtre, avec une si grande anxiété, la pluie qui tombait à torrents.

Émile avait presque entièrement oublié sa mère, mais Humphrey conservait son souvenir, comme au lendemain du coup qui l’avait frappé.

Il arrivait bien que, pendant des semaines, des mois même, ses pensées s’arrêtaient moins souvent sur la chère défunte; mais tout à coup un objet insignifiant, une fleur, un livre ou quelque chose qui avait appartenu à sa mère, ravivait son chagrin; sa petite poitrine se gonflait alors, sa jolie tête frisée s’inclinait et ses beaux yeux bleu foncé étaient obscurcis par des pleurs.

Il y avait dans le salon, toujours fermé depuis la séparation, un portrait en pied de lady Duncombe, tenant Humphrey entre ses bras. Dans ses moments de douleur, ou lorsque Virginie était fâchée contre lui, l’enfant entrait furtivement dans la pièce sombre, et, prenant sur le parquet la même pose que dans le tableau, il lui semblait sentir encore les bras de sa mère autour de son cou et les battements du cœur contre lequel il avait si souvent appuyé sa tête.

A certains jours, lorsqu’on retirait les meubles du salon pour les épousseter, que les volets étaient ouverts, que le soleil brillait dans la pièce, on pouvait voir les deux petits frères debout, les bras entrelacés, contemplant tous deux les traits bien-aimés de leur mère, tandis que l’aîné racontait au plus jeune les souvenirs qu’ils lui rappelaient.


Émile éprouvait pour Humphrey le plus profond respect, l’admiration la plus sincère. Un grand garçon de sept ans, qui porte des culottes, est toujours un objet de vénération pour le bambin de quatre ans. Malgré ces visites au portrait, l’imagination d’Émile ne lui présentait guère le salon que comme une pièce toute noire, à peu près abandonnée.

Son respect grandissait pour Humphrey à mesure qu’il l’écoutait faire l’ardente description du bonheur qui régnait autrefois dans la maison. «Quand venait la soirée, disait Humphrey, le salon était éclairé par de brillantes lumières, et leur mère, élégamment vêtue, recevait les nombreux amis de la famille.»

Le petit Émile ne se faisait pas une idée très précise de cette mère, dont Humphrey lui parlait sans cesse avec des expressions si tendres; mais il sentait que l’amour maternel devait être quelque chose de très beau et de très doux.

Émile était pénétré du sentiment de son infériorité à l’égard de son frère dans ce culte et ce respectueux amour; une sorte de honte saisissait son jeune cœur lorsqu’une de leurs conversations se terminait brusquement par ces paroles presque dédaigneuses du frère aîné :

«Mais, à quoi bon essayer de te faire comprendre ce qu’était notre mère, puisque tu ne te souviens plus d’elle!»

Une certaine tristesse obscurcissait à la fois le joli petit visage d’Émile, qui avouait humblement son ignorance.

Ces deux enfants semblaient n’avoir qu’une même âme; les sentiments de l’un complétaient les sentiments de l’autre. Craintif par nature, Émile se montrait effronté lorsque son frère le soutenait; obéissant et soumis quand il était seul, s’il était sous les yeux d’Humphrey, il bravait Virginie et devenait malicieux, taquin, turbulent comme lui. La pauvre institutrice avait appris longtemps, à ses dépens, que l’union fait la force, ses nerfs avaient été plus d’une fois agacés par les espiègleries des deux frères.

Au moment où commence notre histoire, elle avait décidé qu’Humphrey pourrait aller à la rencontre de son père s’il consentait à se vêtir ainsi que l’exigeait la saison. Le petit garçon avait accepté, à la condition qu’Émile viendrait avec lui. Mais Virginie était d’une ténacité inébranlable. Les vêtements les plus chauds n’empêchaient pas Émile de s’enrhumer; elle ne le savait que trop, hélas! par de fatales expériences; aussi prononça-t-elle l’arrêt définitif: Humphrey irait seul, ou tous les deux resteraient à la maison.

— Ne pars pas, Humphrey, fit le petit Émile d’une voix suppliante, tandis que les deux jeunes frères se tenaient contre la vitre; ce serait si ennuyeux de rester seul avec Virginie!...

— C’est une vieille grondeuse, elle se fâche toujours, murmura Humphrey; maisn’aie pas peur, mon petit frère, je resterai avec toi, et pour, que le temps passe plus vite, nous allons nous amuser à compter les gouttes de pluie.

Les deux enfants, appuyés l’un contre l’autre, demeurèrent presque immobiles. Leur intéressante occupation eut l’effet désiré ; une demi-heure fut bientôt écoulée, le coupé était déjà au milieu de la grande avenue, avant qu’ils l’eussent aperçu.

— Qu’y a-t-il donc? s’écria tout à coup Virginie, à la vue des sauts de joie d’Humphrey.

— Voici papa! Papa est arrivé ! Puis, sans ajouter une parole, il sortit précipitamment de la chambre en battant des mains.

— Monsieur votre père? interrompit Virginie, eh bien, attendez un peu, donnez-moi le temps de vous arranger les cheveux.

Mais Humphrey était déjà loin. On entendait ses bonds sur l’escalier, car on n’avait jamais pu obtenir de lui qu’il descendît les marches sans en franchir au moins deux à chaque enjambée.

Émile, toujours moins vif, fut saisi au passage par Virginie, il eut les cheveux brossés en dépit de tous ses efforts. L’enfant atteignit la porte du vestibule au moment même où la voiture s’arrêtait. Les deux frères dansaient de joie et cabriolaient, tandis qu’un grand monsieur, à l’aspect assez sombre, se débarrassait de son manteau en montant le perron.

Il s’arrêta pour donner un baiser aux deux aimables visages qui lui tendaient les joues.

— Eh bien, chers enfants, dit-il, comment allez-vous? Quel accident est arrivé cette semaine? Vous êtes-vous cassé un bras ou une jambe, depuis lundi dernier?

Les petits garçons étaient si occupés de leur père, qu’ils ne virent pas qu’un jeune homme l’accompagnait.

Lord Duncombe leur dit en riant:

— Comment! vous ne dites rien à ce Monsieur? Vous ne le reconnaissez donc pas?

Humphrey examina attentivement les traits da l’étranger, une rougeur subite couvrit son visage et il répondit avec émotion:

— N’est-ce pas l’oncle Charles? qui est venu nous voir, une fois, il y a bien longtemps, avant de partir pour un grand voyage en mer, et avant.....

— Oui, fit brusquement le baronnet. Je ne te croyais pas une si bonne mémoire. Qu’en pensez-vous, Charles? ajouta-t-il en se tournant vers son beau-frère; mais Émile n’était encore qu’un baby, lors de votre dernière visite.» Là-dessus, élevant son plus jeune fils entre ses bras, il interrogea son parent d’un regard plein de fierté paternelle.

— Quelle ressemblance! s’écria Charles.

— Je m’en effraye quelquefois, repartit lord Duncombe en remettant le petit garçon à terre. Voyez, continua-t-il, en suivant avec le doigt les veines bleues sur le front délicat d’Émile et en montrant la rougeur de ses joues.

Humphrey n’avait pas perdu un mot de la conversation. Pendant que son père couvrait son frère de baisers, il s’approcha de son oncle, lui prit doucement la main le regardant avec une confiance affectueuse.

— Tu es un bon petit homme, reprit l’oncle Charles qui caressa son aimable neveu; nous étions bien amis la dernière fois que nous nous sommes vus. Puis, soulevant le visage de l’enfant pour en examiner les traits, il ajouta à demi-voix: Il ne ressemble pas du tout à sa mère!

L’heure de la toilette pour le dîner étant venue, les petits garçons montèrent à la chambre de leur père, pour l’aider à s’habiller, ou plutôt afin de l’en empêcher.

Émile s’empara du sac de voyage, espérant y trouver quelque chose d’intéressant ou de beau. Humphrey se mit à vider les poches du grand paletot que son père venait de quitter. Un bruit suspect fit retourner le baronnet.

— Que fais-tu là, Humphrey? s’écria-t-il en courant vers son fils.

Un énorme couteau de poche, à plusieurs lames, qu’il avait réussi à ouvrir, s’échappa des mains du petit garçon, qui voulait en essayer le tranchant sur ses ongles.

Après un silence et une tranquillité dont sir Duncombe commençait à s’étonner.

— Humphrey! cria-t-il, malheureux enfant! Veux-tu bien poser ces rasoirs!

Par la glace de la cheminée, il avait aperçu le visage de son fils, tout badigeonné de savon, juste au moment où le jeune fou allait commencer l’opération dont les suites eussent bien pu être fatales. Toute faute mérite un châtiment. Humphrey fut envoyé à Virginie pour qu’elle lui lavât la figure. Mais après sa toilette, il fit une glissade, à cheval, sur la rampe du grand escalier, pour rattraper le temps perdu, et entra dans la bibliothèque avec son père et Émile.


L’oncle Charles, dont la toilette s’était faite sans émotions, attendait depuis quelques instants.

La cloche du dîner sonna presque aussitôt, toute la famille se dirigea vers la salle à manger. Le baronnet se plaçait toujours à table entre ses enfants, à qui il donnait, à tour de rôle, un bon morceau ou une friandise de son assiette.

Le dîner avait été moins bruyant qu’à l’ordinaire, lorsque Humphrey rompit le silence.

— Papa! dit-il, c’est aujourd’hui l’anniversaire de la naissance de Guillaume.

Le pauvre domestique, mis sur le tapis de la conversation d’une manière aussi inattendue, rougit de confusion, laissant presque tomber le plat qu’il allait poser devant son maître.

«Il a vingt-deux ans aujourd’hui, continua l’enfant terrible, il me l’a dit ce matin.»

Le baronnet essaya de manifester un grand intérêt à cette importante nouvelle.

«A quelle heure êtes-vous né, Guillaume?» reprit Humphrey en s’adressant au valet de chambre qui s’était réfugié dans un coin d’où il faisait au jeune espiègle des signes désespérés, dans le vain espoir de mettre fin à son supplice.

Le baronnet tendit un morceau de turbot à son fils, pour ralentir, au moins, son flux de paroles. Mais Humphrey n’eut pas plutôt achevé ce que lui avait servi son père, qu’il posa son coude sur la table, appuya son menton dans sa main et reprit:

«Papa, que comptez-vous donner à Guillaume pour sa fête?»

L’oncle Charles baissait de plus en plus la tête sur son assiette pour cacher son fou rire.

«Je sais ce qui lui ferait plaisir, déclara le petit lutin, il me l’a dit.»

L’infortuné domestique eût voulu s’enfuir, mais l’inexorable maître d’hôtel lui présenta une sauce qu’il dut se résigner à offrir au baronnet.

«Je lui ai demandé, continua Humphrey, tout fier d’être dans les confidences de Guillaume, ce qu’il aurait désiré pour son cadeau de fête et il me l’a dit. N’est-ce pas, Guillaume, que vous me l’avez dit?»

A cette attaque, par trop directe, Guillaume prit son élan vers la porte, malgré les coups d’œil sans pitié du maître d’hôtel, qui lui faisait signe de retirer les assiettes.

L’oncle Charles éclata de rire et la porte se ferma bruyamment sur la victime qui s’enfuyait.

—- Il ne faut pas causer ainsi à table, Humphrey, lui dit son père. Ton oncle et moi n’avons pu échanger une parole. Je vous assure, mon ami, ajouta sir Duncombe, à demi voix et en s’adressant à son beau-frère, que je suis continuellement sur le qui-vive avec ces enfants. Je ne sais jamais ce qu’ils vont dire.

A la grande joie de Guillaume, la conversation de ces messieurs roulait sur la politique lorsqu’il reparut, Humphrey était absorbé dans l’arrangement d’une armée dont il avait formé les combattants imaginaires avec des boulettes du pain de son père.

Un silence se fit pendant lequel lord Duncombe sembla réfléchir, puis il éleva la voix.

— Voudriez-vous m’aider à faire les honneurs de mon dîner de la semaine prochaine? dit-il à son beau-frère. Cela me rendrait un véritable service. Il y aura deux ans bientôt que je n’ai fait aucune politesse à mes aborigènes, et il est indispensable d’entretenir de bons rapports avec ses électeurs.

«Quel grand mot! Qu’est-ce que cela veut dire?» murmurait Humphrey, qui semblait être tout entier à sa grave occupation. Il termina une dernière tranchée, planta, au sommet, une branche de persil, en guise d’étendard, puis, relevant soudainement la tête, il demanda à son père.

— Qu’est-ce donc que des abo — abo — aborig —...?

— Des aborigènes? fit l’oncle Charles. Ce sont des sauvages, moitié hommes, moitié bêtes.

— Et papa les invite à dîner? repartit Humphrey en ouvrant ses grands yeux étonnés.

— Oui, répondit l’oncle, que la plaisanterie amusait. Quelle surprise pour toi et pour Émile, n’est-ce pas?

— Oh! papa, papa, s’écria Humphrey en sautant de sa chaise et en folâtrant autour de la table, permettez-nous d’assister à ce dîner, avant même d’en parler à Virginie?

— Nous verrons cela, observa le baronnet. Les petits garçons comme vous, qui ne savent pas retenir leur langue, sont quelquefois bien gênants. Mais si vous n’assistez pas au dîner, vous descendrez au moins dans la bibliothèque, où vous pourrez voir les convives.

On en était au café. Virginie apparut à la porte, et, de sa voix désagréable, elle dit aux enfants:

«Allons, Monsieur Humphrey, Monsieur Emile, venez, l’heure du repos a sonné ; vous avez sommeil. »

Les enfants obéirent, mais à regret, car la conversation devenait de plus en plus intéressante, Humphrey surtout avait encore cent questions à poser sur les aborig...

Ils montèrent, et Virginie les suivit de peur de quelque nouvelle folie.

Leurs pensées étaient si absorbées par les sauvages, moitié hommes, moitié bêtes, qu’ils furent, ce soir-là, plus raisonnables qu’à l’ordinaire. Ils se mirent au lit avec une sagesse inaccoutumée, Virginie se retira peu après, en poussant un soupir de satisfaction.

— Quel bonheur! la voici partie, dit Humphrey, dès que la porte de leur chambre fut refermée, nous allons pouvoir causer à notre aise de ces hommes extraordinaires.

— Oh! Humphrey, fit le petit Emile d’une voix suppliante, ne parlons pas de cela maintenant, Virginie a éteint la bougie; il fait si noir!... Ou bien, donne moi ta main afin que je la serre très fort et que je sente que tu es auprès de moi!

— Puisque tu as si peur, nous ne causerons pas ce soir, reprit Humphrey, d’un petit ton protecteur. Tu as raison du reste, il vaut mieux nous endormir en songeant à nos anges gardiens; demain, quand il fera grand jour, nous causerons des hommes sauvages. Bonsoir, Emile.

— Bonsoir, Humphrey, répondit le petit frère. Et le sommeil ne tarda pas à clore les paupières des deux jolis enfants.

Charmantes créatures, une mère aimante ne se penchera plus vers vous, épiant votre repos, murmurant une bénédiction, déposant sur votre front le baiser de l’amour maternel!

Les agneaux, dans la bergerie, dorment auprès de la brebis vigilante; les oisillons dans leurs nids se cachent sous l’aile tendre de leur mère. Mais vous, chers petits anges, qui veillera sur vous?... pauvres enfants!


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