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INTRODUCTION.

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Table des matières

LES institutions d’un pays constituent sa gloire, sa force, sa durée. Sans les institutions, il n’est pour le peuple aucun principe d’ordre ni de moralité ; sans les institutions, ce qu’on appelle la politique intérieure est un mot vide de sens, parce qu’elle ne repose sur aucune base solide; ou plutôt, elle est un agent de toutes les mauvaises passions, publiques et privées, parce que, vivant au jour le jour, elle en est réduite à n’avoir d’action que sur les individus par la corruption ou par l’intrigue. Si l’on veut que l’organisation de ce pays prospère, ou même se soutienne, il faut donc que les institutions qui lui manquent soient établies, que celles qui existent soient maintenues, protégées, améliorées.

L’accomplissement d’une telle œuvre n’appartient pas seulement à la sagesse et au patriotisme du Gouvernement qui représente tous les intérêts de la nation, il réclame le concours, le zèle et le dévouement des citoyens, surtout de ceux-là que les institutions doivent plus particulièrement régir.

Lorsque, pendant un siècle de discussions, l’esprit de doute, en se mêlant à l’attaque que la raison livrait aux abus, en lui prêtant des armes perfides, a mis en question tous les principes; lorsque, pendant un demi-siècle, des luttes violentes se sont succédé, dans lesquelles le fait est resté lui-même plus d’une fois incertain, au milieu des désordres de la pensée; il ne faut pas s’étonner qu’une grande nation en soit venue à se demander encore quel est le moyen d’anéantir les illusions du scepticisme, de féconder les progrès sortis de la tempête, d’asseoir l’organisation sociale sur des bases durables. Il ne faut pas s’étonner si le relâchement, produit par tant de controverses et de fatigues, a jeté dans les cœurs une dangereuse tendance à l’isolement, fléau destructeur de toutes les sociétés. Il est dans la nature de l’homme, qu’il recherche son bien-être partout où il espère le rencontrer. Sa générosité le porte sans doute à faire des efforts et des sacrifices pour arriver au but; mais, s’il s’est épuisé vainement à le poursuivre, s’il n’a pas trouvé, dans cette communauté d’intérêts que la civilisation lui présentait sous des couleurs rassurantes, la pureté, l’ordre, la protection qui devaient garantir ses intérêts particuliers; il s’émeut, il s’inquiète, il se resserre; son élan naturel s’arrête; il ne fait plus une transaction, une démarche, sans en avoir soumis les conséquences au calcul. On tombe sous le règne déplorable de la spéculation individuelle!

En France, il doit être plus facile qu’ailleurs de ranimer les idées de morale, de fixité, de généralisation. L’expérience du passé, les conquêtes de la Révolution, le développement de l’industrie, le calme de la paix, le principe du gouvernement, en ouvrant à la prospérité publique une carrière immense, font sentir vivement le besoin de consacrer ces résultats par les institutions et la pratique des devoirs qu’elles établissent. Les citoyens sont d’eux-mêmes entrés dans cette voie. De là, les vastes et nombreuses associations d’intérêts et de personnes, qui, saisissant toutes les formes de la loi et toutes les conditions de la vie, s’élèvent de toutes parts à l’ombre de la loi, ou même qui, la devançant, se donnent des règlements qu’elle ratifiera plus tard, puisqu’ils reposent sur les règles immuables du travail, de la justice, de la famille. Mais où sera la sauvegarde de toutes ces sociétés, n’importe leur but? Dans l’ordre et la discipline. Eux seuls peuvent protéger, exciter ce sentiment d’honneur, sans lequel les choses, comme les hommes, végètent, pour périr un peu plus tard dans le découragement et la misère.

Parmi les associations les plus importantes, il est permis de ranger la profession d’avocat, et c’est d’elle que je veux m’occuper. Pour elle, il n’est plus rien à créer. Il ne s’agit que de la maintenir sur ses antiques bases; que de la faire connaître à ceux qui se destinent à y entrer, à ceux qui ont avec elle des rapports obligés. Bien qu’elle ait une origine ancienne, elle n’a pas vieilli, elle peut s’harmoniser avec les idées et les besoins nouveaux. Bien que régulièrement constituée, elle n’est ni une fonction publique, ni un monopole, elle a conservé sa nature libre, indépendante: nous verrons si les règlements ont toujours respecté ce caractère. Je vais expliquer les motifs, l’objet, le plan de mon ouvrage.

Il existe, sur notre profession, un grand nombre de livres que chacun de nous a dû consulter, avant même d’arriver au Palais, mais l’expérience de chaque jour démontre l’insuffisance de ces documents. Plus ils sont nombreux, plus ils deviennent difficiles à retrouver. Beaucoup d’entre eux sont loin des temps actuels, et la mine la plus riche renferme un alliage qu’il convient d’en dégager.

En 1831, le conseil de l’Ordre arrêta que deux commissions seraient nommées, l’une, pour recueillir et classer les Précédents du Conseil depuis 1810, date de la réorganisation de l’Ordre; l’autre, pour rechercher et exposer aux jeunes confrères les Règles de notre profession.

Ces deux commissions n’ont pas pu s’occuper de leur travail; il réclamait un temps considérable, et, d’un autre côté, l’urgence de la mesure ne semblait pas imminente. Dans les premières années qui ont suivi 1830, nous avions l’avantage de posséder les traditions vivantes de l’ordre supprimé en 1790. Plusieurs des avocats qui avaient appartenu à l’ancien barreau, qui en avaient étudié les règles et les avaient religieusement gardées pendant leurs vingt années d’exil, siégeaient au Conseil. Ils ne se connaissaient pas mieux que nous en délicatesse, en honneur, mais, sur toutes les questions de discipline et d’administration, ils pouvaient nous éclairer de leurs lumières et de leur expérience, il était rarement besoin de consulter les précédents du Conseil: fâcheuse sécurité, qui, en ajournant le présent, pouvait compromettre l’avenir! La mort, qui n’attend pas, est venue nous enlever, un à un, ces patriarches du barreau!...

Onze ans se sont écoulés.

Cependant le Conseil a reconnu, par les faits survenus dans ce long intervalle; par la nécessité où il s’est vu d’exercer trop souvent un pouvoir de discipline rigoureux, que les jeunes avocats, et en particulier les stagiaires, ne savent pas bien les devoirs de la profession.

En 1841, il a chargé une nouvelle commission «d’examiner s’il n’est pas opportun de prendre enfin des mesures, pour transmettre aux avocats du stage les instructions qui leur manquent.»

Il paraît que la commission dont le rapport n’a pas été fait, a pensé qu’il convient de diviser les stagiaires en colonnes ou sections, et de placer à la tête de chacune d’elles deux membres du Conseil, qui devront spécialement, selon le vœu des règlements, surveiller la conduite des stagiaires compris dans leur colonne, et leur apprendre nos règles. Cette division des stagiaires par sections ou colonnes ne rappellera, en aucune façon, le système vicieux qui s’appliquait à la formation du tableau, et que l’ordonnance du 27 août 1830 a rapporté Dès à présent, j’approuve le projet de la commission, et je crois qu’il produira de précieux résultats; mais ce ne sera point assez. Pour atteindre complètement le but que le Conseil se propose, il ne suffit pas de donner aux jeunes avocats des instructions verbales et fugitives, si précises et si éloquentes qu’elles soient, il faut leur communiquer un enseignement écrit, dont ils puissent faire l’objet toujours présent de leurs méditations, le modèle toujours actif de leur conduite.

Nommé archiviste, presque sans fonctions , j’ai pensé qu’il était possible de rendre mon titre plus utile, en exécutant le travail qui a été demandé aux deux premières commissions et que le résultat de la dernière ne remplirait pas entièrement. D’autres motifs m’ont déterminé.

L’exécution d’un travail aussi important m’a paru réclamer, avant tout, l’unité de vues sans laquelle il n’est pas permis de donner à des principes didactiques l’ordre et la liaison qui en constituent la force. Il s’agissait, ce qui est difficile dans une collaboration commune, de compulser, avec une exactitude minutieuse, les livres anciens et nouveaux, les recueils de lois et de jurisprudence, les procès-verbaux et les arrêtés du Conseil (qui embrassent les trente années révolues depuis 1810 ), en analysant tous ces matériaux, en les coordonnant eutre eux, en les expliquant au besoin, de manière à former du tout un enseignement positif, concis, complet. Je me suis encore décidé par l’urgence qui résulte des circonstances: il importe de prévenir un relâchement funeste, en ramenant les jeunes avocats à la pratique sévère des devoirs de la profession.

Il serait inutile de leur indiquer les études graves et multipliées auxquelles ils doivent se livrer, pour exercer avec succès une profession aussi ardue que la nôtre. Je n’aurais ni la science ni l’habileté nécessaires. Sans parler des grands ouvrages de l’antiquité , cet enseignement leur est offert par d’excellents écrits qu’un de nos orateurs les plus éminents a rassemblés et enrichis de son propre fonds . Ce n’est pas, d’ailleurs, le point le plus essentiel à fortifier dans l’éducation des jeunes avocats. Si la jeunesse, cédant à l’entraînement naturel de son âge, est en général légère et inappliquée , on peut dire avec vérité que le zèle ne lui manque point au Palais; ceux qui se destinent sérieusement à la profession, sentent la nécessité des efforts à faire; ils se livrent aux études sérieuses; ils s’exercent à l’art de la parole: la conférence des samedis le prouve souvent avec éclat.

Je ne dois pas non plus essayer d’écrire l’histoire de l’Ordre, pendant la période des trente dernières années. Cette histoire aurait un puissant intérêt, mais, pour être complète, elle devrait se lier à une époque antérieure, à des événements politiques et à des faits personnels qui s’éloignent de mon sujet; elle ne trouvera ici que des matériaux curieux.

Ce que je me propose d’exposer à mes jeunes confrères, ce sont les usages, les mœurs, les obligations et les droits de l’avocat, car l’exposition de nos Règles et de nos Précédents renferme tout cela. S’il n’est pas réserve à tous les membres du barreau de parvenir au premier rang, il est exigé de tous qu’ils possèdent et mettent en œuvre ces notions essentielles, dès le début de leur carrière. L’honneur de l’Ordre est attaché à une telle condition, l’honneur de l’Ordre est solidaire entre tous ses membres.

Pour présenter mon travail avec méthode, voici le plan que j’ai adopté :

En première ligne, je tracerai les Règles proprement dites, qu’on ne trouve pas, à beaucoup près, dans les lois et règlements. Je ne m’étudierai point à revêtir ces propositions d’une forme brillante; il me suffit, je crois, de les exposer avec précision, avec simplicité, avec calme: priùs est docere.

Ensuite, je rapporterai, à l’appui des règles:

1°. Les Lois et Règlements qui sont trop peu connus, et que j’expliquerai par des faits, par des observations;

2°. Les Précédents du Conseil de notre ordre, c’est-à-dire l’application des Règles, des Lois et Règlements ; je me permettrai d’accompagner aussi ces décisions des remarques dont elles me paraîtront susceptibles.

Partout, je chercherai à éclairer le présent par le passé, en rattachant d’une manière sommaire les faits historiques à l’état actuel des choses. «Outre le corps même du droit, dit

«le chancelier Bacon, on se trouvera bien de

«reviser ses antiquités. Si elles ont perdu leur

«autorité, il leur reste encore le respect des

«peuples.»

Je viens de dire que les lois et règlements ne suffiraient point pour donner la connaissance entière des règles de la profession. En effet, le plus grand nombre de ces règles, qui ont pour nous force de lois, d’après une disposition générale et formelle du dernier règlement , n’existent que dans les faits anciens, dans les traditions, dans les souvenirs, dans la conscience. C’est une belle et noble institution, il faut le reconnaître, que celle qui puise à de telles sources son principe et sa vie! Dans ce monde où le temps dévore tout, les peuples, les gouvernements, les cités, l’honneur est la seule chose qui ne périt pas. Si notre profession a pu conserver ses antiques statuts, à travers les siècles et les ruines, c’est que l’honneur en est l’âme.

Il est certain, pourtant, que les règles du barreau ont subi, à di verses époques, les modifications que l’état de la civilisation a dû produire chez les divers peuples, parce qu’il est dans la nature et le besoin de toutes les institutions humaines de s’harmoniser avec les mœurs publiques, mais, à quelques nuances près, les grands principes du barreau sont demeurés les mêmes; et c’est pour cela qu’après tant d’années de révolutions, nous les retrouverons aujourd’hui plus purs, plus puissants que jamais.

Les annales judiciaires embrassent trois périodes capitales dont il m’importe de saisir le caractère, pour en faire la base de mon travail: les conséquences sortiront d’elles-mêmes.

A la première époque, appartient l’ancienne Grèce. Je ne parle pas des temps presque fabuleux où se placent les Chaldéens, les Perses, les Égyptiens. On ne saurait douter que ces nations, dont les sages et les philosophes furent célèbres par leurs lumières, eurent aussi leur justice, et par conséquent, sous une dénomination quelconque, leur barreau qui est inséparable de toute justice. Mais alors le talent de la parole n’était point un art régulier, il découlait d’une éloquence naturelle et instinctive: aussi l’histoire ne décerne-t-elle point le titre d’orateurs à ceux qui se vouaient, dans ces temps, à la défense de leurs concitoyens. Athènes fut la première école du barreau, comme elle fut la première école des beaux-arts et des sciences morales. C’est là que, dans le même berceau, à côté des artistes modèles, des savants illustres, des guerriers fameux, des grands hommes d’État, se formèrent les orateurs sublimes: les Isocrate, les Lysias, les Eschine, les Démosthènes, les Périclès. En dictant les lois immortelles qui élevèrent sa patrie à un si haut degré de gloire, Solon ne manqua pas de prescrire des règles pour la discipline du barreau; et ces règles, on le comprend sans peine, furent à la hauteur de la législation et des magistrats chargés de l’appliquer. Chez un peuple de demi-dieux, toutes les institutions devaient être empreintes de leur grandeur.

D’ailleurs, les fonctions de l’orateur ne consistaient pas seulement à défendre la fortune, l’honneur, la vie des citoyens; elles l’appelaient, par la nature même du gouvernement, à traiter, au tribunal ou dans l’aréopage, toutes les questions de la politique et les intérêts les plus graves du pays.

Je citerai ces lois sur la discipline grecque, je les citerai d’autant plus volontiers que, de tous les peuples de l’antiquité, les Athéniens sont ceux dont le caractère ressemble le plus à notre caractère national. Je me borne à dire ici, qu’avant tout, l’orateur grec devait être d’une condition libre, la loi proclamant par là, tout à la fois, l’indépendance et la dignité de la profession. Une autre loi plus sévère en excluait, comme infâmes, ceux qui avaient manqué de respect pour leurs parents, ceux qui avaient refusé de se charger de la défense de la patrie ou de quelque fonction publique, ceux qui faisaient un commerce scandaleux ou contraire à la pudeur, ceux qui avaient notoirement des mœurs dissolues, etc. Une dernière, qui à elle seule aurait renfermé toutes les autres, appliquait au ministère une forme presque religieuse, elle considérait l’enceinte du barreau et de l’aréopage comme un lieu saint, et ordonnait qu’avant l’audience on y répandît une eau lustrale, pour avertir les juges et les orateurs qu’il ne devait y entrer rien que de pur .

A Rome, la profession ne fut ni moins brillante, ni moins honorée, ni moins austère, bien qu’elle y ait éprouvé des vicissitudes diverses. Chacun sait que cette maîtresse du monde eut la sagesse de calquer ses lois sur celles des Grecs. Pourtant, on commença par faire, de la défense des citoyens, l’objet d’une institution particulière au peuple romain les patrons s’en trouvèrent exclusivement chargés. Le patronage que le premier de ses rois, Romulus, avait fondé dans des vues aristocratiques, établissait, ainsi que je l’indiquerai plus loin, entre le patron et les clients, des rapports et des obligations bien autrement absolus que ceux qui existèrent depuis, même à Rome, entre l’avocat et ses clients. Les patrons ne pouvaient être pris que dans la classe des patriciens; c’était donc une sorte de dignité officielle, où le talent n’avait pas toujours la grande part. Plus tard, on donna aux patrons le titre d’orateurs, que l’éloquence des hommes éminents sut acquérir et justifier. Les lois s’étant multipliées, l’ancien droit ayant été abrogé par le droit prétorien, la science du barreau se compliqua, devint difficile, et exigea des études spéciales. On vit alors le barreau entrer dans une voie plus large et plus digne. Les orateurs se distinguèrent des anciens patrons, et furent à la fois d’habiles jurisconsultes. Les plébéiens, chez qui l’ardeur du travail ne tarda pas à suppléer la naissance, furent admis à parcourir une carrière que la prospérité toujours croissante du pays avait immensément agrandie; et dans les beaux temps de la république, le barreau ouvrit, comme jadis en Grèce, un vaste théâtre à l’éloquence. Là encore, la discussion des affaires criminelles, des affaires politiques, des intérêts nationaux, tomba dans le patrimoine des orateurs jurisconsultes; le barreau fut le premier degré pour monter aux premières dignités de la république. On n’offrit pas d’autre rémunération à leurs services. Hortensius, Caton, et Cicéron, le Démosthènes de Rome, brillèrent de toute leur gloire. Pompée et César préludèrent par le barreau à leur illustration militaire.

Sous les empereurs, la profession subit quelques modifications par suite du changement survenu dans la forme du gouvernement. Jaloux de leur pouvoir suprême, ils virent, avec ombrage, avec inquiétude, une profession toute libérale qui distribuait presque à son gré les fonctions publiques. Ils voulurent, sinon l’abaisser, du moins l’affaiblir, en la divisant, en créant à côté des orateurs une classe d’hommes versés dans les mêmes études, mais dont la mission, moins éclatante, se bornerait à l’interprétation des lois, sous la qualification de prudentes ou consultants. Le barreau romain n’en conserva pas moins de fait son unité, sa splendeur; les orateurs et les jurisconsultes restèrent unis dans leurs principes et dans leurs succès, ils rivalisèrent les uns et les autres en mérite, en conscience, en dévouement. Les jurisconsultes consacrèrent aussi leurs lumières à la défense des citoyens; ils occupèrent les hautes places de la magistrature; c’est à eux que nous devons ce corps admirable de droit qui forme la base indispensable des législations modernes et qui vivra éternellement pour la postérité ; c’est de leurs rangs que sortit le célèbre Papinien qui à la gloire du jurisconsulte ajouta celle du martyr, en préférant la mort à la honte de défendre le crime d’un empereur.

Enfin, au temps du bas-empire, on adopta un système spécial d’organisation. Tous ceux qui se livraient à la profession du barreau, reçurent le titre d’avocats, advocati, sans distinction entre les orateurs et les jurisconsultes; on en forma une sorte de milice ou plutôt de collège, que l’empereur Justin décora du nom d’ordre. Leur indépendance fut atteinte par l’effet inévitable de la décadence universelle; mais leurs règles furent respectées, leur considération maintenue. On en trouve une preuve non équivoque dans la loi au code de Adv. div. jur., où les empereurs Léon et Anthémius s’expriment ainsi: «Les

«avocats, en s’appliquant, pour l’intérêt du

«public et des particuliers, à démêler d’épineuses

«difficultés, ne prêtent pas au genre

«humain des secours moins importants que

«s’ils exposaient leur vie dans des combats

«pour le salut de la patrie et de leurs familles.

«Ils soulagent, ils encouragent de pauvres

«clients fatigués, et pour ainsi dire harassés

«par de longues vexations. Ils relèvent ceux

«qui étaient comme abattus et accablés, qui

«gémissaient et languissaient sous l’oppression.

«Ils soutiennent par la force de leur

«éloquence ceux qui succombaient sous les

«artifices de la chicane et de la calomnie. On

«ne fait pas la guerre, on ne combat pas seulement

«dans notre empire avec l’épée, le

«bouclier et la cuirasse; les avocats combattent

«aussi avec le merveilleux talent de la

«parole, et cette noble assurance qui ranime

«souvent des espérances presque perdues,

«qui défend les biens, la vie, l’honneur

«plus précieux encore que tout le reste, et

«dont la perte rejaillirait sur la postérité la

«plus reculée .»

En résultat, les règles du barreau romain furent-elles moins rigoureuses que celles observées en Grèce? Ce serait une grave erreur que de le penser. Lorsque je rappellerai les traditions de cette deuxième époque, j’aurai soin de signaler une exception qui a quelque importance .

Vient en dernier lieu, dans l’ordre des dates, l’ancien barreau français, et c’est lui qui, naturellement, doit fournir à mon travail ses éléments essentiels, puisqu’il se rattache, par une série non interrompue de six siècles, au moment actuel, qu’il s’est formé au milieu des mœurs nationales, qu’il y a puisé son type, son originalité.

Si son berceau qui se perd dans les ténèbres de notre vieille monarchie fut d’abord étranger aux traditions grecques et romaines; si, à l’instar de toutes les autres institutions, il ne s’est régularisé qu’avec lenteur, avec difficulté, il a fini, en s’éclairant avec le temps, en profitant du trésor découvert sous les ruines d’Amalfi, par se dépouiller de l’empreinte de la Barbarie , par triompher des obstacles, et devenir une sorte de puissance dans l’État. Formant entre eux une association volontaire et libre, les avocats commencèrent par lui restituer l’honorable dénomination que Justin avait donnée aux derniers avocats de l’empire romain, et cette agrégation, dégagée des entraves que ceux-ci avaient été contraints d’accepter, fut reconnue et consacrée légalement sans lettres patentes, par la seule vertu de ses précédents anciens, de ses talents, de ses services. Attaché à l’existence des cours suprêmes de justice, par affection autant que par devoir, l’ordre des avocats sut faire tourner ces précieux rapports au profit des parties et de la justice. Si la constitution d’un gouvernement absolu avait rétréci le cercle de leurs travaux, les avocats trouvèrent maintes fois l’occasion, et ils la saisirent toujours avec empressement, de défendre les droits de la couronne et du pays . La religion qu’on voulut exploiter au profit d’intérêts matériels, eut elle-même à soutenir des attaques violentes, et les avocats devinrent ses plus ardents défenseurs . D’aussi nobles dévouements furent-ils l’acte isolé de quelques hommes privilégiés, de quelques âmes généreuses qui apparurent, à de longues distances, au milieu d’une foule indifférente ou vulgaire? Non, ils furent l’œuvre de l’institution, de sentiments unanimes, de principes élevés, qui s’étaient formés par les beaux exemples. L’histoire de notre ancien barreau, en proclamant tous ces faits, constate la gloire qui en résulta pour lui . Ce que je me plais à y voir et à recueillir, dans l’intérêt de mon sujet, ce sont les traits de caractère les plus saillants au point de vue de la philosophie et du précepte; désintéressement, probité et candeur, unis à l’éloquence, au savoir et au courage: voilà les qualités précieuses qui recommandent l’ancien barreau à notre admiration, voilà quel était le principe des règles qu’il suivait dans sa discipline, des règles que chaque membre de l’Ordre suivait dans sa conduite. Et ce sont nos dernières traditions, car elles existaient encore, lorsque la Révolution, faisant table rase, est venue anéantir l’Ordre en 1790.

Je reconnais, tout le premier, que cet événement immense a exercé sur nos mœurs judiciaires une influence considérable. En changeant la face de la France, en abolissant presque toutes les institutions, et avec elles l’Ordre des avocats, on n’a pas pu recréer l’état social sans apporter des modifications graves sur l’existence d’une profession qui le touche de si près. Heureusement, ces modifications tiennent plus à la constitution organique de l’Ordre qu’à ses règles pratiques. D’un autre coté, vingt années avaient passé pendant ou après la tourmente révolutionnaire, lorsque la profession fut reconstituée en 1810. De nouvelles habitudes, s’établissant dans ce long intervalle, ont pénétré au barreau, malgré le zèle des anciens avocats qui, après avoir survécu à l’orage, se sont glorieusement efforcés d’en sauver les débris. Depuis, ces changements de mœurs ont fait des progrès par la force des choses, bien que, de toutes les institutions successivement détruites et recomposées, la nôtre soit celle qui ait éprouvé le moins d’innovations. De là , des considérations, des nuances, des tempéraments que je devrai apprécier,

Sous un autre rapport, la profession a pris, dans les lois et les idées nouvelles, une extension remarquable. Avec la publicité des débats qui est la seule garantie de la liberté des personnes, les affaires criminelles, dont la plaidoirie était interdite au barreau par l’ancienne législation française, nous ont été rendues. Avec la liberté de la presse, qui est le principe fondamental des gouvernements constitutionnels, les tribunaux sont appelés à juger toutes les questions de l’ordre social et politique. Comme à Athènes, comme à Rome, cette double carrière, si favorable au développement de l’éloquence, nous est ouverte, et de plus, favorisant l’essor du commerce et de l’industrie, l’économie politique, la science des temps modernes, a donné aux affaires civiles elles-mêmes une plus grande importance. Que résulte-t-il de cet état de choses? Est-ce à dire que la profession soit autre? Non sans doute, elle ne gagnerait rien à changer. Si ses attributions ont grandi, ses règles sont restées les mêmes, ou plutôt, les obligations de l’avocat se sont accrues avec ses droits.

On voit, par l’ancienneté de la profession, par ses vicissitudes diverses, par l’importance de ses attributions nouvelles, combien est vaste la tâche que je me suis imposée; quelle exactitude, quelle circonspection il m’est prescrit d’apporter dans l’exposition de ces Règles qui, ainsi que toutes les traditions, ne sont écrites textuellement nulle part, n’ont rien de précis, et pourtant ne souffrent guère de déviation dans la pratique.

Aussi, en acceptant une telle mission, j’ai voulu la prendre sous ma responsabilité personnelle. Si j’invoque à mon appui, sur un grand nombre de points, les précédents du Conseil de l’Ordre, je n’entends point engager sa jurisprudence. Je me réserve d’expliquer l’esprit et la portée de ses arrêtés. Cependant, je n’ai pas la prétention de croire que mes opinions soient infaillibles, je les offre comme le résultat de sérieuses réflexions et de vingt-cinq ans d’expérience: le lecteur jugera. Il a dû voir, par ce qui précède, à quelles sources et d’après quels éléments mes opinions se sont inspirées. Il me suffit d’ajouter qu’une considération a été dominante pour moi. Je conviens bien volontiers qu’au temps où nous vivons, il serait inopportun de rattacher à notre profession des préjugés surannés ou des vanités devenues puériles. J’accorde que l’exagération et la sévérité poussées trop loin, dans l’observation des règles, aboutiraient à une rigueur étroite; qu’après une agitation violente qui a déplacé les habitudes, il faut savoir, pour un moment du moins, transiger sur quelques imperfections; mais, je le déclare avec la même franchise, je suis de ceux qui ont pour cette profession un amour ardent, un véritable culte; je la tiens pour l’une des plus considérables que le citoyen d’une grande nation puisse exercer, et, sans être exclusif, mon jugement a sa base unique dans l’austérité de nos règles, qui sont toutes fondées sur le désintéressement, la délicatesse, l’honneur, le libre arbitre; c’est aussi pourquoi je veux que la profession reste constamment honorable, qu’elle soit ramenée à sa pureté primitive, que tout avocat en observe les statuts anciens avec un soin religieux.

Pour qui accepte le ministère dans toutes ses conséquences, que l’entrée lui en soit ouverte, qu’il en partage les travaux, les chances, les avantages; pour celui qui n’y rechercherait qu’un moyen honteux de spéculation ou de fraude, le Conseil de l’Ordre doit être inflexible. Il comprendra qu’en faisant la part de l’indulgence et du temps, il est une limite infranchissable. Ce n’est pas rétrograder que de maintenir ce qui est bon, quoique ancien. Ici, je ne crains pas de le dire, le progrès qui innove serait le plus souvent une destruction. Sous le manteau d’un titre usurpé, il ne se commet, au sein de l’Ordre, que trop d’abus qui échappent à sa surveillance et le compromettent. En usant d’une sévérité ferme et éclairée, en ayant égard aux faits, sans altérer les principes, le Conseil protestera du moins à tous les instants, et sa prudence fera toujours notre salut.

Que si, contre mon attente, quelques-unes de mes propositions pouvaient être désapprouvées, mes confrères me rendront la justice de penser que je n’ai entendu blesser personne. Ce que je veux, encore une fois, c’est être utile aux jeunes avocats, et je n’excepte pas ceux des autres barreaux de France qui professent nos principes: admonere voluimus, non mordere; prodesse, non lœdere . Puissé-je atteindre ce but, qui serait si précieux pour moi! Puissé-je, en les aidant tous à étudier les règles de notre belle profession, leur en inspirer l’amour: «Aimez

«votre profession, si vous voulez y réussir,

«c’est le conseil d’un maître. » J’ajouterai:

«Si vous voulez jouir de vos succès.»

Le dirai-je enfin? j’ai osé former d’autres vœux, dans l’intérêt général de l’Ordre.

En rappelant ses règles et la nécessité de les observer, j’ai conçu l’espoir que je pourrais contribuer, pour ma faible part, à entretenir et même à raviver au besoin, parmi nous, cette confraternité, cet esprit de corps qui, de tout temps, ont fait le charme et la force du barreau. Par la nature de leurs travaux, par la communion constante de leurs rapports, les avocats sont, en effet, destinés à vivre dans un état d’harmonie et de bons offices mutuels. Ils doivent savoir que, quel que soit le mérite personnel de chacun, ils ont tous ensemble plus de valeur par leur cohésion; celui qui brille au milieu de ses confrères, n’ignore pas lui-même qu’il s’honore surtout en leur communiquant son éclat.

C’est aussi par ce parfait accord dans nos principes et dans nos actions, que nous maintiendrons nos droits à l’estime et aux égards de la magistrature. Pour être toujours respectueux envers elle, nos rapports ne perdent rien de leur indépendance, et l’administration de la justice y gagne. Je conçois que le talent saura, par lui seul, se concilier la considération et la faveur des magistrats; mais je ne m’occupe pas ici des individus, je parle de notre institution; ce que je veux obtenir, ce sont les mêmes procédés pour elle, pour le corps, pour tout homme qui porte la robe d’avocat et est digne de la porter.

On verra, d’un autre côté, par le texte des derniers règlements si péniblement obtenus de l’autorité, que l’ordre n’a point encore recouvré l’entière indépendance dont il jouissait avant 1790, malgré les demandes persévérantes du Conseil. Si l’ordonnance du 20 novembre 1822 a amélioré le système du décret du 14 décembre 1810 sous quelques rapports, elle l’avait aggravé sous plusieurs autres. L’ordonnance du 27 août 1830 a réparé le mal en partie; mais il nous reste à revendiquer la plus précieuse des anciennes prérogatives de l’Ordre, notre police intérieure et exclusive. C’est ce que le Conseil a déjà fait en 1835, et il a proposé au Gouvernement un projet de règlement définitif qui réaliserait cette mesure tutélaire. Je me suis flatté de l’espérance que mon travail pourrait hâter une solution favorable, en offrant des garanties dans l’exposé fidèle et rassurant de nos principes qui n’ont pas varié. Je comprends difficilement, je l’avoue, les obstacles que l’on n’a pas cessé d’opposer à nos réclamations. Qu’on ne croie pas que les avocats, impatients de s’affranchir de tout frein, élèvent une prétention contraire à l’ordre public établi. Ce qu’ils persistent à demander est tout simple; ils veulent être jugés par leurs pairs, sans l’initiative du ministère public pour tous les actes intérieurs de la profession seulement. Le nouveau régime a donné aux autres institutions une liberté qu’elles n’avaient pas sous la monarchie absolue; les avocats ne font que réclamer la même liberté, et ils la réclament à un titre de plus, parce qu’ils en jouissaient alors. Je reviendrai sur cette grave question.

Il n’est pas inutile non plus que le public, qui veut nous juger, apprenne à nous connaître, à cette époque où l’on semble peser tous les hommes dans une balance. Je me soucie peu de ces esprits légers, envieux, toujours disposés à tourner en ridicule, dans le monde ou ailleurs , ceux qui leur portent ombrage et qu’ils n’ont pas la force de combattre. Je m’adresse à quelques hommes sérieux, et j’en ai vu, qui prétendent que la profession a perdu de sa valeur. Je n’entrerai point avec ceux-ci dans une discussion où l’amour-propre semblerait jouer le premier rôle. J’ai déjà dit que, loin d’avoir été diminué, le domaine actuel de l’avocat s’est enrichi de toutes les affaires criminelles et politiques, carrière si riche pour l’éloquence, si favorable à l’influence du talent . Quand j’aurai présenté, avec vérité, sans réticence, le tableau de tous les devoirs de l’avocat, je leur demanderai s’il est, encore aujourd’hui, une profession qui impose plus de renoncements et de sacrifices, qui exige plus de travaux et de savoir, qui commande plus de désintéressement, de courage, d’honneur, d’indépendance, qui soit plus utile à la société, et j’attendrai la réponse pour signer notre déchéance.

On suppose que l’ancien Ordre empruntait son principal lustre de ses alliances avec les Parlements, cette altière puissance qui servit souvent et qui fit, plus d’une fois, trembler la monarchie. L’histoire du barreau dément une telle supposition par des faits non équivoques. Si le barreau a reçu du Parlement les témoignages les plus flatteurs de considération et de bienveillance, il les a mérités par ses talents autant que par ses respects; s’il l’a honoré dans sa mauvaise fortune comme aux jours de sa puissance, il a su parfois lui résister avec énergie ; et je pourrais ajouter, sans irrévérence, que la chute des Parlements n’a pas rehaussé l’éclat de la magistrature moderne. Le temps des illusions aristocratiques est passé. De nos jours, il faut bien qu’on le confesse, toutes les dignités sociales sont abaissées; seule, la dignité des personnes est restée intacte; or, c’est celle-ci que je revendique pour les avocats, parce qu’ils l’achètent, comme autrefois, à des conditions rigoureuses et qui ne se rencontrent dans aucune autre position sociale .

L’histoire de l’ancien barreau se lie sans contredit aux faits les plus considérables de la vieille monarchie. Je me plais à répéter qu’on l’a vu tour à tour lutter, et contre les factions diverses, et contre la puissance ultramontaine , mais, de bonne foi, ne sait-on pas que, depuis cinquante ans, il n’a pas rendu de moins grands services aux libertés, à l’ordre, à la paix publics , et qu’il n’a pas cessé d’occuper une large place dans les affaires du pays? La seule différence, c’est que, si autrefois de pareils titres n’ajoutaient rien à la gloire des avocats, personne ne songeait du moins à les leur contester.

Ne parlons donc pas de la noblesse de notre profession, laissons de côté toute vanterie maladroite et déplacée, mais ayons le sentiment profond de nos devoirs, et en les pratiquant avec ferveur nous obligerons les autres à nous rendre une justice que notre conscience nous accordera la première. Qu’en un mot, l’avocat puisse toujours, avec un honorable orgueil, dire de sa profession, si magnifique par l’imagination et par le cœur, ce que l’orateur romain dit des lettres, en défendant le poëte d’Héraclée: «Elle nourrit notre jeunesse,

«elle charme nos vieux ans, elle embellit

«notre bonheur, elle nous sert dans

«l’adversité.»

Règles sur la profession d'avocat explicatives

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