Читать книгу Le Comte de Foix - Frédéric 1800-1847 Soulié - Страница 4

II

Оглавление

Durant une soirée du mois de mai 1217, où le Llers était grossi par les neiges, que les premières chaleurs avaient fait fondre sur les montagnes, un bruit de cor appela du côté du bourg le bac que Robin et Gauthier, les deux fils du gardien du passage, venaient d’amarrer solidement au pied de la tour ; ne pensant pas qu’à pareille heure personne osât s’exposer à passer le torrent, les deux fils et le père étaient allés à un rendez-vous qui leur avait été assigné le matin même, et la garde de la tour avait été confiée à Guillelmète.

Celle-ci entendit le bruit du cor ; elle se mit à une des hautes fenêtres de la tour, et, ayant sans doute reconnu à l’appel celui qui l’avait fait, elle cria de manière à être entendue de l’autre côté du Llers :

— Il est trop tard, sir Guy de Lévis, vous ne passerez point ce soir, car je suis seule dans la tour.

— Eh ! ma mie, lui dit celui à qui elle s’adressait, et qu’on apercevait à travers le crépuscule de l’autre côté de la rive, je t’ai vu conduire le bac de ce côté par de plus grandes eaux que celles qui nous séparent ; et, si tu ne veux pas que je passe, c’est pure mauvaise volonté de ta part.

— Ce n’est point mauvaise volonté, c’est l’ordre de mon père et de mes frères qui m’empêche de vous servir.

— Tu es bien obéissante aujourd’hui, Guillelmète ; dis-moi donc si c’est par ordre de ton père et de tes frères que tu vas le soir te promener dans les oseraies de la rive avec le Maure Ben-Oued.

— C’est un mensonge, dit Guillelmète ; je suis une fille chrétienne, et je suis ne point faite pour aimer un homme qui est de la couleur de Satan, dont il est sans doute un des suppôts.

— Bah ! bah ! fit Guy de Lévis, il n’est peut-être pas si noir qu’il est diable ; car il m’a semblé qu’un jour, après avoir lutté avec un de mes bons Bourguignons, la sueur qui coulait de son front emportait une bonne partie de sa noirceur, et je ne suis pas bien sûr de ne pas avoir vu un jour quelque peu de son teint de pain d’épice demeurer sur tes lèvres roses.

— Vous êtes toujours le même, sire Guy ; vous êtes tellement préoccupé d’amour pour la demoiselle de notre château, que vous voyez tout le monde amoureux.

— Et cela, reprit Guy, malgré la couleur sous laquelle se cache celui dont je te dirai le vrai nom, au risque que le vent l’emporte jusqu’au château, si tu ne viens pas chercher moi et ma suite.

— Vous seul, dit Guillelmète, et tout au plus un page et un écuyer avec vous.

— Va, va, dit Guy, la suite que j’amène n’est point de celles qui font peur aux jeunes filles, et peut-être trouveras-tu dans les bagages qui m’accompagnent telles choses qui te rendront plus gracieuse.

Le sire Guy de Lévis, celui qu’on appelait le maréchal de la Foi, était aussi renommé par sa libéralité que par sa bravoure ; et, soit qu’elle fût séduite par l’espoir de quelque riche présent, soit qu’elle craignît de voir divulguer le secret dont lui avait parlé le vaillant croisé de l’armée de Simon de Montfort, Guillelmète descendit de la tour, détacha le bac, et fut bientôt de l’autre côté de la rivière.

À peine la barque avait-elle tourné le bord, que le sieur Guy de Lévis s’élança près de Guillelmète et dit à un écuyer :

— Maintenant fais entrer ici les mulets et les marchands.

Un coup de croc vigoureusement donné par Guillelmète éloigna la barque du rivage, et elle lui dit :

— Non, messire, tous ces hommes n’entreront pas ; ce n’est point en si nombreuse compagnie que vous avez coutume de venir faire vos visites ; et nous, pauvres Provençaux, nous sommes trop habitués aux trahisons des Français pour que je consente à recevoir tous ces hommes et tous ces chevaux dans le bac.

— Hé ! Roland ! s’écria le sire de Lévis à un écuyer qui se tenait sur le rivage, jette dans la barque un des ballots qui chargent nos roussins, et que Guillelmète s’imagine cacher des armes dangereuses.

Roland exécuta ce que lui avait dit son maître, et Guy de Lévis, défaisant lui-même ce ballot avec la pointe de son poignard, lui montra qu’il était rempli de gants cousus d’or, d’écharpes de soie, d’étoffes de pourpre et de santal.

Pendant que la jeune fille, courbée sur le ballot, considérait attentivement ces ajustements splendides, Guy leva un moment le poignard sur elle comme s’il allait l’en frapper ; mais il s’arrêta au moment où elle se relevait, tenant une écharpe vermeille, en disant d’un ton dont la tristesse contrastait avec le plaisir qu’elle semblait éprouver à contempler ces parures :

— Oui, oui, ce sont là des armes dangereuses avec lesquelles vous avez obtenu dans ce château un accès que ne vous eussent jamais donné tous vos hommes d’armes et toutes vos machines de guerre ; oui, ce sera pour la comtesse Signis et pour sa fille Ermessinde des armes plus dangereuses que ne l’eussent été pour le vieux sire de Terride vos heaumes de Pavie et vos velours d’Utrecht.

Guy considéra un moment la jeune fille, et, lui prenant l’écharpe des mains, il lui dit avec un sourire flatteur :

— Ce n’est point lorsque nous les portons que ces armes sont dangereuses, c’est lorsqu’elles sont au cou d’une jeune fille aux yeux noirs et flamboyants comme les tiens.

En lui disant cela, il lui passa et lui noua l’écharpe autour du cou, tandis que Guillelmète répondait d’un air embarrassé, mais ravi :

— De pareilles parures ne sont pas faites pour une fille comme moi.

— Je prétends que tu la gardes, lui dit Guy de Lévis, en retenant les mains de la jeune fille, qui feignait de vouloir détacher l’écharpe.

Et tout aussitôt le chevalier, en saisissant les deux bouts, les tira violemment et serra le nœud autour du cou de la pauvre fille avec tant de rapidité, qu’elle ne put laisser échapper qu’un cri étouffé, et qu’au moment où elle portait les mains à son cou pour se débarrasser de cet horrible lien, Guy la précipita dans le torrent.

— Hâtons-nous maintenant, dit le chevalier aux hommes qui l’attendaient sur la rive, le passage est à nous.

Pendant que les mulets et les hommes entraient dans le bac, celui qu’on avait appelé Roland dit au sire de Lévis :

— En vérité, quand je vous ai vu lever le poignard sur cette jeune fille, j’ai craint que vous ne manquassiez au serment que vous avez fait à l’abbé de Saint-Maurice, de ne point répandre de sang pour entrer dans le château.

— Le saint légat Pierre de Bénévent m’eût absout de ce péché, si j’avais été forcé de le commettre, dit le chevalier ; mais un coup de poignard n’eût peut-être pas étouffé le cri d’alarme qu’eût pu jeter cette fille avant de mourir, et qui eût averti les archers de la poterne ; et, en agissant ainsi, j’ai assuré le succès de mon entreprise, et j’ai tenu ma parole.

— Dieu soit loué ! dit Roland en se signant, Dieu soit loué, qui vous a inspiré ce salutaire stratagème ; cela prouve qu’il protège toujours les efforts de ceux qui se sont dévoués à servir sa cause.

Ces paroles appelèrent un nuage de tristesse sur le front du chevalier, qui ne répondit point à son écuyer, mais qui sembla peu persuadé de la vérité de ses réflexions. Un moment après, ils touchèrent à l’autre rive du Llers, et, grâce à deux voyages rapidement faits, il y eut bientôt au pied du château une vingtaine de chevaux et autant d’hommes, qui commencèrent à gravir lentement le sentier étroit et difficile qui conduisait du chemin public à la poterne de l’enceinte extérieure de Terride.

Le Comte de Foix

Подняться наверх