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V

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Au nom d’Othon, le vieux sire de Terride s’était relevé ; et ayant ramassé son épée, il se rangea à côté de son fils, comme si sa présence lui eût rendu la force avec l’espoir.

En même temps, le beau jeune homme, dont tout ce qui s’était passé jusqu’à l’intervention du pèlerin n’avait pas un moment détourné l’attention du manuscrit qu’il lisait, ce beau jeune homme, dis-je, vint se placer brusquement à côté du sire Guy de Lévis, et tira son épée sans prononcer une parole.

La comtesse Signis pâlit et tomba sur son siège, tandis qu’Ermessinde, à genoux devant elle, et la tête cachée dans son giron, s’écriait d’une voix lamentable :

— Oh ! ma mère, ma mère, nous sommes perdues !

Au même instant, Guy, arrêtant le jeune homme qui s’était placé près de lui et qui semblait prêt à commencer l’attaque, lui dit d’une voix que n’avait point émue le danger qu’il courait :

— Laisse, enfant, ce n’est point à de nobles épées de chevaliers à se salir du sang de manants et d’imposteurs. Je te reconnais maintenant, maître pèlerin ; je t’ai vu à Rome ; mais là tu ne portais ni épée, ni cotte de mailles ; tu n’y portais pas même le bourdon ; tu portais l’habit de marchand et la valise sur le dos ; je t’y ai acheté la plume que je porte à mon loquet, et tu peux reconnaître aux pans de la robe d’Ermessinde la broderie que tu m’as vendue alors.

— C’est vrai, dit le pèlerin, et tu dois te souvenir sans doute aussi du jeune homme qui t’a mesuré cette broderie sur une canne de trois pans ; eh bien, ce jeune homme, il a changé la canne du marchand contre une épée double en longueur, et avec cette épée il a tenu enfermés dans le château de Beaucaire, Lambert de Limou et soixante des meilleures lances françaises.

» Ce bel apprenti marchand était le jeune comte de Toulouse, et je ne rougis point d’avoir fait le métier que mon suzerain a honoré en le partageant.

— Eh bien, dit Guy de Lévis, suzerain marchand et vassal marchand dégradés de noblesse par le concile de Latran, que venez-vous faire ici ?

— Nous venons en appeler du jugement des prêtres au jugement de Dieu, et moi je viens crier à tous ceux de ce pays le dernier mot que m’a jeté le jeune comte de Toulouse en signe d’adieu : qu’en la cour de Rome il n’y a plus ni Dieu, ni foi, ni loyauté, ni loi(1).

— Paroles insensées ! dit le sire de Lévis ; et ne vous a-t-on pas déjà assez rudement châtiés de vos rebellions, que vous vouliez tenter encore une fois la colère du comte de Montfort et celle de ses chevaliers ?

» Voulez-vous donc qu’il vous écrase jusqu’au dernier ? et veux-tu, toi, que le château de ton père soit, comme tous ceux des barons de la Languedoc, démantelé jusqu’au sol et changé en ruines ?

— J’aimerais mieux le voir en pareil état, messire Guy de Lévis, que de le savoir entre tes mains.

— Et il y serait depuis longtemps, si je n’avais ménagé ton vieux père par pitié pour sa faiblesse et par amour pour sa noble fille.

— Tu mens, sire chevalier, dit Othon, et ce château, fût-il ainsi tombé dans tes mains, tu ne t’en croirais pas encore le maître, car tu es encore plus habile politique que grand donneur de coups d’épée.

» Ne disais-tu pas ce soir même à l’abbé de Saint-Maurice :

« L’étoile de Monfort pâlit, et ceux qui n’auront en ce pays de châtellenies que par droit de conquête, courent grand risque de les perdre avant qu’il soit peu, comme Montfort perdra sa suzeraineté, malgré toutes les bulles du pape et de ses conciles. Aussi veux-je asseoir mes droits au château de Terride et au marquisat de Mirepoix, sur des titres plus certains que ceux de l’épée ; sur le mariage et l’hérédité. »

» Mais le mariage ne se fera pas, et le droit d’hérédité m’appartient ; et toi, qui avais si grande hâte de conclure ton union, pour retourner auprès de Montfort qui rappelle à lui tous ses chevaliers, pressé qu’il est de toutes parts par les Provençaux, tu n’iras point lui dire que non seulement il ne recouvrera pas Beaucaire, mais qu’à l’heure qu’il est, Toulouse lui échappe et rentre dans la possession de son vieux comte.

— C’est toi qui mens, cria Guy de Lévis que cette nouvelle troubla profondément ; Toulouse est démantelée, elle n’a plus ni murs, ni créneaux, ni palissades, ni tours ; elle n’a plus ni armes ni armures ; elle n’a plus ni soldats ni barons ; c’est un cadavre que nous avons frappé du talon, déchiré du fouet de nos chiens, et qui n’a pas remué.

— Mais le cadavre s’est relevé, dit Othon de Terride, car son âme est rentrée en lui avec le comte Raymond de Toulouse ; et sa force, avec le comte Bernard-Roger de Foix !

— Mon fils ! mon fils ! dit alors le vieux sire de Terride, raconte-moi toutes ces merveilles, pour que je ne meure pas avec le désespoir de voir notre terre en la possession des barbares, pour que j’aille porter à ceux qui ont été au ciel devant nous, que la Languedoc a enfin relevé sa bannière et sa double croix rouge.

— Mon père, vous entendrez ce récit dans quelques heures, car avec vous d’autres auditeurs doivent m’entendre, et le sire Guy de Lévis va tout à l’heure donner l’ordre à ses hommes de leur en ouvrir les portes.

— Faites, dit tout bas la comtesse Signis au sire Guy.

Un regard d’Ermessinde lui adressa la même prière, et tout aussitôt Lévis dit à son jeune compagnon d’un air tranquille :

— Va, Michel, donne à mes hommes l’ordre d’ouvrir la poterne, et je ne demande d’autre condition pour eux que de sortir libres de cette enceinte où mon imprudence les a entraînés.

— Ni toi ni eux n’en sortirez, dit Othon, mais tous vous aurez la vie sauve.

» Crédo, prends l’épée de ce chevalier et conduis-le avec deux des tiens à la salle du Paon ; elle est, si je m’en souviens, de bonne garde pour ceux qu’on y enferme. Et vous, jeune homme, ajouta-t-il en s’adressant à celui que Guy avait appelé Michel, venez sous mon escorte donner l’ordre que vous venez de recevoir. »

Michel se tourna vers le sire de Lévis qui lui dit d’obéir, tandis que les deux comtesses échangeaient des signes avec le prisonnier.

— Quant à toi qui m’as dit mon nom, maure ou chrétien, je te laisse en cette salle avec ces deux archers pour empêcher ces femmes de commettre quelque trahison en notre absence…

» Car, hélas ! je le vois, ajouta-t-il en se tournant et en voyant son père retombé sur son fauteuil, celui qui devrait commander ici n’a plus la force même de supporter une espérance.

— Je ferai ce qu’il faudra, répondit cet homme.

— Dis-moi donc qui tu es, pour que j’apprenne au comte de Toulouse, quand il en sera temps, quel fidèle serviteur ou quel fidèle allié il doit récompenser.

— Je n’ai plus de nom parmi les hommes, si même j’en ai jamais eu un. On m’a appelé Buat, on m’a appelé l’Œil-Sanglant, on m’appelle ici Ben-Ouled ; mais ceux qui savent pourquoi je vis, m’ont nommé le Couteau-de-Merci.

À ce nom, Guy de Lévis se retourna et regarda cet homme d’un air de dégoût.

Puis un sourire amer erra sur ses lèvres. Son regard chercha l’enfant qui se tenait éveillé sur les genoux d’une femme, et il sortit d’un air calme.

Une heure s’était à peine écoulée, que la poterne avait été ouverte, et que plus de dix chevaliers, suivis chacun d’un certain nombre d’hommes, avaient pénétré dans le château.

Ceux de Guy avaient été enfermés dans une des salles de la deuxième enceinte, et, les gardes nécessaires ayant été posés aux endroits convenables pour se munir contre toute surprise, les chevaliers se rendirent tous dans la salle où s’était passée la scène précédente, les nobles du côté occupé par le seigneur, et les comtesses, les suivants d’armes, écuyers et autres derrière la barricade.

On avait rallumé le feu, remplacé les cierges et bougies, et chacun ayant pris place, l’un des chevaliers se leva et dit :

— Tu t’es présenté à chacun de nous avec un parchemin à cachet portant les armes du comte de Toulouse, nous priant d’avoir foi en tes paroles.

» Tu nous as mandés ici pour cette nuit, et nous sommes venus, car s’il nous eût répugné d’obéir à l’ordre d’un suzerain qui a livré la Languedoc aux barbares, nous n’eussions pas voulu repousser l’ordre d’un père qui nous implore au nom de son fils.

— Il faut que vous sachiez, barons, quel est ce fils et ce qu’est devenu le père, et ensuite vous déciderez ce que vous voulez faire.

» Écoutez donc le récit d’un homme qui, chassé et proscrit de ce pays, n’a pu apprendre ses infortunes sans se sentir dévoré du désir de leur porter remède, quoique cette terre lui ait été plus inhospitalière qu’à vous, quoique ce suzerain ait abandonné son droit et confirmé son exhérédation.

Un silence profond s’établit, et voici quel fut le récit d’Othon de Terride.

Le Comte de Foix

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