Читать книгу Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie - Froissart Jean - Страница 10

PREMIÈRE PARTIE
DU CLASSEMENT DES DIFFÉRENTES RÉDACTIONS ET DES DIVERS MANUSCRITS DU PREMIER LIVRE
CHAPITRE III.
DE LA TROISIÈME RÉDACTION; – MANUSCRIT UNIQUE DE LA BIBLIOTHÈQUE DU VATICAN; – CARACTÈRES DISTINCTIFS DE LA TROISIÈME RÉDACTION

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La troisième rédaction n'est représentée que par un manuscrit unique conservé aujourd'hui à la bibliothèque du Vatican et qui dans nos variantes est toujours désigné sous la rubrique: Ms. de Rome.

Cette troisième rédaction ne comprend que le tiers environ du premier livre; et le récit s'arrête à la mort de Philippe de Valois en 1350. Il est vrai que la phrase tronquée: les trieuves est, qui termine le manuscrit de Rome, indique qu'il ne nous est pas parvenu dans son entier; mais trois feuillets seulement en ont été retranchés, comme le prouve la souche encore très-apparente de ces feuillets: il faut en conclure que le manuscrit de Rome n'a jamais dépassé l'étendue qu'il avait avant la mutilation des trois derniers feuillets.

On a prétendu que le manuscrit de Rome, dont l'écriture est de la première moitié du quinzième siècle, avait appartenu à Jean de Moreuil; malheureusement c'est une pure hypothèse qui ne s'appuie sur aucune preuve solide. Il n'en est pas moins vrai que ce manuscrit offre tous les caractères intrinsèques et extrinsèques d'authenticité. Un certain nombre de notes marginales, dont l'écriture semble presque aussi ancienne que celle du texte, présentent les caractères du dialecte wallon le plus prononcé108: on est ainsi fondé à croire que le manuscrit de Rome a d'abord appartenu à quelque habitant du pays où est mort Froissart.

De plus, le texte lui-même a gardé dans maint passage l'empreinte de ce dialecte wallon qui caractérise, comme nous l'avons dit, les manuscrits les meilleurs, les plus anciens, les plus authentiques des deux premiers livres des chroniques. Comme cette empreinte a généralement disparu dans les deux éditions successives données par le savant M. Kervyn, à qui revient du reste l'honneur insigne d'avoir appelé le premier l'attention sur le manuscrit de Rome, on me permettra d'appuyer par plusieurs citations une assertion aussi importante que nouvelle: le carge109, —le ost110, —le porte111, – il vinrent devant la ville de Bristo, qui est forte assés; si le assegièrent112, – la barge par ceuls meismes qui le menoient… fu ramenée113, —le propre anée114. Un autre trait caractéristique qui dénote aussi l'origine wallonne du texte de Rome, c'est la fidélité remarquable avec laquelle la distinction du cas sujet et du cas régime est souvent observée dans un manuscrit qui ne date pourtant, comme nous le verrons tout à l'heure, que des premières années du quinzième siècle. On peut citer tel passage où li abbes du nominatif latin ábbas est employé au sujet, et l'abbet ou l'abbé, formé sur l'accusatif abbátem , au régime; il n'y a dans la page et pour le mot dont il s'agit qu'une infraction à la règle, et encore elle est douteuse115.

L'examen du texte lui-même se joint aux caractères extrinsèques du manuscrit de Rome pour établir la parfaite authenticité de la troisième rédaction. Froissart s'y met plus d'une fois en scène. Lorsqu'il raconte que Jean Chandos fut fait chevalier de la main d'Édouard III à Buironfosse, le chroniqueur n'oublie pas d'ajouter qu'il tient ce détail de Chandos lui même116. Ailleurs, il évoque le souvenir de son voyage d'Écosse en 1365 qui dura trois mois117; il parle du séjour qu'il fit au mois de septembre 1366 au château de Berkeley118 et de ses excursions à travers l'Angleterre en compagnie d'Édouard Spenser: «Et pluisseurs fois avint que, quant je cevauchoie sus le pais avoecques lui, car les terres et revenues des barons d'Engleterre sont par places et moult esparses, il m'appelloit et me dissoit: «Froissart, veés vous celle grande ville à ce haut clochier?» – Je respondoie: «Monsigneur, oil: pourquoi le dittes vous?» – «Je le di pour ce: elle deuist estre mienne, mais il i ot une male roine en ce pais, qui tout nous tolli119.» De même qu'Édouard Spenser reconnaissait de loin les domaines confisqués sur sa famille à la hauteur de certains clochers, qui ne reconnaîtrait à ce dialogue vif et pittoresque le prince des chroniqueurs, sire120 Jean Froissart?

A quelle date a été composée la troisième rédaction? Il suffit, pour trouver la réponse à cette question, de lire, entre beaucoup d'autres, le passage suivant relatif à la belle Jeanne de Kent, femme du Prince Noir et mère de l'infortuné Richard II: «Celle jone damoiselle de Qent estoit cousine germainne dou roi Edouwart d'Engleterre; et fu en son temps la plus belle dame de tout le roiaulme d'Engleterre et la plus amoureuse; mais TOUTE sa generation vint à povre conclusion par les fortunes de ce monde qui sont moult diversez, ensi que vous orés recorder avant en l'istore121.» Ces lignes renferment une allusion évidente à la fin malheureuse de Richard II et sont par conséquent postérieures à l'année 1400, date de la mort de ce prince.

C'est ici l'occasion de signaler le trait caractéristique qui distingue, au point de vue historique, la troisième rédaction de celles qui l'ont précédée. Il est impossible de lire cette rédaction sans être frappé de la gravité, de la sévérité inaccoutumées, quoique souvent justes et parfois profondes, des réflexions de Froissart sur le caractère et les institutions du peuple anglais; et comme les événements relatifs à l'Angleterre tiennent une très-grande place dans le premier livre, le récit des faits déjà racontés dans les première et seconde rédactions revêt dans la troisième, sous l'influence que nous indiquons, une physionomie toute nouvelle. «Englès, dit quelque part le chroniqueur, sueffrent bien un temps, maiz en la fin il paient si crueusement que on s'i puet bien exempliier, ne on ne puet jeuer à eulz. Et se lieuve et couce uns sires en trop grant peril qui les gouverne, car jà ne l'ameront ne honneront, se il n'est victorieus, et se il n'ainme les armes et la guerre à ses voisins, et par especial à plus fors et à plus riches que il ne soient122.» Ailleurs, Froissart fait observer que les habitants de Londres ont été, sont et seront toujours les plus puissants de toute l'Angleterre123. Il ajoute dans un autre endroit que, lorsque les Londriens s'entendent, nul ne leur peut résister. Grâce aux richesses dont ils disposent et au nombre de gens d'armes qu'ils peuvent mettre sur pied, ils sont plus forts que tout le reste de l'Angleterre124. Quelques pages plus loin, le chroniqueur prête à ces mêmes habitants de Londres les paroles suivantes: «… Nous n'avons que faire d'un roi endormit ne pesant, qui trop demande ses aises et sez deduis. Nous en ocirions avant un demi cent, tout l'un apriès l'autre, que nous n'euissions un roi à nostre seance et volenté125.» Les Anglais sont ombrageux et croient plus volontiers le mal que le bien126. Ils sont défiants et ils rompent le lendemain une convention à laquelle ils ont souscrit la veille127. Le roi d'Angleterre doit consulter ses sujets et obtenir leur consentement avant de conclure aucun traité de paix ou de guerre avec une puissance étrangère128. Les Anglais ne savent ne veulent ni ne peuvent rester longtemps en paix; il leur faut la guerre, n'importe sous quel prétexte, et ils y portent une passion, une aptitude extrêmes129. Il n'y a pas sous le soleil de peuple plus orgueilleux et plus présomptueux que le peuple anglais130. Il faut que le roi d'Angleterre obéisse à ses sujets et fasse tout ce qu'ils veulent131. Enfin, Froissart, après avoir rapporté un jugement très-sévère des Écossais sur les Anglais, s'associe à ce jugement dans les termes suivants: «Ensi disoient les Escoçois, et non pas euls tant seullement, mais toutes aultres nations, qui congnoissent la nature et condition des Englois; car, desous le solel, ne sont gens plus perilleus ne mervilleus à tenir, ne plus divers que sont Englois. Ils sont de belles aquintises et de biau samblant; mais nulz qui sages est, n'i doit avoir trop grant fiance132

Que nous sommes loin de l'admiration presque sans réserve pour l'Angleterre et les Anglais qui éclate dans tant de pages de la seconde et surtout de la première rédaction! Si un changement analogue s'était produit dans les sentiments de Froissart à l'égard des autres nations, on pourrait attribuer une sévérité aussi insolite à ce désenchantement, fruit amer de l'expérience de la vie, que les années apportent d'ordinaire avec elles; mais il n'en est rien. Notre chroniqueur continue d'apprécier comme par le passé les Flamands, les Allemands, les Français; on dirait même que sa sympathie pour la France, plus marquée dans la seconde rédaction que dans la première, s'est encore accrue dans le texte de Rome. D'où vient donc cette sévérité exceptionnelle à l'endroit des Anglais qui distingue la troisième rédaction? Ah! c'est qu'entre cette dernière et celles qui l'ont précédée il y a l'abîme profond, sanglant qu'ont creusé les troubles de la fin du règne de Richard II. Ce prince, qui avait si bien accueilli notre chroniqueur lors de son dernier voyage en Angleterre, n'était-il pas le fils du Prince Noir, n'était-il pas surtout le petit-fils de la bonne reine Philippe de Hainaut, cette auguste bienfaitrice dont son ancien clerc adora le souvenir jusqu'à son dernier jour133. Lorsqu'on fut informé sur le continent de la déposition, puis de la mort de Richard, ainsi que des scènes cruelles qui précédèrent et suivirent ces deux tragiques événements, Froissart dut se sentir frappé dans les plus chers souvenirs de sa jeunesse, dans ses plus vives affections; il dut éprouver une indignation égale à sa surprise. Nul doute que la troisième rédaction ne nous apporte dans les passages indiqués plus haut comme un écho de ces sentiments134.

Au point de vue littéraire, la troisième rédaction ne présente pas un caractère moins frappant que sous le rapport historique; et si, pour le fonds des idées, la sévérité des jugements sur le peuple anglais est le trait distinctif de cette rédaction, le but principal, on pourrait dire, exclusif de Froissart, en ce qui concerne la forme, semble avoir été d'effacer toute trace des emprunts parfois serviles, textuels, qu'il avait faits à Jean le Bel dans les rédactions antérieures. Voilà pourquoi l'on ne retrouve dans le texte de Rome ni le fameux passage relatif à Jacques d'Arteveld ni le célèbre épisode des amours d'Édouard III et de la comtesse de Salisbury, ni tant d'autres morceaux où le chroniqueur de Valenciennes se contentait de reproduire plus ou moins littéralement dans ses deux premières rédactions le récit du chanoine de Liége. Voilà pourquoi, alors même qu'il emprunte dans sa troisième rédaction le fond et la matière à Jean le Bel, il a bien soin de modifier assez profondément la forme pour lui donner un caractère vraiment original, au risque de lui faire perdre quelquefois, comme il est arrivé, par exemple, dans le récit des derniers moments de Robert Bruce, quelque chose de sa valeur littéraire135. Voilà pourquoi enfin, à partir de la bataille de Crécy, la troisième rédaction se rapproche plus de la première que de la seconde, parce qu'à partir de la même date, la seconde, comme on l'a dit plus haut, est souvent moins originale et fait plus d'emprunts que la première à la chronique du chanoine de Liége.

On sait que le texte de Jean le Bel, qui s'arrête au mois d'avril 1361, prend, notamment dans la partie comprise entre 1350 et 1356, le caractère d'un abrégé chronologique que Froissart avait en partie reproduit dans sa première rédaction proprement dite. Mais comme, d'un côté, notre chroniqueur avait remplacé cet abrégé dans la première rédaction revisée ainsi que dans la seconde par un récit original et plus ample, comme, d'un autre côté, il nous apprend lui-même qu'il avait commencé à voler de ses propres ailes à partir de la bataille de Poitiers en 1356, il suit de là que, pour réaliser pleinement la pensée qui semble avoir présidé à sa troisième rédaction, c'est-à-dire pour se débarrasser de tous les emprunts faits à Jean le Bel, le chanoine de Chimay n'avait à remanier son premier livre que jusqu'en 1350. Aussi, nous pensons que, sans la regrettable mutilation qui nous a privés des trois derniers feuillets du manuscrit de Rome, nous aurions ce manuscrit dans son entier et tel que Froissart a voulu le transmettre à la postérité, en le faisant suivre pour le reste du premier livre de l'une de ses deux rédactions antérieures ou plus probablement d'un choix fait entre les diverses parties de ces deux rédactions. En d'autres termes, le texte du Vatican n'est nullement, comme on l'a cru jusqu'à ce jour, une ébauche imparfaite, une œuvre inachevée; c'est un tout complet auquel son auteur a mis la dernière main et auquel il ne manque que ce qu'un caprice destructeur y a enlevé.

M. Kervyn de Lettenhove pense comme nous que le manuscrit de Rome ne devait guère aller plus loin que 1350; mais il suppose que c'est la mort qui a empêché Froissart de poursuivre son travail. «Malheureusement, dit-il, le manuscrit du Vatican est incomplet. Les derniers feuillets ont été détruits, et ce qui nous en a été conservé ne donne que le règne de Philippe de Valois. Le texte allait-il beaucoup plus loin? J'en doute, car, vers la fin, je crois découvrir dans la rédaction certains symptômes d'épuisement et de lassitude. Les chapitres deviennent très-courts. Le récit, loin d'être développé comme dans d'autres parties de ce texte, n'offre plus que le résumé de ce que nous connaissons, et nous avons bien le droit de nous demander si le jour où fut suspendu le travail du chroniqueur, ne fut pas aussi celui où l'on creusa à Chimay cette tombe que l'on ne retrouve plus136

Ces symptômes d'épuisement et de lassitude sont incontestables, si on ne lit le texte de Rome que dans les deux éditions qu'en a données M. Kervyn; mais l'honneur de Froissart nous oblige à dire que ces éditions ne reproduisent pas fidèlement le manuscrit; et depuis le feuillet 100 surtout jusqu'au feuillet 152 et dernier, il n'y a presque pas de page où des mots, des lignes, souvent des phrases entières n'aient été omises par le savant éditeur belge ou plutôt par ses copistes. Il serait trop long d'énumérer toutes ces lacunes; il suffira, pour prouver notre assertion, de mettre en regard, dans un certain nombre de passages, le texte publié par M. Kervyn et le texte réel que nous avons copié nous-même, comme c'était notre devoir rigoureux, sur le manuscrit.

TEXTE DE M. KERVYN

«Et avoit en ceste nove ville dou roi (il s'agit d'une ville fondée par Édouard III pour y loger son armée pendant le siége de Calais), toutes coses necessaires, apertenans à un host.

Quant messires Jehans de Viane fu venus en Calais, et il ot veu le siège et comment les Englois estoient amasé, ensi que pour demorer vint ou trente ans là devant au siège, et il ot fait visiter la poissance des vivres qui estoient en la ville, il en fist un jour widier et partir plus de XXVIIe, hommes, femmes et enfans, pour alegerir la ville.

Quant chil peuples issi hors premierement de Calais, auquns Englois quidièrent, quant il les veirent issir, que il les venissent courir sus. Si se assamblèrent à l'encontre de euls les archiers, et les fissent requler jusques ens ès fossés de la ville. Là i ot, entre ces Englois, auquns preudommes piteus, qui congueurent tantos que ce n'estoient pas gens pour faire nul contraire. Si fissent cesser les aultres de euls courir sus, et lor demandèrent où il aloient. Il respondirent que on les avoit bouté hors de Calais pour tant que il cargièrent trop la ville, et aloient ailleurs à l'aventure querir lor mieuls. Ces nouvelles vinrent au roi d'Engleterre qui, meus en pité, les fist entrer en l'oost, et commanda que tout et toutes fuissent bien disné137

TEXTE DU MANUSCRIT

«Et avoit en ceste nove ville dou roi toutes coses necessaires apertenans à un hoost et138 plus encores, et place ordonnée pour tenir marchiet le merquedi et le samedi. Et là estoient halles de draps et de merchiers et aussi estas de bouciers et de boulengiers. Et de toutes coses on i pooit recouvrer aussi largement comme à Bruges ou à Londres, et tavernes de tous vins de Grenate, de Grec, de Malevisie, de Rivière, de vins de Gascongne, de Poito, de France et de Rin, bons cabarès et bien pourveus de chars, de volilles, de poissons. Et lor venoient de Flandres les marceandises toutes prestes de Hollandes, de Zellandes et d'Alemagne, et tout par mer. Et en i avoit là pluisseurs ouvriers juponniers, parmentiers, corduaniers, peletiers, cabareteur, fourniers et tavreniers qui i gissoient assés mieuls à lor plaisance et pourfit que donc que il fuissent chiés leur. Et furent bien courouciet qant li sièges se desfist et que Calais fut conquise, car il perdirent le flour de lor wagnage.

Qant mesires Jehans de Viane fu venus en Calais et il ot veu et consideré le siège et comment les Englois estoient amasé ensi que pour demorer vint ou trente ans là devant au siège, et il ot fait viseter la poisanee des vivres qui estoient en la ville, il en fist un jour widier et partir plus de vint sept cens honmes, fenmes et enfans, pour alegerir la ville. Qant chil peuples issi hors premierement de Calais tous en blancs qamises et portoient confanons de moustiers en signe de humelité, auquns Englois quidièrent, qant il les veirent issir, que il les venissent courir sus. Si se assamblèrent à l'encontre de euls les archiers, et les fissent requler jusques ens ès fossés de la ville. Là i ot entre ces Englois auquns preudonmes piteus, qui congneurent tantos que ce n'estoient pas gens pour faire nul contraire. Si fissent cesser les aultres de euls courir sus, et lor demandèrent où il aloient. Il respondirent que on les avoit bouté hors de Calais, pour tant que il cargoient trop la ville et le foulloient de vivres, et en aloient ailleurs à l'aventure querir lor mieuls ensi que povres gens qui avoient tout perdu sans nul recouvrier. Ces nouvelles vinrent au roi d'Engleterre et as signeurs que chils povres peuples de Calais estoit là ensi à merchi. Li rois, meus en pité, les fist entrer en l'oost, et conmanda que tout et toutes fuissent bien disné.» Fo 124 vo.

TEXTE DE M. KERVYN

«Quant la congnissance en fu venue au duch de Normendie comment messires Gautiers de Mauni estoit pris et mis en prison, si en fu durement courouchiés139

TEXTE DU MANUSCRIT

«Qant la congnisance en fu venue au duch de Normendie conment messires Gautiers de Mauni, sus se asegurance et sauf-conduit, avoit celle painne et desplaisance que estoit pris et mis en prison en Chastellet là où on met et boute les larrons, si en fu durement courouchiés.» Fo 126 vo.

TEXTE DE M. KERVYN

«Plus n'en i ot à celle table, et là sus la fin dou disner on presenta à messire Gautier de Mauni de par le roi moult rices jeuiauls d'or et d'argent et furent mis devant lui sus la table, et qui les avoit aportés, ce furent li sires de Biaujeu et messires Carles de Montmorensi. Apriès la table, encores estoient li jeuiel sus la table140

TEXTE DU MANUSCRIT

«Plus n'en i ot à celle table, et là sus la fin dou disner, on presenta à messire Gautier de Mauni, de par le roi, moult rices jeuiauls d'or et d'argent, et furent mis et assis devant lui sus la table. Li chevaliers, qui fu moult sages et moult honnerables, remercia grandement ceuls qui jeuiauls avoient aportés: ce fu li sire de Biaujeu et mesire Carle de Montmorensi. Qant li heure vint de lever la table, encores estoient li jeuiel sus la table.» Fo 127 vo.

TEXTE DE M. KERVYN

«Quant il furent venus jusques à là, il asallirent la ville et le prisent d'asaut, mais au chastiel ne porent il riens faire, et vinrent devant Marant, à quatre lieues de la Rocelle, mais il le trouvèrent si fort que point n'i tournèrent pour le asallir, et passèrent oultre, et puis vinrent à Lusignan et ardirent la ville, mais au chastiel il ne fourfissent riens, et laissièrent derrière euls Pons en Poito et Saintes, mais pourtant que elles estoient fortes et bien pourveues, il n'i livrèrent nuls assaus et vinrent à Taillebourc sus la Charente.141»

TEXTE DU MANUSCRIT

«Qant il furent venu jusques à là, il asallirent la ville et le prisent d'asaut, mais au chastel ne porent il riens faire, car il est trop fors et s'est bien gardés tous jours par usage, pour tant que il fait frontière sus la Giane, et puis chevauchièrent deviers Aunai et conquissent ville et chastiel et puis Surgières et Benon. Et vinrent devant Marant à quatre lieues de la Rocelle, mais il le trouvèrent si fort que point n'i tournèrent pour le asallir et passèrent oultre et puis vinrent à Luzegnen et ardirent la ville, mais au chastiel il ne fourfissent riens et laissièrent derière euls Pons en Poito et Saintes; mais pour tant que elles estoient fortes et bien pourveues, il n'i livrèrent nuls assaus, et laissièrent Niorth et Chiset et point n'i asalirent, et vinrent à Taillebourc sus la Carente.» Fo 128.

TEXTE DE M. KERVYN

«Ensi orent en ce temps les Englois et les Gascons la chité de Poitiers et i furent quatre jours, et quant il se departirent, tout cargiet d'or et d'argent, de draps142…»

TEXTE DU MANUSCRIT

«Ensi orent en ce temps les Englois et les Gascons la chité de Poitiers, et i fissent che que il vorrent. Elle fu toute courue, et grandement i pourfitèrent les Englois et i sejournèrent quatre jours. Et qant il se departirent tout cargiet d'or et d'argent, de draps…» Fo 128 vo.

TEXTE DE M. KERVYN

«Quant li rois de France et ses consauls veirent que li rois d'Engleterre et les Englois estoient aresté devant Calais, si en furent moult courouchié. Si jetèrent lor visée li Franchois143…»

TEXTE DU MANUSCRIT

Qant li rois de France et ses consauls veirent que li rois d'Engleterre et les Englois estoient aresté devant Calais et tellement fortefiiet et ordonné que on ne lor pooit porter contraire ne damage ne lever le siège, car de perdre telle ville que Calais est, ce pooit estre trop grandement au blame et ou prejudice dou roiaulme de France et par especial des marces et frontières de Piqardie, si en furent moult courouchié. Si jeterent lor visée li François…» Fo 129.

TEXTE DE M. KERVYN

«Le lettres vinrent, et messires Godefrois, qui estoit dalès le roi d'Engleterre, fu moult resjois et dist: «Sire, madame la roine d'Engleterre est une vaillans femme: c'est une noble paire de vous deus. Dieus est en vostres oevres et mains. Perseverés tousjours avant: vous venrés à chief ou en partie de vostre entente et calenge; et se vous avés, ensi que vous auerés, celle ville de Calais, vous auerés un grant avantage et porterés les clefs dou roiaulme de France à vostre ceinture, et à bonne heure passai la mer pour vous; car considerés le biau voiage que vous avés fait et desconfi vostre ennemis.» – «Godofroi, dist li rois, vous dittes verité, et je sui grandement tenus, et aussi est tous mes roiaulmes de rendre graces à Dieu que ce nous a envoyet144

TEXTE DU MANUSCRIT

«Le[s] lettres escriptes et seelées, honme bien esploitant furent cargiet de faire ce message et se missent à voie et chevaucièrent tant quoitousement de nuit et de jour que il vinrent à Douvres. Et tantos entrèrent en un vassiel et furent oultre de une marée, et vinrent deviers le roi premierement, et baillièrent lors lettres de par la roine. Li rois les ouvri et lissi tout au lonc. Et qant il ot entendu toute la substance de la lettre et la prise dou roi d'Escoce, son serouge et son adversaire, et l'ordenance de la bataille et les noms des mors et des pris, des honmes d'onnour qui à la bataille avoient esté, et conment Jehans de Copelant, esquiers de Northombrelande, l'avoit pris et le tenoit en un chastiel, et ne le voloit rendre à nul honme ne fenme ne à la roine sa fenme meismement, et toutes ces coses et nouvelles la roine li specifioit clerement, vous devés savoir que il ot grant joie; et appella tantos mesire Godefroi de Harcourt qui estoit dalès lui, et li lissi les lettres tout au lonch. De ces nouvelles fu mesires Godefrois moult resjois et dist: «Sire, madame la roine d'Engleterre est une vaillans fenme: c'est une noble paire de vous deus. Dieus est en vostres oevres et mains. Perseverés tousjours avant: vous venrés à chief ou en partie de vostres ententes et calenge. Et se vous avés, ensi que vous auerés, celle ville de Calais, vous auerés un grant avantage et porterés les clefs dou roiaulme de France à vostre çainture. Et à bonne heure passai la mer pour vous, car je vous ai resvilliet; à très grant painne vous amenai je par de deçà. Considerés le biau voiage que vous avés fait et desconfi vostres ennemis. Et d'autre part et tout une saison vostre fenme a eu une telle journée pour lui que pris le roi d'Escoce et toute la fleur de celi roiaulme. Jamais de vostre eage ne se releveront les Escoçois. Vostres coses vous viennent à plain et pur souhet.» – «Godefroi, dist li rois, vous dittes verité. Et je sui grandement ténus, et aussi est tous mes roiaulmes, de rendre graces à Dieu qui ce nous a envoiiet.» Fo 132 vo.

M. Kervyn de Lettenhove, personne ne le niera après avoir lu ce qui précède, n'a pas tout à fait tort de voir dans la dernière partie des deux éditions dont l'érudition lui est redevable de nombreux symptômes d'épuisement et de lassitude; seulement, ce sont des symptômes de l'épuisement et de la lassitude de ses copistes, dont l'honorable savant, qui est l'un des plus vifs admirateurs de l'auteur des Chroniques, regrettera certainement d'avoir rendu Froissart responsable.

Une phrase résumera tout ce chapitre. La troisième rédaction où, d'une part, la pitié pour Richard II perce à chaque page sous forme de jugements sévères portés sur le peuple anglais, où, d'autre part, une narration vraiment originale au moins dans la forme a été substituée à toute la partie du premier livre empruntée plus ou moins servilement à Jean le Bel dans les rédactions antérieures, la troisième rédaction, dis-je, est un monument de la reconnaissance affectueuse en même temps que de l'honnêteté littéraire de Froissart.

108

On lit: «le roine», fo 5 ro; «le fille», fo 21 vo; «le bataille de Cassiel», fo 25 vo; «le mort dou conte», fo 26 ro; «le chevallerie dou conte Guillaume», fo 40 ro; «le bataille de Gagant», fo 41 ro, «le bataille de Crechy», fo 117 vo.

109

P. 234 de ce volume.

110

P. 236.

111

P. 239.

112

P. 243.

113

P. 245.

114

P. 247.

115

P. 239 et 240.

116

P. 471.

117

P. 269.

118

P. 247.

119

P. 257.

120

Froissart se donne à la fin du prologue de la première rédaction revisée (voyez p. 7) le titre de sire; il semble toutefois reconnaître implicitement qu'il n'y avait pas droit, car il ajoute aussitôt ce correctif: qui tant me voet honnerer. On sait en effet que la qualification de sire ou messire, appliquée parfois aux clercs à titre gracieux, était plus particulièrement réservée aux gentilshommes; mais il y a une noblesse innée, personnelle, qui s'impose en dépit de toutes les conventions sociales: qui posséda jamais cette noblesse à un plus haut degré que le chroniqueur de Valenciennes?

121

P. 304.

122

P. 214.

123

P. 224.

124

P. 243.

125

P. 249.

126

P. 294.

127

P. 306.

128

P. 307, 319 et 327.

129

P. 312.

130

P. 321.

131

P. 337.

132

P. 338.

133

Voyez p. 286 de ce volume en quels termes touchants Froissart parle de Philippe de Hainaut: «Et tant comme elle vesqui, li roiaulmes d'Engleterre eut grasce, prosperité, honnour et toutes bonnes aventures; ne onques famine ne chier temps de son resgne n'i demorèrent.» Ce passage appartient à la troisième rédaction, et Froissart était chanoine de Chimay lorsqu'il écrivit ce bel éloge de sa bienfaitrice.

134

Froissart avait toujours eu des tendances aristocratiques; mais nulle part il ne les accuse avec plus de force que dans la troisième rédaction, où le dédain pour les vilains est parfois poussé jusqu'à l'injustice et même jusqu'à l'insulte. Il dit des Flamands qui combattirent à Cassel (voyez p. 300): «Toutes fois Dieus ne volt pas consentir que li signeur fuissent là desconfi de tel merdaille.» Il faut plaindre Froissart d'avoir qualifié avec une telle grossièreté ces braves communiers flamands qui se firent tuer avec tant de courage. Lorsqu'il écrivit ces lignes, les excès de la populace anglaise étaient sans doute présents à sa pensée et ne lui inspiraient que du dégoût pour ce peuple dont il était pourtant sorti, comme Jeanne d'Arc allait bientôt en sortir. C'est l'éternelle histoire: on fait expier au peuple les fautes et les crimes de la populace.

135

P. 289 de ce volume. Froissart, qui ne tenait pas de première main le récit de cette admirable scène, n'a pas atteint la grandeur simple du chanoine de Liége, comme on le verra en comparant la première rédaction (p. 79 à 81), reproduction pure et simple du texte de Jean le Bel, à la narration originale qui lui a été substituée dans la troisième (p. 289).

136

Le premier livre des Chroniques de Jehan Froissart, préface, p. XII et XIII. Bruxelles, 1863, 2 vol. in-8o.

137

[OE]uvres de Froissart, publiées sous les auspices de l'Académie royale de Belgique. Chroniques, t. V, p. 87 et 88. Bruxelles, 1868 in-8o.

138

Les passages soulignés sont ceux qui manquent dans l'édition de M. Kervyn.

139

Œuvres de Froissart, t. V, p. 104.

140

Ibid., p. 106.

141

[OE]uvres de Froissart, t. V, p. 111.

142

Ibid., p. 116.

143

Œuvres de Froissart, t. V, p. 122.

144

Ibid., p. 141.

Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie

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