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IV
– Comme quoi le capitaine Roger maria sa fille. —

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On ne s'attendait pas à cette étrange conclusion dans le groupe de nos braves buveurs.

– Saperlotte! fit Niquet en ôtant sa pipe de sa bouche.

– Ah! par exemple… en voilà une! dit Palaproie.

Barbedor avait visiblement pâli.

– Que diable! murmura-t-il, – c'est ta faute, cousin… Pourquoi allais-tu lui dire: «Je me ferais sauter le caisson,» nom d'un cœur!

– C'est que je l'aurais fait à sa place, répondit le capitaine froidement.

Cette réponse n'était point de nature à diminuer le trouble de Barbedor. Il haussa les épaules et grommela:

– Ça ne se dit pas… c'est des bêtises de se périr pour si peu de chose!

– Si peu de chose! répéta le vieux Roger, qui le regarda d'un air étonné.

Le ridicule avait disparu. Vous n'eussiez vu en ce moment sur son visage que la hautaine dignité du soldat.

Niquet et Palaproie l'examinaient pour voir d'où le vent allait souffler.

– Si peu de chose! s'écria Niquet; – l'honneur de la fille d'un militaire!

– Ah! mais! gronda Palaproie; – la réputation qu'a une tache se ternit, et plutôt mourir… que d'abandonner son drapeau!

De sa vie, il n'avait prononcé un si long discours. Il s'arrêta tout essoufflé et but un coup avant d'ajouter:

– C'est que ça y est!

– Mon cousin Jean-François, dit Roger avec une sorte de sévérité mélancolique, – je t'ai perdu bien longtemps de vue, et je ne sais pas ce que tu as fait pendant cela… mais tu n'as rien pu faire de bon, puisque tu dis que l'honneur d'une femme est peu de chose!

– La plus belle moitié du genre humain! reprit Niquet.

– Ah! mais oui!

– Le sexe auquel un chacun doit sa mère!

– Ça y est!

– Nom d'un cœur! s'écria Barbedor, – voilà deux troubadours qui m'apprennent décidément l'utilité du mur d'enceinte!.. Sont-ils assommants, ces deux oiseaux-là!.. Et faut-il que la patrie n'ait rien à faire de sa monnaie pour nourrir, loger, habiller, blanchir et chauffer tous ces vieux singes!.. – La paix, bragas! s'interrompit-il en voyant que les deux invalides essayaient de se lever; – si vous ne taisez pas vos becs, je vous vends en bloc à mon marchand de pots cassés!.. Quant à toi, cousin Roger, si on ne peut plus plaisanter agréablement entre amis, faut le dire… Je ne suis pas le beau-père d'un comte, mais j'ai ma fierté tout de même… Peut-être bien qu'un jour, quand ma grande entreprise sera terminée et que j'aurai modifié personnellement le plan de Paris… peut-être bien qu'on pourra être fier de tenir à moi par les liens de la parenté… La barrière des Paillassons… mais je n'en dis pas davantage là dessus!

Roger, la bonne âme, crut entendre que la voix du fort-et-adroit tremblait.

Et c'était vrai, Barbedor venait de retomber dans sa marotte. Son cœur battait la générale sous sa veste étoupée.

Roger lui tendit la main.

– Du moment que tu plaisantais… dit-il.

– Voilà! interrompit Niquet; – du moment qu'il plaisantait.

– Ah! mais dame!.. fit Palaproie; – quand on plaisante…

– Assez causé! reprit le capitaine; – souffler n'est pas jouer… Réparation d'honneur au cousin!.. Nous en étions à ce que Toussaint Mallaroux se fit sauter la boussole, comme disaient les marins de la garde, à cause que sa fille avait fait un faux pas… Et j'aurais agi comme lui, le cas échéant… Mais pas de danger! cartouchibus! il y a filles et filles, tout dépend de l'éducation… Quand une jeune personne a eu comme ça l'avantage de posséder dès le berceau les exemples fructueux, accompagnés de la voix de l'honneur inflexible… Je n'en dis pas plus, les vieux, crainte de passer pour vantard et la gloriole.

– N'y a pas de danger, fit Niquet; – tout un chacun connaît que l'armée est l'école de la chose pour les bons principes et tout… Si j'avais eu quelquefois des enfants, aurait fallu qu'ils marchent droit comme un i, et pas de bêtises…

– Oh! mais non! grommela Palaproie, que l'envie de dormir prenait doucement.

Barbedor se gratta l'oreille d'un air innocent.

– Quant à ça, dit-il, – le lieutenant Toussaint l'était aussi.

– Quoi donc? demanda Roger.

– Militaire, censé.

Niquet éclata de rire.

– Elle est bonne! s'écria-t-il; – l'avaleur de sabres a trouvé qu'un lieutenant fait partie du militaire.

Jean-François Vaterlot était chatouilleux, nous le savons bien. Cette fois, pourtant, il ne releva point l'impertinence. Il avait son idée et son but.

– J'entends par là, reprit-il avec douceur, – que la fille de ce Toussaint Mallaroux était exactement dans la même position que la fille du cousin Roger.

– Comment? comment? s'écria celui-ci.

– En voilà une autre, hurla Niquet sans comprendre.

Et Palaproie, éveillé en sursaut:

– Ah! mais!.. ah! mais!.. faut s'expliquer!

– Mon Dieu! continua Barbedor, – je veux dire tout uniment qu'elle était la fille d'un militaire comme madame la comtesse…

– Quant à ça, oui! approuva Niquet.

– Ça y est! appuya Palaproie.

– Et d'un militaire, homme d'honneur! acheva Jean-François Vaterlot.

– Sans doute, sans doute, répliqua le vieux Roger, qui appela sur ses lèvres un sourire orgueilleux; – mais vous ne voulez pas vous mettre ça dans la tête, qu'il y a militaire et militaire.

– C'est pourtant bien simple, ça! l'interrompit le sergent?

Et l'adjudant:

– Ah! mais oui!

Roger poursuivit en versant à la ronde, – à pleins verres, – un château-laffitte de 1817, digne de caresser ce qu'il y a de mieux en fait de palais diplomatiques.

– L'éducation, que diable! Quand on n'a rien négligé pour l'ordre, l'instruction, la propreté…

– Nom d'un cœur! s'écria Barbedor, – tout ça ne fait pas qu'on trouve des comtes dans le pas d'un cheval!.. des comtes archimillionnaires!

– Le fait est, insinua Niquet, – que n'y en a pas suffisamment pour toutes les jeunesses bien éduquées.

– Ah! mais non! approuva Palaproie.

Roger secoua les cendres de sa pipe lentement et regarda son auditoire avec l'intime conscience de sa supériorité.

– Discuter avec des brise-raison, dit-il, – c'est des bêtises, quoi donc! Les vrais sourds sont celui qui ne veut pas entendre… Ça vous fait donc bien du chagrin d'avouer que le capitaine Roger ne ressemble pas au premier venu?.. Toussaint était un vrai pour le cœur et les sentiments… je ne dis rien ci-contre… mais il va quelque chose de plus apprécié dans les sociétés, c'est les manières, la tenue, le truc dont on sait se conduire avec le grand monde… Les uns le reçoivent au berceau de la nature, les autres ont beau faire de vains efforts, ils ne parviennent jamais à se le donner… La différence est là dedans: comprenez-vous?

Niquet et Palaproie déclarèrent qu'ils comprenaient.

Barbedor dégustait son laffitte en silence.

Roger le provoqua du regard.

– Tout ça, reprit-il, – c'est du latin et du grec pour le cousin, dont les fréquentations sont à la barrière, loin du centre de la noblesse ou industrie, ainsi que le haut commerce sans boutiques et les compagnies généralement comme il faut… Veuille ne pas te mécontenter, Jean-François: la chose n'est pas pour t'en faire un outrage… Si tout le monde était des marquis, où serait le plaisir de surpasser ses semblables par la particule ou autre?.. Si la connaissance de mademoiselle Toussaint avait rencontré vis-à-vis de lui, pour père de la fille, un lapin comme Roger, ça aurait tourné différemment, j'en accepte l'augure! On ne se moque pas de Roger: voilà l'idiome, ne sortons pas de là!

– Voilà! répéta Niquet, qui posa son vieux chapeau sur l'oreille en toisant Barbedor.

– Ça y est! ajouta Palaproie.

– N'empêche, dit cet entêté de Jean-François, – que c'est une fameuse affaire et un crâne billet de loterie!.. Je ne suis pas jaloux, puisque je n'ai pas d'enfants personnels, du sexe ni autres… Mais j'aimerais entendre l'anecdote, narrée de la propre bouche du capitaine.

Roger fut évidemment flatté.

– Quoique ça soit des délicatesses de famille, dit-il, – et des affaires privées dont personne n'a le droit d'y fourrer son œil indiscret, je ne vois pas d'empêchement à en faire le récit succinctement, étant ici entre militaires et toi seul d'ami… J'entame donc, et vous êtes priés de faire silence dans les rangs après la tournée.

La tournée eut lieu.

En suite de quoi, le vieux Roger demanda solennellement:

– Y sommes-nous?

– Présents! répliqua Niquet.

– Ah! mais oui! fit Palaproie.

Barbedor ne dit rien, mais il rapprocha son siége.

Roger prit la pose du conteur et commença:

– Il y a donc que nous avons habité la Belgique, qui est un petit pays par rapport à nous autres Français, mais jalouse d'imiter la liberté dont le drapeau tricolore flotte maintenant sur ses murs.

Niquet et Palaproie ne purent refuser à ce début éloquent un signe hautement approbateur.

– Étant ainsi de l'autre côté des frontières, poursuivit Roger, – dans la ville de Liége, Béatrice cultivait son piano et soignait le ménage, tandis que je me livrais à mes occupations de café et autres. Les établissements publics n'y brillent pas par le clinquant, mais par la bière, connue dans tous les pays du globe. Il y a donc que j'entendais parler çà et là, de différents côtés, du comte Achille de Mersanz…

– Attention! s'interrompit le sergent, – voilà la machine!

– On y est! fit l'adjudant; – qu'il passe dans les rangs!

Il avait un œil clos par le sommeil; l'autre, à demi ouvert, battait la chamade.

Barbedor était tout oreilles.

– Un citoyen, continua Roger, – qui mettait tout sens dessus dessous dans les Ardennes belges par ses chasses au sanglier avec les dames en calèches et uniformes à la Louis XV… un grand propriétaire, censément comme le marquis de Carabas des temps jadis.

»Tout à coup, je dirai même subitement, soudain, d'un jour à l'autre, voilà mademoiselle Roger qui perd ses couleurs, en grand, pâle comme un linge, les yeux battus, pleurnichant dans les coins et manquant le ragoût.

»Cartouchibus! incontinent, je médis: Ça n'est pas naturel! Ça doit être la nature qui parle dans un cœur innocent et sensible. On ne m'en passe pas. J'en ai vu de toutes les couleurs et encore d'autres nuances!.. Faudrait un luron pour m'en faire voir en plein midi.

»Je pris la faction du père de famille, veillant sur ceux à qui il a donné le jour. Je guettai, foutrimaquette! des yeux d'Argus et perçants comme la prunelle de l'aigle qui était en tête de nos drapeaux flottant à l'étranger.

»Point de repos ni jour ni nuit, sauf le sommeil et les délassements au café avec les camarades. – Observez que les cafés, là-bas, se nomment la brasserie, en raison motivée par la consommation, qui est la bière.

»Voilà donc qu'un soir… Vous ai-je spécifié que le comte Achille restait juste en face de nous?

– Non, répondit Niquet.

Palaproie rendit un ronflement sourd.

– Si je l'ai omis, reprit Roger, – c'est dans le feu du narré… Le comte Achille avait son hôtel en face de nous, comme qui dirait vis-à-vis, de l'autre côté de la rue. Je n'étais pas jaloux de son opulence, car ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux; mais je rageais quelquefois de voir tant d'équipages et tant de laquais pour un seul muscadin. Nous n'étions pas fortunés à la maison en ce temps-là, et je ne me doutais guère que tout ça était à moi comme beau-père futur et légitime.

»Vous dire comment ça se fit que les deux jeunes gens s'entre-reconnurent dans l'intimité, je m'y refuse. Ça touche à la vie privée. D'ailleurs, je ne l'ai jamais su. La fenêtre où brodait ma petite Béatrice donnait sur la rue, juste en face de la chambre à coucher du comte. Béatrice allait sur ses dix-sept ans. C'était un mélange heureux de lis et de roses. Tout le quartier se retournait pour la voir passer dans la rue. Elle avait la taille des sylphides écossaises, à prendre dans la main, une petite bouche ornée de la couleur du corail à l'extérieur, et le dedans plein de trente-deux perles. Elle faisait tout ce qu'elle voulait de son piano droit, que j'avais eu d'occasion, et le rossignol n'est rien auprès des accents de sa voix… En faut-il plus! Il paraît que non, car le voisin d'en face fut bloqué au même, tambour battant… Et toi, Palaproie, malhonnête, va-t'en te coucher si tu as sommeil!

Niquet donna un grand coup de poing sur le pauvre coude osseux qui était l'épaule de l'adjudant.

Palaproie sauta, saisit son verre et dit:

– Ah! mais oui!.. présent à l'appel!

– Et comme ça, demanda Barbedor, – le comte vint vous faire la demande bien honnêtement, et ça fut une fière noce?

Roger but un coup.

Après avoir bu, il caressa longuement sa moustache.

– Tu es curieux, cousin Jean-François, dit-il; – j'aime à penser que c'est pour l'intérêt que tu nous portes.

– Nom d'un cœur! s'écria bonnement Barbedor, – je voudrais bien savoir ce que ça me fait de froid ou de chaud… qu'ils s'épousent! qu'ils ne s'épousent pas…

– Un mot de plus, l'interrompit sévèrement Roger, – et tu tombes dans l'impolitesse!.. Ah! le défaut d'éducation primaire sera toujours un malheur chez l'homme qui ne fut pas bien élevé dès son bas âge!.. Écoute, Niquet; Palaproie, prête l'oreille attentive; c'est une histoire qui vaut la peine davantage que celle des recueils périodiques et la suite au prochain numéro… Ça ne marcha pas tout seul, non!.. le comte ne me fit pas la demande selon le grand chemin plat et ordinaire… Ça fut un roman intéressant de l'amour… Insensiblement, je voyais ma Béatrice pâlir et maigrir; je la trouvais souvent toute rêveuse et répondant de travers à mes questions paternelles… Afin de la mettre en garde contre les dangers de l'inexpérience, je glissais des demi-mots dans la conversation. Je lui disais de se méfier du sexe le plus fort, et que le loup peut s'insérer dans la bergerie quand on laisse un entre-bâillement à la porte… et autres… Je chantais en me faisant la barbe la chanson bien connue:

Il est plus dangereux de glisser

Sur le gazon que sur la glace…


Bref, toutes les précautions y étaient, quand tout à coup, un soir, en rentrant, je trouve la chambre de mademoiselle Roger vide et une lettre sur la table.

»Une lettre à mon adresse.

»Je ne pus pas la lire tout de suite, cette adresse-là; car j'avais trente-six chandelles devant les yeux, et il me semblait que mon cœur allait se casser dans ma poitrine…

– Comme ça, dit Niquet voyant que le capitaine s'arrêtait, tout pâle, – la petite s'était ensauvée…

– Avec le muscadin… ajouta Palaproie enorgueilli de sa perspicacité.

Barbedor bourrait sa pipe d'un air impassible.

Roger mit ses deux mains à plat sur sa poitrine.

– Quand je pense à ça, poursuivit-il, – ça m'oppresse bien encore un petit peu… Les enfants, j'en ai vu de rudes dans ma vie… Mais ce moment-là, dame, je faillis étrangler en grand par étouffement du cœur… Béatrice! ma fille! mon pauvre amour chéri…

Deux larmes roulèrent sur la joue bronzée du vieux soldat.

Niquet et Palaproie se frottèrent les yeux.

Ce gros judas de Barbedor tendit sa main calleuse au capitaine, qui la serra en disant:

– Merci, Jean-François, mon cousin; – je sais que tu as bon cœur… C'est les bonnes manières qui n'y sont pas…

»Mais, s'interrompit-il, – je ne sais pas pourquoi je pleure, moi! ne dirait-on pas que je vais raconter une déroute! Bien au contraire, cette soirée fut l'aurore de la félicité, comme vous allez le voir par la fin de ce récit.

»La lettre de Béatrice me demandait bien des pardons de s'être fait enlever, donnant pour raison que c'était le bon motif, mariage civil et à l'église, qui était sous jeu, et qu'elle avait craint les sévérités d'un père, à cause de son âge si tendre.

»Tout ça tourné aux petits oignons, d'un style coulant et agréable à tirer toutes les larmes du corps.

»N'empêche que je ne m'endormis pas sur le rôti. J'allai au café, où je soumis le cas aux plus vénérés des clients. Quand je dis au café, c'est la brasserie. Il y avait là un avocat flamand, gros comme toi, cousin Jean-François. Il me dit:

» – Le comte de Mersanz, votre voisin, est justement parti ce soir. C'est une affaire: détournement de mineure. Il a près d'un million de revenu, vous pouvez vous faire une aisance.

»Moi, je répliquai:

» – Ce Mersanz est militaire: c'est un cas de contre-pointe: je n'ai pas besoin de procureur.

– Fameux! s'écria Niquet.

– Ah! mais!.. appuya Palaproie en rêve.

– Et je rentrai chez moi, reprit Roger, pour régler l'histoire du duel… Je n'ai pas besoin de me vanter, pas vrai? je suis connu! je l'aurais embroché comme une mauviette, si je l'avais trouvé…

– Ah! ah! fit le sergent; – tu ne le trouvas pas?

– On s'entre-cherche comme ça souvent… balbutia l'adjudant; – c'est comme un fait exprès.

– Laissez dire le cousin! ordonna Vaterlot.

Roger se rinça la bouche.

– Quinze jours après, continua-t-il avec un certain embarras, – je reçus une lettre signée «Béatrice, comtesse de Mersanz.»

Niquet: C'est toi qui dus être content!

Palaproie: Ah! mais oui, qu'il dut l'être.

Barbedor, très-froidement: Et ça finit comme ça, l'histoire?

Roger, versant une abondante tournée: L'éducation… les principes… voyez vous… Ma petite Béatrice avait le fil… en outre que M. le comte, – soit dit sans l'offenser puisqu'il est présentement mon gendre, et comme tel de ma famille, – en outre que M. le comte savait que je le cherchais l'arme au bras, l'ayant dit ici et là, et partout, à qui voulait l'entendre, à haute voix, que j'aurais, le cas échéant, le sang du séducteur jusqu'à la dernière goutte!

Niquet: Quand on s'y prend comme ça… voilà!

Palaproie: Ça y est!

Barbedor: Alors, tu n'as pas été de la noce?

Niquet à Palaproie: Est-il taquinant, ce gros robinet à vin blanc.

Palaproie: Ah! mais oui!

Roger, qui a regardé de travers le cousin Jean-François: C'est sous-entendu qu'ils s'étaient mariés à l'église d'abord dans un petit pays prussien, là-bas, vers la Nouvelle-Montagne, connue par son zinc. La lettre était justement pour me demander mon consentement par écrit et les papiers, afin de se marier au civil devant la loi… Il n'y avait pas trop à réfléchir; puisque les choses étaient comme ça pas mal avancées… d'ailleurs, le parti ne me déplaisait pas au fond…

Niquet: Pas dégoûté, l'ancien!

Palaproie: Ah! mais non!

Barbedor, avec un sourire: Un titre de comtesse avec huit cent mille livres de rente.

Roger, solennellement: Il n'y a point sous la calotte des cieux un parti trop haut pour la fille d'un capitaine de l'armée française!

Niquet: Bien dit!

Palaproie: C'est que ça y est!

Barbedor: Et, quand tu arrivas, cousin, le mariage civil était fait?

Roger: Grâce aux papiers que j'avais eu soin d'envoyer d'avance.

Barbedor: Le mariage civil se fit aussi dans ce petit village prussien?..

Roger: Non pas!.. à Bruxelles en Brabant, ville de trois cent mille âmes, au su et au vu de tous les habitants de cette capitale… Voilà comme ça se joue, mon vieux, quand l'éducation y est, et les manières, et les principes, enfin tout ce qui compose le truc… sans compter qu'un papa d'un certain genre ne nuit pas à la chose… pas vrai, Niquet?

Niquet: Tu veux mon avis? le voilà: Tu as mérité le bonheur de ton enfant!

Palaproie: Ça y est… dans le cinq cents… du premier coup!

Jean-François Vaterlot tirait cependant sur sa pipe comme un malheureux. Un observateur eût aisément jugé qu'il avait encore quelque chose à demander.

Mais la question était apparemment bien grosse… elle ne pouvait passer.

– Eh bien, cousin! dit le triomphant Roger en lui versant à boire, – ça a l'air de te chiffonner, cette aventure là.

– Nom d'un cœur! se récria Barbedor; – pourquoi donc?

– Y a comme ça des particuliers qu'ont de la jalousie, continua le sergent.

– Ah! mais! fit l'adjudant.

– Tonnerre! gronda Vaterlot; – si ces deux-là jouissaient seulement chacun d'une jambe de rechange, on parlerait par gestes tous trois, mais contre deux… et y aurait encore du retour à donner… mais n'y a rien à faire avec ces écloppés… Moi jaloux? Dieu merci! je me bats l'œil des comtes et des barons!.. quand le mur d'octroi va être percé… seulement, on aime à s'instruire, pas vrai… Moi qui parle, je n'ai pas voyagé beaucoup… j'aimerais savoir si les actes de mariage, c'est fait comme chez nous dans ce pays de Belgique.

– Ma foi, répondit Roger, – je n'en sais rien… ça doit être quelque chose d'approchant.

Si le vieux capitaine avait examiné son cousin Jean-François en ce moment, il aurait vu s'épaissir la couche écarlate qui enluminait si violemment sa grosse face.

Barbedor travaillait pour la barrière des Paillassons, – le traître!

– Pardon, excuse, reprit-il bonnement, – j'avais cru que tu avais vu l'acte de mariage de ta fille… Tu n'es pas curieux, quoi, voilà!

– Est-ce que tu voudrais insinuer…? commença Roger, qui fronça le sourcil.

Jean-François Vaterlot avait ce qu'il était venu chercher. Le renseignement conquis par lui valait bien la recherche faite par Léon Rodelet dans les cartons de maître Souëf (Isidore-Adalbert).

Il possédait désormais de quoi payer l'article du Journal des Débats.

Le sergent Niquet et l'adjudant Palaproie, comprenant vaguement que ce sujet d'entretien blessait leur bon ami Roger, étaient tout disposés à s'y cramponner, tant ils avaient l'âme bonne. Ce fut Barbedor lui-même qui changea brusquement la conversation.

Il donna une ronde poignée de main au cousin et dit:

– Des fois, en voulant prouver qu'on prend de l'intérêt aux amis, on a l'air de s'immiscer fâcheusement dans leurs affaires du particulier… Si j'ai commis une ou plusieurs gaucheries, l'intention n'y était pas réputée pour le fait… Tu as crânement marié ta fille, cousin; tant mieux pour elle et pour toi: je n'en éprouve que le plaisir le plus sincère de t'en adresser mon compliment… En raison de quoi, débouchons-en une nouvelle et chantons sans rancune des hymnes patriotiques en l'honneur de Bacchus!

Roger ne repoussa point la main qu'on lui tendait, mais un nuage resta sur son front, tandis que Niquet, Palaproie et Jean-François entonnaient une de ces chansons militairement rabelaisiennes, où l'on se moque des moines, des nonnes, des prêtres, etc., etc., avec autant d'esprit que de cœur.

Il but quatre ou cinq verres coup sur coup et ne fit chorus qu'au troisième couplet.

A la fin de la chanson, il dit comme malgré lui:

– Cartouchibus! quand j'arrivai à Maestricht, ils étaient mariés dur comme du fer!.. on l'appelait madame la comtesse… et j'eus une pipe garnie pour cadeau de noces… Du diable si l'idée me vint de réclamer l'acte de mariage!..

– Comment! s'écria Barbedor, – tu en es encore à ruminer là-dessus, cousin?

– Foutrimaquette! gronda le capitaine; il m'appela beau-père tout de suite… et le poulet qui osera se moquer d'un gaillard comme moi n'est pas encore sorti de sa coquille!

La fabrique de mariages, Vol. III

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