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CHAPITRE PREMIER
LA COUR DE LUNÉVILLE DE 1698 A 1729
ОглавлениеEntrée de Léopold à Lunéville.—Joie des habitants.—État de la Lorraine en 1698.—Mariage de Léopold.—Guerre de la succession d'Espagne.—La cour de Lunéville.—M. et Mme de Beauvau-Craon.—Passion de Léopold pour Mme de Craon.—Indignation de la Princesse palatine.—Les jésuites à la cour de Lorraine.—Passion coûteuse de Léopold pour le jeu et la politique.—Accident survenu au prince.—Sa mort.—Son fils François lui succède.
Le 14 mai 1698, la petite cité de Lunéville était en liesse. Au centre des principales places s'élevaient des arcs de triomphe; toutes les maisons étaient ornées de lauriers et de drapeaux; le long des rues, des guirlandes de feuillage et des rangées de sapins, plantés pour la circonstance, donnaient à la ville un air de fête. De toutes parts accouraient les bourgeois organisés en compagnies d'honneur; les habitants de la campagne, revêtus de leurs plus beaux habits, arrivaient des points les plus éloignés et remplissaient les rues du bruit de leur gaieté exubérante. Sur tous les visages se lisaient la satisfaction et le bonheur.
La joie devint du délire lorsqu'on vit s'approcher un somptueux cortège de cavaliers et de carrosses. En tête s'avançait, sur un cheval fringant, le jeune duc de Lorraine, Léopold [2], qui reprenait enfin possession de ses États héréditaires, dont sa famille avait été chassée depuis plus de trente ans [3].
Le prince, à peine âgé de dix-huit ans, était un élégant cavalier; il possédait le double et incomparable charme de la jeunesse et de la beauté; son regard franc, sympathique, accueillant, séduisait tous les cœurs. De longues acclamations s'élevaient sur son passage; on se pressait autour de lui, on embrassait ses mains; tous les yeux étaient pleins de larmes, mais de larmes de joie et d'espoir.
La noblesse lorraine, accourue en grand nombre, faisait escorte à son souverain, et la vue de tous ces brillants seigneurs surexcitait encore l'enthousiasme populaire.
Léopold n'avait rien négligé de ce qui pouvait frapper l'imagination de ses sujets et le grandir à leurs yeux. Outre des carrosses magnifiques, un nombreux domestique, des meubles somptueux, il s'était fait suivre des trophées que, malgré son jeune âge, il avait déjà conquis sur les Turcs [4]. L'admiration fut générale quand on vit défiler ces délicieux petits chevaux arabes si vifs et si légers, tenus en main par des heiduques. Mais l'émerveillement n'eut plus de bornes quand parut une longue suite d'animaux bizarres et complètement inconnus en Lorraine; on les montrait du doigt, on chuchotait leur nom; on ne se lassait pas d'admirer ces étranges et somptueux «chameaux», tous brillamment caparaçonnés et conduits par des prisonniers arabes [5].
La satisfaction des Lorrains, en retrouvant un prince de la famille qui régnait sur eux depuis tant d'années, fut sans bornes, et ils la manifestèrent par des témoignages irrécusables [6].
On comprendra mieux les acclamations enthousiastes qui accueillirent Léopold lorsqu'on saura à quel degré de misère et de détresse était tombé ce malheureux pays.
Depuis soixante-dix ans la Lorraine était pour ainsi dire le champ clos que se disputaient et s'arrachaient successivement les Allemands, les Français, les Suédois.
Opprimée, pillée, rançonnée par les uns et par les autres, suivant les hasards de la guerre, cette province, jadis riche et prospère, offrait le tableau le plus lamentable. Ce n'était partout que viols, assassinats, incendies, destruction, ruine; livrées à une soldatesque effrénée, les villes avaient été saccagées, les campagnes dévastées. Les infortunés habitants avaient fini par chercher un refuge dans les forêts qui couvraient le pays; ils y vivaient relativement à l'abri, mais réduits à l'état de véritables bêtes sauvages et dans une misère que l'on peut deviner.
La famine, la peste étaient venues s'ajouter aux douleurs de l'occupation étrangère et achever cette œuvre de désolation [7].
Ce peuple infortuné était menacé d'un anéantissement complet [8]. On peut aisément supposer la joie que lui fit éprouver la conclusion de la paix.
Le retour de la Lorraine à un prince de la vieille famille ducale donnait à tous l'espoir de jours meilleurs. On se réjouissait d'échapper enfin à une longue oppression et à une odieuse tyrannie. Comme au sortir d'un affreux cauchemar, les Lorrains oubliaient presque l'horreur des maux qui les avaient frappés pour ne songer qu'à l'avenir, et ils manifestaient leur bonheur et leur confiance par une gaieté délirante.
Léopold ne démentit pas les espérances que ses sujets avaient fondées sur lui. Malgré sa jeunesse, il s'occupa activement de rendre le bien-être et la prospérité à la Lorraine; il rebâtit les villes et les villages, rappela les habitants, fit venir des étrangers, repeupla les campagnes, encouragea l'agriculture, l'industrie, le commerce, et il mérita bientôt le nom glorieux de restaurateur de la patrie.
Neveu de l'Empereur, Léopold voulut l'être également du roi de France. L'année qui suivit son retour, le 12 octobre 1698, le jeune duc épousait la nièce de Louis XIV, Élisabeth-Charlotte d'Orléans, fille de Monsieur et de sa seconde femme, la Princesse palatine de Bavière. C'était une princesse douce, aimante, honnête, mais laide, avec une figure longue et de gros yeux à fleur de tête. La jeune duchesse fut reçue par ses nouveaux sujets avec le plus vif empressement. Cette fois, ce fut à Nancy, délivrée enfin des troupes françaises, que Léopold et son épouse firent leur entrée triomphale [9].
Le duc de Lorraine possédait non seulement toutes les qualités d'intelligence nécessaires pour rendre la prospérité à ses États, mais il avait aussi tout ce qu'il fallait pour se faire adorer. Son commerce était des plus agréables et des plus sûrs; il n'avait aucune morgue, et sa douceur, sa bonne grâce, sa générosité étaient extrêmes; il traitait ses sujets comme des amis. Bien loin d'imiter la rigide étiquette de Versailles ou celle de Vienne, où il avait passé tant d'années, il s'efforça de faire de la cour de Lorraine une cour familiale, et d'y admettre ses sujets pour leur en faire partager les plaisirs. Il conviait aux bals et aux spectacles de la cour, voire même aux dîners, les bourgeois de Nancy ou de Lunéville, et il poussait la gracieuseté jusqu'à envoyer à ses invités ses propres carrosses.
La duchesse n'était pas moins populaire que son mari; elle était d'une grande affabilité envers tous, elle visitait les simples bourgeois et causait volontiers en patois avec les paysans.
Malheureusement, la tranquillité du jeune duc ne devait pas être de longue durée.
En 1700, la France, l'Angleterre et les Provinces-Unies se mirent d'accord pour partager à l'amiable la succession éventuelle du roi d'Espagne, Charles II. Entre autres territoires, le dauphin, fils aîné de Louis XIV, recevait dans sa part le duché de Milan; mais il était convenu qu'il l'échangerait contre le duché de Lorraine, si Léopold y consentait.
M. de Callières fut chargé par Louis XIV d'obtenir l'adhésion du prince; on lui donnait vingt-quatre heures pour se décider.
Le duc, poussé par la nécessité, séduit aussi peut-être par l'idée de gouverner un jour une province plus considérable et moins exposée que la Lorraine, se résigna, et il signa, le 16 juin 1700, le traité qui le dépossédait de ses États et lui attribuait le duché de Milan à la mort de Charles II. A partir de ce moment, un résident français séjourna à la cour de Lorraine: ce fut M. d'Audiffret.
Un événement inattendu vint bouleverser toutes ces combinaisons si savamment élaborées.
Charles II mourut, mais après avoir fait un testament en faveur du duc d'Anjou. Louis XIV accepta, et le duc d'Anjou fut proclamé roi d'Espagne sous le nom de Philippe V.
Le roi d'Angleterre et l'Empereur, furieux d'avoir été joués, du moins ils le croyaient, préparèrent une formidable coalition contre la France. Léopold et ses sujets virent avec terreur que la Lorraine allait de nouveau servir de champ clos aux luttes acharnées de la France et de l'Empire.
Donc la guerre de la succession d'Espagne s'ouvre; la Lorraine se trouve cernée par les armées françaises et impériales. C'est en vain que Léopold proclame la neutralité du pays et demande qu'on la respecte: l'Empereur refuse de s'y engager.
Louis XIV de son côté prétend que la neutralité a été violée et il ordonne à une armée française d'occuper Nancy. A cette nouvelle, Léopold déclara qu'il ne ferait pas de résistance, mais qu'il cédait uniquement à la force. Il se déroba aux adieux de ses sujets consternés et il partit au milieu de la nuit, ainsi que la duchesse: tous deux gagnèrent Lunéville par des sentiers de montagne.
Le 1er décembre 1702, les troupes françaises entraient à Nancy.
Cependant, la fuite forcée du duc et de son épouse avait soulevé une véritable indignation en Europe: les généraux des deux armées belligérantes reçurent l'ordre de respecter à l'avenir la neutralité de la Lorraine.
Louis XIV néanmoins refusa, malgré les plus pressantes sollicitations, de retirer ses troupes de Nancy. Le duc de Lorraine répondit alors fièrement qu'il ne rentrerait jamais dans sa capitale tant qu'un soldat français en foulerait le sol.
A Lunéville, il n'y avait pas de château. Léopold et la duchesse avaient dû s'installer dans une vieille maison, triste, froide et délabrée, et s'y accommoder de leur mieux.
Toutes les grandes familles lorraines, les ministres étrangers, les avaient suivis. Chacun s'était établi comme il pouvait; on avait campé d'abord; puis, peu à peu, l'on avait organisé des installations plus confortables et plus pratiques.
Quand le duc vit que son exil menaçait de se prolonger fort longtemps, il se décida à faire élever une demeure digne de son rang. Il fit donc bâtir, sur l'emplacement de l'ancien château de Henri II, un vaste et beau palais où il put, non seulement se loger convenablement avec les siens, mais encore recevoir sa cour et donner des fêtes. De superbes jardins entouraient la demeure princière.
Peu à peu on s'habitua à l'exil, au malheur des temps, et la vie reprit son cours.
Désormais à l'abri des maux de la guerre, Léopold voulut faire profiter ses sujets du calme inattendu dont ils jouissaient au milieu de la conflagration universelle. Il s'efforça de développer le commerce, l'industrie, les arts, les belles-lettres, et il y réussit à merveille.
En même temps, l'intimité de la petite cour avait grandi; on se voyait sans cesse et non sans charme. Pendant qu'à Versailles tout s'assombrissait, à Lunéville, au contraire, la vie devenait chaque jour plus agréable; on n'avait plus que des sujets de joie et de gaieté. Le prince était jeune, beau, chevaleresque; il était galant et empressé auprès des femmes; il aimait le plaisir; son frère, l'évêque d'Osnabrück, plus jeune encore, et qui en ce moment se trouvait en séjour à Lunéville, n'était pas moins ardent: la cour se mit à l'unisson. Ce ne furent bientôt plus que jeux, soupers, bals, mascarades, représentations théâtrales, etc. Les fêtes succédaient aux fêtes sans interruption.
Deux dames se partageaient alors la faveur du duc et de son frère: Léopold était devenu amoureux fou de la belle comtesse de Beauvau-Craon, et le prince Charles de Lorraine manifestait la plus violente passion pour la marquise de Lunati-Visconti.
De la seconde, nous ne parlerons presque pas puisqu'elle n'est appelée à jouer aucun rôle dans notre récit. La première, au contraire, fut la mère de notre héroïne, et, à ce titre, nous lui devons une courte biographie.
Il y avait à la cour de Lorraine une famille de Beauvau-Craon, originaire du Maine et alliée à la maison de Bourbon [10]. M. de Beauvau-Craon, le père, remplissait la charge de capitaine des gardes de Son Altesse. Son fils, Marc de Beauvau [11], occupait les fonctions de chambellan; il avait épousé, le 16 septembre 1704, Anne-Marguerite de Ligniville [12], fille d'Antoinette de Boussy et de Melchior de Ligniville, comte du Saint-Empire, maréchal de Lorraine, qui appartenait à tout ce qu'il y avait de plus ancien et de plus élevé dans la noblesse du pays. La jeune femme, à peine âgée de dix-huit ans, fut nommée dame d'honneur de la duchesse, puis plus tard surintendante de sa maison.
M. de Craon, s'il faut en croire les contemporains, était l'un des hommes les plus aimables et les plus spirituels de son époque. Magnifique, noble avec aisance, l'esprit élevé, le cœur grand, de rapports faciles, excellent administrateur, il possédait encore beaucoup de jugement et de bon sens. Son esprit, ses connaissances, sa gaieté naturelle rendaient sa conversation charmante; il prit bientôt sur l'esprit du duc de Lorraine une très grande influence et il devint son intime ami.
Mais Mme de Craon était délicieuse, séduisante au possible, belle à ravir; le duc ne put rester insensible à tant de charmes et, à mesure que son intimité augmentait avec le mari, elle augmentait également avec la femme. Bientôt, à la petite cour de Lunéville, personne ne put se faire d'illusion: le duc, épris au dernier point, ne dissimulait plus rien de ses sentiments intimes.
Quant au mari, soit qu'il fût aveugle, soit qu'il se piquât de philosophie, soit qu'il fût simplement de son temps et attachât peu d'importance à ce qu'on considérait en général comme pure peccadille, il acceptait tout et voulait tout ignorer; il poussait même la discrétion jusqu'à se retirer dès que le prince se faisait annoncer chez sa femme, ce qui avait lieu tous les jours. Il arrivait souvent à Léopold de passer la journée entière chez Mme de Craon et d'y faire toute sa correspondance, de façon qu'elle était informée de ses intentions les plus secrètes.
Le jardin de l'hôtel de Craon était situé en façade sur le parc même du château; une porte de communication reliait le parc au jardin de l'hôtel, de telle sorte qu'il n'était pas nécessaire de passer par la ville et que rien n'était plus facile que de se rendre de fréquentes visites sans éveiller l'attention.
L'on se tromperait étrangement si l'on s'imaginait que cet incident avait amené la plus légère altération dans l'intimité de M. et de Mme de Craon. Ils avaient été passionnément épris l'un de l'autre à l'époque de leur mariage; l'attachement ouvertement manifesté de Léopold pour Mme de Craon ne put pas les désunir. Rien ne vint troubler la sérénité de leurs rapports et leur mutuelle affection; ils continuèrent à vivre dans la plus étroite amitié et avec les plus grands égards, et cette douce intimité dura un demi-siècle.
Nous n'ignorons pas que notre assertion paraîtra bizarre à plus d'un lecteur et fortement invraisemblable. Il en fut ainsi cependant. Nous sommes trop respectueux de la vérité pour ne pas dire ce qui fut, quelque surprenant que cela puisse paraître, étant données nos idées actuelles.
Mme de Craon, du reste, n'était pas une femme ordinaire, et le charme de son esprit aussi bien que sa rare beauté expliquent la passion violente qu'elle avait inspirée à Léopold.
Sans être régulièrement belle, elle passait cependant pour la plus jolie femme de son temps. Elle avait une taille divine, une fraîcheur de teint incomparable, la peau très blanche, une bouche et des dents admirables; elle séduisait au plus haut point. Ni l'âge ni les maternités fréquentes ne purent avoir raison de ses attraits; à cinquante ans, elle était presque aussi fraîche, aussi jolie, aussi désirable que dans sa toute jeunesse.
Son esprit vif, prime-sautier, accueillant, charmait dès le premier abord; mais on découvrait bientôt chez elle une volonté très ferme et de rares qualités d'intelligence. Son humeur cependant ne passait pas pour être des plus égales, et l'on prétend que ceux qui l'entouraient avaient quelquefois à souffrir d'injustes boutades. «On appelle cette dame, qui n'est point aimée, le battant l'œil, écrit M. d'Audiffret, parce qu'elle est souvent de mauvaise humeur.»
Telle est la femme que pendant près de vingt-cinq ans le duc Léopold adora à peu près uniquement.
La passion de Mme de Craon pour le prince n'était pas moins vive que celle qu'il éprouvait pour elle; elle l'aimait passionnément. En 1718, il eut une fluxion de poitrine des plus graves, et on le crut perdu. Mme de Craon en fut si bouleversée et dans un tel désespoir qu'elle eut un transport au cerveau dont elle faillit mourir.
A cette époque, comme de nos jours, une passion réciproque si profonde, si longue, si immuable, passait peut-être pour regrettable; mais on ne pouvait s'empêcher de la trouver touchante, et elle inspirait toujours le respect, souvent l'admiration, quelquefois l'envie.
Parmi les contemporains, personne ne s'avisa de blâmer Mme de Craon, et elle vécut toute sa vie entourée d'hommages et de la considération de tous.
Cependant, le jeune prince amoureux ne savait qu'imaginer pour charmer sa belle maîtresse; la cour en profitait, les réjouissances étaient incessantes. La joie n'était troublée que par les querelles et les jalousies de Mme de Craon et de Mme de Lunati.
Ces deux dames naturellement se détestaient cordialement; les scènes entre elles étaient journalières et il en résultait souvent entre les deux frères les plus pénibles discussions. Léopold se faisait l'écho du chapitre d'Osnabrück qui réclamait son évêque, se plaignait qu'il mangeât son revenu hors du pays, qu'il se compromît par une galanterie publique et «dont toute l'Allemagne était informée»; mais le prince Charles restait sourd à toutes les remontrances, il s'entêtait à rester en Lorraine et à se ruiner pour Mme de Lunati.
Enfin, il finit par céder aux objurgations de son chapitre et il quitta la Lorraine. Les deux frères se séparèrent le cœur plein d'aigreur, Léopold ne pouvant pardonner au prince Charles ses procédés pour la favorite et les plaisanteries qu'il s'était permises sur son compte. Après le départ de l'évêque la cour retrouva un peu de calme et de tranquillité.
Le traité d'Utrecht, en 1712, termina la guerre de la succession d'Espagne et amena la cessation des hostilités.
Les troupes françaises quittèrent Nancy et Léopold put enfin rentrer dans sa capitale. Mais il n'y eut rien de changé dans son existence; il continua à Nancy les habitudes contractées à Lunéville; les fêtes et les galanteries reprirent de plus belle.
Le duc, épris plus que jamais, ne craignait pas de taquiner la muse en l'honneur de la maîtresse bien-aimée; il lui a adressé de nombreuses pièces de vers qui nous ont été conservées [13]. Elles sont, il faut l'avouer, plus médiocres les unes que les autres, et la forme en est aussi pitoyable que le fond; le pauvre prince avait plus de bonne volonté que de talent. Nous ne citerons qu'une seule de ces pénibles élucubrations, celle où il manifeste sans ambages les sentiments éternels qu'il a voués à Mme de Craon.
L'HOROSCOPE
Je n'avais garde, Iris, de ne vous aimer pas;
Je ne m'étonne plus de mon amour extrême.
Le ciel, dès ma naissance même,
Promit mon cœur à vos appas.
Un astrologue expert dans les choses futures
Voulut en ce moment prévoir mes aventures.
Des planètes alors les aspects étaient dous,
Et les conjonctions heureuses.
Mon berceau fut le rendez-vous
Des influences amoureuses.
Vénus et Jupiter y versaient tour à tour
Tant de quintescence d'amour
Que même un œil mortel eût pu la voir descendre.
De leur trop de vertu qui pouvait me défendre?
Hélas! je ne faisais que de venir au jour;
Qu'ils prenaient bien leur temps pour nous faire un cœur tendre!
Quand de mon amour fatal
L'astrologue d'abord fit le plan général;
Il le trouva des moins considérables.
Je ne devais ni forcer bastions,
Ni décider procès, ni gagner millions,
Mais aimer des objets aimables;
Offrir des vœux quelquefois bien reçus,
Éprouver les amours coquets ou véritables,
Donner mon cœur, le reprendre et rien de plus.
Alors l'astrologue s'écrie:
Le joli garçon que voilà!
La charmante petite vie
Que le ciel lui destine là!
Mais quand dans le détail il entra davantage,
Il vit qu'encore enfant je scavais de ma foi
A deux beaux yeux faire un si prompt hommage
Que mon premier amour et moi
Nous étions presque du même âge.
D'autres amours après s'emparaient de mon cœur;
La force et la durée en était inégale,
Et l'on ne distinguait, par aucun intervalle,
Un amour et son successeur.
Ce n'étaient jusque-là que des préliminaires;
Le ciel avait paru d'abord,
Par un essai des passions légères,
Jouer seulement sur mon sort.
Mais quel amour, o dieus, quel amour prend la place
De ceux qui l'avaient précédé!
Fuyez et dans mon cœur ne laissez point de trace.
Celui qui se rendait maître de mon destin
Du reste de ma vie occupait l'étendue.
L'astrologue avait beau porter au loin sa vue,
Il n'en découvrait point la fin.
Quoi! disait-il, presqu'en versant des larmes,
Ce pauvre enfant que je croyais heureux,
Des volages amours va-t-il perdre les charmes!
Quoi, pour toujours va-t-il être amoureus!
Non, non, il faut que je m'applique
A voir encor l'affaire de plus près.
Alors il met sur nouveaux frais
Toutes ses règles en pratique;
D'un œil plus attentif il observe le cours
Et des fixes et des planètes.
Dans tous les coins du ciel promène ses lunettes,
Retrace des calculs qui n'étaient pas trop courts.
Et puis quand il eut fait cent choses déjà faites,
Il vit que j'aimais pour toujours.
Malgré sa passion et ses serments, Léopold manifestait de temps à autre des velléités d'indépendance. Mais la favorite n'entendait pas raillerie sur ce chapitre.
La jeune duchesse de Mantoue étant venue à Lunéville, le prince lui témoigna beaucoup d'égards; Mme de Craon fut aussitôt d'une humeur exécrable; elle bouda pendant trois jours avec «des airs de hauteur étonnante». Le duc affolé faisait retomber sur son entourage son inquiétude et son chagrin. «Le bon prince, écrit M. d'Audiffret, est dans un embarras qui lui est ordinaire lorsque la dame est de mauvaise humeur. Il ne fait pas bon auprès de lui dans ces temps d'orage. Le caractère allemand se montre tout au naturel et personne n'en est exempt.» Pour rentrer en grâce auprès de l'altière maîtresse, il dut faire amende honorable, et promettre que Mme de Mantoue ne reviendrait plus à la cour.
Une autre fois, la crise fut plus sérieuse encore. Léopold avait remarqué une demoiselle d'Agencourt; des relations s'étaient secrètement établies entre eux, si bien qu'au bout de peu de temps il fut urgent d'en cacher les suites. On chercha, comme de juste, à marier la jeune imprudente, et un certain marquis de Spada fut choisi pour masquer la faute. L'heureux époux ne fut pas sans se douter de son malheur, car il trouva un jour sur le lit de sa femme un bouton qu'il reconnut être de la veste du prince.
L'aventure cependant fut ébruitée; Mme de Craon, indignée, ferma sa porte au duc, et c'est en vain qu'il lui adressa des lettres remplies de supplications et de remords. Léopold désespéré exila Mme de Spada et son mari, et il leur accorda comme dédommagement une terre de 2,000 livres de rente près de Saint-Mihiel. Il finit par obtenir son pardon; mais, à la suite de cette infidélité, Mme de Craon eut plusieurs accès de fièvre des plus violents. Le prince très alarmé ne quitta pas un seul instant son chevet, et la porte fut fermée pour tout le monde. «C'est pitié, Monseigneur, que tout ce qu'on voit et tout ce qu'on fait en cette cour, écrit M. d'Audiffret. Le duc de Lorraine n'est occupé que de son amour; Mme de Craon lui fait faire tout ce qu'elle veut et le mène bon train.»
La liaison publique du duc avec Mme de Craon ne laissait pas la duchesse de Lorraine indifférente; mais elle supportait son malheur avec beaucoup de dignité. Par douceur de caractère et aussi par égard pour son mari, elle feignait d'ignorer sa conduite; elle en souffrait beaucoup cependant, car elle aimait Léopold tendrement. Quand la mesure était comble et le chagrin trop vif, c'était son confesseur qui était chargé de la calmer et comme elle avait une nature douce et aimante, quelques bonnes paroles de son mari la consolaient et l'apaisaient. On cite d'elle, cependant, ce mot sur la favorite: «Ah! la coquine! son cotillon l'a bien servie!»
Sa mère, la Princesse palatine, était tenue fort exactement au courant de ce qui se passait à la cour de Lunéville: «C'est une malédiction que ces affreuses maîtresses, écrit-elle; partout elles causent du malheur; elles sont possédées du démon. Mme de Craon et son mari rongent le prince jusqu'à la chemise!»
Dès qu'il est question de M. de Craon, elle se laisse entraîner aux plus violentes injures: «C'est le plus grand coquin qu'on puisse trouver, un misérable et faux personnage, un vilain c...! etc.» Telles sont les moindres aménités dont elle use à son égard.
Avec sa rude franchise de langage, la princesse ne cache rien de ses impressions et de sa colère. Elle écrit le 7 septembre 1717: «Je crois que la guenipe qui est maîtresse du duc de Lorraine lui a donné un philtre, comme a fait la Neidschin à l'électeur de Saxe; car, lorsqu'il ne la voit pas, il est trempé d'une sueur froide, et, pour que le c... de mari reste tranquille et calme, le duc fait tout ce qu'il veut [14].»
En femme pratique, la Palatine trouve que sa fille pourrait encore prendre son parti quant à l'affection de son mari; mais ce qui la révolte, ce qui la met hors d'elle, ce sont les dépenses folles du prince pour Mme de Craon et ses enfants, dépenses qui ruinent les enfants légitimes.
Le prince, en effet, ne se contentait pas d'offrir à sa maîtresse des fêtes coûteuses et de riches présents; il comblait encore ses enfants d'honneurs et de bénéfices, il dotait richement ses filles. En agissant ainsi et en leur témoignant une affection presque paternelle, il savait probablement ce qu'il faisait; mais la duchesse de Lorraine ressentait douloureusement cette préférence. Malgré sa douceur elle écrit amèrement: «Il n'y a point de rois qui aient fait à leurs favoris une plus belle fortune... L'on songe à établir cette race sans songer à la sienne propre!»
Il n'est pas douteux que le prince de Craon n'ait été l'objet des plus grandes libéralités du duc de Lorraine; outre les titres et les honneurs, il recevait sans cesse des bénéfices, des donations de terre, tant et si bien qu'il jouit bientôt de revenus considérables.
Naturellement, ces faveurs excitaient la jalousie des autres courtisans et l'on attribuait aux motifs les moins nobles les générosités du prince. Leur cause était cependant des plus simples. M. de Craon remplissait en réalité auprès de Léopold les fonctions de premier ministre, et il s'en acquittait à son entière satisfaction. Quoi d'étonnant à ce que Léopold récompensât par des titres et des donations les éminents services de son ministre? Il n'est pas besoin de chercher une autre explication, celle-là suffit et amplement [15].
S'il est vrai, comme on le répète volontiers, que les ménages particulièrement bien vus de la Providence ont beaucoup d'enfants, il était impossible d'être plus favorisé sous ce rapport que M. et Mme de Craon.
De 1704 à 1730, la princesse eut vingt enfants, sans que ces maternités répétées nuisissent en rien à la passion qu'elle avait inspirée à Léopold [16].
En 1718, le duc et la duchesse de Lorraine firent un voyage à Paris; ils logèrent chez le duc d'Orléans au Palais-Royal. Le prince s'était naturellement fait accompagner de l'inséparable ménage, et la duchesse d'Orléans put voir enfin cette femme qui lui causait tant de soucis. Elle fut obligée de rendre hommage à sa beauté et à sa bonne tenue: «Elle a fort bonne mine, dit-elle, et un air modeste qui plaît... Elle rit d'une façon charmante et elle se conduit vis-à-vis de ma fille avec beaucoup de politesse et d'égards. Si sa conduite était sous les autres rapports aussi exempte de blâme, il n'y aurait rien à dire contre elle.»
En même temps, elle est obligée d'avouer que sa fille a beaucoup enlaidi: «Elle a un vilain nez camus, dit-elle; ses yeux se sont cernés, sa peau est devenue affreuse.» Devant ce portrait, on ne s'explique que trop bien les préférences de Léopold.
La duchesse d'Orléans, qui ne cesse de surveiller les deux amants, reste stupéfaite de la passion du prince, de sa violence, qui lui fait perdre tout sentiment, qui l'absorbe au point de lui faire tout oublier. Il veut cacher son amour, et, plus il veut qu'il soit ignoré, plus on le remarque. Quand Mme de Craon n'est pas là, le duc est inquiet, regarde toujours du côté de la porte; quand elle entre dans la chambre, sa figure change, il rit, il est tranquille. Puis au bout d'un instant, lorsqu'on croit qu'il va regarder devant lui, sa tête se tourne sur ses épaules, et ses yeux restent fixés sur Mme de Craon. «C'est un drôle de spectacle», dit-elle; mais elle avoue qu'on ne peut être plus épris d'une femme que le prince ne l'est de «la Craon» et qu'il a pour elle la plus grande passion qui soit possible.
La favorite, du reste, était loin de manifester pour le prince la même admiration et la même déférence: «Elle traite le duc de haut en bas, écrit Mme d'Orléans, comme si c'était elle qui fût duchesse de Lorraine et lui M. de Ligniville.»
Les Pères jésuites qui résidaient à la cour de Lorraine et qui étaient les confesseurs du souverain s'efforçaient de faire croire à l'innocence des rapports du prince et de Mme de Craon. A les entendre, il n'existait entre eux qu'une pure amitié et il fallait avoir l'esprit bien mal fait pour soupçonner un autre sentiment. Le Père de Lignères, confesseur de la duchesse d'Orléans, fut chargé par ses confrères de Nancy de persuader à sa pénitente cette bienveillante interprétation. Mais la duchesse le reçut de main de maître. Il faut l'entendre raconter elle-même l'incident:
«Mon confesseur s'est donné toutes les peines du monde pour me faire croire qu'il ne se passe pas le moindre mal entre le duc de Lorraine et Mme de Craon. Je lui ai répondu: «Mon Père, tenez ces discours dans votre couvent, à vos moines qui ne voient le monde que par le trou d'une bouteille; mais ne dites jamais ces choses-là aux gens de la cour. Nous savons trop que quand un jeune prince très amoureux est dans une cour où il est le maître, quand il est avec une femme jeune et belle vingt-quatre heures, qu'il n'y est pas pour enfiler des perles, surtout quand le mari se lève et s'en va sitôt que le prince arrive... Ainsi, si vous croyez sauver vos Pères jésuites qui sont les confesseurs, vous vous trompez beaucoup, car tout le monde voit qu'ils tolèrent le double adultère...»
Le Père de Lignères, abasourdi par cette sortie, baissa la tête et se le tint pour dit.
Quant à la duchesse, elle ajoute:
«Tous les jésuites veulent que l'on tienne leur ordre pour parfait et sans tache; voilà pourquoi ils cherchent à excuser tout ce qui se passe aux cours où l'un des leurs est confesseur. Aussi j'ai dit au mien, sans ménagement: «Ce qui se passe à Lunéville est inexcusable... C'est là un adultère public, et plus souvent ils feront approcher de la sainte table le duc et sa maîtresse, plus grand sera le scandale.» (26 mars 1719.)
Léopold avait de nombreux sujets de dépenses: d'abord il était joueur enragé, et cette malheureuse passion lui coûtait beaucoup d'argent; il lui arriva en deux fois de perdre plus de deux millions. Il est vrai que, quand il était par trop malheureux au jeu, il avait trouvé un moyen fort ingénieux de se libérer: il ne payait pas. C'est en vain que ses adversaires lui faisaient observer respectueusement qu'eux avaient payé lorsqu'ils avaient perdu; Léopold faisait la sourde oreille et continuait à jouer sur parole jusqu'à ce que la chance eût tourné en sa faveur. Ce jeu effréné dura toute sa vie.
Le prince avait encore une autre passion très coûteuse, la politique. Il avait de grandes ambitions et prétendait un jour ou l'autre jouer un rôle en Europe. Pour y parvenir, il entretenait un peu partout des émissaires, négociait sous le manteau de la cheminée, achetait des consciences, intriguaillait à Vienne, en Hollande, un peu partout. Tout ce commerce lui coûtait fort cher, sans qu'il soit arrivé jamais à un bien brillant résultat.
Mais s'il n'obtint rien pour lui, il fut plus heureux pour son fils François. Son rêve était de le marier à la fille aînée de l'Empereur, l'archiduchesse Marie-Thérèse. Dans ce but, en 1723, il envoya le jeune prince, alors âgé de quatorze ans, faire un séjour à la cour de Vienne; il le fit accompagner par M. de Craon pour le surveiller et surtout pour le diriger de façon à lui faciliter le mariage si ardemment souhaité.
François reçut à Vienne un accueil enthousiaste; grâce aux habiles manœuvres de M. de Craon, il y fut bientôt considéré comme l'héritier de l'Empire, Charles VI n'ayant pas d'enfant mâle, et il s'y établit définitivement.
Le jeu et la politique absorbaient donc des sommes considérables. Le duc avait beau créer des impôts et pressurer son peuple pour subvenir à ses prodigalités, il devenait chaque jour plus besogneux; il en était arrivé à être criblé de dettes et à emprunter à tout le monde. Les pensions n'étaient plus payées; on devait trois quartiers aux officiers du prince, deux années aux domestiques. C'était lamentable; c'était la ruine prochaine et inévitable.
Léopold ne paraissait pas s'en soucier et il continuait gaiement sa vie, lorsqu'une catastrophe imprévue vint en interrompre brusquement le cours.
En mars 1729, le prince se rendit au Mesnil avec M. de Craon pour visiter un château que ce dernier faisait construire. En voulant franchir un ruisseau, Léopold, qui était assez gros, glissa, et il tomba à l'eau; non seulement il prit froid, mais il se blessa très sérieusement au ventre. Le lendemain, il était atteint d'une fluxion de poitrine et, de plus, sa blessure s'envenimait. Au bout de peu de jours, le délire le prit et on ne put garder d'illusions sur la gravité de la situation. Le malade était poursuivi par l'idée fixe de se rendre chez Mme de Craon, et il demandait sans cesse ses porteurs pour l'y conduire.
A son lit de mort, il eut encore une pensée touchante pour celle qui avait tant contribué à l'agrément de sa vie; il employa le peu de forces qui lui restaient à écrire à la duchesse de Lorraine pour lui recommander M. et Mme de Craon.
Le malheureux prince succomba le 27 mars 1729, à cinq heures et demie du soir, après cinq jours de maladie: «Je suis extrêmement touché de la mort du prince, écrit pompeusement d'Audiffret, et j'ose assurer que c'est une perte irréparable pour ses sujets. L'on a eu la consolation qu'il est mort en héros chrétien.»
Mme de Craon éprouva le plus violent désespoir de la mort de l'homme qu'elle aimait si passionnément; elle voulut dominer sa douleur et la dissimuler, mais elle n'y put parvenir et tomba à son tour dangereusement malade.
Par son testament, Léopold avait composé avec MM. de Craon, de Lixin et le président Lefèvre, un conseil de régence dont la duchesse était exclue. Le testament fut cassé, la duchesse douairière nommée régente et libre de désigner à sa guise les membres du conseil.
Tout le monde s'attendait pour les Craon à une véritable persécution; on était convaincu que la duchesse allait enfin se venger de ses longues années de souffrance et de patience. Il n'en fut rien. Soit générosité naturelle, soit qu'elle eût égard à la lettre de son mari mourant, la duchesse ne prit aucune mesure contre les favoris du duc; elle se contenta de suspendre M. de Craon de ses fonctions de grand écuyer.
Léopold avait laissé le trésor dans un état déplorable; non seulement les caisses étaient vides, mais les dettes s'élevaient à plus de 14 millions. «Les revenus sont dissipés deux ans d'avance, écrit d'Audiffret; c'est le chaos.»
Le conseil de régence dut prendre des mesures pour atténuer les dilapidations du duc. Il ordonna que toutes les portions aliénées du domaine feraient retour à l'État; que les terres achetées par l'État et données à des particuliers seraient restituées en nature ou en argent, etc. Ces mesures étaient surtout dirigées contre le prince de Craon.
Ce dernier non seulement les accepta avec bonne grâce; mais il avait été au-devant en déclarant que tenant tous ses biens du prince seul, il ne les garderait que s'il plaisait à son souverain. Il se soumit si complaisamment à toutes les restitutions qu'on exigeait de lui que ses ennemis eux-mêmes en furent surpris et désarmés. Cette attitude si noble, et qui était la meilleure des réponses à ceux qui l'accusaient de bas calculs, lui valut l'estime et l'affection de tous, et il conserva en Lorraine et à la nouvelle cour une situation considérable.
En apprenant la mort de son père, le duc François avait quitté Vienne aussitôt, et il était accouru à Nancy où il fut proclamé sous le nom de François III.
La vue du nouveau souverain causa une déception générale: «On l'avait connu à quatorze ans remarquablement étourdi et turbulent, écrit le comte de Ludres, et on se trouvait en présence d'un pédagogue allemand. Ce jeune homme de vingt ans s'était affublé d'une longue perruque à l'allemande, d'un grand justaucorps serré à la taille, et il n'y avait en France que les vieillards qui portaient encore ce costume datant du grand roi [17].»
François déplut à ses sujets. Son germanisme et son air dédaigneux, si différent de l'affabilité de son père, éloignèrent de lui non seulement le peuple, mais aussi la noblesse. Il vécut à l'écart avec quelques amis amenés de Vienne, et sans cette confiance et cette touchante familiarité qui avaient toujours existé entre les Lorrains et leurs princes.
Le séjour du jeune duc en Lorraine ne modifiait en rien, du reste, les projets de l'Empereur à son égard, et la main de Marie-Thérèse lui était toujours destinée.