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CHAPITRE IV
(1735-1740)
ОглавлениеSociété littéraire de Lunéville: Mme de Graffigny, Devau, Saint-Lambert, Desmarets.
Abandonnons un instant Stanislas pendant qu'il organise peu à peu sa cour et qu'il cherche à s'acclimater en Lorraine et faisons connaissance avec quelques personnages de la petite cité de Lunéville. Ces personnages vont jouer bientôt un rôle si important, nous allons si bien les retrouver presque à chaque page de notre récit, qu'il est indispensable de les présenter au lecteur avec quelques détails.
Sous le règne du duc Léopold, Lunéville n'avait pas été seulement une cour galante, mais aussi une cour littéraire et savante. On se piquait d'y cultiver les sciences et les lettres.
Si l'avènement de Stanislas amena à la cour de Lorraine des esprits plus batailleurs que littéraires, dans la ville même on continuait à compter nombre d'esprits cultivés qui s'occupaient de littérature avec succès.
Les principaux personnages littéraires de la petite cité, ceux qui malgré leur jeunesse donnaient les plus belles espérances étaient Devau et Saint-Lambert; tous deux débutaient dans la carrière sous les auspices d'une femme qui aurait pu être leur mère, Mme de Graffigny.
Mme de Graffigny, qui devait devenir plus tard un des beaux esprits de Paris, faisait en ce moment les délices de Lunéville.
Née à Nancy en 1695, Françoise d'Isembourg d'Happoncourt, d'une illustre maison, avait épousé François Huguet de Graffigny, exempt des gardes du corps et chambellan du duc Léopold. C'était un homme d'un caractère violent et qui rendit sa femme parfaitement malheureuse. Elle se consola en le trompant consciencieusement et en cherchant dans l'amour et la littérature des compensations à ses peines. Enfin, après bien des années de souffrance et de résignation, elle obtint sa séparation et put vivre à sa guise.
Un commerce doux, égal, beaucoup d'esprit, un jugement solide, un cœur sensible lui avaient acquis beaucoup d'amis. Elle avait des prétentions littéraires, écrivait non sans talent et elle composait de petites pièces que l'on jouait à la cour de Léopold, où elle était reçue fort intimement. Elle conserva même toute sa vie les relations les plus affectueuses avec les princesses lorraines qui ne l'appelaient jamais que «ma chère grosse». Bientôt Mme de Graffigny imagina d'ouvrir un salon, et elle réussit à grouper autour d'elle quelques jeunes gens distingués qui, comme elle, étaient passionnés de littérature. Une nièce, pauvre et malheureuse, Mlle de Ligniville, qu'elle avait adoptée pour la sauver du couvent, vivait avec elle et l'aidait à recevoir ses amis.
Un des meilleurs, si ce n'est le meilleur des amis de Mme de Graffigny, fut François-Étienne Devau. Il était né à Lunéville le 12 décembre 1712. Ses parents le destinaient à la magistrature et ils l'envoyèrent faire ses études chez les jésuites de Pont-à-Mousson. Il se fit recevoir avocat au parlement de Nancy, mais sa nature indolente s'accommodait mal des études sérieuses et il ne sut jamais se plier à un travail régulier.
Il était aimable, aimait le commerce des lettres, et il se lia avec Mme de Graffigny, qui avait dix-sept ans de plus que lui. Quelle fut la nature de leur affection? Fut-elle, comme on l'a dit, purement maternelle de la part de la jeune femme? Il est assez délicat de le préciser.
Quand Mme de Graffigny écrit à son cher Panpan, car elle l'a surnommé Panpan, et le nom lui va si bien qu'il le gardera toute sa vie, elle l'embrasse mille fois et lui donne des marques de tendresse si vives qu'on reste fort perplexe. Nous sommes assez tenté de croire qu'au début, c'est-à-dire quand Devau avait dix-huit ans et Mme de Graffigny trente-cinq, l'intimité des deux amis ne fut pas longtemps platonique; elle le devint dans la suite, cela n'est pas douteux, mais quand on n'a aucun lien de parenté, on ne se tutoie pas sans avoir vécu dans une intimité complète, au moins pendant quelque temps. Et puis Panpan conserva jusqu'à sa mort un tel souvenir de Mme de Graffigny, de sa chère Francine, qu'elle avait dû, à n'en pas douter, être pour lui l'initiatrice, comme l'on dit de nos jours.
Toujours est-il que Mme de Graffigny, quel que soit le rôle qu'elle ait joué auprès de Devau, le lança dans le monde où elle avait les plus belles relations, et elle lui créa la situation qui lui manquait. Elle le fit admettre dans les sociétés les plus distinguées; elle le présenta à la cour de Léopold où, malgré son jeune âge, il fut fort bien accueilli. Son esprit naturel, la gaieté de son caractère, la douceur de ses manières le faisaient aimer de tous ceux qui le connaissaient.
Panpan ne se contentait pas d'être aimable dans la société, il composait encore avec facilité de petits vers fort jolis qui couraient les salons et lui faisaient de la réputation. Madrigaux, épigrammes, chansons, contes, il cultivait tous les genres.
Voici un spécimen de son talent: