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II

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Le génie de George Sand, que beaucoup ont comparé à ces grands fleuves qui souvent fécondent, mais qui souvent débordent, ou même à un torrent, ne nous a jamais apparu que comme un de ces lacs majestueux qu’on découvre avec ravissement au pied des hautes montagnes.

La vraie essence de ce génie, c’est la puissante placidité qu’offrent les vastes étendues d’eau. Il a des lacs la transparence et aussi l’insondable profondeur. Ce qu’il reflète le mieux, c’est l’azur sans fond d’un beau ciel, c’est le fin gazon de ses rives, c’est l’arbre incliné sur ses eaux, c’est le pic en apparence inébranlable qui pour miroir a sa surface polie. Ce qu’il écoute le plus volontiers, c’est le soupir ou le murmure des vents, c’est le silence animé des belles nuits, c’est la prière de l’aube à son réveil, c’est la chanson robuste de la journée, c’est le cantique du soir.

Quand la tempête le visite, c’est pour lui comme une douloureuse surprise; car il a l’ingénuité de tout ce qui est fort et n’a jamais cherché la lutte. Lorsque les vents inopinément déchaînés l’arrachent à son repos, lorsqu’il lui faut se mettre à la hauteur de leur courroux et mugir et rugir avec eux, il semble qu’il prenne la voix même de la mer. Sa passion ne bondit pas: elle se déroule comme un long gémissement; sa plainte est grave et cadencée toujours, elle a l’imposante lenteur des lamentations d’un océan et donne de la majesté à l’émotion la plus passagère.

Que si quelque roc précipité tout à coup de sa base s’engloutit en frémissant dans son lit profond, elle reçoit stoïquement la gigantesque blessure, et, après les bouillonnements inévitables de toute grande chute, le calme formidable reparaît aussitôt. Que si quelque navire étourdi s’aventure sur ces récifs à fleur d’eau que Dieu cache sous les ondes les plus plaisibles et s’y brise, s’il y a naufrage, s’il y a sinistre un jour sur ses bords, à qui s’en prendre? Le lac n’a pas appelé la tempête, il n’a pas défié le tonnerre; il a subi avec effroi, lui aussi, la passion des éléments; mais, quand, plus fort, il est parvenu à dominer leurs colères, quand la glace unie de ses eaux s’est refermée, dérobant à tous les yeux la profondeur de sa plaie et le secret de-ses souffrances, qui pourrait reprocher à ses ondes apaisées d’avoir obéi aux lois éternelles, d’avoir, après la tourmente, retrouvé leur niveau?

Le George Sand des Romans champêtres, c’est donc le George Sand pacifié, c’est le lac que dore le soleil des plus beaux jours, à qui sourit la nature dans son fécond repos.

Sa surface, que rien ne ride, recélait naguère la tempête? Que nous importe, à nous qui nous embarquons par un temps sûr!

Quelques apôtres de la plus triste, de la plus piteuse des utopies, celle de l’art pour l’art, laquelle (si on parvenait jamais à l’appliquer) aurait pour résultat d’exalter la main aux dépens du cerveau, quelques-uns ont fait à l’auteur des Romans champêtres, au milieu des éloges que leur arrachait son admirable talent, le reproche de n’avoir pas toujours assisté indifférent aux luttes qui ont agité notre époque. Ils ont déploré qu’un écrivain illustre se crût en état de donner son avis sur les révolutions contemporaines, comme cela appartient au plus naïf de ses lecteurs ou au plus retors de ses critiques, au dernier comme au premier venu.

Sans vouloir discuter le droit, incontestable, encore qu’on l’ose contester, qu’a le génie de jouer son rôle et de dire son mot au milieu des événements qui s’accomplissent sous ses yeux, sans vouloir juger surtout de l’usage heureux ou malheureux qu’il peut lui arriver, comme à tout autre, de faire de ce droit, nous demanderons, abordant la thèse en lecteur préoccupé de ses seules joies, si cette communication de l’écrivain avec les palpitations, avec les émotions, avec les orages de son temps, n’a pas pour résultat évident d’élever, de fortifier et d’agrandir son souffle, si ce n’est pas toujours à notre profit qu’il perd, en s’y mêlant momentanément, la paix de son âme et la tranquillité de son esprit, si nos jouissances ne sont pas faites de ses douleurs, de ses expériences et surtout peut-être de ses erreurs, comme la sécurité des passagers, des épreuves antérieures du pilote et de l’habitude qu’il a prise d’affronter la furie des flots? Nous demanderons enfin si c’est au public, qui recueille jusqu’aux épaves de ses naufrages, à lui faire un crime d’avoir, nouveau Colomb, cherché des mondes inconnus, ou tenté, comme le vieux Prométhée, de dérober le feu du ciel au profit de la terre.

Les Romans champêtres de George Sand sont exempts de ces aspirations ou philosophiques ou politiques que reprochent, à plusieurs des œuvres que l’auteur a produites à d’autres époques, ceux qui professent qu’un grand peintre ni un grand poëte n’ont pas besoin de conclure (c’est-à-dire de penser sans doute). Il semble que quelques critiques, ne seraient pas fâchés, cependant, de faire rejaillir sur ces oeuvres innocentes le défaut vrai ou prétendu de leurs aînées.

L’esprit humain est ainsi fait; il prend à partie l’œuvre tout entière d’un homme et l’homme lui-même. Il ne sépare rien, il ne divise rien. Il ne choisit pas, lui qui sait que, dans la nature même, il faut choisir! L’œuvre, ou telle partie de l’œuvre, est parfaite? d’accord: mais l’auteur ne l’est peut-être pas. Allons, faisons payer à l’œuvre les torts qu’il nous plaît de trouver à l’auteur!

C’est ainsi qu’une société pleine de vices, de misères tout au moins, exige l’impossible perfection dans ceux qui se donnent la tâche ingrate de l’émouvoir et de l’instruire.

Qu’on ne dise pas que nous exagérons: il est telle œuvre admirable, évangélique, quasi divine, dont l’esprit de parti, dont l’esprit de secte ou de caste, ne proclamera jamais le mérite à cause du seul nom de son auteur —un adversaire! Grâce à Dieu, la postérité est plus équitable. Le beau n’est jamais son ennemi. Elle n’a pas la cruauté du contemporain pour son contemporain. L’auteur ne répond, devant le sage et juste avenir, que de ce qu’il a fait de bien. Le temps, ami du génie, prend soin de débarrasser ses mains de ce que tout grand esprit a pu et dû, dans ses heures de défaillance, faire de médiocre ou de mauvais.

Ainsi devrions-nous faire cependant, ainsi ferions-nous, si critiquer n’était pas plus doux que d’admirer pour notre époque jalouse et comme envieuse de ses propres gloires.

Romans champêtres

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