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III

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Table des matières

Nous ne céderons pas à notre désir d’examiner dans leurs détails les beautés qui fourmillent dans les Romans champêtres; nous nous bornerons à dire que les mérites de la forme dans ces pages exquises surpassent encore les mérites du fond, que jamais langue plus charmante et plus savante à la lois n’a été plus habilement et plus sûrement maniée, et que, chefs-d’œuvre par le chaste intérêt de leur fable, les Romans champêtres sont, en outre, des merveilles d’exécution. Ils ne rappellent ni le roman osé de Longus, ni l’Aminta du Tasse, ni les robustes pastorales de Racan, ni les bergeries sentimentales de Florian, ni les idylles de Segrais, ni les fantaisies brillantes de Shakspeare dans Comme il vous plaira, ou de Molière dans Mélicerte, ni la Galatée de Cervantes, ni l’Arcadie de Sidney, ni l’Astrée de d’Ursé, ni le trop doux Gessner, ni Rousseau, ni Gœthe même, dont le génie, cependant, est en quelques points parent du génie de leur auteur.

Les Églogues de Théocrite et de Virgile. ou, mieux encore, le Livre de Ruth, sont les seuls aïeux qu’on pourrait reconnaître à la Mare au Diable ou à François le Champi, à la Petite Fadette ou aux Maîtres Sonneurs, si par le fait il n’y avait, dans cet entier renouvellement d’un genre, une sorte de création; car, pour l’artiste, retrouver le vrai, c’est créer.

Le public et la critique, à l’apparition de la Mare au Diable et de François le Champi, furent à la fois étonnés, et ravis. Le théâtre nous avait toujours montré des paysans ou grotesques ou méchants. Il sembla que les montrer susceptibles de bons sentiments fût une véritable découverte.

Je conviendrai volontiers que, pour un écrivain français, il est bon d’être de Paris; mais il ne faut pas que cela dégénère en spécialité et qu’on s’imagine que cela puisse tenir lieu de tout. Paris est une ville sans pareille; mais n’être jamais sorti de Paris est un défaut tout comme celui de n’être jamais sorti de son village. Quelques critiques ultra-parisiens, des critiques de théâtre principalement, lesquels ont le malheur de contempler trop souvent la nature aux quinquets, virent avec une sorte de dépit qu’on tentât de leur démontrer qu’il existait en maint endroit des paysans autres que les comiques du Palais-Royal, les vrais paysans selon Paris. Les paysannes du Berry leur parurent très-différentes des demoiselles qui donnent tous les soirs la réplique à ces messieurs. L’habitude était si bien prise de voir la nature falsifiée et chargée, que plus d’un refusa d’abord de la reconnaître sous ses vrais habits, parlant son vrai langage et vivant de ses vraies mœurs; la plupart se rendirent cependant, et il fut peu à peu admis que la candeur n’était peut-être pas exclusivement l’apanage des grandes villes et que l’amour noble et ingénu pouvait à toute force se trouver ailleurs encore que dans les divers arrondissements de Paris. Ce réalisme à rebours, c’est-à-dire, dans le bon sens du mot, ce réalisme qui consistait à faire voir le touchant et le grand là où d’autres n’avaient démêlé que le ridicule et le grotesque, trouva grâce devant cette universalité des lecteurs qui contient aussi les délicats. Il fut bientôt accepté par tous que la vie des champs ne saurait être, après tout, plus corruptrice que la vie de Paris. On sentit que, sans nier ce que l’éducation peut ajouter de grâce au sentiment, il n’était pas impossible que la campagne lui gardât plus de simplicité et de fraîcheur, et, par suite, plus de naturelle grandeur. Cette réaction champêtre ne fit point de tort à Paris, et, Dieu soit loué ! elle fit quelque bien à l’œuvre du Créateur.

Un critique dont la parole ne saurait être indifférente, qu’il faut, par conséquent, combattre quand on ne peut l’approuver, un critique qu’on rencontre partout dans le domaine de l’art, M. Sainte-Beuve, sortant comme d’un songe du silence où il restait depuis longtemps déjà à l’égard des meilleures productions de George Sand, consacra, dans un article en plus d’un point fort réussi sur les Romans champêtres, la découverte qu’il fit un beau jour, un peu après tout le monde, de leur immense succès.

Le lecteur nous saura gré de citer quelques passages du travail de l’éminent écrivain. Ils confirment notre opinion. Nous laisserons à dessein de côté ce qui, dans les réflexions de M. Sainte-Beuve, est en dehors de son sujet, pour éviter toute controverse. Nous sommes heureux d’être, en ce qui concerne les Romans champêtres, de l’avis d’un juge qui ne se tromperait guère, tant sa sagacité est grande, si, depuis trop longtemps, hélas! il ne semblait avoir systématiquement rétréci son terrain et diminué l’autorité même de sa parole en faisant à beaucoup de grandes et bonnes choses une guerre qui ne nous paraît pas toujours courtoise.

C’est à présent M. Sainte-Beuve qui perle. Il conclura pour nous, sans l’avoir prévu à coup sûr.

«J’étais, dit-il, en retard depuis quelque temps avec madame Sand; je ne

«sais pourquoi j’avais mis de la négligence à lire ses derniers romans; non pas

«que je n’en eusse entendu dire beaucoup de bien, mais il y a si longtemps que

«je sais que madame Sand est un auteur du plus grand talent, que tous ses romans

« ont des parties supérieures de description, de situation et d’analyse, qu’il

«y a dans tous, même dans ceux qui tournent le moins agréablement, des caractères

« neufs, des peintures ravissantes, des entrées en matière pleines d’attrait;

«il y a si longtemps que je sais tout cela, que je me disais: Il en est toujours

«de même, et, dans ce qu’elle fait aujourd’hui, elle poursuit sa voie d’invention,

«de hardiesse et d’aventure. Mais je suis allé voir le Champi à l’Odéon, comme

«tout Paris y est allé ; cela m’a remis au roman du même titre et à cette veine

«pastorale que l’auteur a trouvée depuis quelque temps; et, reprenant alors ses

«trois ou quatre romans, les derniers en date, j’ai été frappé d’un dessein suivi

«d’une composition toute nouvelle, d’une perfection véritable. J’étais entré à

«l’improviste dans une oasis de verdure, de pureté et de fraîcheur. Je me suis

«écrié, et j’ai compris alors seulement cette phrase d’une lettre qu’elle écrivait,

«l’an dernier, du fond de son Berry, à une personne de ses amies qui la poussait

«sur la politique:.....

«J’étudie Virgile, et j’apprends le latin.»

«Madame Sand faisait mieux que de lire les Géorgiques: elle nous rendait sous

«sa plume les géorgiques de cette France du centre, dans une série de tableaux

«d’une richesse et d’une délicatesse incomparables. De tout temps, elle avait

«aimé à nous peindre sa contrée natale; elle nous l’avait montrée dans Valentine,

« dans André, en cent endroits; mais ce n’est plus ici par intervalles et par

«échappées, comme pour faire décoration à d’autres scènes, qu’elle nous découpe

«le paysage; c’est la vie rustique en elle-même qu’elle embrasse; comme nos

«bons aïeux, nous dit-elle, elle en a subi l’ivresse, et elle nous la rend avec

«plénitude.

«Voilà donc, grâce à madame Sand, notre littérature moderne en possession

«de quelques tableaux de pastorales et de géorgiques bien françaises. Et, à ce

«propos, je songeais à la marche singulière que le genre pittoresque a suivie chez

«nous. Au dix-septième siècle, le sentiment du pittoresque naturel est né à

«peine, il n’est pas détaché ni développé, et, si l’on excepte le bon et grand

«la Fontaine, nous n’avons alors à admirer aucun tableau vif et parlant. La marquise

« de Rambouillet avait coutume de dire: «Les esprits doux et amateurs

«des belles-lettres ne trouvent jamais leur compte à la campagne.»

Cette impression

« a duré longtemps; tout le dix-septième siècle et une partie du dix-huitième

«en sont restés plus ou moins sur cette idée de madame de Rambouillet, qui

«est celle de toute société polie, et, avant tout, spirituelle. Madame de Sévigné,

«dans son parc, ne voyait guère que les grandes allées, et ne les voyait encore

«qu’à travers la mythologie et les devises. Plus tard, madame de Staël elle-même

«ne trouvait-elle pas que «l’agriculture sentait le fumier?» Ce fut Jean-Jacques

«qui, le premier, eut la gloire de découvrir la nature en elle-même et de la

«peindre; la nature de Suisse, celle des montagnes, des lacs, des libres forêts,

«il fit aimer ces beautés toutes nouvelles. Bernardin de Saint-Pierre, peu après,

«découvre à son tour et décrit la nature de l’Inde. Chateaubriand découvre plus

«tard les savanes d’Amérique, les grands bois canadiens et la beauté des campagnes

« romaines. Voilà bien des découvertes, les déserts, les montagnes, les

«grands horizons italiens; que restait-il à découvrir? Ce qui était le plus près de

«nous, au cœur même de notre France. Comme il arrive toujours, on a fini par

«le plus simple. On avait commencé par la Suisse, par l’Amérique, par l’Italie et

«la Grèce: il fallait madame Sand pour nous découvrir le Berry et la Creuse.

«En insistant sur l’admiration qui est due à ces dernières productions de

«madame Sand, je n’ai pas, au reste, la pensée de lui adresser un conseil: c’est

«un succès que j’ai voulu constater. Loin de moi l’idée de prétendre circonscrire

«désormais dans le cercle pastoral un talent si riche, si divers et si impétueux!

«Mon seul conseil, mon seul vœu, c’est qu’un tel talent s’ouvre des voies et crée

«des genres tant qu’il lui plaira.

«Qu’il aille à son gré, qu’il se développe, qu’il s’égare parfois; il est sûr de se

«retrouver, car il vient de source. Je dirai du talent vrai, comme on l’a dit de

«l’amour, que c’est un grand recommenceur. Ce qu’il a manqué une fois, il le

«ressaisit une autre. Il n’est jamais à bout de lui-même, et il récidive souvent.

«Le moment, pour la critique, d’embrasser ce puissant talent dans son cours et

«de le pénétrer dans sa nature n’est pas venu, selon moi; il faut le laisser courir

«encore. On peut préférer de lui telle ou telle manière, mais il est curieux de les

«lui voir essayer toutes. Pour moi, je préfère, je l’avoue, chez madame Sand,

«les productions simples, naturelles, ou doucement idéales; c’est ce que j’ai

«aimé d’elle tout d’abord. Lavinia, Geneviève, Madeleine Blanchet, la petite

«Marie de la Mare au Diable, voilà mes chefs-d’œuvre. Mais il y a aussi des

«parties supérieures et peut-être plus fortes, plus poétiques en elle, et que je suis

«loin de méconnaître. C’est Jeanne, c’est Consuelo; au fond, tout au fond, c’est

«toujours cette nature de Lélia, fière et triste, qui se métamorphose, qui prend

«plaisir à se déguiser et à se faire agréer, sous ces déguisements, de ceux mêmes

«qui ont cru la maudire en face. Et qu’est-ce que Consuelo, par exemple, sinon

«Lélia éclairée et meilleure? Enfin, chacun aura ses préférences; mais il ne faut

«rien interdire en fait d’art à un talent qui est en plein cours, en plein torrent.

«Un talent lier comme celui-là a été mis au monde pour oser.....»

Pour oser? Ce n’est pas nous qui l’avons dit; mais nous n’avons pas dit le contraire non plus. Aussi nous serions-nous bien gardé de lui reprocher, à ce talent, comme d’autres l’ont fait quand la vérité ne les emportait pas, de n’avoir été ni sourd, ni muet, ni aveugle, jamais.

P. J. STAHL.

Romans champêtres

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