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Chapitre 1 : Les instructions secrètes

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L’année 1875 tirait à sa fin. C’était une de ses rares journées de décembre quand souffle sur Buenos Aires une brise qui permet de se vêtir de manière élégante sans trop souffrir de la chaleur. Un jeune homme de 23 ans à peine attendait d’être reçu par une des personnes les plus importantes d’Argentine, le docteur Rufino de Elizalde, Ministre des Affaires Etrangères de la Nation. Il ne savait pas très bien pourquoi il était là. Son oncle, ami d’Elizalde, lui avait transmis le désir du Ministre de le rencontrer, mais il n’avait pas voulu en dire plus sur le sujet de cette réunion. Il lui avait seulement dit de mettre son plus beau costume et de s’armer de patience, puisque l’agenda très chargé du ministre infligeait généralement à ses visiteurs de longues heures d’attente.

Le jeune homme vit passer un domestique en uniforme avec un plateau chargé de boissons et de tartes. Lorsque la porte s’ouvrit pour qu’entre le domestique, il entendit provenant du bureau les voix de plusieurs personnes. Devant lui, une grande pendule commença à sonner les quatre heures de l’après-midi, son rendez-vous était à trois heures. Il n’était pas habitué à ce que le temps s’écoule inutilement et le fait d’attendre et d’attendre le mettait de mauvaise humeur, mais il ne pouvait pas dire que l’on ne l’avait pas prévenu. Le contenu du plateau lui indiquait que l’attente se prolongerait. En sortant, le domestique se dirigea vers lui et lui dit : — Le Dr. est désolé pour ce retard, mais des raisons d’état ont prolongé la réunion précédente. Il m’a demandé de vous offrir quelque chose à manger ou à boire puisqu’il va encore être retenu une demi heure. — Le jeune homme ne prit qu’un verre d’eau fraîche en ruminant son impatience sans savoir que l’entrevue avec Elizalde allait changer sa vie.

Il se remémora ce que lui avait dit son oncle au sujet d’Elizalde. Celui-ci avait été ministre des Affaires Etrangères durant la présidence de Mitre et il lui aurait succédé si le « fou San Juanino », comme on appelait Sarmiento, ne lui avait pas pris le poste. Le président qui succéda à Sarmiento, Nicolás Avellaneda, avait besoin de l’appui de Mitre et c’est pour ça que plusieurs des partisans de ce dernier occupaient de hautes fonctions dans le gouvernement actuel. La présence de Rufino de Elizalde dans le gouvernement garantissait à Avellaneda le soutien de Bartolomé Mitre, le principal homme politique de Buenos Aires. La politique n’intéressait pas beaucoup le jeune homme et il s’était perdu dans les explications de son oncle. Il savait seulement clairement qu’il allait avoir une entrevue avec une des personnes les plus influentes du pays.

Le temps s’était finalement écoulé sans qu’il ne s’en rende compte ; il remarqua qu’il n’avait pas encore bu son verre d’eau lorsqu’il fut surpris par le bruit d’une porte qui s’ouvre. Il pensa que les personnes qui étaient là avant lui allaient sortir mais, dans l’encadrement de la porte, il ne vit qu’un homme chauve d’environ cinquante ans, avec de longues rouflaquettes, qui lui dit en souriant, d’un ton sympathique et presque malicieusement :

— Francisco Pascasio Moreno, naturaliste et explorateur de lacs cachés, en avant ! La patrie a besoin de vous !

Le jeune Moreno ouvrit de grands yeux et se leva. La bienvenue l’avait conquis et avait amélioré son humeur. Il serra fermement la main du Ministre et entra dans le bureau où il pensait rejoindre d’autres personnes, mais la pièce était vide.

— Surpris ? — demanda Elizalde.

— C’est que je pensais que vous étiez avec d’autres personnes et comme je ne les ai pas vues sortir…

— Aha, vous êtes bon observateur. En fait ce bureau a un petit secret très utile aux politiciens. Il a deux entrées, chacune avec leur propre salle d’attente, afin que les visiteurs ne puissent pas savoir qui était là avant eux…

— Ou aussi pour que vous puissiez sortir sans être vu de ceux qui vous attendent.

— Très bien Francisco ! En effet, je ne dis pas que je n’ai jamais utilisé ce subterfuge ! haha ! Bien, asseyons-nous dans les fauteuils, nous serons plus à l’aise.

Moreno se retourna et jeta un regard au bureau. Celui-ci était très grand et quelque peu surchargé d’ornements et de meubles. Les murs étaient couverts d’une superbe boiserie, à laquelle étaient accrochés des cadres de personnalités et des scènes de bataille. Un en particulier attira son attention.

— C’est la bataille de Caseros. J’y étais, — dit le ministre — lorsque nous avons vaincu le Tyran[1].

— En effet, le 3 février 1852, presque quatre mois avant ma naissance.

Les deux hommes s’assirent dans de moelleux fauteuils. Elizalde déroula une carte du sud du continent sur la table. Une grande partie de la carte était marquée des mots « Terra Incognita », territoire inexploré.

— Votre oncle m’a parlé de votre voyage d’exploration à la source du fleuve Limay. De ce que j’en ai compris, le lac qui en est la source est interne à la cordillère.

— En effet, les indiens l’appellent Nahuel Huapi qui en mapuche signifie le grand lac. Un de ses bras arrive jusqu’à un passage qu’utilisent les indiens pour se rendre au Chili.

— Votre oncle m’a aussi dit que vous étiez un grand naturaliste, et que la géologie et l’anthropologie vous intéressaient.

— Je vois qu’il vous a beaucoup parlé de moi… c’est vrai, la science m’attire de manière générale. L’anthropologie est pour moi un des domaines les plus fascinants. Pendant ce voyage, j’ai trouvé une grotte qui fut habitée par des indiens il y a très longtemps. Il y avait des dessins sur la paroi, des os et des pointes de flèche, probablement d’une époque antérieure à la conquête de l’Amérique. J’ai aussi une collection de crânes et d’armes indiennes de voyages précédents… La vérité est que je pourrais parler des heures de l’exploration des terres inconnues, mais j’imagine que vous ne m’avez pas appelé pour que je vous raconte tout ça.

— C’est vrai Francisco (ça ne vous dérange pas que je vous appelle par votre prénom, n’est ce pas ?). En réalité, je vous ai demandé de venir pour vous proposer de réaliser un voyage d’exploration qui pourrait être d’une grande utilité à notre pays. Que savez-vous du fleuve Santa Cruz ?

— Pas grand-chose. Je m’y suis rendu l’année dernière en compagnie du naturaliste Carlos Berg, mais nous n’avons vu que l’embouchure. Le reste, je le tiens du récit de l’expédition anglaise de Fitz Roy et Darwin. Je sais que Piedrabuena envoya un groupe d’aventuriers qui furent les premiers à atteindre le lac d’où le fleuve prend sa source et qu’il y a peu de temps, une expédition de la Marine arriva en bateau à ce même lac.

— En effet, et il y a peu de jours une expédition chilienne est arrivée au même endroit. Si nous ne réagissons pas, le Chili obtiendra une grande partie de la Patagonie voire même sa totalité. Voyez-vous Francisco, le gouvernement de Sarmiento perdit énormément de temps. Il ne sut pas asseoir la souveraineté argentine en Patagonie et les chiliens surent parfaitement tirer profit de notre inaction. Notre Président, le Docteur Avellaneda, a décidé que l’expansion argentine était une de ses politiques d’état prioritaires. Le ministre Alsina a pour tâche de mettre fin au problème du « malon » des indiens, et moi, on m’a chargé de renforcer la présence argentine dans ce territoire.

— Mais Docteur, je ne comprends pas le rôle que je peux jouer là-dedans.

— Laissez moi vous rappeler un peu d’histoire, de façon à ce que je puisse vous expliquer toute l’affaire au mieux. Les pays d’Amérique du Sud se créèrent à l’effondrement de l’Empire Espagnol, suivant les mêmes limites qu’avaient les différentes juridictions administratives crées par Séville, cela s’appelle le principe de « uti possidetis juris ». C’est ainsi que l’Argentine émergea de ce qui était la Vice-royauté du fleuve de la Plata (avec les scissions de l’Uruguay, du Paraguay et de la Bolivie qui ne se sont pas pliés à la révolution de Mai à laquelle participa votre célèbre ancêtre Mariano Moreno). Le Chili hérita du territoire de la région de Chili. Tout aurait été simple mais… il y a toujours un mais… les bons espagnols ne prirent pas soin de délimiter les frontières dans les territoires qu’ils ne connaissaient pas : les territoires occupés par les indiens. Regardez cette carte.

Ils se penchèrent tous les deux sur la reproduction d’une vieille carte espagnole.

— Voyez tous ces territoires déclarés depuis 100 ans comme inconnus : la Puna, el Chaco et la Patagonie. Le fait que les antiques juridictions espagnoles n’aient pas établi de frontières causa d’importants conflits dans ces zones. A el Chaco, il y eut un grand problème limitrophe avec le Paraguay qui fut résolu à la suite d’une guerre cruelle que sut gagner notre président de l’époque, Bartolomé Mitre. A la Puna, la situation est explosive entre la Bolivie, le Pérou, le Chili et nous. Et en Patagonie, le conflit se déroule entièrement avec le Chili. Nous souhaitons que la cordillère sépare les deux pays mais les Chiliens ne sont pas d’accord et veulent tout garder. Si nous ne réagissons pas, ils auront toute la Patagonie. Jusqu’à maintenant, ils ont prouvé qu’ils étaient bien plus audacieux que nous. La fondation de Fuerte Bulnes et de Punta Arenas, sans que nous n’ayons réagi d’aucune manière, marque une importante présence chilienne dans la zone qui fait que pour les puissances européennes, le Chili est mieux placé pour réclamer la Patagonie.

Moreno regardait la carte d’une air incrédule. Il ne pouvait pas croire qu’ils étaient sur le point de perdre toute cette « Terra Incognita » qu’il avait toujours considérée comme une partie de l’Argentine. Cependant, pensa-t-il, le ton et l’attitude d’Elizalde ne semblaient pas être ceux d’un échec. Il ne l’avait probablement pas appelé pour lui dire que tout était perdu.

— J’imagine, Ministre, que vous devez avoir un plan dans lequel j’interviens d’une manière ou d’une autre, n’est-ce pas ?

— En effet, j’ai un plan. Il y a une stratégie qui doit être menée très précisément pour que nous ayons des chances de garder la Patagonie. Ce que je vais vous raconter est absolument confidentiel.

Avec Avellaneda et Mitre, nous avons décidé de profiter d’une circonstance conjoncturelle qui ne se répétera pas deux fois. C’est notre dernière opportunité et nous ne devons pas la perdre. Il y a une situation très tendue entre le Chili d’un côté et la Pérou et la Bolivie de l’autre, au sujet de la délimitation des frontières de la Puna. Nous pensons qu’il est très probable qu’il y ait d’ici peu (peut-être deux ou trois ans) une guerre dans cette zone. Si l’Argentine intervenait, le Chili serait probablement vaincu car il ne peut pas combattre deux fronts en même temps (la Patagonie et la Puna). Notre plan est de tendre nos relations avec le Chili au même rythme que le Pérou et la Bolivie, afin de maintenir latente la possibilité que le Chili ait à affronter deux conflits simultanés. Nous espérons ainsi que le Chili se voit contraint d’apaiser une source de conflit potentiel avec l’Argentine, avant d’affronter le Pérou et la Bolivie.

— Et en quoi une expédition est-elle nécessaire pour faire renoncer le Chili à la Patagonie ?

— Un moment, n’allez pas si vite.

Elizalde s’arrêta et alla chercher une carte plus moderne de la zone de l’extrême sud de la Patagonie.

— Je ne dirais pas que le Chili renoncerait simplement à la Patagonie. L’idée, c’est que le Chili consentirait à ce qu’ait lieu un arbitrage international, ce que je ne souhaite pas aujourd’hui puisqu’en l’état actuel des choses, ils obtiendraient tout. Pour obtenir gain de cause dans l’arbitrage, il faut démontrer et prouver nos positions. Nous devons générer « des actes de souveraineté » qui nous permettent de défendre la position de l’Argentine dans cette région. Pour cela, il est nécessaire : d’explorer, nommer des lieux, découvrir des choses, connaître et habiter le territoire. Nous devons profiter du peu de temps qu’il nous reste pour générer tous les actes de souveraineté que nous pouvons avant l’arbitrage.

— Je comprends... mais alors docteur, pourquoi explorer le fleuve Santa Cruz et pas d’autres zones de la Patagonie plus accessibles ?

— Regardez bien cette carte. Le Chili, avec la ville de Punta Arenas, domine le détroit de Magellan. Il est déjà perdu pour nous et il n’y a pas moyen de le récupérer. Mais nous pouvons limiter la présence territoriale du Chili. C'est-à-dire entourer Punta Arenas de zones qui soient incontestablement argentines. Notre plan est d’ « argentiniser » ce territoire sous forme de pinces, avancer rapidement par le sud et par le nord. Par le Sud, nous fonderons une colonie sur l’île de Terre de Feu, ici — dit-il en pointant le sud de l’île- c’est le canal de Beagle. Le Chili détiendra le passage d’un océan à l’autre par le détroit de Magellan mais nous l’aurons également par le canal que découvrit Fitz Roy. Au nord du détroit de Magellan, sur le continent, nous avons déjà une population sur l’île Pavon, il nous reste à établir notre présence aux pieds des Andes. Si nous y parvenons, nous serons dans une très bonne position pour l’arbitrage et nous limiterons le territoire du Chili de ce côté des Andes à Punta Arenas et au détroit de Magellan seulement. Regardez ici — dit-il en désignant une zone de la carte avec un sourire aux lèvres — il reste toute la Patagonie jusqu’à l’Ouest de la Cordillère et tout, ou du moins une grande partie, de Terre de Feu pour l’Argentine.


Le jeune Francisco Moreno.

Moreno était fasciné par ce plan si audacieux pour arracher au Chili, presque au dernier moment, la majeure partie de tout ce territoire inexploré. Il était enchanté à l’idée de faire partie de cette stratégie mais il ne comprenait toujours pas quel pourrait être son rôle et son apport.

— Francisco, nous vous proposons d’être celui qui mènera l’expédition qui remontera le fleuve Santa Cruz et arrivera jusqu’aux montagnes.

— Mais Docteur, cela a déjà été fait par l’expédition du sous-lieutenant Feilberg. Que puis je apporter de nouveau qui n’ait été déjà fait ?

Elizalde se bascula en arrière contre le dossier du fauteuil. Il but une gorgée d’eau du verre qui était sur la table à côté du bras du fauteuil, prenant son temps pour répondre.

— Mon cher Moreno, vous posez des questions pointues qui me poussent à aborder des sujets que je préférerais ne pas aborder, mais je comprends qu’une personne intelligente comme vous nécessite et mérite de savoir chaque détail. — Il se leva, marcha vers la fenêtre et, le regard perdu à l’horizon, reprit la parole.

— Cela faisait partie de la stratégie du ministre de la guerre en 1873, d’envoyer la Marine réaliser une expédition le long du fleuve Santa Cruz. Celle-ci fut menée par le jeune Feilberg. Il réussit à atteindre la source du fleuve mais il ne put générer aucun acte de souveraineté, rien qui prouve qu’ils y parvinrent réellement. Ils ne firent aucune carte, ils ne découvrirent rien de nouveau… c’est comme s’ils ne s’y étaient jamais rendus. Ce n’est pas que je n’y crois pas mais il est possible qu’au cours de l’arbitrage, le Chili émette des doutes au sujet de l’existence même de cette expédition, et nous n’avons rien, absolument rien, pour le démontrer.

Elizalde regarda vers Moreno et retourna au fauteuil.

— Cela n’est pas la faute de Feilberg mais celle de la personne qui lui donna les instructions... les militaires sont presque aussi mauvais en exploration qu’en musique, ahah… C’est donc pour ça que le Dr Avellaneda remet maintenant cette affaire entre les mains du ministre des Affaires Etrangères. Nous avons décidé de changer totalement le style de l’expédition. Nous cherchons un naturaliste qui voyage et qui découvre des régions, qui fasse des découvertes, qui décrive ; en définitif quelqu’un qui puisse démontrer sans l’ombre d’un doute qu’il fut le premier à arriver là-bas et que notre pays connaît et domine la zone. Lorsque votre oncle m’a raconté votre voyage aux confins du fleuve Limay, j’ai réalisé que vous aviez exactement le profil dont nous avions besoin.

Moreno craignit qu’Elizalde perçoive la vague d’orgueil qui l’envahissait. Pour la dissimuler, il but de l’eau et faillit s’étrangler. Il essaya de dire quelque chose d’intelligent mais il ne pensa qu’à demander — et quand est supposée avoir lieu cette expédition ?

— Tout d’abord, il faudrait que ce soit en été puisque la zone est terriblement froide ; je pensais donc à novembre ou décembre de l’année 1876.

— Je pourrais la mener beaucoup plus tôt, en mars ou en avril — en prononçant ces paroles, il se rendit compte qu’il avait l’air d’un idiot qui se vantait.

— Sûrement mon bon ami, mais il y a d’abord quelques devoirs à faire, et à ce sujet je ne vous ai pas encore tout dit.

Moreno le regarda et pensa : « Que va-t-il m’apprendre de plus ? »

— Il faut tenir compte du fait que tout cela sera utilisé par une commission d’arbitrage composée sûrement de puissances européennes. Dites-moi, Francisco, quelle serait selon vous la nation à la tête de cette commission ?

— Il y a un instant, vous me parlez de « faire les devoirs », et maintenant, j’ai un examen. On dirait que je suis retourné au collège. — plaisanta Moreno- Je dirais que la principale puissance de l’arbitrage serait l’Angleterre.

— Très bien ! C’est pour ça que nous devons nous préparer à convaincre l’Angleterre. Ce qui se passe habituellement dans les arbitrages, c’est que les pays en litiges inventent des preuves au sujet de leurs droits et de leur souveraineté, c’est pour ça que la commission se méfiera de chaque élément de preuve. Vous devez savoir que les anglais sont très méfiants. Dites-moi Francisco, en qui auront confiance les anglais quand ils analyseront le rapport de chaque pays ?

Moreno resta pensif, il n’avait pas de réponse — Je suppose qu’ils auraient plus confiance en nous qu’en les chiliens — risqua-t-il.

— Faux, mon ami. Les anglais n’ont confiance qu’en les anglais. Pour renforcer notre position, nous devons inclure des anglais à notre plan.

— Je suppose que vous y avez déjà pensé — dit Moreno.

— En effet, en ce qui concerne la partie sud de notre tenaille sur Punta Arenas, nous sommes en négociation avec une petite mission anglicane pour qu’elle reconnaisse la souveraineté argentine.

— La mission de Thomas Bridges, le curé des Malouines ?

— Celui-là même, — répondit Elizalde — je vois que connaissez notre homme.

— J’ai entendu parler de lui. Il y eut déjà d’autres tentatives d’évangélisation anglicane dans la région, mais elles finirent mal. La première de Fitz Roy et la seconde d’un certain Gardiner qui mourut tragiquement. Bridges est un peu leur successeur mais je n’aurais jamais imaginé qu’il était disposé à coopérer avec l’Argentine.

— En fait, Francisco, nous essayons actuellement de saisir les opportunités qui se présentent à nous. Bridges a eu plusieurs altercations avec les chiliens, il pensera donc sûrement que nous sommes moins mauvais qu’eux. En plus, il s’est disputé avec les gens des Malouines et a perdu leur appui, il est donc seul. C’est une personne très spéciale, avec qui il est difficile de traiter, mais qui a besoin d’un parapluie protecteur et il sait que nous pouvons le lui fournir. Sa priorité numéro une est la protection des indiens. Dans ce sens, nous lui donnons toutes les garanties… enfin… ceci est le plan pour la partie sud de notre tenaille. La manière dont nous voulons impliquer des anglais dans la partie nord de notre tenaille est plus compliquée — Il regarda d’une manière de défi Moreno- Une idée ?

Moreno se rendait compte qu’Elizalde était très fier d’avoir un plan si minutieusement élaboré, il ne perdit donc pas de temps à essayer de deviner.

— Je ne sais pas pourquoi mais j’ai la sensation que vous devez avoir une idée à ce sujet.

— En effet, — dit Elizalde — mais je vais vous donner une piste pour que vous tentiez une réponse. — il regarda Moreno dans les yeux — Nous voulons impliquer un anglais qui s’est déjà rendu sur place et qui est un naturaliste de renommée mondiale.

— Darwin ? ! — s’exclama Moreno

— Exactement. Quoi de mieux, pour asseoir notre position, que de compter sur l’aval du scientifique le plus prestigieux, et qui en plus connaît la zone !

— Et pourquoi Darwin voudrait se mêler de tout ça ?

— C’est très simple. L’irlandais John Coghlan (une fois dans un club, je l’ai malencontreusement appelé « anglais » et il a faillit m’écraser son cigare allumé dans les yeux) est ingénieur, il a fait plusieurs travaux pour le gouvernement. En faisant des routes ou des ponts, il trouva plusieurs fois des squelettes d’animaux éteints. Coghlan a un accord avec Darwin, il lui envoie une grande partie du matériel rencontré pour que le savant anglais l’examine, le catalogue et l’utilise pour ses travaux.

Vous ne le connaissez peut être pas mais John est un « gentil fou ». Il obtint le diplôme d’ingénieur en France, il travailla dans la moitié des pays d’Europe avant de venir s’installer en Argentine où il arriva recommandé pas moins que par Baring Brothers. Il construisit les « depositos de las Catalinas », de nombreuses lignes de chemin de fer, il fit des systèmes d’égouts et des ponts presque dans toute la province de Buenos Aires. Un homme d’une énergie inépuisable, aussi amoureux de l’exploration, il en fit une très intéressante le long du fleuve Salado. Cependant, depuis la mort de femme, il est moins actif mais il continue d’échanger du courrier avec Darwin. Celui-ci a envoyé son portrait avec une dédicace amicale que John a encadré et accroché dans sa bibliothèque et qu’il montre avec orgueil à tous ses visiteurs.

— J’ai aperçu plusieurs fois Coghlan, mais nous n’avons jamais été présentés. J’ignorais tout de sa correspondance avec Darwin. — dit Moreno très intéressé.

— Mais ça n’est pas tout. Sur mes instructions, John a déjà écrit à Darwin au sujet de la future expédition, à l’endroit même où il se rendit il y a quarante ans. Bien sûr, nous ne lui avons pas dit qui serait en charge de cette expédition puisque cela nous ne l’avions pas encore défini. Dans sa lettre, il demande à Darwin quels sont les endroits où trouver des fossiles, en lui promettant de lui envoyer ce que nous pourrions rencontrer d’intéressant.

— Et qu’a répondu Darwin ? — demanda anxieux Moreno.

— La réponse ne nous est pas encore parvenue, mais elle devrait arriver d’un moment à l’autre. —Elizalde regarda sa montre et sursauta — Comme le temps passe vite ! Bien Francisco, je pensais que vous pourriez vous rendre directement chez Coghlan qui vit près d’ici au 25 de Mayo 135.

Moreno le regarda d’un air un peu moqueur et dit : — je ne vous ai pas encore dit que j’acceptais.

— Vous avez raison. — répondit Elizalde- Avant de répondre, sachez seulement qu’il est prévu de publier un livre sur l’expédition, en détaillant les lieux, faits et toutes les données possibles. Le livre sera publié par la Imprenta de la Nacion, il sera distribué dans tout le pays et aussi à l’étranger. Il est clair que, pour dissimuler le véritable objectif, le livre devra privilégier l’aspect scientifique de l’expédition… bien, maintenant Francisco, est-ce que vous acceptez ?

— Bien sûr que oui ! — répondit Moreno — Je n’imaginais pas avoir la chance d’être chargé d’un projet que j’aurai tant envie de réaliser.

— Bien. Alors avant que vous ne partiez, faisons un récapitulatif : vous devrez organiser une expédition qui atteigne non seulement la source du fleuve Santa Cruz mais qui inclue l’exploration de toute la zone de la cordillère. Vous devrez nommer des montagnes, des lacs, des fleuves… tout ce que vous trouvez, je veux beaucoup de descriptions. Une autre tâche est celle de chercher, trouver et ramener des fossiles, des peaux d’animaux (s’ils sont inconnus, c’est mieux), trouver des peintures indigènes sur les roches, prendre contact avec les indiens de la zone, etc, etc… Et finalement impliquer Darwin dans les résultats de l’expédition.


Robert FitzRoy portant son uniforme de vice-amiral, par Francis Lane.

Elizalde regarda l’heure, but un peu d’eau et soudain s’exclama : J’oubliais ! Vous devez également trouver la borne que Feilberg dit avoir laissé à la source même du fleuve. Elle nous servira à « certifier » l’arrivée de Feilberg dans la zone et à démontrer qu’il y a de nombreuses années que nous l’explorons.

— Comment était la borne ?- demanda Moreno.

— Une bouteille renversée, une rame plantée dans le sol avec un drapeau argentin. — répondit Elizalde.

— Quelle mauvaise manière de faire une borne qui perdure dans le temps — commenta Moreno — je doute qu’elle ait supporté les vents de la zone.

— Bien sûr que non. La première tempête a dû emporter la bouteille, les rames et le drapeau au milieu de la steppe — il susurra- pour autant qu’ils aient bien été là-bas.

Elizalde se leva, signe que l’entrevue était terminée. Moreno alla chercher son chapeau. A la porte, Moreno se retourna et lui dit :

— Docteur, et si je ne trouve pas la borne de Feilberg ?

Elizalde le regarda d’un air surpris. — C’est très simple, si vous ne trouvez pas la borne… vous la trouvez quand même.

Devant l’air déconcerté de Moreno qui semblait ne rien comprendre, il ajouta —J’ai dans le tiroir de mon bureau, un drapeau argentin effiloché par le vent qui peut parfaitement convenir. Bonne soirée mon ami — ils se serrèrent la main et il ferma la porte.

* * *

Moreno, perdu dans ses pensées, se dirigeait vers la maison de John Coghlan. On venait de lui offrir un voyage qui pourrait changer sa vie. Quelque chose de semblable était arrivé à Charles Darwin, il y a plus de cinquante ans. Il avait dévoré les travaux du naturaliste anglais ; il avait lu minutieusement le livre que Darwin avait écrit au sujet du voyage sur le Beagle, sous les ordres du capitaine Fitz Roy, et qui relatait des deux années qu’il avait passées en territoire argentin. Il avait lu plusieurs fois le passage sur leur expédition de trois semaines le long du fleuve Santa Cruz dont ils ne parvinrent pas à atteindre la source. Ce récit fut un de ceux qui lui donnèrent, adolescent, le goût de l’exploration et de la collection et classification des fossiles et des animaux. S’il aimait dire qu’il était naturaliste, c’était parce qu’il avait appris ce mot en lisant l’œuvre de Charles Darwin et qu’il savait tout ce qu’elle signifiait.

D’un autre côté, il avait également lu l’œuvre de Darwin qui révolutionna le monde, « L’origine des espèces ». Vingt ans après son voyage autour du monde sur le Beagle, le scientifique anglais avait utilisé les observations collectées pour exposer, et quasiment démontrer, que les animaux ne furent pas crées tels qu’ils sont aujourd’hui mais qu’ils se modifièrent tout au long de milliers, voire de millions d’années, à partir d’autres animaux aujourd’hui disparus. Le monde trembla devant cette théorie et la société fut divisée entre ceux qui soutenaient la théorie biblique sur la création, les « créationnistes », et ceux qui soutenaient la théorie de Darwin, connus comme les « évolutionnistes » ou les « darwinistes ». Combien d’amis de longue date s’étaient battus à mort au cours d’une discussion initialement amicale dans les clubs de la haute société, non seulement à Londres mais aussi dans les principales villes du monde, Buenos Aires y compris.

La révolution que sa théorie causa dans la société anglaise n’intimida pas pour autant Darwin qui, quelques années plus tard, asséna un coup encore plus dur à la Bible. Il écrivit un livre qui traitait non plus des animaux mais de l’Homme directement, et qui disait que celui-ci était le produit de l’évolution et qu’il provenait des animaux inférieurs, comme les singes. Il n’y avait pas de place pour Adam et Eve dans le monde de Darwin.


Charles Darwin dans sa vieillesse.

Au-delà de l’évolution des animaux, Darwin expliquait, du point de vue de la géologie, que le relief du monde n’était pas non plus statique mais qu’il se modifiait à travers les millénaires et que ces changements se poursuivaient aujourd’hui. Connaître les processus capables de modifier une région était fondamentale pour qu’un géologue, comme Moreno, puisse comprendre l’intensité et la direction d’un changement dans un endroit donné.

Moreno ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait un certain parallèle entre Darwin et lui. « Il avait presque mon âge lorsqu’on lui proposa de participer à un voyage plus fantastique que tout ce qu’il aurait pu imaginer. » Soudain les paroles, jamais amicales, d’un cocher qui dut faire une manœuvre pour éviter de l’écraser, firent sursauter Moreno et se rendre compte qu’il était arrivé devant la maison de John Coghlan. La maison en question n’était pas ostentatoire mais montrait sans aucun doute que Coghlan n’avait pas de problèmes d’argent. Il frappa à la porte. Une servante lui ouvrit et le guida jusqu’à une salle dans la pénombre. Elle chuchota quelques mots que Moreno ne réussit pas à comprendre mais il supposa que cela signifiait qu’il devait attendre ici et que le maître de maison allait le recevoir.

En l’attendant, il s’intéressa à la quantité infinie d’os et de fossiles qui étaient exposés. En s’approchant pour mieux les voir, il remarqua sur le mur le portrait de Darwin dont Elizalde lui avait parlé. Celui-ci comportait une dédicace écrite de sa propre main : « To my dear friend John Coghlan, whose valuable effort supporting my work deserves more than just this remembrance. Charles Darwin ».

Une voix rauque derrière lui énonça : « A mon cher ami… »

Moreno l’interrompit : … John Coghlan, dont l’effort inestimable pour appuyer mon travail mérite bien plus que ce seul souvenir. Je parle et je lis l’anglais, monsieur…

— Coghlan, John Coghlan. Je vous en prie, asseyez vous. — les deux hommes se serrèrent la main et s’assirent — Comment avez-vous appris l’anglais ? Cela n’est pas commun par ici- dit-il avec un fort accent britannique.

— C’est ma mère qui me l’a enseigné, elle est d’origine irlandaise, son nom est Thwaite. Son père était soldat de l’armée anglaise pendant les invasions anglaises, et il décida de rester à Buenos Aires.

— J’ai entendu plusieurs histoires similaires à celle de votre grand père. Les soldats irlandais se sentaient très bien ici non seulement parce que les filles de société leur portaient beaucoup d’intérêt mais aussi parce que, en tant que catholiques, ils cherchaient à fuir la pression anglicane afin de pratiquer leur religion librement. Plusieurs décidèrent de s’échapper des anglais dès qu’ils en eurent l’opportunité. Vous savez comment est la relation entre irlandais et anglais, mon ami Moreno. — Francisco fit une expression de celui qui attend qu’on l’éclaire — Et bien, ils sont comme un grand frère qui nous maltraite. A la maison, nous passons notre temps à nous battre mais lorsque nous sommes loin de notre terre, nous voyons que nous avons beaucoup de choses en commun ; j’ai une infinité d’amis anglais. D’une certaine manière, nous les irlandais, nous pensons que nous sommes assez grands et que nous devrions avoir notre propre maison, c’est-à-dire nous séparer de l’Empire Britannique, mais notre grand frère se refuse à nous laisser libre.

Coghlan était un homme corpulent qui semblait avoir plus de cinquante ans. Ses cheveux clairsemés et grisonnants semblaient indiquer qu’il avait été roux par le passé. La peau rouge de son visage laissait voir de petites veines, très fréquent chez les habitants des îles britanniques.

— Bien, mon ami Moreno, je vois que votre aspect ne trahit pas vos origines irlandaises mais de ce que je sais de vos voyages, le sang celte coule toujours dans vos veines puisque vous avez fait preuve de suffisamment d’entêtement pour atteindre vos objectifs, n’est-ce pas ?

Le jeune homme sourit en interprétant ceci comme un compliment.

— J’imagine que si vous êtes ici, c’est que vous avez rencontré le Docteur Elizalde et que vous avez accepté sa proposition, n’est-ce pas ?

— En effet. Je dois dire qu’en plus de me sentir flatté par l’opportunité de servir mon pays en faisant quelque chose qui me fascine, je suis aussi surpris par un plan si détaillé pour protéger notre Patagonie. Le Docteur Elizalde m’a parlé de votre relation avec Darwin et le fait que vous lui avez écrit une lettre pour l’intéresser à cette expédition. Avez-vous reçu une réponse à cette lettre ?

— Malheureusement oui je l’ai reçue et elle n’est pas excellente. Hier dans la matinée, le bateau anglais Arrow est arrivé au port et dans la soirée le courrier a été distribué. Dans sa lettre Darwin me dit que, étant donnée que plus de quarante années se sont écoulées, il se rappelle peu de choses du voyage le long du fleuve Santa Cruz. Il a relu ses carnets de notes et il y a très peu d’informations qui puissent nous être utiles. En définitif, il ne semble pas très intéressé.

Soudain, il sembla à Moreno que le plan s’effondrait comme un château de cartes. Toute l’idée d’impliquer une importante figure anglaise s’effondrait à la première étape.

— Comme c’est bizarre, j’avais cru que vous lui aviez proposé de lui envoyer des fossiles que j’aurais pu trouver pendant l’expédition — dit Moreno, avec une voix qui ne pouvait cacher sa déception.

— C’est ce que j’ai fait. Mais dans sa réponse, il me dit que la vallée est composée principalement de pierre basaltique et de matériel d’alluvions, aucun des deux ne contient de fossiles. Et il mentionne également qu’en l’état actuel de son travail, il est seulement intéressé par des squelettes complets, pas par des pierres et qu’une expédition ne pourra vraisemblablement pas rapporter ce matériel.

— Alors il n’y a rien à faire ? Le plan d’impliquer un anglais tombe à l’eau ?

— Et bien… pas exactement. — dit Coghlan — Dans sa lettre, Darwin indique que l’information géographique et géodésique que dressa l’expédition du Beagle pourrait nous être utile. Cette information était sous la responsabilité de Fitz Roy mais comme celui-ci est décédé il y a quelques années, il pourra nous mettre en contact avec son assistant en cartographie de l’époque, John Lort Stokes.

— Un contact de troisième catégorie n’est pas ce dont nous avons besoin, Mr Coghlan — dit Moreno avec le moral visiblement bas.

Coghlan se leva, marcha vers sa bibliothèque, chercha quelques secondes et en extirpa un livre qu’il montra à Moreno. Celui-ci le prit sans beaucoup d’intérêt et lut le titre :

« Discoveries In Australia ; With An Account Of The Coasts And Rivers Explored And Surveyed During The Voyage Of H.M.S. Beagle, In The Years 1837-38-39-40-41-42-43. By Command Of The Lords Commissioners Of The Admiralty ».

« Découvertes en Australie : recueil des côtes et fleuves explorés et examinés pendant le voyage du bateau H.M.S. Beagle, dans les années —38-39-40-41-42-43. Sur ordre des Lords Commissaires de l’Amirauté anglaise ».

Moreno regarda Coghlan d’un air interrogateur — Voyez l’auteur — dit Coghlan à Moreno qui regarda à nouveau le livre:

Author: John Lort Stokes

— Stokes. — dit Coghlan — Le Vice Amiral John Lort Stokes est une des personnes les plus importantes de l’Amirauté anglaise. Il est admiré comme un des explorateurs vivants les plus expérimentés de Grande Bretagne. Il fut capitaine du Beagle au cours de son troisième voyage d’exploration sur les côtes de l’Australie et de Nouvelle Zélande. Il est un peu une légende vivante. C’est notre homme. C’est à lui que nous devons écrire et que nous devons intéresser au sujet.


John Lort Stokes quand promu amiral, par Stephen Pearce.

Il regarda Moreno qui semblait ne pas savoir comme faire cela. Coghlan ajouta avec orgueil. — Par chance, mon ami Darwin a déjà fait une partie de ce travail pour nous. Il m’a envoyé une copie de la lettre qu’il a lui-même écrite à Stokes, en lui expliquant l’objectif scientifique et exploratoire de l’expédition argentine et en lui demandant de nous aider dans la mesure du possible… Impossible d’imaginer meilleure lettre de présentation ! Ce que nous devons faire maintenant, c’est écrire sans perdre de temps à Stokes. Faisons le sur le champ pour profiter du fait que le Arrow, encore au port, retourne directement en Angleterre. Un de mes employés attendra que nous ayons terminé de l’écrire pour l’emmener au bateau.

Coghlan emmena Moreno dans son bureau, prit du papier, de l’encre et une plume. Moreno s’assit mais il n’avait pas d’idée, il ne savait pas quoi écrire ni comment commencer. « Qu’est ce que je lui écris ? » demanda-t-il à Coghlan.

— Racontez lui votre voyage aux sources du Limay, vos aventures avec les indiens, vos découvertes et trouvailles. Stokes est un homme d’aventures et il sera enthousiasmé de lire cela de votre propre main. Il verra que vous êtes un des leurs, c'est-à-dire un explorateur. Ensuite écrivez lui au sujet du voyage que vous planifiez le long du Santa Cruz, qui n’est ni plus ni moins la continuation du voyage que lui, Fitz Roy et Darwin firent il y a quarante ans. Avez-vous lu leurs chroniques ?

— Seulement celles de Darwin.

— Parfait, rappelez moi de vous donner les chroniques de Fitz Roy, elles sont plus détaillées, bien que plus ennuyeuses que celles de Darwin. — Et il ajouta ensuite- Finalement vous devez lui demander son aide. Qu’il vous soumette toute l’information possible sur la zone : cartes, croquis, coordonnées, lieux de campement, etc.

Moreno le regarda d’un air dubitatif : « Vous pensez qu’il nous fournira cette information ? Pourquoi ferait-il cela ? »

— L’unique raison pour laquelle il ferait cela serait que votre lettre l’enthousiasme. Qu’il voit reflété en vous le Stokes de sa jeunesse. Qu’il sente que si vous arrivez à la cordillère en remontant le fleuve, c’est un peu comme s’il avait également fait. Que votre expédition soit la continuité de ce qu’ils firent il y a plus de cinquante ans. Tout dépend de votre plume mon cher Moreno.... enthousiasmez le... Je vous aide avec l’orthographe anglaise qui est un peu trompeuse.

La nuit arriva et les deux hommes passèrent plusieurs heures à écrire dans la pénombre. Ils choisirent avec soin chaque mot. Finalement, au petit matin, ils terminèrent la lettre qui fut emmenée au Arrow et partit sur le champ à Londres, précisément à l’Amirauté anglaise. Là-bas, elle serait remise entre les mains d’une des légendes vivantes de la marine anglaise, le plus important explorateur d’Australie, de Nouvelle Zélande, de Terre de Feu, de Patagonie, des Iles Galapagos et de beaucoup d’autres contrées reculées tout autour du monde et, par-dessus tout, le soutien et l’ami de Robert Fitz Roy et de Charles Darwin : le Vice amiral John Lort Stokes.

La trahison de Darwin

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