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Chapitre 3 : Une graine d’idée au milieu de l’Océan
ОглавлениеWhat I remember most of those first days on board of the Beagle, was Darwin’s seasickness. The starting of the trip was very little promising even though…
Ce dont je me rappelle le plus de ces premiers jours à bord du Beagle ce sont les hauts de coeur de Darwin. Le début du voyage était peu prometteur malgré la harangue stupéfiante que le capitaine réalisa depuis le pont de commandement et dont nous nous souviendrions tous pour longtemps.
Une fois que le Beagle eut dépassé le brise lames extérieur du port et que la navigation fut stabilisée, Fitz Roy ordonna à l’équipage de se réunir devant le pont de commandement. De là, criant par dessus le bruit de la mer et du vent, il adressa quelques paroles destinées à donner le moral et à créer ce qu’il appelait l esprit de corps ou sentiment de groupe. C’était quelque chose de très fréquent dans la marine anglaise. Il commença par lire le texte gravé dans le bois du pont de commandement. « England expects every man to do his duty »,
— « L’Angleterre attend de chaque homme qu’il fasse son devoir », dit Fitz Roy- ce sont les célèbres paroles de l’Amiral Nelson avant la bataille de Trafalgar dans laquelle il triompha de son ennemi mais perdit la vie. Nelson accomplit son devoir et c’est exactement ce que nous ferons, nous accomplirons notre devoir. Nous passerons plus de quatre ans loin de notre pays et de nos familles mais nous reviendrons contents et fiers d’avoir accompli la mission dont on nous a chargés. Nous relèverons et cartographierons le Sud du continent américain pour que nos bateaux puissent traverser d’un océan à l’autre sans danger. Nous chercherons et identifierons les rochers dangereux, les courants traîtres et les dangers cachés mais nous trouverons aussi les chemins les plus courts et les meilleurs ports où à l’avenir des navires en danger pourront se mettre à l’abri des tempêtes ou attendre l’arrivée des secours. Dominer le carrefour des deux océans est fondamental pour que l’Angleterre continue de régner sur les mers.
Mais à la différence d’autres expéditions de relevé de côtes, la nôtre s’est vue confiée une autre mission tout à fait inédite pour la Marine Anglaise.
En plus du relevé géographique, nous ferons un relevé scientifique de toute la région. Nous énumérons les animaux terrestres et marins, les plantes, les champignons, des observations géologiques seront faites aussi. C’est pour cette raison que Mr Charles Darwin est présent en tant qu’extra titulaire, c'est-à-dire qu’il ne fait pas partie de l’équipage du Beagle, mais qu’il sera traité comme s’il était de rang officiel. Mr Darwin a ma confiance absolue pour atteindre cet objectif. Ainsi messieurs, nous naviguons vers la Gloire ! (To Glory we steer).
A ce moment résonnèrent deux coups de canon qui clôturèrent parfaitement le discours. L’équipage cria trois hourras dans un délire d’enthousiasme. Fitz Roy se les était mis dans la poche, il savait parfaitement comment les manier, il était leur meneur et ils l’adoraient.
Alors qu’ils s’apprêtaient à regagner leur poste, le capitaine leur ordonna de rester. Ce qui suivit ne fut pas autant agréable. Trois aspirants amenèrent les hommes accusés d’ébriété le jour de Noël et les fouettèrent, selon le règlement disciplinaire. Fitz Roy montrait ainsi qu’il pouvait aussi être un capitaine implacable. Chacun devait choisir s’il allait être de ceux qui « navigueraient vers le Gloire » ou de ceux qui recevraient les coups de fouet.
Les hommes assistèrent en silence à la triste cérémonie et tous comprirent qu’à l’instar l’Angleterre, le capitaine attendait aussi d’eux qu’ils accomplissent leur devoir.
* * *
Les premiers jours de voyage, le Beagle avançait rapidement. Le vent était fort, la mer était agitée et le bateau roulait beaucoup. Darwin passait presque tout le jour dans son hamac de la salle des cartes, essayant de dominer une de ces nausées persistantes. Stokes lui expliqua que les « gens de la terre » étaient toujours malades au début mais qu’au bout de quelques semaines, la majorité s’habituait. Darwin avait peur de ne pas faire partie de cette majorité et il se demanda, atterré, s’il serait capable de supporter un voyage de quatre ans dans ces conditions.
Stokes continua à lui expliquer que dans les pires tempêtes même les marins les plus expérimentés étaient malades. —« Je peux vous dire que les seuls que je n’ai jamais vu être malades, ni même dans la pire houle, ce sont les aborigènes « fueguinos ». Quand nous les avons ramenés, dans notre dernier voyage, nous sommes passés par des moments terribles et ils ne montrèrent jamais le moindre signe d’incommodité. »
A mesure que passaient les jours et que le Beagle avançait vers le Sud, le climat s’adoucissait-ils venaient d’un hiver anglais rigoureux — et la mer était aussi de plus en plus calme. Darwin put sortir sur le pont profiter du beau temps. Avec un filet et quelques fils de fer, il fit un entonnoir qui, maintenu quelques heures dans l’eau, lui permit de récolter la faune marine. C’est ainsi que commença son travail de naturaliste à bord du Beagle, en attendant d’atteindre la première halte, Santa Cruz de Tenerife, dans les Iles Canaries.
* * *
Dans la matinée du 6 janvier, Darwin fut réveillé par Stokes qui le secouait. « Charles, c’est l’aube, nous arrivons. Viens sur le pont. »
Darwin s’habilla rapidement et sortit aussitôt. Il y avait une grande animation sur le pont bien qu’il soit très tôt. Beaucoup s’étaient levés avant leur service pour contempler le merveilleux Teide.
Le soleil venait de se lever, il était énorme et orange à peine au dessus de l’horizon brumeux. Avec le soleil dans le dos, Charles vit devant lui une île avec un petit village de maisons blanches. Au dessus des maisons, le brouillard gênait la visibilité, mais plus haut émergeait une énorme et majestueuse montagne d’aspect volcanique. La moitié supérieure du cône parfait était couverte de neige, bien que l’on soit presque à la latitude du Tropique du Cancer. L’aube donnait à la neige une couleur jaune orangée qui ressortait sur le ciel, encore sombre, en arrière plan.
Pour les aborigènes qui avaient vécu dans les Iles Canaries par le passé, les « guanches », cette montagne avait un caractère sacré, semi divin. Les espagnols avaient conservé le nom aborigène original, le Teide.
— C’est beaucoup plus grand que ce que je m’imaginais, dit Darwin.
— Il a une douzaine de milliers de pieds d’altitude, c’est plus haut que n’importe quelle montagne de Galles, d’Angleterre ou des Alpes.
— Elle est plus spectaculaire que n’importe quelle autre montagne que j’ai vue jusqu’à maintenant. C’est probablement lié au fait qu’en général les montagnes font partie de chaînes montagneuses, alors que celle là est seule, isolée en mer, ce qui la fait ressortir davantage.
— Pas si seule et isolée que ça, dit Stokes en désignant la direction de la proue du bateau, regardez là bas à l’horizon, on voit une autre île dominée elle aussi par une grande montagne mais sans neige celle fois ; cette île est la Grande Canarie. J’ai mesuré la hauteur de la montagne avec mes instruments, il faudrait faire les mesures depuis la terre ferme pour une meilleure précision, mais il semble qu’elle ait six milles pieds de hauteur, ce qui pour une île si petite est beaucoup.
— Comment sont les autres îles de l’archipel?
— Toutes ont un fort relief, bien qu’aucune autre n’ait de montagne aussi haute que celle-ci. Pourquoi ça ?
— Parce que j’imagine que les deux montagnes sont volcaniques et probablement toujours actives. Ces îles ne sont ni plus ni moins des montagnes qui, depuis le fond de la mer, atteignent la surface. Les éruptions continuelles ont dû les faire s’élever au dessus du niveau de la mer. La totalité de l’archipel a sûrement la même origine, c’est pour ça qu’elles sont toutes très montagneuses. Quand nous descendrons à terre, je vérifierai si les pierres sont bien le produit de la lave.
— Pour cela il faut encore attendre deux heures. Nous ne pouvons pas descendre avant d’avoir l’autorisation de débarquer, et le bureau du port n’a pas encore ouvert.
Les jeunes hommes restèrent silencieux, accoudés à la balustrade du pont à admirer le paysage que la matinée leur offrait. Après quelques minutes, Stokes rompit le silence.
— Dites moi Charles, je suppose qu’il y a encore quatre mois il n’était pas dans vos projets d’être le naturaliste d’une expédition de cette ampleur. Comment aurait été votre vie sans l’invitation de Fitz Roy ?
— Mon père voulait que je sois médecin de campagne, comme lui. Mais en étudiant la médecine, je me rendis compte que le sang et les douleurs humaines me faisaient me sentir mal. Je crois que je ne m’y serai jamais habitué, comme peut être jamais je ne m’habituerai au mal de mer. Ca n’a pas plu à mon père lorsque je lui ai dit que je ne serai pas médecin. Je pensais qu’être pasteur serait très semblable. Il dit toujours qu’il n’y a pas grand-chose qu’il puisse faire contre les maladies, sa tâche principale est de réconforter le patient qui récupère ainsi ou alors se résigne au mal dont il souffre. Donc, je lui avais expliqué que la tâche du pasteur n’était pas très différente de celle d’un médecin de campagne sauf qu’au lieu de traiter les maux du corps, on traite les maux de l’âme.
— Mais Charles, pour être pasteur, il faut avoir une grande foi. D’après ce que vous me dites, vous n’aviez pas reçu « l’appel divin ».
— En effet, je suppose que j’attendais que « l’appel divin » comme vous dites vienne avec le temps. Mais la vérité, c’est que j’ai choisi cette profession pour ne pas contrarier mon père.
— Vous respectez beaucoup votre père.
— Bien sûr que je le respecte, mais je n’ai pas fait ce choix pour une question de respect, mais plutôt parce que mon père est quelqu’un de très sage et qu’il sait clairement ce qui est le mieux pour moi.
— Je comprends Charles… alors j’imagine que maintenant, loin de votre père pour si longtemps, vous sentez qu’il vous manque un guide ?
— Je pensais qu’il en serait ainsi, cependant je suppose que je dois déjà avoir mûri. Je sens que je fais ce qui est juste, bien qu’il ne soit pas là pour me donner son approbation.
— Qu’est ce qu’il a pensé de l’idée de ce voyage ?
— D’abord, il pensa que c’était une ruse pour ne devenir ni médecin, ni pasteur, ni rien. Mais ensuite, il fit son enquête sur Fitz Roy, il parla avec mon oncle, un autre homme sage, et il fut finalement convaincu que c’était une opportunité unique. Il s’imagina qu’à mon retour, je pourrais devenir professeur d’université à Cambridge comme naturaliste, et que peut être c’était là ma vraie vocation. En résumé, il pense que je n’ai pas reçu « l’appel divin » mais « l’appel de la nature ».
— Oui, oui ! En Galles, nous disons « l’appel de la nature » pour autre chose.
— Je vois, dit Darwin qui essayait de réprimer un rire, dans le Shropshire nous disons cela aussi de quelqu’un qui se voit forcé de satisfaire rapidement ses besoins.
Les deux jeunes hommes rirent un bon moment avant de redevenir silencieux. Quelques minutes plus tard, Darwin lui demanda :
— Et vous John, comment êtes vous arrivé ici ?
— J’ai rejoint la Marine lorsque j’avais quatorze ans. Dans ma maison, j’avais lu tout jeune les récits des voyages de Cook dans les lointaines terres du Pacifique. J’ai pleuré lorsque j’ai lu la partie dans laquelle les aborigènes de Hawai le tuèrent. Cela m’a coûté, mais je réussis à convaincre ma mère de me laisser aller à l’école des cadets. En peu de temps, je me suis retrouvé à voyager aux confins du monde. Pour moi cela signifiait, et signifie toujours, réaliser le rêve de ma vie. Ma grande aspiration serait d’être au commandement d’une expédition à explorer l’Australie. Je crois que je n’en aurai jamais l’opportunité.
— Pourquoi pas ? Vous acquérez de l’expérience et le capitaine semble avoir une grande confiance en vous. Bientôt vous gravirez les échelons, vous êtes sur la bonne voie.
Tout à coup, ils remarquèrent que le reste de l’équipage s’était tendu. « Le Capitaine arrive », leur dirent ils. Et effectivement, Fitz Roy apparut dans son plus bel uniforme.
— Comment se fait il que vous soyez tous en train de ne rien faire ? Vous êtes un groupe de fainéants en vacances ?-de toute évidence, il n’était pas de très bonne humeur.- Wickham !
Immédiatement, le second officier du bateau apparut.
— Dites moi Monsieur.
— Montez immédiatement les drapeaux de salutation pour qu’on les voit du port. Sullivan ! Préparez maintenant un des bateaux, nous irons à la côte pour négocier l’autorisation de débarquer.
Tout proche se tenait Jemmy, un des « fueguinos », qui dit :
— Capitaine, ça n’est pas la peine. Les espagnols viennent déjà de mettre leur bateau à l’eau. Jemmy était le plus intelligent des « fueguinos » ; en très peu de temps, il avait appris à parler l’anglais assez bien mais avec un fort accent. Ce qui est étrange, c’est qu’il avait en même temps oublié sa langue natale. Avec les autres fueguinos, York et Fuegia, il communiquait en anglais.
— Jemmy, je ne vois personne venir.- Fitz Roy usait avec Jemmy d’un ton paternel qu’il n’employait avec personne d’autre de l’équipage. Jemmy était son préféré et il était fier de lui.
Darwin en 1840, aquarelle de George Richmond.
— Jemmy a raison. Le capitaine doit croire Jemmy. Jemmy le voit. Utilisez votre œil de métal pour voir.
— J’oublie parfois, Jemmy, que tu as une vue bien supérieure à la nôtre. Tu as sûrement raison. Stokes, prêtez moi votre longue vue.
Fitz Roy regarda vers la côte avec la longue vue et un sourire apparut sur ses lèvres.
— Sullivan ! Annulez la préparation du bateau, ils viennent à nous.
Il donna une tape sur l’épaule de Jemmy et alla à la proue, son humeur s’était déjà améliorée. Jemmy, content, regarda autour et rencontra le regard amical de Darwin et lui dit : « Le capitaine est un homme bon ».
Ce qui n’était pas bon, c’est ce que les espagnols du bateau venaient dire au capitaine. La nouvelle d’une épidémie de choléra en Angleterre leur était parvenue. En prévention et pour éviter une épidémie, il fallait attendre douze jours avant de débarquer.
Le capitaine réunit Wickam, Sullivan, Stokes et Darwin dans la salle des cartes.
— Messieurs, nous avons deux alternatives, soit nous attendons douze jours, soit nous continuons le voyage vers les îles du Cap Vert. Nous devons considérer que là bas aussi peut être, ils nous feront passer une quarantaine bien que cela me semble peu probable.
En première instance, je voudrais continuer le voyage mais je veux être au clair quant aux pour et contre de cette décision des différents points de vue que nous avons ici. Commençons par vous Mr Sullivan, nous avons de la nourriture et de l’eau pour les jours de navigation qu’ils nous restent jusqu’au Cap Vert et une éventuelle quarantaine de … disons vingt jours ?
— Oui monsieur. Nous sommes approvisionnés pour une période trois fois plus longue sans compter l’eau que nous pourrions récupérer des pluies.
— Parfait. Mr Stokes, nous devons aller effectuer des mesures de coordonnées de la manière la plus continue possible aux différentes longitudes et latitudes pour qu’à la fin du voyage, nous puissions détecter les erreurs systématiques et les corriger en les distribuant. Comment nous affecterait le fait de ne pas pouvoir compter sur les coordonnées de Tenerife ?
— Cela nous affecterait très peu capitaine. Tout particulièrement parce que les îles du Cap Vert ont une longitude similaire à celle des Iles Canaries. Ensuite, avec l’arrêt prévu sur l’île de Fernando de Noronha, la traversée de l’Atlantique serait bien couverte.
— Je veux récupérer la perte de précision dû au fait de ne pas pouvoir compter sur cette mesure, —en regardant la carte dépliée sur la table, il signala un point au milieu de la mer- nous inclurons un arrêt ici, aux Roches de San Pablo, pour effectuer les mesures.
— Pardonnez moi capitaine, interrompit Darwin, pourquoi ne peut on pas effectuer les mesures de coordonnées de Tenerife ici même depuis le bateau ?
— Le mouvement propre du bateau ne permettra pas à Mr Stokes d’être précis dans la mesure de l’angle de culmination du soleil, et cette mesure doit être suffisamment précise pour générer un point de premier ordre dont nous avons besoin. Expliquez le vous-même Mr Stokes.
Le jeune Robert FitzRoy, par Philip Gidley King.
— Oui capitaine. Nous avons défini trois ordres de précision dans la prise des coordonnées. Celles du premier ordre ont une précision de moins de 20 secondes d’angle. Les vagues génèrent un mouvement du bateau qui en ce moment doit être de cinq degrés, c'est-à-dire 1000 fois plus grand que la précision requise. Les mesures en haute mer ne sont faites que lorsqu’il n’y a pas de terre et elles servent uniquement pour la navigation, c'est-à-dire pour savoir où on est, et non pour faire des cartes.
— Bien dit Mr Stokes. Mr Wickam, de combien nous retarderait d’inclure au plan de navigation un arrêt aux Roches de San Pablo ?
— Il faudrait réaliser quelques mesures mais je pense que cela rajouterait deux jours.
— Parfait, si à cela nous ajoutons un jour pour effectuer les mesures cela nous rajoute trois jours, c’est beaucoup moins que les douze jours qui nous retardent ici. Finalement vous Mr Darwin, quel effet pensez vous que peut avoir sur votre travail le fait de ne pas nous arrêter ici à Tenerife ?
Fitz Roy prit Darwin par surprise, le naturaliste ne pensait pas que son opinion pouvait avoir pour le capitaine tant de poids et il le remercia d’être pris en compte comme les autres officiers.
— C’est difficile à dire, capitaine. Du point de vue géologique c’est dommage de ne pas pouvoir examiner la nature des roches. Ces îles, à l’instar de plusieurs archipels de l’Océan Atlantique, semblent avoir été formées par volcanisme. Mais ce que je ne peux pas examiner ici je pourrai l’examiner au Cap Vert, qui, si j’ai bien compris, a un aspect semblable. Et puis l’idée d’examiner des roches perdues au milieu de l’océan comme celles de San Pablo me plaît beaucoup.
Ayant écouté l’opinion de tous, Fitz Roy prit quelques secondes de réflexion et poursuivit :
— Très bien messieurs, nous sauterons donc notre escale prévue aux îles Canaries et nous poursuivrons vers les Iles du Cap Vert, où j’espère on ne nous stoppera pas pour une quarantaine ridicule, et nous inclurons à notre route un arrêt aux Roches de San Pablo. Messieurs… en route! Mr Wickham, levez les ancres immédiatement!
* * *
The first time I heard from Darwin a disturbing comment, regarding the direction his observations were leading him to occurred when…
La première fois que j’entendis de Darwin un commentaire dérangeant au sujet de ses observations qui le mèneraient où l’on sait, ce fut lorsque nous revenions en barque au Beagle après avoir réalisé des observations et des mesures aux Roches de San Pablo.
Le Beagle était arrêté à environ deux milles de la petite île perdue dans l’immensité de l’Océan Atlantique. Puisque l’on n’avait pas pu atteindre le fond pour s’ancrer, il avait été décidé que le bateau devrait rester relativement éloigné pour éviter que les vents ne le poussent dangereusement vers les roches. Un groupe d’observation composé de Stokes, Wickham, Darwin et de plusieurs marins partit avec deux barques.
L’île avait une superficie inférieure à une demi mille carré et une altitude d’un peu moins de quarante pieds au dessus du niveau de la mer. Les vagues frappaient les roches avec férocité. Chaque espace de l’île était occupé par des oiseaux, leurs nids et pigeonneaux. Les oiseaux ne craignaient pas les hommes, ce qui permit à ces derniers de chasser à la main beaucoup de ces volatiles et de récolter une grande quantité d’œufs frais.
Pendant que Stokes attendait midi pour effectuer la mesure des coordonnées, Darwin vagabondait dans l’île avec son marteau de géologie, et ramassait des pierres et quelques exemplaires d’oiseaux, d’insectes et de crustacés. Quelques minutes après midi, Stokes avertit qu’il avait terminé et tous les hommes retournèrent à leur barque. Mettre les petites embarcations à l’eau et faire monter tout le monde en sécurité fut une opération bougrement compliquée car la mer était agitée et qu’il n’y avait pas de plage pour entrer dans l’eau progressivement. Enfin, lorsque les barques flottèrent au dessus des vagues, les marins commencèrent à ramer mais le vent contraire les freinait.
Darwin, assis au côté de Stokes, lui demanda comment s’étaient passées ses observations.
— Très bien Charles. La latitude est de 55 minutes au nord de l’Equateur ainsi demain, lorsque nous le traverserons, vous aurez votre baptême, comme toute personne le traversant pour la première fois. Et vos observations ? Avez-vous découvert quelque chose d’intéressant ?
— Du point de vue géologique, l’île est d’origine volcanique. Il est probable que ce que nous considérons comme une île soit la partie supérieure d’un volcan qui a des milliers de pieds de hauteur depuis le fond de la mer. En ce point, c’est assez similaire au Cap Vert à la différence que ces roches émergèrent de la mer plus récemment. Ca n’est pas très différent de ce que nous avons vu aux Canaries ou de ce que j’ai lu sur les autres îles de l’Atlantique comme celles de l’Ascension et Sainte Hélène. Tout cela m’amènerait à penser que le fond de l’océan Atlantique est truffé de volcans submergés, et que seuls quelques uns atteignent la surface. Peut être que là en dessous, il y a toute une cordillère.
Darwin regarda l’horizon comme si son esprit était perdu dans quelque autre exposé.
— Mais le plus étrange et même inquiétant, John, ce n’est pas la géologie mais plutôt la faune et la flore.
— Que peut il y avoir d’inquiétant dans la faune de cette île ? Je n’ai vu que deux types d’oiseaux.
— Justement, il n’y a que deux types d’oiseaux, le fou brun et la sterne. Je n’ai pas rencontré d’autres insectes que quelques acariens qui vivent sûrement dans le plumage des oiseaux. John, pourquoi lorsque Dieu créa le monde et le remplit d’animaux et de plantes, il ne mit dans ce lieu que ces deux espèces d’oiseaux ?
— Je ne sais pas Charles.
— Et bien moi, je pense que lorsque Dieu créa le monde cette île n’existait pas. Elle émergea après et du coup, elle n’avait pas d’animaux. Ces deux types d’oiseaux sont voyageurs, ils sont arrivés par la suite et ils trouvèrent ici un environnement dans lequel ils pouvaient vivre et se reproduire.
— Cela semble assez logique et très intéressant, Charles, mais je ne vois rien d’inquiétant là dedans.
— C’est que je pense que la même chose a dû se passer au Cap Vert et à Tenerife, mais il y a beaucoup plus longtemps. C'est-à-dire que les Canaries et le Cap Vert émergèrent du fond de la mer sans faune ni flore et qu’elles furent peuplées presque en même temps que l’activité géologique les faisait grandir. Le Cap Vert a des montagnes plus hautes, plus de végétation et plus d’animaux parce qu’elle a émergé avant et qu’il s’est écoulé plus de temps. Les roches de San Pablo, le Cap Vert et les Canaries sont des étapes différentes du même phénomène. Mais… et c’est ici que cela devient inquiétant, il ne me semble pas que les 6000 ans qui nous séparent de la Création selon la Bible soient suffisants pour que ces énormes changements se produisent.
Stokes suivait la logique de Darwin avec un mélange d’admiration et de préoccupation. Pourquoi êtes vous si sûr que 6000 ans n’aient pas suffit à ce changement ?
— Voyez vous John, Rome fut fondé en 600 avant JC, donc il y a 2500 ans environ. L’Italie et l’Europe qu’ils décrivent ne semblent pas très différentes de celles d’aujourd’hui. Le Vésuve et l’Etna, pour mentionner quelques volcans actifs, ne sont pas beaucoup plus grands aujourd’hui qu’à cette époque. En plus, de ce que l’on m’en a dit, la zone proche de Naples peut avoir reçu une cinquantaine de pieds de cendres volcaniques depuis que le Vésuve a enseveli Pompéi. C'est-à-dire cinquante pieds en deux mille ans. A ce rythme, combien faudrait il de temps pour créer une montagne comme le Teide ?
— Laisse moi voir, s’il a douze milles pieds au rythme de cinquante pieds chaque deux mille ans… Stokes fit quelques rapides calculs de tête et s’exclama enfin, 480000 ans !
— Exactement. Et sans compter que son altitude doit se compter depuis le fond de la mer, si nous en tenons compte, nous arrivons quasiment à un million d’années depuis la création. Le même calcul appliqué sur le ‘Pico da Coroa’ du Cap Vert, on obtient un chiffre qui donne un coup de pied à la Bible.
Les deux jeunes hommes restèrent quelques minutes en silence alors que les vagues les faisaient monter et descendre et que les marins, étrangers à toute cette conversation, continuaient de ramer avec acharnement pour arriver au Beagle.
Le jeune John Lort Stokes, par Lely Bartolomé.
Darwin reprit la parole.
— Peu de temps avant de quitter l’Angleterre, le professeur Henslow, mon mentor à Cambridge, m’offrit le livre de Lyell intitulé « Principes de géologie ». Ce que disait Lyell dans son livre c’était que le monde était changeant et que les temps qui expliquaient les changements survenus étaient beaucoup plus longs que ce qu’établit la Bible.
— Charles, vous avez découvert tout cela en une matinée sur une île solitaire au milieu de l’océan alors que le voyage ne fait que commencer ? Vous êtes un génie, c’est ahurissant ! Qu’allez vous découvrir de plus au cours des quatre prochaines années de notre expédition ?
— Non John, il ne faut pas penser comme cela. Je n’ai rien découvert, je viens seulement de proposer une hypothèse qui doit se baser sur des preuves pour pouvoir évoluer en une théorie. Au cours des quatre prochaines années, j’ai l’intention de trouver la preuve qui me permettra d’exposer cette théorie devant la société scientifique.
Le bateau arrivait déjà tout près du Beagle, on pouvait voir l’équipage se rapprochait de tribord pour les voir monter à bord.
— John, je dois vous confesser que jusqu’à maintenant je me sentais un peu angoissé car je ne savais pas clairement quel était exactement mon rôle en tant que naturaliste dans cette expédition. Je me sentais sous pression parce que le capitaine attendait beaucoup des découvertes ou trouvailles que je pourrais faire, et plus grandes sont ses attentes, plus grande est ma peur de le décevoir. Mais…-Darwin se retourna et regarda pour la dernière fois les rochers de San Pablo-… ces rochers au milieu de nulle part ont tout changé pour moi, maintenant j’ai vraiment une mission à accomplir dans ce voyage.
— Charles, comme le capitaine va être content ! Une réussite scientifique mettra son expédition dans une catégorie supérieure à n’importe quelle autre.
— Je suis d’accord John, ça va l’enthousiasmer, je suis très impatient de lui raconter.