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CHAPITRE III
LA BROUILLE

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Table des matières

Le préfet de police Beaulardon.–Fenêtre sur la rue.–Mélinot et Marescou en présence devant un phare électrique.– Tout ça, c’est des histoires de femme!

Beaulardon, vêtu du complet en drap gros, bleu, la lèvre supérieure déjà noire des poils de la fameuse moustache qu’il avait la permission de laisser repousser, se tenait debout, devant son maître, la tête basse, l’air tout penaud.

–Ainsi, Monsieur Beaulardon, disait Cadillan, poursuivant l’interrogatoire commencé, pendant quatre jours, vous êtes resté de planton devant l’hôtel des Mélinot, et vous n’avez recueilli aucun renseignement sur le couple que vous aviez mission d’épier?

–Aucun, Monsieur, c’est vrai, mais la fatalité s’en est mêlée; pendant ces quatre jours, les Mélinot n’ont pas mis le nez dehors, et à toutes les questions que j’ai adressées sur eux aux gens de la maison ou aux voisins, on n’a répondu qu’en haussant les épaules, ou en me traitant de mouchard.

–C’est que vous n’avez pas su vous y prendre! Vous êtes un niais, Monsieur Beaulardon, et je vous relève de l’emploi où je vous avais élevé. En conséquence vous voudrez bien rendosser votre livrée et raser cette moustache qui n’a déjà que trop poussé.

Beaulardon eut un geste de supplication.

–Inutile d’insister, reprit Cadillan; j’entends que vous redeveniez imberbe comme devant. Je vous avais cru un garçon intelligent, mais je m’aperçois que j’avais trop bien préjugé de vous.

–Alors j’ai baissé dans l’estime de Monsieur?

–Oh! absolument! J’ignore ce que les événements politiques vous réservent, mais je suis convaincu que vous ferez toujours et quand même un détestable préfet de police.

–Qui sait, Monsieur, si j’avais comme subalternes des hommes supérieurs?

–C’est possible, mais en attendant que vous soyez au pouvoir, veuillez, mons Beaulardon, aller brosser mes habits et cirer mes bottes.

Le domestique, rappelé, par cet ordre, du haut des grandeurs rêvées, à son humble condition, eut un mouvement de révolte que remarqua Cadillan.

–Qu’est-ce que cela? dit-il vivement; on s’insurge?

–C’est nerveux, Monsieur, balbutia Beaulardon.

Et, en se retirant il murmura:

–Pourquoi diable aussi m’a-t-il fait entrevoir la place de préfet de police? C’est que je ne m’en tirerais peut-être pas plus mal qu’un autre, en établissant mon cabinet chez le marchand de vins!

Cadillan eut bientôt pris un parti.

Comme, à tout prix, il voulait arriver personnellement jusqu’à Mme Mélinot, il résolut de ne pas chercher de remplaçant à Beaulardon, et de se mettre lui-même à la besogne.

Le sort en était jeté.

Désormais, ce serait lui qui ferait sentinelle sous les fenêtres de la dame; ce serait lui seul qui s’aboucherait avec les domestiqunes et les fournisseurs pour leur soutirer les secrets qu’il avait tant intérêt à posséder.

C’est qu’avant de se hasarder à solliciter une entrevue de Mme Mélinot, il lui fallait sur elle et son mari des documents précis, et, pour les obtenir, il n’était pas somme d’argent si forte qu’il ne fût prêt à sacrifier.

Par exemple, s’il venait à acquérir la certitude que le ménage était en pleine lune de miel, il se garderait de toute tentative auprès de la jeune femme pour s’épargner l’affront d’un échec indubitable.

Le jour même, il entreprit la tâche qu’il s’était imposée, et, dans l’après-midi, il était à son poste. Un coupé de maître, attelé de deux alezans, stationnait devant la maison de la rue Labruyère. Cadillan s’en approcha, délibérément.

Pour engager la conversation, il demanda au cocher si c’était là la voiture de M. Mélinot.

Sur la réponse affirmative de l’homme, il vanta l’attelage, qui réellement était superbe.

–M. Mélinot à là deux bêtes remarquables, dit-il, en caressant, de sa main gantée, le garrot soyeux de l’un des chevaux.

–Elles ne sont pas à lui, répliqua l’automédon, se rengorgeant, comme si les éloges de Cadillan lui eussent été personnellement adressés.

–Quel en est donc le propriétaire?

–C’est M. Lorseau, mon patron, qui tient une grande remise, à Neuilly, place du Marché.

–Peste! voilà un loueur consciencieux! C’est à vous donner envie de devenir son client!

–Et je prie Monsieur de croire qu’il n’aurait pas lieu de s’en repentir! Nous avons certainement les écuries les mieux montées de Paris.

–Eh bien, nous sommes du même avis! Ah! dites-moi donc, continua-t-il après un silence, M. et Mme Mélinot ont-ils l’habitude de sortir toujours ensemble?

–Je crois bien, ils ne se quittent pas d’une minute! Dam, des mariés d’hier!

–Ils s’adorent! n’est-ce pas? demanda Cadillan, la voix un peu tremblante, et les yeux attachés, anxieux, sur le cocher.

–Ça en a tout l’air, répliqua celui-ci, légèrement intrigué par la question indiscrète de l’inconnu qu’il dévisagea un instant, comme cherchant à deviner où il voulait en venir.

–Hé! hé! les apparences sont parfois trompeuses, reprit Cadillan, voulant faire causer son homme.

–Mon Dieu, Monsieur, je n’ai pas à entrer dans de semblables détails, M. et Mme Mélinot ne me font pas l’honneur de me confier leurs secrets!

Et, comme pour prouver qu’il était bien décidé à s’enfermer dans un mutisme absolu, il saisit en main ses guides et son fouet, le buste raide, la tête droite et immobile, les lèvres pincées: après un instant de familiarité, il reprenait l’attitude sévère, presque dédaigneuse, du cocher aristocratique dans l’exercice de ses fonctions.

Cadillan s’éloigna, un peu décontenancé; ce laquais l’avait très nettement rembarré, et il n’avait pas trouvé un mot à lui répondre pour le remettre à sa place. Aussi il jouait là un rôle tout à fait ridicule et plus ou moins délicat. Était-ce d’un galant homme que de se fourvoyer ainsi avec des valets pour les amener à lui révéler la vie privée d’une femme, qu’une telle curiosité risquait de compromettre?

Depareils procédés ne pouvaient que lui aliéner Mme Mélinot, et s’il en était épris au point de ne reculer devant rien pour se rapprocher d’elle, que n’avait-il au moins recours à des expédients plus avouables? Ils avaient certainement des relations communes, et, à moins d’une malechance insigne, il devait, en courant lus bals de son entourage et faisant des visitns un peu partout, se rencontrer avec elle. Le monde, malgré ses règles sévères, est souvent si propice au flirtage! Dans un bal, au milieu du bruit des conversations et dans l’entraînement de la danse, il lui serait bien facile de l’aborder, pour renouer connaissance avec elle et lui rappeler l’amour d’autrefois, aussi vivace sans doute en elle qu’il l’était en lui-même. Mais il ne se faisait pas illusion sur les difficultés qu’il aurait à surmonter avant le triomphe.

Il prévoyait que, par vertu ou par coquetterie, elle chercherait à le décourager; mais, loin de se rebuter, il se montrerait si épris, si persuasif, qu’il finirait par reconquérir un cœur, jadis tout plein de lui!

Et si, par hasard, Mme Mélinot, fidèle à son mari, le repoussait, eh bien! il ne s’entêterait pas à vouloir remporter une victoire impossible; il s’en remettrait au temps pour le guérir de sa passion.

Absorbé dans ses réflexions, il arpentait de long en large la rue Labruyère, s’imaginant en être très éloigné, alors qu’il n’avait fait qu’aller et revenir sur ses pas dans un étroit espace. Aussi fut-il fort étonné, lorsque, en relevant les yeux pour se rendre compte du chemin parcouru, il se retrouva juste en face du35bis.

Décidément, la fatalité le poussait vers Mme Mélinot!

En considérant machinalement l’hôtel, il aperçut la jeune femme, à une fenêtre, qui s’entretenait affectueusement avec son mari.

M. Mélinot avait un bras passé autour de la taille de sa femme qui, les paupières demi-closes, le visage souriant, l’écoutait, pelotonnée contre lui, tout heureuse.

Cadillan, à la vue de ce couple si tendrement uni, éprouva un serrement de cœur, sa gorge se contracta, et il se sentit devenir tout pâle, suffoquant, sentant ses jambes se dérober sous lui.

Il eut bien vite surmonté ce moment de faiblesse, et, pris subitement d’une jalousie folie, il fit un pas vers la maison pour s’élancer dans l’escalier et entrer à l’improviste chez ce Mélinot dont le bonheur insolent l’affolait, car c’était à lui, Cadillan, qu’il le volait.

Pourtant, il eut un éclair de raison et parvint à se contenir.

Il voulut s’éloigner, pour ne pas être plus longtemps témoin de cette félicité conjugale qui l’exaspérait. Mais il était comme anéanti. comme incapable de se mouvoir, cloué sur place, et quelques efforts qu’il fît, il ne put s’arracher de l’endroit où il était.

En dépit de lui-même, il reporta ses regards vers la fenêtre qu’occupaient Mélinot et sa femme, et, dans son égarement, les fixa, par moments, avec une telle persistance que Mme Mélinot finit par le remarquer.

En le reconnaissant, elle tressaillit et pressa, involontairement, d’un mouvement convulsif, la main de son mari.

–Qu’as-tu? demanda celui-ci un peu inquiet.

–Rien! répondit-elle, toute troublée. Et, inconsciemment, elle tenait ses yeux attachés sur Cadillan, immobile, en bas, dans la rue.

–Quel est donc ce Monsieur? lui demanda Henri en la dévisageant. Il paraît produire sur toi une vive impression, ta main est toute frémissante.

–Ce Monsieur? balbutia-t-elle. Mais je ne sais.

Sans rien répondre, il écarta sa femme, d’un geste brusque, et referma la fenêtre violemment.

–Fort bien! se dit Cadillan, lorsque M. et Mme Mélinot eurent disparu, mes affaires vont beaucoup mieux que je n’aurais osé l’espérer. C’est un butor que ce Monsieur, et je parierais gros que si sa femme était tout à l’heure aussi câline avec lui, c’était plutôt par peur que par affection. Elle ne peut pas avoir bien grande sympathie pour ce rageur personnage.

Je gagerais qu’il doit être, précisément, en train de lui faire une de ces scènes: «Madame, vous êtes une coquine éhontée! Vous voudriez me déshonorer, mais ne vous y fiez pas!... car je vous tuerais. etc., etc.!» Il fera tant et si bien qu’elle ne tardera pas à l’exécrer. Ah! s’il pouvait seulement la battre un peu! La séparation deviendrait inévitable, et, alors, j’aurais beau jeu pour courtiser la belle courroucée!

Il se peut que le scandale d’un procès l’épouvante, et qu’elle se résigne à demeurer avec lui. N’importe, elle n’en sera pas moins bien disposée envers les consolateurs qui se présenteront.

–Frappe, frappe donc fort, s’écria-t-il, dans un ricanement diabolique, et c’est moi qui bénéficierai des coups administrés!

Et, plein d’espoir en l’avenir, Cadillan s’en retourna chez lui, tout guilleret et se frottant les mains.

Dans le trajet. tandis qu’il rêvait aux baisers et aux étreintes futures, il se trouva nez à nez avec Marescou.

–Té! c’est l’ami Cadillan! s’exclama celui-ci, la physionomie en belle humeur. Comment va?

–Mais fort bien! riposta l’autre sur un ton non moins joyeux que celui du Marseillais.

–Il paraît que nous ne broyons du noir ni l’un ni l’autre. Ta belle s’est-elle donc enfin décidée à te témoigner un brin de tendresse?

–J’ai tout lieu de croire qu’avant peu elle n’aura plus rien à m’accorder!

–Cette nouvelle me ravit.

Et passant son bras sous celui de son ami, qu’il entraîna vers le boulevard:

–Sache donc, mon bon, ajouta-t-il, que ma flamme est aussi sur le point d’être accueillie, comme je l’entends! Ma bien-aimée m’a laissé voir si clairement qu’elle m’adorait, que le mari s’en est aperçu, et pour qu’un mari s’aperçoive de ces choses-là, il faut que ce soit bien évident!

Figure-toi, mon bon que j’étais hier à l’Exposition d’électricité. Depuis un moment déjà, planté devant le pavillon de la ville de Paris, j’examinais, avec l’attention d’un homme désireux de s’instruire et la fierté d’un Français constatant, sans les comprendre, les progrès scientifiques accomplis dans sa patrie, j’examinais, dis-je, le spécimen d’un poste central et d’un poste vigie, faisant partie du matériel télégraphique des sapeurs-pompiers, quand le hasard ou sa bonne étoile la fait passer devant moi, au bras de son époux. Surpris par cette apparition, je reste un instant ébahi, et laisse s’éloigner le couple, sans songer tout d’abord à le rejoindre.

Mais bientôt mon ahurissement s’évanouit, pour laisser place, dans mon cœur, à un immense désir de me rapprocher d’elle, et de lui parler si c’est possible! Sans hésiter, je m’élance donc sur les traces de mes amours. Le jeune ménage s’arrête devant l’exposition du Ministère de la Guerre, je m’y arrête aussi; il se dirige ensuite vers les moteurs électriques, je lui emboîte le pas; le phare attire son attention, et il stoppe devant, je stoppe également. En un mot, où qu’ils aillent, je les suis ostensiblement, en n’omettant rien pour me faire remarquer de la belle.

A un moment, elle se retourne, constate ma présence, ressent une commotion, se trouble à un tel point que le mari l’accable de questions, et, n’obtenant sans doute aucune réponse, regarde tout autour de lui pour découvrir la cause de la soudaine émotion qu’il constate chez sa femme.

Naturellement, son regard tombe sur moi, et aussitôt il comprend que moi seul suis capable de révolutionner une femme aussi profondément. Dame! nous autres de Marseille!… Je crois qu’à ce moment il n’eût pas été éloigné de fondre sur moi, la canne levée; mais, par crainte d’un esclandre, et, peut-être médusé par ma face impassible et mon attitude pleine de crânerie, il se contenta d’entraîner la pauvrette tremblant comme la feuille.

Après pareille aventure, il n’est pas douteux qu’il ne m’envoie sa carte; qu’en penses-tu? D’ailleurs, je l’attends de pied ferme.

–Mais ton rival ignore ton nom et ton adresse?

–Qu’il écrive à Marseille, tout le monde m’y connaît! Et quand on a réellement envie de se battre, on n’est jamais en peine de mettre la main sur son adversaire.

Puis-je compter sur toi, comme témoin?

–Certes! mais comment s’appelle cet. infortuné mari?

–Mélinot.

Cadillan, à celte révélation inattendue, recula, tout interdit.

–Mélinot, dis-tu? Mais non, c’est impossible! Tu fais erreur!

–Je ne me trompe jamais!

–Et dis-moi un peu, si tu le connais le nom de demoiselle de Mme Mélinot!

–Bartholin, parbleu!

–Eh bien! apprends que cette femme, moi aussi, je l’aime!

–Alors, renonces-y!

–Jamais!

–Insensé! Ainsi, sérieusement, tu oserais te mesurer avec moi?

Mais, povero, la lutte est vraiment trop inégale!

Et comme Cadillan conservait une attitude ferme:

–Soit, j’accepte le défi, et nous verrons bien qui l’enlèvera à l’autre! Au revoir!

–Adieu!

Et les deux amis se séparèrent, brouillés.

Un voyage de noces

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