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CHAPITRE IV
QUERELLES DE FAMILLE

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Table des matières

Le baiser de Cécile.–Les femmes dites honnêtes.–Un animal sensuel.–Les célibataires endurcis.–Trois petits romans dans un grand.–Le passé de Mme Bartholin.– Bruit de pas étrange.–Une ombre sur la fenêtre.–Lettre à une belle-mère.–Les douceurs d’un premier tête à tête. –Le pays du soleil.

–Me pardonnes-tu, sérieusement et sincèrement, du fond du cœur et du fond de l’âme? demanda Henri à Cécile, le lendemain matin, au moment de se mettre à table pour déjeuner. Il avait peur que son accès de brusquerie jalouse de la veille n’eût laissé une impression défavorable contre lui dans l’esprit de la jeune femme.

Pour touLe réponse, Cécile lui prit la tête dans les deux mains, et la baisa à plusieurs reprises avec tendresse.

–Tout cela, vois-tu, reprit Mélinot, c’est un peu ta faute, et je vais te dire comment.

Alors il lui reprocha, pour plaisanter, avec toutes sortes de gentillesses, le trop grand amour qu’elle lui avait inspiré.

Voilà quels étaient les résultats d’une passion aussi profonde; vite, vite on prenait ombrage de tout, et l’on était prêt à défendre son bien, unguibus et rostro!

Et puis pourquoi diable était-elle si jolie? C’était dangereux une beauté comme celle-là!

C’est qu’il n’en manquait pas, de par le monde, de ces femmes que chacun croyait honnêtes, fidèles, dévouées à leur mari, et qui se moquaient en cachette de l’affection de l’homme auquel elles s’étaient données librement et puur la vie, devant Dieu et devant les hommes!

Dans son existence de garçon, Mélinot en avait rencontré plus d’une, de ces indignes créatures, mais il jurait bien à Cécile qu’il n’avait éprouvé à leur approche que mépris et dégoût.

A son avis, la femme qui avait assez peu conscience de sa dignité, pour passer, en souriant, des lèvres d’un mari aux bras d’un amant, ne méritait plus le nom de femme, mais celui d’animal sensuel, sans charmes et sans puésie, répugnant!

S’il disait tout cela à Cécile, ce n’était pas qu’il la crût capable de la moindre peccadille, Dieu merci! il avait pleine confiance en elle; mais les jeunes filles se doutent si peu de ce qu’est la vie réelle, lorsqu’elles arrivent au mariage, que c’est au mari à les garantir, dans un intérêt commun, contre les embûches des hommes!

Oh ces hommes, ces célibataires endurcis, ce qu’il leur en voulait, ce qu’il les trouvait inutiles et dangereux!

Cécile écoutait, moitié tremblante, moitié étonnée, les amicales doléances d’Henri sur l’inconduite des femmes.

Elle ne comprenait pas pourquoi son mari revenait toujours à ce même sujet, comme si elle eût véritablement été sur le point de commettre une faute. D’abord, elle savait à peine ce que c’était que ce grand mot d’adultère, et elle eùt été fort embarrassée de le définir bien clairement.

Puis, son mari ne pouvait évidemment rien soupçonner du secret qui existait entre elle et les deux jeunes gens, puisqu’elle ne lui.en avait pas soufflé mot, qu’il ne connaissait ni Marescou ni Cadillan, et que c’était tout au plus s’il s’était aperçu, une fois ou deux, que ceux-ci rôdaient autour de sa femme pour essayer de lui adresser la parole. Chose incompréhensible, cette méfiance, ce besoin de lui faire de la morale, de ressasser son thème favori, la fidélité, datait du lendemain même de leur mariage.

Au reste, que d’événements restaient inexpliqués et même douloureux pour Cécile, dans cette journée de noces qu’elle n’oublierait de sa vie!

C’était le soir même de la cérémonie, qu’Henri l’avait emmenée de chez sa mère, et qu’il lui avait signifié qu’il ne retournerait plus chez Mme Bartholin.

D’où pouvait provenir ce caprice incroyable? Car Henri n’avait donné aucune raison, ne voulait pas en donner, et exigeait qu’on ne lui en demandât pas!

Et elle, toujours craintive devant lui, redoutant, par trop de dévouement pour autrui, de renverser l’échafaudage de son propre bonheur, n’osait pas adresser une question à son mari.

Et pourtant, ce n’était pas seulement sa mère qui lui manquait depuis le mariage. Du même coup elle avait été privée du plaisir de voir ses deux jeunes sœurs, qui habitaient avec Mme Bartholin, à Ncuilly. Ces deux pauvres chères innocentes, qui avaient tant prié pour son bonheur, le jour de son mariage, elle n’avait même pas pu aller les embrasser et leur dire que leurs vœux avaient été exaucés, et quelle avait épousé l’homme le plus noble et le plus dévoué qui fût!

Comme Berthe et Alice devaient l’accuser d’ingratitude! Et pourtant, Dieu sait si elle méritait ce reproche, et si sa tendresse pour ses sœurs avait diminué!

Et puis, elle seule possédait tous leurs secrets! Les rêves caressés par leurs imaginations de jeunes filles, c’est dans le sein de la sceur aînée qu’ils avaient été versés!

Que de douces larmes avaient coulé entre elles, à la pensée de l’avenir qui leur réservait peut-être à chacune un mari adoré! Car toutes trois avaient eu leur petit roman, et celui de Cécile était le seul qui eût été mené jusqu’au dénouement.

Et pourtant Cécile savait combien il eût été à souhaiter que ses deux cadettes pussent se marier, et le plus promptement possible. Ce n’était pas qu’elles fussent âgées: l’une n’avait que dix-huit ans, et l’autre dix-neuf, mais Mme Bartholin n’avait qu’une dot insignifiante à donner à çhacune de ses filles, et il se trouvait que les deux jeunes gens qu’aimaient les jeunes filles et dont elles avaient des raisons de se croire aimées, avaient l’un et l’autre une assez grosse fortune.

Ah! pourquoi fallait-il qu’une querelle de famille incompréhensible vînt retarder, peut-être renverser tous ces projets!

Chaque matin du reste Cécile se jurait à elle-même que la journée ne se passerait pas sans qu’elle eût sondé son mari sur son étrange attitude vis-à-vis des siens. et chaque soir, elle s’endormait, n’ayant pas eu le courage de se tenir sa promesse.

Au reste, Mélinot ne l’encourageait pas, bien au contraire. Toutes les fois que les questions de Cécile semblaient tendre à effleurer le fameux sujet, il détournait vite la conversation et se mettait à parler avec volubilité, ou, lui prenant les mains et les baisant avec ardeur, la suppliait de laisser de côté les amis, la famille, le genre humain tout entier, de ne pas y songer, de n’avoir de pensées que pour leur amour, où ils s’isolaient du reste de la terre, si voluptueusement.

A la vérité, il craignait pour sa jeune femme la fréquentation de sa mère.

Certes, avant le mariage, alors qu’il faisait sa cour, il n’aurait jamais soupçonné qu’il sorait obligé d’interdire un jour tout rapport entre Mme Bartholin et sa fille.

Alors, il estimait la mère de Cécile, comme la femme la plus sainte et la plus méritante qu’il eût jamais rencontrée.

Restée seule en effet à vingt-cinq ans avec trois filles enbas âge, et, ce qui compliquait gravement la situation, veuve d’un mari qui ne lui léguait en mourant que juste de quoi vivre, elle ne s’était pas laissé abattre. Bien qu’étant à un âge où sa réelle beauté, dans tout son développement, eût pu lui inspirer le désir de céder aux flatteuses instances de plus d’un amoureux, elle les avait tous éconduits très dignement, sacrifiant sa jeunesse à l’éducation de ses trois enfants, se sevrant courageusement des plaisirs mondains, et traversant, seule et belle, une période de quinze années sans que jamais personne eût osé dire: Elle a un amant!

Cette rigidité de principes de la mère avait beaucoup contribué à décider Henri à jeter son dévolu sur Cécile, car il croyait aveuglément au proverbe: «Bon chien chasse de race!»

Au reste, pendant les quelques semaines qu’il avait fréquenté la maison, avant son mariage, il avait eu beau observer, interroger, épier, à toute heure du jour et de la nuit, les allures de la maison lui avaient toujours paru d’une correction absolue.

Quant aux trois jeunes filles, c’était la pudeur, la modestie et l’innocence même!

Mais, voilà que le soir de la noce, comme il était resté seul à causer tendrement avec Cécile, dans le jardin, heureux de s’entretenir avec elle, après le départ de tous les invités, et surtout désireux de ne pas l’emmener trop brutalement dans la chambre nuptiale qui leur avait été préparée dans la maison, un bruit de pas, faisant craquer le sable sous les feuilles sèches, lui avait fait lever la tête et dresser l’oreille.

Sans confier son étonnement à Cécile, mais la priant simplement, dans un baiser plein de promesses d’amour, de l’attendre sur le banc de pierre pendant quelques instants, il s’était dirigé du côté de la maison, décidé à tirer au clair la cause du bruit qu’il avait entendu.

Il avait cru d’abord à la présence de quelque malfaiteur, et c’est pourquoi il s’était bien gardé de donner l’éveil à Cécile.

Mme Bartholin et ses filles s’étaient retirées chez elles, depuis longtemps déjà; quant à la bonne, elle devait être remontée dans sa chambre du second étage.

Tout à coup, Henri avait aperçu l’ombre d’un homme se dessinant sur le mur de la terrasse, le long de la fenêtre de la chambre de’ Mme Bartholin!

Aussitôt, il s’était jeté derrière un massif, afin de voir sans être vu lui-même; mais, en moins de temps qu’il ne lui en avait fallu pour opérer ce mouvement de retraite, un grincement de persienne s’était fait entendre et l’ombre avait disparu par la fenêtre de Mme Bartholin.

Cette découverte l’avait anéanti. Tout d’abord, il avait songé à faire un scandale public, à appeler les voisins, à montrer cette mère coupable à ses trois filles, puis la raison lui était peu à peu revenue.

Il avait réfléchi qu’après tout il était marié, que sa jeune femme devait ignorer la conduite de sa mère, qu’il était impossible, qu’avec le charme d’innocence qu’exhalait toute la personne de Cécile, elle fût capable de marcher sur les traces de la malheureuse qui recevait ainsi nuitamment un homme chez elle, et que le mieux encore était de l’arracher au plus vite à un contact aussi pernicieux.

Il avait donc gagné la chambre nuptiale, et avait écrit une lettre ainsi conçue, à sa belle-mère:

« Madame

Votre vie vous appartient, et vous ne dépendez de personne, c’est vrai, mais j’estime que votre propre dignité, et celle des deux filles qui vous restent, eût dû vous dicter une con-duite tout autre que celle que vous menez !

En tout cas, comme j’adore ma femme et que je ne veux à aucun prix compromettre mon bonheur ni le sien, vous trouverez bon que j’emmène Cécile, et vous voudrez bien ne jamais la rappeler à vous, à mon insu. C’est à cette seule condition qu’elle ignorera toujours la triste vérité!»

Il signa, cacheta et déposa l’enveloppe, bien en évidence, sur le tapis du guéridon.

Puis il sortit sans bruit, referma la porte sur lui, et courut rejoindre Cécile.

–Enfin! C’est vous! s’écria-t-elle en lui tendant les deux bras.

Mais, lui, la voix un peu altérée, très pâle:

–Ma chère Cécile, dil-il, tout bien réfléchi, nous ne passerons pas la nuit ici, si toutefois vous y consentez.

–Je consens à tout ce que vous désirez de moi. Mais ma mère?

–Votre mère est prévenue; je viens de lui laisser une lettre qu’elle trouvera dans notre chambre demain matin.

–J’aurais pourtant bien voulu l’embrasser à mon réveil, murmura la jeune femme; il me semble que ça m’aurait porté bonheur pour toute la vie!

C’était alors que Mélinot l’avait entraînée vers la porte de sortie du jardin, et de là dans la rue, en la suppliant de ne jamais plus lui parler de Mme Bartholin.

Cécile avait d’abord été attérée par cette injonction inattendue d’Henri, puis, les caresses et les adorables prévenances du jeune homme aidant, elle s’était peu à peu laissée aller tout entière aux douceurs de leur premier tête à tête, se réservant de l’interroger le lendemain au sujet de sa mère.

Mais le lendemain, dès le matin, ils étaient partis pour le Havre, et, depuis plus de deux semaines, la question, toujours prête à s’échapper des lèvres de la jeune femme, n’avait pas encore été prononcée.

Henri, craignant à chaque instant de se voir poussé à bout par la curiosité si légitime de Cécile, se torturait l’esprit pour créer un dérivatif à ses pensées; le voyage du Havre avait réussi à la distraire de son idée fixe, mais l’efficacité de ce dérivatif diminuait de jour en jour.

Henri pensa alors qu’un séjour dans un autre pays, plus éloigné, plus grandiose et plus poétique, amènerait peut-être un oubli complet du passé.

–Tu sais, ma chérie, que rien ne nous retient à Paris, en ce moment. Que dirais-tu donc d’une nouvelle excursion? dit-il à la jeune femme.

–Est-ce bien urgent, cette excursion?

–Quand tu verras… de quel côté j’ai l’intenlion de t’emmener.

–Où cela? dis vite.

–En Italie!

–En Italie! quel bonheur! Puis se ravisant: Mais c’est bien loin… et il faut bien du temps pour faire le tour de l’Italie!

–Cela t’effraye...?

–Oh! avec toi!

–Eh bien alors, je ne suppose pas, chère; Madame, que vous ayez des raisons particulières, , et que je ne connaisse pas, de rester à Paris.

Toute rougissante, elle lui posa la main sur la bouche.

–Que tu es méchant! dit-elle.

–En ce cas, dans deux jours, nous serons en route pour le pays du soleil!

Un voyage de noces

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