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CHAPITRE II

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Table des matières

Vers le mois d’octobre, la baronne Lydia de Vergy, une des meilleures clientes de Mme Talexis, vint la trouver pour une forte commande. La baronne était de retour des bains de mer, où elle était restée près de deux mois. Elle avait parcouru les stations de la côte de Normandie, et y avait fané toutes ses toilettes et tous ses chapeaux. Elle n’avait plus rien à mettre sur sa tête. Elle achetait environ cinquante chapeaux par an à Mme Talexis; elle dépensait dans la même proportion chez sa couturière et chez son couturier. Disons qu’elle avait une grande fortune et qu’elle. payait régulièrement ses fournisseurs. Son mari aimait les chevaux, suivait toutes les courses, vivait beaucoup au cercle et fort peu dans son intérieur. La baronne ne se servait de la liberté presque absolue que lui laissait son époux que pour abuser des chiffons; c’était une des femmes les plus élégantes de Paris.

Mme Talexis lui montra les modes nouvelles et les formes infinies qu’on donnait aux coiffures; la noble cliente choisit dix chapeaux et la pria de lui en envoyer deux tout de suite.

Ce fut Marguerite, la belle incomprise, que Mme Talexis chargea de porter ces deux chapeaux à la baronne, dans son hôtel de la rue de Londres. Quand elle arriva, on la pria d’attendre qu’un visiteur qui était là fût parti. Mais bientôt on changea d’avis, et on la fit entrer dans le boudoir bleu-clair, où la baronne recevait ses intimes. Pour l’instant, elle était en tête-à-tête avec un monsieur encore jeune, marivaudant de son mieux.

— Voyez-vous, baronne, disait-il au moment où la modiste entrait, je suis las du veuvage. J’ai patienté jusqu’à ce que mon fils ait atteint sa majorité, mais le voici devenu homme, je vais lui rendre ses comptes, il est riche, il n’a plus besoin de moi; je puis donc songer à me marier à mon goût, pour vivre comme je l’entends, et non comme, jusqu’à présent, l’ont entendu les autres.

— Vous avez raison, mon ami; je vous approuve, et je vous trouverai au besoin une femme. Vous serez un excellent mari. Ce chapeau me coiffe-t-il bien? Je le trouve un peu lourd, un peu éteint.

— Il vous sied à ravir.

— Mais vous me dites cela, dit la baronne, sans me regarder. Je vous vois dans la glace. A quoi pensez-vous donc?

— A rien, je vous admire, cela me suffit.

— Vous n’êtes pas difficile à contenter.

Puis la baronne, se tournant vers la modiste, lui dit:

— Quand m’apporterez-vous mes autres chapeaux?

— Dans trois jours, madame, répondit Marguerite en baissant les yeux et en reprenant ses cartons.

Elle salua et sortit.

— Savez-vous bien, baronne, que cette petite fille est tout simplement merveilleuse?

— Je le sais parfaitement, et j’ai même remarqué que vous n’aviez d’yeux que pour elle. Vous n’avez pas vu mon chapeau, vous n’avez lorgné que la modiste. Je n’ai pas voulu vous le dire tout à l’heure, dans la crainte de faire rougir cette enfant.

— Les modistes ne rougissent plus, reprit le baron.

— C’est selon. Il y en a parmi elles de très-méritantes, et d’autres qui ne le sont pas. Leurs magasins ressemblent à nos salons, avec cette différence qu’il y a cent fois plus de mérite à rester sage dans un magasin que dans un salon. Mais, si vous tenez à savoir ce qu’est en réalité cette petite, je questionnerai sa patronne, une maîtresse femme très-philosophe.

— Où demeure votre modiste?

— Vous voulez y aller vous-même?

— Peut-être bien.

— Et pourquoi faire? Vous n’êtes pas un mauvais sujet, vous êtes même trop vertueux. Mon mari prétend que vous prenez presque exclusivement pour vous tout seul les sermons que l’abbé que vous avez donné pour précepteur à votre fils, adresse à son élève.

— Je vous ai dit que je voulais me marier; j’entends par là que je veux vivre pour moi.

— Ah! bien, je comprends; et voilà pourquoi vous me demandez l’adresse de ma modiste. Elle demeure rue Vivienne. Vous irez?

— Vous êtes folle, baronne, de me supposer capable de pareille chose...

— On ne sait pas, mon cher comte. Il y a tout à redouter d’un cœur comme le vôtre.

Trois Roses dans la rue Vivienne

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