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CHAPITRE III.
ОглавлениеLA VIE DES ÉTUDIANTS: ÉTUDIANTS RICHES ET ÉTUDIANTS PAUVRES;
pupilos, camaristas ET capigorrones.
Voilà le novato sacré étudiant: pour lui commence cette vie universitaire qui, suivant la route qu'on a choisie, mène à tout ou ne mène à rien, mais qui pour tous est si pleine et si joyeuse que ceux qui l'ont connue en regrettent toujours l'indépendance et les plaisirs.
Quelle que soit sa fortune et quels que soient ses goûts, le nouvel écolier est certain de ne pas manquer de compagnons. Dans cette grande république que forme l'Université 18, les antiques Constitutions ont voulu que tous les étudiants soient égaux: pour effacer les distinctions de classes, elles ont imposé à tous le même [p. 31] costume. «Tous, sans exception, dit le voyageur Monconys, ils sont vêtus de long comme des prêtres, rasés, et le bonnet en tête, qu'ils portent non seulement dans l'Université, mais encore par toute la ville et en tout temps, hors de la pluye: car pour lors on peut porter le chapeau. Il ne leur est pas permis de porter aucun habit de soie ni de se servir d'aucune vaisselle d'argent 19.» A les voir de loin, en effet, on ne distinguerait guère le fils d'un grand seigneur du fils d'un médecin de village ou d'un marchand: toutes les soutanes se ressemblent et les plus respectables sont les plus vieilles, parce qu'elles attestent que leur possesseur n'en est pas à ses débuts. Mais cette égalité n'est qu'apparente; si le vêtement est uniforme, si, aux yeux de cette Université démocratique, tous les étudiants ont les mêmes obligations et les mêmes droits, dans la vie extérieure, les différences de condition s'accusent à chaque instant.
18 (retour) «La república llamada Universidad» (Estatutos hechos por la Universidad de Salamanca).
19 (retour) Voyage fait en l'année 1628 (Journal des Voyages de M. de Monconys, IIIe partie, Lyon, 1666).
Pour le jeune gentilhomme l'existence est régulière et facile: tout y est disposé pour lui [p. 32] épargner les préoccupations matérielles, pour lui ménager à propos les satisfactions de vanité qui sont si douces à cet âge, pour rappeler aux autres et à lui-même la supériorité de son rang.
Le matin, quand il s'éveille, toute sa maison est déjà sur pied: le barbier et les pages attendent à la porte de sa chambre pour venir le raser et l'habiller au premier signal; les valets de chambre brossent et nettoient ses vêtements; dans les écuries, les laquais étrillent et harnachent les mules. Lorsque arrive l'heure du cours, il monte sur une bête de prix caparaçonnée de velours et tout un cortège l'accompagne aux Écoles. Dans la salle où il doit se rendre, il trouve sa place gardée par un domestique uniquement chargé de ce soin; on y a d'avance apporté son portefeuille ou vade-mecum et son écritoire. La leçon finie, il rencontre à la porte son pasante ou répétiteur, qui se tient à ses côtés, tandis qu'il cause avec les maîtres et docteurs ou avec des camarades de sa condition, et l'empêche de se mêler aux mauvaises compagnies. Puis, il va rejoindre sa suite qui l'attend au coin d'une rue et il rentre chez lui dans le même équipage qu'il était venu. Après le déjeuner, [p. 33] il quitte une table abondamment servie pour aller jouer aux boules ou à l'argolla, le jeu à la mode, qui ressemble à notre croquet. Il travaille un peu, fait quelques lectures, revoit avec son précepteur quelques règles de la grammaire latine qu'il importe de ne pas oublier, retourne au cours au milieu de l'après-midi, et enfin, le soir venu, il repasse les leçons du jour ou s'entretient avec le gouverneur de sa maison, l'ayo, qui est toujours un personnage de bonne famille et de mœurs recommandables 20.
20 (retour) Instrucción que dió D. Enrique de Guzmán, Conde de Olivares, Embajador de Roma, á D. Laureano de Guzmán, ayo de D. Gaspar de Guzmán, su hijo, cuando le embió á estudiar á Salamanca, á 7 de Enero de 1601, cité par La Fuente, Historia de las Universidades, 1885, t. II, p. 429 et sq.
Les jours de congé apportent quelques distractions à cette existence un peu sévère; mais ces plaisirs restent des plaisirs de gentilhomme: ils ne vont point sans quelque solennité et le jeune seigneur, déjà réservé à de hauts emplois, est gardé par le sentiment précoce de sa dignité des fréquentations douteuses et des amusements vulgaires.
[p. 34]
A côté de ces fils de Grands d'Espagne ou de títulos de Castille, on voit briller aussi des jeunes gens d'origine plus modeste, fils de bourgeois enrichis par la banque ou le négoce, à qui la vanité de leurs parents assure un train presque aussi magnifique. «Car, ainsi que dit Cervantes, c'est l'honneur et coutume des marchands de faire étalage de leurs richesses et de leur crédit non en leurs personnes, mais en celles de leurs enfants, et c'est pourquoi ils les traitent et les rehaussent à tout prix, comme s'ils étaient des fils de prince 21.» Mais la grande majorité des étudiants de Salamanque vit sans faste et plutôt pauvrement.
21 (retour) Coloquio de los perros.
Nous avons vu que ceux d'entre eux qui ne trouvaient pas asile dans les Collèges s'installaient le plus souvent dans les maisons des pupileros ou «bacheliers de pupilles». Or, on y était très médiocrement logé, dans des chambres étroites et fort mal aérées. De plus, malgré les Règlements qui les obligeaient de donner chaque jour à chacun de leurs hôtes une livre de viande ou de poisson 22, à Salamanque comme [p. 35] dans d'autres Universités, les «bacheliers» imposaient de rudes épreuves aux robustes appétits de leurs pensionnaires. Les romans picaresques sont remplis des plaintes de leurs victimes, d'imprécations contre leur avarice et leur rapacité.
22 (retour) Estatutos hechos por la Universidad de Salamanca.
On connaît, par les descriptions de Don Pablos de Ségovie 23, la maison du licencié Cabra 24, dit Vigile-Jeûne, et l'on sait quelles sortes de repas on faisait à sa table:
«Après le Benedicite, on apporta dans des écuelles de bois un bouillon fort clair... les maigres doigts des convives poursuivaient à la nage quelques pois orphelins et solitaires. «Rien ne vaut le pot-au-feu, s'écriait Cabra à chaque gorgée; qu'on dise ce qu'on voudra, tout [p. 36] le reste n'est que vice et gourmandise!»—Alors entra un jeune domestique qui ressemblait à un fantôme, tant il était décharné: on aurait pu croire qu'on lui avait enlevé sur le corps la viande qu'il apportait. Un seul navet flottait dans le plat, à l'aventure: «Comment! dit le maître, voilà des navets! Pour moi, il n'y pas de perdrix qui vaille un bon navet! Mangez, mes amis; je me réjouis de vous voir à l'œuvre!» Il découpa le mouton en si menus morceaux que tout disparut dans les ongles ou dans les dents creuses. «Mangez, mangez, répétait Cabra; vous êtes jeunes et votre appétit fait plaisir à voir!» Hélas! quel réconfort pour de pauvres diables qui bâillaient de faim!
23 (retour) Quevedo, El Gran Tacaño, ch. III.
24 (retour) Il paraît que Quevedo l'avait peint d'après nature: le personnage s'appelait D. Antonio Cabreriza (Biblioteca de Autores Españoles, t. XXIII, p. 489). Ce type fut bientôt célèbre et passa en proverbe. Dans l'intermède intitulé El Doctor Borrego, au maître avare qui leur reproche leur appétit: «Insatiables gloutons! Un œuf en quatre jours!... Je ne sais comment vous échappez à mille apoplexies!» Les domestiques répondent: «Nous partons, licencié Cabra!» (Intermèdes espagnols, traduits par Léo Rouanet, p. 243.)
«Il ne resta bientôt plus dans le plat que quelques os et quelques morceaux de peau: «Cela, c'est pour les domestiques, nous dit le maître; car il faut bien qu'ils mangent et nous ne pouvons pas tout avaler. Allons, cédons-leur la place, et vous autres, allez prendre un peu d'exercice jusqu'à deux heures, si vous voulez que votre déjeuner ne vous fasse pas du mal.»
Le docteur Cañizares, chez qui Estevanille [p. 37] González 25 avait pris pension, ne traitait pas mieux ses élèves. Un oignon, un peu de pain moisi formaient chez lui le fond du repas: une fricassée de pieds de chèvre y passait pour un régal extraordinaire 26.
25 (retour) Vida de Estebanillo González.
26 (retour) Voir aussi ce que dit Vicente Espinel du pupilage de Gálvez à Salamanque (Relación primera de la vida del Escudero Marcos de Obregón: Descanso XII).
Guzmán d'Alfarache 27 ne se louait pas davantage des pupileros et de leurs menus: «un bouillon plus clair que le jour et si transparent qu'on aurait pu voir courir un pou au fond de l'écuelle», des œufs achetés au rabais pendant la bonne saison et conservés cinq ou six mois dans la cendre ou dans le sel, une sardine par personne; pendant l'hiver, une tranche de fromage «mince comme des copeaux de menuisier»; pendant l'été, quatre cerises ou trois prunes comptées exactement, «parce que les fruits donnent la fièvre», voilà de quoi devait se contenter cette «faim invétérée, cette faim d'étudiant, hambre veterana y estudiantina», qui dans toute l'Espagne était passée en proverbe.
27 (retour) Mateo Aleman, Vida y Hechos de Guzmán de Alfarache, lib. III, part. II, cap. IV.
[p. 38]
De toutes parts s'élève contre les maîtres de pension le même concert de malédictions et de plaintes. Des couplets d'étudiants nous montrent des tablées de pauvres diables dévorant des yeux la soupière où fume le brouet noyé d'eau chaude 28, et serrant des deux mains leur ventre maigre «où les boyaux chantent de faim 29». Ils nous parlent encore du pain «dur comme le ciment», des portions si adroitement coupées qu'on voit le jour au travers et qu'au moindre souffle elles s'envoleraient au plafond, du vin mesuré dans un dé à coudre, baptisé et rebaptisé tour à tour par le marchand, le pupilero et le dépensier 30.
28 (retour) La sopa de añadido, comme on dit à Salamanque. (Mal-Lara, Filosofía vulgar, Lérida, 1621, fo 237.) Cf. ibid., Centur. V. 93; Centur. VII, 88; Centur. X, 59.
29 (retour) Cancionero de Horozco, p. 5: «las tripas cantan de hambre.» (La vida pupilar de Salamanca que escribió el auctor á un amigo suyo.)—Cf. Bartolomé Palau, La Farsa llamada Salamantina (1552), publiée et annotée par M. Alfred Morel-Fatio, dans le Bulletin Hispanique d'octobre-décembre 1900, v. 474 et sq.
30 (retour) Ibid.—Cf. Floresta Española (1618), IV, 8.
Il faut évidemment tenir compte de l'habituelle exagération de ces sortes de morceaux; mais ce qui prouve bien que les maîtres de pension [p. 39] abusaient par trop de leur monopole, c'est qu'au bout d'un certain temps l'Université ne se soucia plus de faire respecter les privilèges qu'elle leur avait d'abord assurés. Dès lors, bien des écoliers s'empressèrent de se dérober à une tutelle importune: ils s'allèrent loger dans les maisons de la ville où ils étaient sûrs de jouir d'une honnête liberté et ils prirent eux-mêmes la direction de leur petit ménage.
Mais là encore ils couraient grand risque d'étre exploités. Les servantes d'étudiants ne passaient point pour des modèles de probité ni de vertu; elles avaient toujours quelque amant pour qui elles écrémaient le potage et détournaient les plus belles tranches du rôti; Guzman d'Alfarache en essaya cinq ou six à la file dont la probité lui parut douteuse et la propreté incertaine 31. Plus d'une ressemblait sans doute à la vieille dont parle Quevedo, qui demandait à Dieu de lui pardonner ses larcins en disant son chapelet au-dessus de la marmite: un beau jour, le fil du rosaire se rompit et les grains tombèrent dans le potage: «Cela fit le bouillon le plus [p. 40] chrétien du monde.—«Des pois noirs! s'écria un étudiant, sans doute ils viennent d'Ethiopie?»—«Des pois en deuil! répliquait un autre, quel parent ont-ils donc perdu?»—Un autre se cassa une dent en y voulant mordre.» Plus d'une fois, cette estimable vieille prit la pelle à feu pour la cuiller à pot et distribua ainsi des morceaux de charbon au fond des écuelles. Il n'était point rare qu'on trouvât dans la soupe des insectes, des éclats de bois, des paquets d'étoupes ou de cheveux; les convives avalaient tout, sans fausse délicatesse: «Cela tenait tout de même de la place dans l'estomac 32.»
31 (retour) Mateo Aleman, Guzmán de Alfarache, part. II, lib. III, cap. IV.
32 (retour) Gran Tacaño, cap. III.
Les fournisseurs ne valaient pas mieux que les servantes; les bouchers, par exemple, ne se faisaient pas faute de vendre de la viande pourrie; quelquefois, les écoliers s'indignaient et se faisaient eux-mêmes justice: pendant l'hiver de 1642, ils promenèrent par les rues attachée sur un âne, en la rouant de coups et en l'assommant de boules de neige, une femme qui avait ainsi manqué de les empoisonner 33; mais le plus souvent leurs estomacs complaisants se résignaient [p. 41] aux pires nourritures 34; ils étaient dans l'âge heureux où l'on supporte allégrement ces petites misères: «car, ainsi que le dit le bon maître Vicente Espinel, l'insouciante jeunesse sait tourner les chagrins en joie: les pires épreuves ne sont pour elles que sujets de rires et d'amusement 35.»
33 (retour) Memor. Histór., XVI, 244.
34 (retour) Aussi nous dit-on que les apothicaires étaient plus nombreux à Salamanque que partout ailleurs. Laguna parle d'une certaine Clara, «famosa clystelera de Salamanca» qui avait des recettes à elle pour «enxugar los infelices vientres de aquellos pupilos infortunados que jamás se vieron llenos sino de viandas pestilentiales.» (Dioscórides, p. 498.)
35 (retour) Relación primera de la vida del Escudero Marcos de Obregón, Descanso XII.
Tous ces étudiants, les pupilos qui vivent chez les maîtres de pension, et les camaristas 36 qui habitent en chambre garnie, forment ensemble la grande corporation des manteistas, ainsi appelés du nom de leur grand manteau. Au-dessous d'eux sont les capigorristas ou capigorrones, dont la vie est bien plus dure.
36 (retour) Mateo Aleman, Guzmán de Alfarache, lib. III, part. II, cap. IV.
Leur nom leur vient de leur costume qui n'est [p. 42] pas tout à fait pareil à celui des autres écoliers: ils ont comme eux la soutane de laine noire, mais ils portent sur les épaules, au lieu de l'ample manteo, une cape d'étoffe grossière (capa ou bernia), et sur la tête, au lieu du bonnet carré, la gorra, qui est une espèce de casquette 37. On les reconnaît aussi à leurs gros souliers ferrés, qui leur font la démarche lourde, et c'est pourquoi les latinistes les appellent dédaigneusement la bande de calceo ferrato 38.
37 (retour) Covarrubias, Tesoro, aux mots: capigorrista, gorra, bernia.
38 (retour) Covarrubias, Tesoro, au mot: çapato.
Ce sont les valets d'étudiants, étudiants eux aussi, inscrits comme leurs maîtres sur les registres de l'Université, mais qui ne sont pas naturellement traités avec les mêmes égards.
Au mois d'octobre, quelques jours avant l'ouverture des cours, sur les routes qui mènent à Salamanque, derrière les mules de louage qui portent les écoliers 39 et leur mince bagage enveloppé de serge verte 40, on voit, trottant à pied dans la poussière, des jeunes [p. 43] gens pauvrement vêtus. Ils accompagnent dans la grande cité universitaire des camarades plus fortunés et vont les servir pendant toute la durée de leurs études. Fils de petits marchands ou de laboureurs, instruits des premiers éléments par quelque curé charitable, ils sont, eux aussi, attirés par la grande renommée des Écoles et ils ont pris le seul moyen qui leur fût offert de tenter la fortune et d'essayer de s'élever au-dessus de leur condition. Ils seront logés, habillés et nourris, et leur métier ne sera pas bien pénible: aller aux provisions, balayer le logis, brosser les bonnets et les manteaux, voilà quel sera à peu près tout leur office 41. Le temps ne leur manquera pas pour travailler et ils pourront suivre, s'il leur plaît, les mêmes leçons que leurs maîtres. Ceux-ci, du reste, les traiteront avec douceur: des études communes ont bien vite rapproché les distances et le valet passe assez tôt au rang de confident, quelquefois de conseiller et presque d'ami 42. Mais aux heures de disette, qui ne sont pas rares, la vie devient presque insupportable pour ces [p. 44] malheureux: pendant les nuits d'hiver, on grelotte dans les galetas mal clos, et, quand les maîtres eux-mêmes souffrent de la faim, les domestiques jeûnent. Comment compulser Galien ou Bartole, quand les dents claquent de froid et qu'il faut par raison démonstrative «persuader à son estomac qu'il a dîné 43?» On se décourage, on cesse de fréquenter les Ecoles ou l'on n'y reparaît qu'à de longs intervalles, allant d'un cours à l'autre au gré de sa fantaisie, passant de la théologie à la médecine ou au droit canon, et recueillant ainsi de droite et de gauche quelques bribes d'un inutile savoir. Pour quatre valets tombés dans une riche maison où l'on peut manger tous les jours et dormir toutes les nuits, où l'on profite en même temps que le jeune maître des leçons du répétiteur, où l'on s'assure pour l'avenir de puissantes protections 44, il y en a cent que l'excès de misère finit par détourner pour toujours des études.
39 (retour) Ils vont souvent deux et quelquefois trois sur la même mule. (Juan de Mal-Lara, Filosofía Vulgar, 1621: Centur. X, 25).
40 (retour) Don Quichotte, IIe partie, ch. XIX.
41 (retour) Alonso, mozo de muchos amos, éd. Rivadeneyra, p. 495 a.
42 (retour) Ibid.
43 (retour) El Gran Tacaño, cap. III.
44 (retour) Instrucción que dió D. Enrique de Guzmán... (1601).—Cf. aussi le début de la nouvelle de Cervantes, Le Licencié Vidriera.
Sans doute, il y a des exceptions, des exceptions [p. 45] infiniment rares qu'on a toujours citées pendant deux siècles dans les pays d'Universités et qui, encore exagérées par la légende, ont sans doute décidé de bien des vocations et soutenu bien des courages. C'en est une que ce Juan Martínez Siliceo qui, venu à Salamanque comme simple valet, arriva, à force d'intelligence et de zèle, on peut dire héroïque, à attirer sur lui l'attention du haut personnel des Ecoles, réussit à obtenir la beca si enviée du Grand Collège de San Bartolomé et devint plus tard précepteur de Philippe II, archevêque de Tolède et cardinal. C'en est une autre que ce Gaspar de Quiroga qui, un peu après, trouva le moyen de poursuivre dans la même Université le cours complet des études théologiques, sans avoir pour exister d'autre pécule que le real quotidien que lui avait assuré pour sa vie entière la libéralité de la reine Jeanne: en 1593, il était, lui aussi, cardinal et archevêque de Tolède, ses rentes s'élevaient à deux cent mille ducats, et il continuait tous les jours à toucher son real «qui lui était, disait-il, plus précieux que tout le reste 45». Il fallait pour réussir de la sorte, [p. 46]
avec des mérites extraordinaires, une chance miraculeuse. Les pauvres capigorristas n'en demandaient pas tant: un office d'avocat ou quelque prébende eût abondamment comblé leurs désirs; mais, pour presque tous, cette ambition même était chimérique. Les uns, lassés de lutter contre la misère, s'éloignaient tristement de l'Université et regagnaient le pueblo natal à peu près comme ils en étaient venus; quant aux autres, les plus nombreux, incapables de se détacher de Salamanque, mais dégoûtés pour toujours d'une domesticité qui ne leur rapportait rien, aimant mieux, puisqu'il fallait ne pas manger, souffrir la faim en liberté qu'en servage, ils reprenaient leur indépendance et allaient se perdre dans la bande tumultueuse qu'on voyait grouiller de jour et de nuit sur les places et dans les rues de la ville, la bande des étudiants qui avaient mal tourné.
45 (retour) Clemencin (éd. de Don Quichotte, t. III, p. 129).
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