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AVANT-PROPOS

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Table des matières

A

MON AMI

JULES LECOMTE-DU-NOUY

ARTISTE-PEINTRE

Je ne connais pas de plaisir plus délicat que d’aller rendre visite à un peintre de talent et de goût, dont on est l’ami, et de se promener doucement autour de son atelier, les bras ballants, les yeux quêteurs, allant d’un poignard persan richement damasquiné à un tableau terminé, d’une gravure à un plâtre?

Pour moi c’est une véritable jouissance, un délassement du cerveau, où l’esprit trouve à la fois son profit et son amusement. On a l’air de flâner et on travaille.

Chaque fois que je vais voir mon ami L., je ne manque jamais de me livrer à cet intéressant exercice.

L’autre jour, à peine avais-je ouvert la porte, que sa bonne voix bien timbrée m’apostrophait joyeusement.

«–Te voilà encore, fureteur, que viens-tu faire ici? Eplucher mes croquis, retourner mes toiles, commettre indiscrétion sur indiscrétion?»

–Je ris sans me laisser intimider par cette amicale raillerie. Après avoir contemplé le tableau en train, placé sur le chevalet, j’engageai mon peintre à continuer son travail et à ne plus s’occuper de son visiteur.

Il haussa les épaules, sourit et me lança un brusque:

«–Allons, va, maniaque, et ne fais pas trop de bruit.»

–Je commençai donc mon inspection, glissant sur le parquet, évitant de me heurter à une potiche ou de renverser une statuette.

«–Tiens! un joli bibelot. Où as-tu trouvé cela?

–Cette lampe j uive?

–Oui,

–A Venise, au Ghetto.

–Ahh! le Ghetto! Quel quartier! Te souviens-tu de la jolie fille penchée à sa fenêtre, au milieu des loques accrochées à une corde?

—Et toi, du mendiant de la synagogue, plus lépreux que Jobb!»

Pendant dix bonnes minutes, toute la kyrielle des adjectifs admiratifs fut employée pour nous rappeler mutuellement les heures passées ensemble dans la ville des Doges.

Puis le silence recommença pour être interrompu quelques instants plus tard.

«–Je ne te connaissais pas ce tapis.

–Une trouvaille, mon cher.

–D’où vient-ill?

–Du Caire, d’un coquin de marchand qui m’en demandait les yeux de la tête.

–C’est trop.

–Je lui ai persuadé que le tapis avait appartenu à un pestiféré et que s’il le gardait, il pourrait avoir des désagréments avec les autorités.

—Tu veux rire.

–Non pas, je savais qu’il achetait beaucoup de choses aux pèlerins de la Mecque, j’espérais lui faire peur.

–Tu as réussi?

–J’ai eu le tapis pour vingt francs et je ne le céderais pas pour cinq cents.

–Tu as l’intelligence du commerce.

–Aussi, en souvenir de cette excellente affaire, j’ai voulu conserver le portrait de mon brigand sur un coin d’album.»

Il me montra, en effet, une silhouette découpée comme une ombre chinoise, un nez busqué, une longue barbe emmêlée, le tout sortant des plis d’un burnous troué.

Ensuite, je passai en revue les esquisses pendues aux murs, le Rialto avec ses boutiques aux toiles peintes, l’île Saint-Georges d’un rouge étonnant sur le bleu de l’eau, le golfe de Naples, l’île de Capri, une rue de Jérusalem, une vue du Nil, un pêle-mêle En quelques instants, j’avais les doigts pleins de poussière et les manches tachées de plâtre.

Pendant ce temps la conversation continuait à bâtons rompus sur mille sujets divers, L. ne cessant de peindre, moi de fureter.

A son tour, il m’interrogea sur mes travaux :

«–Que fais-tu?

–Heu! heu!

—As-tu quelque chose en train, un roman, une nouvelle?»

–Heu! heuu!

–Pourquoi ne te lances-tu pas dans le théâtre? On arrive très vite.»

Et sans désemparer, il m’offrit de me fournir des sujets, il en avait des montagnes dans la tête. Certes, s’il n’était pas peintre, il serait romancier, auteur dramatique et cœtera.

Ma réponse restait toujours aussi hésitante:

«–Heu! heu!»

J’étais alors très occupé à retourner les unes après les autres des toiles de toutes grandeurs, dont la peinture faisait face au mur.

Tout à coup, je me tus, je n’entendis plus rien.

En extase, assis sur mes talons, à deux genoux sur le plancher, j’admirais un merveilleux portrait inachevé que je venais de découvrir derrière toutes les autres toiles.

«–Quelle admirable créature!»

L. se retourna surpris de mon exclamation; mais lorsqu’il en eût vu la cause, ses lèvres eurent une moue significative, une grimace maussade:

–Créature! en effett!

Ces mots furent lancés d’un ton sec et méprisant.

–Je ne connaissais pas cela?

–Tu avais mal cherché.

–Cachottier.

Il prit son air le plus indifférent:

–Ohh! un bout d’étude, une pochade!

–Un véritable portrait, un portrait vivant!

–D’après une vilaine femme.

–Tu blasphèmes! avec ces yeux, cette bouche, ces cheveuxx?

–Là! là! là! ne t’enflamme pas: le modèle est au diable, sa vraie place du reste.

«–Comme tu dis cela» repris-je, étonné de son air sombre et sérieux.

–Aussi, tu es agaçant avec ton enthousiasme.

–Avoue que cette femme est très belle.

–Hé bien! oui: très belle! trop belle! trop désirable! C’est ce qui a failli perdre un de mes amis, le meilleur cœur, l’un des plus dignes garçons que je connaisse.

–Tiens! tiens! une histoire peut-être.

–Romancier, va: tu montres l’oreille.

«–Je ne le nie pas. L’imagination est d’argent, mais la réalité est d’or.»

Jetant de côté palette et pinceaux, il m’invita à venir m’asseoir à côté de lui sur un divan bas et recouvert d’une splendide étoffe algérienne.

«–Écoute moi, curieux, et tu pourras faire ce que tu voudras de ce que je vais te raconter.

Après avoir placé le portrait en face de moi, j’ouvris à la fois les oreilles pour entendre et les yeux pour regarder, m’appuyant les reins à un moelleux coussin.

Mon ami commença:

–Connais-tu X?

–Le sculpteur, un de nos futurs maîtres! Qui ne le connaîtrait?

–Alors regarde cette créature dans les yeux et maudis-là avec la même ardeur que tu mettais tout à l’heure à l’admirer. Elle a manqué briser la carrière de X. et tuer son intelligence.

–C’est vrai?

–Je le tiens de lui-même. Lorsque je le rencontrai en Grèce, il y a deux ans, il venait se remettre d’une terrible maladie, de ce qu’on appelle parfois un péché de jeunesse.

— Convalescence d’amour.

–Dis passion, passion absorbante et dangereuse: il a été pendant longtemps en danger de mort, au point de vue moral et intellectuel aussi bien qu’au physique.

–Et c’est cette femme-là?»

Je l’examinai avec une certaine curiosité émue, un peu comme on regarde une tigresse, un bel animal féroce.

«–C’est elle.

—Comment as-tu son portrait?

–Il m’avait été commandé par son mari.

–Il y avait un marri?»

Je me rapprochai de mon ami.

«–Un malheureux qui est mort en Amérique, le cœur brisé, car cette femme portait malheur à tous ceux qui l’approchaient: c’était une fleur brillante, mais vénéneuse.

—Tu me fais pressentir un drame.

»–Peut-être pas comme tu l’entends. Enfin ce portrait ne m’a jamais été réclamé et je le cache comme une chose honteuse, comme un objet dangereux, depuis que X. m’a raconté son histoire et celle de cette femme.

–Nous y voilà.

–Il était si misérable, si triste, si abandonné que je devins immédiatement son ami. Dans une heure d’abandon, il prononça quelques mots qui éveillèrent mon attention, un nom que je retrouvai dans ma mémoire. Je lui appris que j’avais fait le portrait d’une femme du même nom, que son mari était mort, que je n’avais plus eu de nouvelles de mon modèle. A mesure que je parlais, je voyais les larmes gonfler ses paupières, ses traits s’animer. Celle dont j’avais fait le portrait, celle qu’il avait aimée n’étaient qu’une même personne. Son cœur déborda; il me confia ses souffrances, ses désespoirs, ses plaisirs et ses peines.– Écoute-moi, à ton tour, mon cher ami, et tu sauras quelles peuvent être les conséquences d’un instant de faiblesse, les suites d’une séduction, quand c’est l’homme qui se montre faible et que cet homme est un artiste sensible, passionné et ignorant des choses du monde.

GUSTAVE TOUDOUZE.

Décembre1881.

La séductrice

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