Читать книгу Toute l'Oeuvre Théâtrale de Guy de Maupassant - Guy de Maupassant - Страница 11
ОглавлениеScène 3
MADAME DESTOURNELLES, M. RENÉ.
Mme DESTOURNELLES (nerveuse, la voix sèche)
Au moins, avez-vous bien retenu votre rôle?
M. RENÉ
Je n’en oublierai point une seule parole.
Mme DESTOURNELLES
Alors nous commençons puisque vous êtes prêt:
Je suis seule d’abord. Le marquis apparaît.
Sans me voir il arrive au milieu de la scène;
Pendant quelques instants il rêve et se promène;
Et puis il m’aperçoit. Nous y sommes?
M. RENÉ
J’y suis.
Elle s’assied sur une chaise basse. Il s’approche d’elle avec des grâces prétentieuses.
Mme DESTOURNELLES
Soyez plus libre et plus naturel.
M. RENÉ (s’arrêtant)
Je ne puis;
J’en suis fort empêché, car mon habit me gêne.
Son épée se prend entre ses jambes.
Mme DESTOURNELLES (sèchement)
Votre rapière va s’échapper de sa gaine.
Vous paraissez épais et lourd. Recommençons.
(Il fait le même manège que tout à l’heure, mais d’une façon encore plus maniérée.)
Vous n’avez pas besoin de toutes ces façons,
Monsieur.
M. RENÉ (vexé)
Je voudrais bien vous voir prendre ma place,
Madame. Comment donc voulez-vous que je fasse?
Mme DESTOURNELLES (impatiente)
Comme si vous étiez un marquis naturel;
Un vrai marquis. Quittez cet air trop solennel,
Et marchez simplement comme un monsieur qui passe.
Relevez quelque peu votre épée, avec grâce;
Une main sur la hanche; et puis promenez-vous,
Sans avoir tant de plomb fondu dans les genoux.
Vous êtes empesé comme un dessin de mode.
M. RENÉ
Si je ne portais point cet habit incommode…
Mme DESTOURNELLES
Vous me faites l’effet d’un marquis croque-mort,
Soyez donc gracieux.
Il recommence.
M. RENÉ
Est-ce bien?
Mme DESTOURNELLES
Pas encore.
Que l’homme est emprunté! Dire que toute femme,
J’entends femme du monde, est actrice dans l’âme.
La femme de théâtre est gauche, et ne sait pas
Sourire, se lever, s’asseoir, ou faire un pas
Sans paraître tragique. Un rien les embarrasse.
Cela ne s’apprend point, c’est affaire de race.
On peut acquérir l’art, mais non le naturel.
Par l’étude on devient ce que fut la Rachel Qui demeura toujours roide ou prétentieuse,
Souvent fort dramatique, et jamais gracieuse.
Moi, j’ai joué deux fois, et j’eus un succès fou.
J’avais une toilette exquise, un vrai bijou.
On m’applaudit, c’était comme une frénésie;
J’ai cru que je ferais mourir de jalousie
Madame de Lancy qui jouait avec moi.
Je disais quelques vers: je ne sais plus trop quoi;
Quelque chose de drôle et qui fit beaucoup rire.
Mais, la deuxième fois, je n’avais rien à dire;
Je faisais une bonne apportant un plateau
Où devait se trouver un verre rempli d’eau.
J’apportai le plateau; mais j’oubliai le verre.
L’acteur me regarda d’une façon sévère;
Le public se tordait; alors je m’aperçus
Que j’avais le plateau voulu, mais rien dessus.
Ma foi, je n’y tins pas, j’ai ri comme une folle.
Le monsieur n’a pas pu reprendre la parole
Tant on était joyeux. On a ri tout le temps!
(se tournant vers René qui la regarde fixement en l’écoutant)
Mais que faites-vous donc, Monsieur, je vous attends?
M. RENÉ
Madame, j’écoutais.
Mme DESTOURNELLES
C’est moi qui vous écoute.
Vous n’avez pas de temps à perdre. Allons, en route.
Eh bien?
M. RENÉ (après une longue hésitation)
Je ne sais plus du tout le premier vers.
Mme DESTOURNELLES (furieuse)
Monsieur, vous commencez à m’agacer les nerfs.
M. RENÉ
Quand j’aurai le premier, tous viendront à la suite.
Mme DESTOURNELLES
Certes, ils viendront. À moins qu’ils ne prennent la fuite.
M. RENÉ (se frappant le front)
Comme on oublie! Allons, soufflez-moi, rien qu’un peu.
Mme DESTOURNELLES
Ah! Puissé-je, en soufflant, rallumer votre feu.
Elle souffle.
M. RENÉ (il récite avec embarras)
Je te vis, charmante bergère,
Assise, un jour, sur la fougère;
Oui, là-bas, je te vis un jour;
Et tout mon coeur brûla d’amour;
Non point de flamme passagère
Qui s’éteint, trompeuse et légère.
C’est d’un indestructible amour Que je brûlai, douce bergère,
Quand je te vis sur la fougère…
C’est bien?
Mme DESTOURNELLES
«C’est bien» n’est pas au rôle, assurément.
Et puis ce serait bien… Si c’était autrement.
M. RENÉ
Pourquoi cela?
Mme DESTOURNELLES
Pourquoi? Vous êtes détestable
Comme un petit garçon qui récite une fable.
Votre voix, votre corps, vos gestes sont en bois.
Avez-vous aimé?
M. RENÉ (très étonné)
Moi?
Mme DESTOURNELLES
Vous.
M. RENÉ
Certes… Quelquefois.
Mme DESTOURNELLES
Eh bien, racontez-moi cela.
M. RENÉ
Quoi?
Mme DESTOURNELLES
Vos conquêtes;
Car je ne vous vois pas faisant tourner les têtes.
M. RENÉ
Je ne dirai point si j’ai réussi…
Mme DESTOURNELLES
Toujours?
Non. Vous ne devez pas être heureux en amours.
Eh bien! Nous allons voir ce que vous savez faire.
Supposons qu’une femme, habile en l’art de plaire,
Se trouve en tête-à-tête avec vous. Son… Esprit
Dès longtemps attira votre coeur et le prit.
— Supposons que je sois cette femme charmante -
Vous voulez exprimer l’amour qui vous tourmente;
Nous sommes tous deux seuls. - Allez. -
(Elle attend. Il reste debout devant elle dans une pose embarrassée.)
Eh bien, c’est tout?
On peut sans péril écouter jusqu’au bout.
Alors changeons de rôle, et soyez la bergère.
Je vais improviser. Asseyez-vous; - ma chère. -
(Elle prend le chapeau du marquis; s’en coiffe; fléchit un genou devant lui, et, avec une moquerie dans la voix.)
Je cours après le bonheur;
Plus je cours, plus il va vite.
Mais ce bonheur qui m’évite,
Dis, n’est-il pas dans ton coeur?
Je cherche la douce fièvre;
Mais elle me fuit toujours.
Cette fièvre des amours,
N’est-elle pas sur ta lèvre?
Pour les trouver j’ai dessein
De baiser, ô ma farouche,
Et ton âme sur ta bouche,
Et ton doux coeur sur ton sein.
(Elle le regarde en riant, puis, se relevant.)
Il l’embrasse. Êtes-vous une bergère en Sèvres?
Troublez-vous. Qu’un soupir s’échappe de vos lèvres.
Baissez les yeux, tremblez, pâlissez, rougissez.
(changeant de ton - d’une voix brève)
Çà, nous ne ferons rien. Cher monsieur, c’est assez.
M. RENÉ (brusquement)
Je suis mauvais, la faute en est à mon costume;
Si j’étais en habit tout simple, je présume
Que je saurais sans peine exprimer mon amour.
À l’époque fleurie où régnait Pompadour,
Presque autant que la tête on poudrait la pensée;
Et la phrase ambiguë, avec soin cadencée,
Semblait une chanson aux lèvres des amants.
Ils avaient en l’esprit encor plus d’ornements
Que de rubans de soie à leur fraîche toilette.
L’amant était léger, l’amante était follette.
Ils ne se permettaient que de petits baisers
Pour ne point faire tort à leurs cheveux frisés;
Et gardaient tant de grâce et de délicatesse
Qu’un mot un peu brutal eût rompu leur tendresse.
Mais aujourd’hui, qu’on a décousu pour toujours
La pompe des habits et celle des discours,
Nous ne comprenons plus ces futiles manières;
Et pour se faire aimer il faut d’autres prières,
Plus simples mais aussi plus ardentes.
Mme DESTOURNELLES
Il faut,
Cher monsieur, pour jouer un rôle sans défaut,
Se mettre, avec l’habit, la peau du personnage;
Sentir avec son coeur, penser selon son âge,
Aimer comme il aimait.
M. RENÉ
Mais moi, si j’aime aussi.
Mme DESTOURNELLES
Vous n’aimez pas.
M. RENÉ
Pardon, j’aime.
Mme DESTOURNELLES
Mais non.
M. RENÉ
Mais si.
Mme DESTOURNELLES
Alors vous avez dû lui dire: «Je vous aime.»
Rappelez-vous le ton, et puis faites de même.
M. RENÉ
Non. Je n’ai point osé lui dire.
Mme DESTOURNELLES
C’est discret.
Vous avez donc pensé qu’elle devinerait?
M. RENÉ
Non.
Mme DESTOURNELLES
Mais qu’espérez-vous alors?
M. RENÉ
Moi? Rien. Je n’ose.
Mme DESTOURNELLES
C’est faux. L’homme toujours espère quelque chose.
M. RENÉ
Je ne veux qu’un sourire, un mot, un bon regard.
Mme DESTOURNELLES
C’est trop peu.
M. RENÉ
Rien de plus. À moins que le hasard,
Un jour, plaide ma cause.
Mme DESTOURNELLES
Oh! Le hasard ne plaide,
N’oubliez point ceci, que pour celui qui l’aide.
M. RENÉ
Je souffre horriblement de n’oser point parler.
Son oeil, quand il me fixe, a l’air de m’étrangler;
J’ai peur d’elle.
Mme DESTOURNELLES
Mon Dieu! Que les hommes sont… Bêtes.
Savez-vous point encore, ignorant que vous êtes,
Que ces compliments-là ne nous blessent jamais.
Vous verriez, si j’étais un homme, et si j’aimais.
(René saisit ses mains et les baise avec passion. Elle les retire vivement, très étonnée, un peu fâchée.)
Je n’autorise pas ces manières trop lestes;
La parole suffit, monsieur, gardez vos gestes.
M. RENÉ (tombant à ses genoux)
Certes, j’étais timide et grotesque. Pourquoi?
Je craignais que mon coeur éclatât malgré moi!
Et qu’au lieu des fadeurs de ces propos frivoles,
Ce coeur qui débordait ne dit d’autres paroles.
(Elle s’éloigne de lui, il la poursuit en tenant sa robe.)
Ah! Vous l’avez permis, madame, il est trop tard.
Vous n’avez donc pas vu briller dans mon regard,
Quand il était sur vous, des éclairs de folie;
Ni trouvé sur ma face égarée et pâlie
Ces sillons qu’ont creusés les tortures des nuits?
Vous n’avez donc pas vu que souvent je vous fuis;
Qu’un frisson me saisit quand votre main m’effleure;
Et que si j’ai perdu la tête, tout à l’heure,
C’est qu’en me regardant vos lèvres ont souri,
Que votre oeil m’a touché, marqué, brûlé, meurtri?
Ainsi qu’un malheureux, monté sur une cime,
Se sent pris tout à coup des fièvres de l’abîme,
Et se jette éperdu dedans, la tête en feu;
Ainsi, quand je regarde au fond de votre bleu,
Le vertige me prend d’un amour sans limite!
(Il saisit sa main et la pose sur son coeur.)
Tenez, sentez-vous pas comme mon coeur palpite?
Mme DESTOURNELLES (effarée)
C’est trop. On vous croirait la cervelle égarée;
Et la diction même a l’air exagérée.
La porte du fond s’ouvre sans bruit, et M. DESTOURNELLES apparaît, tenant à chaque main un écrin à bracelet. Il s’arrête et écoute sans être vu.
M. RENÉ
Oui, c’est vrai, mon esprit s’égare, je suis fou!
Quand on lâche un cheval, la bride sur le cou,
Il s’emporte, et voilà ce qu’a fait ma pensée;
Jusqu’ici je l’avais tenue et terrassée,
Mais elle a, près de vous, des élans trop puissants.
Je ne puis exprimer les ardeurs que je sens!
Oui, je vous aime, et j’ai la lèvre torturée
Du besoin de toucher votre bouche adorée;
Et mes bras, malgré moi, s’ouvrent pour vous saisir,
Tant me pousse vers vous un immense désir.
Mme DESTOURNELLES (lui échappant)
Je me fâche. Cessez cette plaisanterie.
M. RENÉ (se traînant à ses pieds)
Je vous aime, je vous aime.
Mme DESTOURNELLES (effrayée)
Assez, ou je crie.
M. RENÉ (avec accablement)
Pardon.
Mme DESTOURNELLES (avec hauteur)
Relevez-vous, monsieur, je vais sonner.
M. RENÉ (désespéré)
Mon Dieu! Vous ne pourrez jamais me pardonner.