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Scène V

JEAN, GILBERTE, assis sur le canapé, à droite.

JEAN

Oui, oui, vous êtes bien ma femme, mademoiselle.


GILBERTE

Mademoiselle?


JEAN

Oh! Pardon. Tiens, je ne sais comment vous nommer.


GILBERTE

Dites Gilberte, ça n’a rien de choquant.


JEAN

Gilberte! Enfin, enfin, enfin, vous êtes ma femme.


GILBERTE

En vérité, ce n’est pas sans peine.


JEAN

Ah! Quelle mignonne et énergique créature vous êtes! Comme vous avez lutté contre votre père, contre votre tante! C’est par vous, grâce à vous, que nous sommes l’un à l’autre; merci de tout mon coeur… Qui vous appartient.


GILBERTE

J’ai eu confiance en vous, voilà tout.


JEAN

Rien que de la confiance?


GILBERTE

Vous êtes fat. Vous me plaisiez aussi, et vous le saviez bien… Si vous ne m’aviez pas plu, ma confiance devenait inutile. On plaît d’abord; sans ça, rien à tenter, monsieur…


JEAN

Dites Jean… Comme j’ai dit Gilberte.


GILBERTE, hésitante

Ce n’est pas la même chose… Il me semble… Cependant… Non! Je ne pourrais pas.

Elle se lève et passe à gauche.


JEAN, se levant à son tout

Comme je vous aime! Je ne suis pas un emballé, je vous le jure; je suis un homme qui vous aime, parce que j’ai découvert en vous des mérites inappréciables. Vous êtes une perfection douée d’autant de raison que de sentiment. Et votre sentiment ne ressemble en rien à la sentimentalité ordinaire des femmes. C’est cette grande et belle faculté d’attendrissement qui caractérise les nobles âmes et qu’on ne rencontre plus guère dans le monde. Et puis vous êtes jolie, très jolie, très gracieuse, d’une grâce spéciale, et j’adore la beauté, moi qui suis peintre… Et puis, avant tout, vous me séduisez… Jusqu’à avoir effacé le reste du monde de ma pensée et de mes yeux.


GILBERTE

Cela me fait beaucoup de plaisir de vous entendre; cependant, je vous prie de n’en pas dire davantage, car cela me gêne aussi un peu. Je sais bien pourtant, car je prévois à peu près tout, qu’il faut profiter d’aujourd’hui pour savourer toutes ces choses; ce sont là encore des paroles tremblantes de fiancé. Celles de plus tard seront délicieuses aussi peut-être, quand on s’exprime comme vous, et quand on aime comme vous paraissez m’aimer. Mais elles seront différentes.


JEAN

Oh!


GILBERTE, s’asseyant sur le tabouret devant la table

Parlez encore.


JEAN

Ce qui m’a entraîné vers vous, c’est cette harmonie mystérieuse de la forme de votre être et de sa nature intime. Vous rappelez-vous ma première entrée dans cette maison


GILBERTE

Oui, très bien. C’est mon frère qui vous a amené dîner. Je crois même que vous avez fait quelque résistance.


JEAN, riant

Est-il peu sûr, votre indiscret de frère! Ah! Il vous a avoué cela… Je suis confus tout de même qu’il vous l’ait dit. J’en conviens, j’ai fait quelque résistance. J’étais un artiste accoutumé à notre société particulière, vivante et bruyante, libre de propos, et je fus un peu inquiet à l’idée de pénétrer dans un intérieur sérieux comme le vôtre, un intérieur à magistrats et à jeunes filles. Mais j’aime tant votre frère, je le trouve si imprévu, si gai, si sagement ironique et perspicace sous sa trompeuse légèreté, que je le suivais partout, et je l’ai suivi chez vous. Et je l’en ai bien remercié, allez! Quand je suis entré dans ce salon où votre famille se tenait, vous disposiez en un vase de Chine des fleurs qu’on venait d’apporter; vous en souvenez-vous?


GILBERTE

Oui, certainement.


JEAN

Votre père me parla de mon oncle Martinel, qu’il avait connu autrefois. Ce fut un trait d’union entre nous. Mais tout en causant, je vous regardais arranger vos fleurs.


GILBERTE, souriant

Vous me regardiez même trop pour une première fois.


JEAN

Je vous regardais en artiste, et j’admirais, vous trouvant délicieuse de figure, de tournure et de geste. Et puis, pendant six mois, je suis revenu souvent dans cette maison où votre frère m’invitait et où votre présence me rappelait. J’ai senti voue charme à la façon d’un aimant. C’était une attraction incompréhensible m’appelant vers vous sans cesse. (Il s’assied près d’elle à droite de la table.) Alors, une idée confuse, celle que vous pourriez un jour devenir ma femme, s’est glissée en mon esprit, et j’ai fait se renouer des relations entre votre père et mon oncle. Les deux hommes sont devenus amis. N’avez-vous rien compris de mes manoeuvres?


GILBERTE

Compris? Non; j’ai un peu deviné, par moments. Mais j’étais si surprise qu’un homme comme vous, en plein succès, si connu, si fêté, s’occupât tant d’une fillette aussi modeste que moi, que je ne pouvais croire vraiment à la sincérité de vos attentions.


JEAN

Pourtant nous sûmes nous entendre et nous comprendre bien vite.


GILBERTE

Votre caractère me plaisait. Je vous sentais très loyal

puis vous m’amusiez beaucoup, car vous m’apportiez de l’air artiste qui faisait vivre mes idées. Il faut avouer aussi que mon frère m’avait bien préparé à vous apprécier. Il vous aime beaucoup, Léon.


JEAN

Je sais. Je crois même que c’est lui qui a eu le premier l’idée de ce mariage. (Après un court silence.) Vous rappelez-vous notre retour de Saint-Germain, quand nous avons été dîner au pavillon Henri IV?


GILBERTE

Je crois bien.


JEAN

Mon oncle et votre tante étaient dans le fond du landau. Vous et moi à reculons, et, dans l’autre voiture, votre père et Léon. Quelle belle nuit d’été! Vous aviez l’air très froid à mon égard.


GILBERTE

J’étais si troublée!


JEAN

Vous deviez pourtant vous attendre à ce que je vous pose un jour la question que je vous ai posée, car vous ne pouviez plus ignorer que je m’occupais beaucoup de vous et que mon coeur était conquis.


GILBERTE

C’est vrai. N’importe, elle m’a surprise et bouleversée. Ah! J’y ai songé souvent depuis, et je n’ai jamais pu me rappeler la phrase dont vous vous êtes servi. Vous en souvenez-vous?


JEAN

Non. Elle m’est venue aux lèvres, montée du fond de mon coeur, comme une prière éperdue. Je sais seulement que je vous ai dit que je ne reviendrais plus dans votre famille, si vous ne me laissiez pas un peu l’espoir d’en être un jour, quand vous me connaîtriez davantage. Vous avez réfléchi bien longtemps avant de me répondre, puis vous m’avez dit à voix si basse que j’hésitais à vous faire répéter…


GILBERTE, prenant la parole et répétant comme en rêve

«… Ça me ferait de la peine de ne plus vous voir…»


JEAN

Oui!


GILBERTE

Vous n’avez rien oublié!


JEAN

Est-ce qu’on oublie ça? (Avec une émotion profonde.) Savez-vous ce que je pense? En nous regardant bien l’un et l’autre, en étudiant bien nos coeurs, nos âmes et notre façon de nous comprendre, de nous aimer, je crois que nous sommes partis sur la vraie route du bonheur!

Il l’embrasse. Ils restent un moment silencieux.


GILBERTE, se levant

Mais il faut que je vous quitte. (Se dirigeant vers la porte de gauche.) Je vais me préparer pour notre départ. Vous, pendant ce temps, allez retrouver mon père.


JEAN, la suivant

Oui, mais dites-moi avant que vous m’aimez.


GILBERTE

Oui… Je vous aime.


JEAN, lui mettant un baiser sur le front

Ma bien-aimée!

Gilberte disparaît par la gauche. Une seconde après Martinel arrive par le fond, l’air très agité, une lettre à la main.


MARTINEL, apercevant Jean, glisse vivement la lettre dans la poche de son habit, et se remettant

Tu n’as pas vu Léon?


JEAN

Non. Vous avez besoin de lui?


MARTINEL

Rien qu’un mot à lui dire… Un renseignement sans importance.


JEAN, l’apercevant

Tenez! Le voici!

Léon entre par la droite. Jean disparaît par le fond.

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