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CHAPITRE III

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COMME QUOI, FÉDOR SHARP, BIEN QUE SECRETAIRE PERPÉTUEL DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ÉTAIT UNE CANAILLE


Eh bien! très honorable monsieur Sharp?

—Eh bien! mon très estimé monsieur Mileradowich!

Cela dit, les deux hommes gardèrent le silence, s'examinant du coin de l'œil, la face grave comme il convient à des personnages pénétrés de l'importance de leur mission, avec cependant, dans la physionomie, quelque chose de railleur qui eût fort donné à penser à un observateur attentif.

L'un, grand, sec, tout en os semblait flotter dans une ample redingote noire croisée sévèrement sur la poitrine et dont les pans, démesurément longs, se drapaient en larges plis sur un pantalon également noir qui s'enroulait tout en tire-bouchonnant autour des chevilles; aux pieds, de gros souliers lacés, en cuir de vache à peine dégrossi, mettaient, à chacun de ses pas, le bruit de leurs énormes clous sur les dalles qui pavaient la pièce. Sur le col de la redingote luisant de graisse, les cheveux tombaient longs et raides, assouplis vainement à grands renforts d'huile parfumée, encadrant un visage en lame de couteau, dont les pommettes saillantes crevaient la peau toute couturée de rides et terreuse; la face, qu'éclairaient deux petits yeux profondément enfoncés dans leur orbite, mais brillants comme des éclats de jais, était entièrement rasée, à l'exception d'une forte touffe de poils gris ménagée sous le menton et qui descendait, fort longue, sur la poitrine, semblable à une barbiche de bouc.


L'autre personnage était quelconque, semblable à tous ceux dont un travail sédentaire et un amour immodéré de la table ont arrondi le ventre et apoplectisé la face.

Le premier n'était autre que Fédor Sharp, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences.

L'autre s'appelait Mileradowich et occupait à Pétersbourg les importantes fonctions de juge criminel.

Tous deux, au moment où nous faisons leur connaissance,—c'est-à-dire le lendemain même du jour où nous avons assisté à la surprenante arrestation de Mickhaïl Ossipoff et de Gontran de Flammermont,—tous deux se trouvaient dans le laboratoire du savant qu'ils fouillaient dans tous les coins, depuis près de trois heures.

Mileradowich, assis à une grande table, devant une feuille de papier blanc, prenait des notes sous la dictée de Sharp qui allait et venait à travers la pièce, furetant, examinant tout avec un soin extrême, agitant les cornues, soulevant les couvercles des creusets, regardant les éprouvettes, s'aidant dans ses recherches à l'aide d'un gros registre qu'il tenait à la main et sur lequel il jetait fréquemment les yeux.


Tout à coup, alors que le juge d'instruction penché sur son papier écrivait, Sharp s'était arrêté devant une fiole d'assez grande dimension et placée sur un fourneau refroidi; à côté se trouvait le tube de métal tout noirci qu'Ossipoff, au commencement de cette histoire, avait si victorieusement montré à sa fille.

Et sans doute cette découverte avait-elle pour le secrétaire de l'Académie des sciences de Pétersbourg une importance toute particulière, car il ne put retenir une exclamation de joyeuse surprise.

Et c'est cette exclamation qui avait provoqué de la part du juge d'instruction criminelle l'interrogation par laquelle débute le présent chapitre. On a vu quelle réponse M. Sharp avait cru devoir faire à cette interrogation.

Puis tous deux s'étaient tus, le juge à demi retourné sur sa chaise pour mieux voir son compagnon, celui-ci adossé au fourneau, tenant entre les mains la fiole sur laquelle il fixait des regards ardents.

—Eh bien! répéta Mileradowich, avez-vous trouvé, monsieur Sharp?

Celui-ci appliqua sur la fiole son doigt maigre et osseux.

—Voici, répondit-il.

Un éclair de joie brilla dans la prunelle du juge.

—En êtes vous bien sûr? demanda-t-il.

—Je ne le serai vraiment qu'après une analyse minutieuse et surtout après une expérience qui me permettra de me baser sur des résultats indéniables... mais voyez-vous, mon très estimé monsieur Mileradowich, je sens quelque chose qui me dit que c'est bien là ce que nous cherchons.

Et il plaçait la main sur son cœur.

Le juge d'instruction criminelle avait posé sa plume et se frottait les mains en manifestation du contentement qui gonflait sa poitrine.

Puis, tout à coup, il demeura immobile, les yeux fixés sur son compagnon.

—Savez-vous bien, dit-il, que c'est là une affaire de laquelle nous pouvons retirer bien des avantages.

—Qu'entendez-vous par là? demanda Sharp d'un ton singulier.

—Dame! si le Tzar est juste, il me donnera de l'avancement et à vous la croix du Mérite... tout au moins.

—Je ne demande rien, répondit vivement Sharp.

—Sans demander, on peut accepter.

Le secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences eut un énergique mouvement de protestation.

Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune

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