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LE FORT DU PRINCE-DE-GALLES

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Situé sur la rivière Churchill, à son embouchure dans la baie d'Hudson, environ par les 58° de latitude et 97° de longitude, le fort du Prince-de-Galles fut élevé, vers 1718, par la Compagnie de la baie d'Hudson.

Divers combats l'ont rendu, célèbre dans l'histoire de nos luttes avec la Grande-Bretagne, durant le siècle dernier.

On le construisit dans un but de commerce avec les Esquimaux et tous les Indiens du Nord en général, mais principalement, je crois, pour devenir l'entrepôt des richesses que la Compagnie espérait recueillir dans les mines d'une rivière fameuse qui prit, à cause de ses productions minérales, le nom de rivière de la Mine de Cuivre (Copper-Mine-River).

On m'a accusé d'avoir, dans mes précédents ouvrages, montré pour la Compagnie de la baie d'Hudson une malveillance outrée. J'avoue volontiers qu'elle ne se comporte pas et ne s'est jamais comportée vis à vis des aborigènes du Nord-Ouest américain comme les Espagnols se comportèrent vis à vis des Mexicains; je me plais à reconnaître qu'elle ne les égorgea point par millions, au nom d'un Dieu de paix, et qu'on ne saurait trouver parmi ses honorables membres autant de cruelle rapacité que chez un Cortez, un Pizarre ou un Soto [5]: mais je pourrais prouver par cent exemples qu'elle employa une foule de moyens hautement criminels pour arracher aux malheureux Peaux-Rouges les objets de sa convoitise. Afin de n'en citer qu'un, je rapporterai cette phrase des Ordres et Instructions donnés à Samuel Hearne, par la Compagnie de la baie d'Hudson, lors de l'expédition de ce capitaine à la rivière de la Mine de Cuivre, le 6 novembre 1769:

[Note 5: «Autrefois, les îles de Cuba et des Lukayes avaient plus de six cent mille habitants. Elles n'en ont pas présentement vingt. Bartholomeo de Las Gazas, digne évêque de Chiapa, nous apprend que dans l'île Hispaniola, appelée aujourd'hui Saint-Domingue, de trois millions d'Indiens il n'en restait plus de son temps. Ils en ont tué, dit-il, près de QUINZE millions en terre ferme. «Ils ne tiennent aucun compte de leurs âmes, qui sont immortelles comme les nôtres, non plus que si ces pauvres Indiens n'étaient que des bêtes.»

«Un Espagnol, interrogé comment il instruisait ces pauvres Indiens, répondit: Que los dava al diablo, loque bastave per ello C'est-à-dire: Je les donne au diable, c'est assez pour eux. Quand ils les pendaient par douzaines, ils disaient que c'était en l'honneur de Notre-Seigneur et des douze Apôtres….. «Nous avons vu, dit l'évêque des Indes Occidentales, dix grands royaumes plus grands que n'est l'Espagne, et beaucoup plus peuplés, être réduits en solitude par les cruautés et l'horrible boucherie qu'ils y ont exercées.»—Nouveaux Voyages dans l'Amérique septentrionale, par M. Bossu An. MDCCLXXVII.]

«2º Nous vous avons fait pourvoir, vous et vos compagnons, des objets que nous avons jugé vous être nécessaires; et il y a été ajouté par notre ordre différentes marchandises pour être distribuées en forme de présents seulement aux Indiens étrangers que vous rencontrerez, après avoir fumé le calumet de paix avec leurs chefs, à l'effet de vous concilier leur amitié. Vous ne manquerez pas de les exciter à porter la guerre chez leurs voisins, AFIN DE SE PROCURER DES FOURRURES ET AUTRES ARTICLES DE COMMERCE, en les assurant qu'on leur en paiera un très-bon prix à la factorerie de la Compagnie [6].»

[Note 6: Voyage de Samuel Hearne, du Fort du Prince-de-Galles, dans la baie d'Hudson, à l'Océan Nord.—Introduction.]

Tout commentaire pâlirait devant la sinistre éloquence de ces

Instructions.

Je poursuis donc mon sujet.

Le fort du Prince-de-Galles est un des postes les plus septentrionaux que possède la Compagnie de la baie d'Hudson sur ses immenses territoires. On y fait principalement la traite des pelleteries provenant des régions polaires.

Cette importante factorerie est parfaitement défendue par des bastions et des courtines en pierre de taille, garnis de lourdes couleuvrines. Quelques canons d'un fort calibre ont même été braqués aux angles.

Dans l'enceinte de la forteresse s'élève la maison du gouverneur, les bâtiments affectés au commis, les magasins pour les fourrures et les articles d'échange, la poudrière, les ateliers de construction, et le vaste bâtiment destiné aux trappeurs, voyageurs, coureurs des bois, aventuriers de toutes origines, je pourrais dire de toutes couleurs, qui, chaque jour, y viennent chercher un abri.

La plupart sont des gens au service de la Compagnie; mais bon nombre n'ont de commun avec elle que l'hospitalité temporaire qu'elle leur accorde.

Autour du fort, on voit des tentes dressées par les Indiens descendus du nord pour troquer, contre des armes, des ustensiles de ménage, des outils, des colifichets et trop souvent de l'eau-de-feu,—le lait des blancs, comme ils disent fréquemment,—les produits de leur chasse et de leur pêche.

Des parcs, protégés par des palissades, se montrent aussi ça et là, et, au bord de la mer, un pont en bois a été jeté sur une des bouches de la rivière Churchill.

Du reste, partout où porte l'oeil, la plaine est nue, triste, couverte de rares bruyères, maigres mélèzes, genévriers on saules nains, quand la neige ne la revêt pas d'un blanc suaire. Jadis des forêts magnifiques l'ombrageaient mais ces forêts on les a abattues, sans mesure, sans préoccupation de l'avenir, et aujourd'hui les gens du fort sont obligés d'aller chercher leur combustible à trente et quarante milles à l'intérieur des terres. Ils y emploient les deux ou trois mois de temps chaud que laisse l'inclémence de cette haute latitude; car, du 1er septembre au 1er juillet et même plus tard, la baie d'Hudson est fermée par les glaces, tandis que son littoral reste enseveli sous une couche de neige dont l'épaisseur dépasse parfois six pieds.

Horrible région que celle-là! épouvantable en hiver! Les pierres craquent et volent en pièces. Les arbres se gercent; ils éclatent avec un bruit semblable à des détonations d'armes à feu. L'alcool gèle, le mercure se fige!

Ce qui n'empêche pas la gaieté de régner dans le fort du

Prince-de-Galles, alors même que le thermomètre marque 40°

Réaumur,—mais quand le manque de provisions ne vient pas s'allier au

froid, pour faire la guerre à l'homme.

Aussi, comme la chasse et la pêche avaient été des plus abondantes pendant l'été de 1882, menait-on joyeuse vie à la factorerie, vers la fin de l'automne de cette même année.

Chaque soir, après les rudes travaux de la journée, mêlés aux Indiens, les braves trappeurs contaient des histoires merveilleuses, chantaient des chansons plus qu'égrillardes, et buvaient force whiskey, à la santé de leurs belles.

Il fallait entendre résonner les échos de la grand'salle! et la voir donc! Quel spectacle! quel tohu-bohu! quel pêle-mêle de costumes, de physionomies, de races hétérogènes!

Pénétrons-y. Il est sept heures de relevée. La flamme jaillit par torrents dans les deux cheminées cyclopéennes qui se font face des deux côtés de la pièce et l'éclairent. Que vous semble de ces costumes de peaux, de ces mines étranges, de ces armes barbares? Le vent souffle avec rage au dehors. Il y fait un froid mortel, et la neige tombe en bordée. Mais qu'importe? chacun ici a le sourire aux lèvres. Qui se croirait jamais à quinze cents lieues des établissements civilisés?

Voici pourtant une de nos connaissances, James Mac Carthy, l'avocat de Québec. Il a endossé le vêtement de chasseur septentrional: casque de peau de loup marin, tunique en cuir de daim, doublée de peau de cygne et ornée de pimpantes broderies en rassade, mitas et mocassins en même matière.

Il cause chaleureusement avec un chef indien, Kit-chi-ou-a-pous, le

Grand-Lièvre, sagamo illustre dans la tribu des Chippiouais.

C'est un homme d'une taille géante. Il mesure près de sept pieds. Son profil offre de l'analogie avec celui d'un bélier. Son front est fuyant, son nez busqué, ses yeux rapprochés et inclinés comme ceux de la race mongole. Deux plumes d'aigle, symbole de sa puissance, sont passées en croix dans l'unique touffe de cheveux qu'il étale au sommet de la tête. De longs anneaux d'argent pendent de ses oreilles et cliquettent contre ses épaules. Sur sa poitrine est fièrement étalé un collier composé de griffes d'ours et de dents de morse.

Une peau de boeuf musqué l'enveloppe des pieds à la tête.

Mais ce qui rend surtout remarquable ce personnage, ce sont cinq bandes, larges d'un demi-pouce, l'une rouge, l'autre bleue, la troisième jaune d'or, la quatrième verte, la cinquième blanche, qui se partagent horizontalement sa face, tandis qu'une sixième, noire comme l'ébène, descend perpendiculairement de son front jusque sous Se menton.

Kit-chi-ou-a-pous fume avec une lenteur calculée son poagan, ou calumet, au fourneau en pierre rouge, représentant une figure bizarre,—sans doute quelque vague souvenir traditionnel de l'art des Asiatiques,—et au long tuyau enguirlandé de plumes omnicolores.

Mac Carthy le presse de questions, mais le chef se contente de répondre, de temps en temps, entre deux bouffées de tabac, par une phrase brève et sentencieuse, qui irrite davantage encore l'impatience du jeune homme.

—Tu dis, mon frère, qu'il y a une distance bien grande entre ce fort et la rivière des Mines, s'écrie James.

—La distance d'une saison d'hiver à l'autre.

—Et la route est pénible!

—Pénible pour un coeur faible.

—Mais, est-il vrai qu'on y trouve de l'or!

—Les yeux de Kit-chi-ou-a-pous n'y ont point vu de ce sable jaune dont parle mon frère.

—On m'a raconté qu'il y en avait en quantité.

—Si mon frère sait mieux que Kit-chi-ou-a-pous, pourquoi l'interroge-t-il? répliqua sèchement le sagamo.

—Voudrais-tu m'y conduire? répliqua Mac Carthy.

Le Chippiouais secoua la tête.

—Je te ferai, continua James, tel présent de poudre, de balles, d'eau-de-feu que tu me demanderas.

Une lueur fauve raya les noires pupilles du sagamo, mais il répondit avec son impassibilité accoutumée:

—L'homme demi-blanc a la langue crochue.

—Veux-tu un gage de ma parole!

—Non, je réfléchirai aux propositions de mon frère.

—Alors, je puis compter sur toi pour aller à ces mines?

—Si j'accepte les présents de mon frère, je le conduirai jusqu'au grand lac d'eau salée; mais je ne promets pas de lui montrer ce qu'il demande, car ce qu'il demande n'est plus.

Mac Carthy fit un geste d'incrédulité.

Mais le Grand-Lièvre, cessant de pétuner, dit d'un ton mesuré et grave:

—Que mon frère écoute, afin que jamais il n'accuse Kit-chi-ou-a-pous de l'avoir faussement détourné de son sentier.

—J'ouvre mon oreille à ton discours.

—Il y a bien des hivers, dit le sauvage, les cavernes de pierre jaune que désire mon frère existaient. Notre race était riche, puissante alors. Elle possédait des armes terribles, redoutées des ennemis. Et ces armes avaient la couleur et l'éclat des rayons du soleil. Une grande sorcière avait indiqué aux Peaux-Rouges l'endroit où gisait la matière pour les fabriquer. Elle était belle pour tous, bonne pour eux. Aussi ils l'aimaient, la vénéraient. Par malheur, les Visages-Pâles vinrent dans le pays. Ils rencontrèrent la magicienne et lui demandèrent où étaient les cavernes. Elle répondit qu'elle les y conduirait, s'ils promettaient de la respecter. Ils le promirent. Mais, en route, les misérables lui firent violence. Elle résolut de se venger. C'est pourquoi, lorsqu'ils voulurent partir, après s'être chargés de pierre jaune, elle refusa de les accompagner, en disant qu'elle demeurerait dans la mine jusqu'à ce que la terre l'engloutît avec toutes les pierres jaunes.

L'année suivante, ils revinrent et trouvèrent la femme ensevelie jusqu'à mi-corps. Les pierres jaunes avaient déjà beaucoup diminué.

A leur troisième voyage, la magicienne et les portions les plus précieuses de la mine avaient disparu. Il ne restait plus que quelques cailloux jaunes dispersés à la surface du sol, à une très-grande distance les uns des autres.

Mais, depuis, les Visages-Pâles ont tout enlevé.

—Ça ne fait rien, j'y veux aller, dit, aussitôt que le Grand-Lièvre eut parlé, James, assez peu convaincu de la véracité de ce récit.

—Mon frère aura ma réponse quand le jour paraîtra; mais l'Esprit du mal a remplacé la sorcière. Il est l'ennemi des blancs.

—Bah! fit légèrement Mac Carthy, je me moque de l'Esprit du mal.

—Mon frère n'est pas tout à fait blanc, dit l'Indien, d'un ton ironique.

James sentit le trait et se mordit les lèvres.

—N'est-ce point toi, dit-il, qui as mené dernièrement un Visage-Pâle à la mine?

—Oui, un grand coeur.

—Il s'appelait Robin?

—Pour nous il s'appelait le Jeune-Taureau.

—Et on rapporte qu'il a péri!

—Il a voulu tenter l'Esprit du mal; l'Esprit du mal l'a châtié.

—Ce qui veut dire qu'il a été tué par les Esquimaux? reprit James.

Kit-chi-ou-a-pous ne répondit point.

A cet instant, un homme de petite stature, mais d'une figure énergique, entra dans la salle.

Aussitôt les conversations cessèrent comme par enchantement, et au brouhaha général succéda un silence respectueux, interrompu seulement par ces mots soufflés à voix basse, dans les groupes:

—Le chef-facteur!

Après un coup d'oeil rapide, mais perçant, jeté sur l'assemblée, celui-ci marcha droit au Grand-Lièvre.

—Qu'est-ce que mon frère est venu faire ici? lui dit-il durement. Ne sait-il pas que j'avais donné ordre de le chasser du fort, chaque fois qu'il s'y présenterait?

—Kit-chi-ou-a-pous avait perdu sa tente. Il est venu se reposer, répondit le chef sans s'émouvoir.

—C'est un mensonge. Il s'est introduit dans la factorerie pour espionner et pour voler. S'il veut se reposer, qu'il aille demander l'hospitalité aux Longs-Couteaux [7], ses amis.

[Note 7: Les Yankees sont connus des Indiens sous ce nom, que leur a probablement valu le couteau-bowie qu'il portent, d'ordinaire, dans leurs excursions au Nord-Ouest.]

—Kit-chi-ou-a-pous n'est pas l'ami des Longs-Couteaux.

—Chef, ta parole est fausse; car toi et tes Chippiouais vous avez, l'hiver passé, pris à crédit des munitions chez nous, et, au lieu de nous rembourser avec vos pelleteries, vous les avez vendues, pendant l'été, aux Longs-Couteaux.

—Mon frère est dans l'erreur. La chasse n'a rien rapporté.

—Tu mens! s'écria le chef-facteur; va-t'en, ou je te fais déchirer par mes chiens!

Seul de sa bande dans le fort, Kit-chi-ou-a-pous ne pouvait résister à cette brutale injonction. Il dédaigna même de faire une nouvelle observation; mais, serrant autour de lui sa robe de boeuf, il traversa majestueusement la pièce et sortit.

—Vous, monsieur, j'ai à vous parler, reprit le commandant du poste en s'adressant à Mac Carthy.

Le jeune homme s'inclina d'un air soumis.

—Suivez-moi dans ma chambre, poursuivit le chef en se dirigeant vers la porte de la salle.

Comme ils arrivaient sur le seuil, cette porte s'ouvrit, et deux personnes couvertes de neige, de givre, entrèrent précipitamment.

—Mon Dieu! il était temps! balbutia l'une d'une voix chevrotante en s'appuyant au bras de son compagnon.

—Une femme blanche! fit le chef-facteur au comble de la surprise.

—Victorine! murmura James Mac Carthy, non moins étonné.

—Place! place! place auprès du feu! et un peu de whiskey pour la ranimer, car je sens que la pauvre créature va s'évanouir, ours et buffles! criait l'autre arrivant.

Poignet-d'acier, Ou, Les Chippiouais

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