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II

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Ce que le colonel eût voulu savoir et ce qu'il se demandait curieusement, c'était pourquoi le prince était venu au Glion.

Il n'avait point oublié, bien entendu, ce que madame de Lucillière lui avait si souvent répété à propos des projets du prince et de ses espérances matrimoniales.

Il se pouvait donc très bien que ce voyage au Glion n'eût pas d'autre but que l'accomplissement de ces projets et la réalisation de ces espérances.

Sachant ce qui s'était passé avec madame de Lucillière, le prince avait trouvé que le moment était favorable pour mettre Carmelita en avant et la présenter comme une consolatrice.

Alors la maladie de la comtesse Belmonte n'était qu'un prétexte pour expliquer ce voyage.

Il faut dire que le colonel n'était nullement disposé à l'infatuation, et que de lui-même il n'eût très probablement jamais imaginé qu'on pouvait courir après lui pour le marier avec une jolie fille. Mais madame de Lucillière lui avait si souvent parlé de ce projet du prince, que le souvenir de ces paroles ne pouvait pas ne pas l'inquiéter en présence d'une arrivée si étrange.

En tout cas, il n'y avait pour lui qu'une chose à faire.

Quitter le Glion.

Lorsqu'il monta à sa chambre, il ouvrit sa porte avec précaution et il marchait doucement en évitant de faire du bruit, de peur de déranger ses voisines, lorsqu'il entendit frapper quelques petits coups à la cloison.

En même temps, une voix,—celle de Carmelita,—l'appela.

—Colonel, c'est vous, n'est-ce pas!

On parlait contre la porte qui mettait les deux chambres en communication intérieure et qui, alors qu'il occupait ces deux chambres, restait toujours ouverte.

—Oui, c'est moi, dit-il.

—Je vous ai bien reconnu aux précautions que vous preniez pour ne pas faire de bruit; ne vous gênez pas, je vous prie. C'est moi qui suis votre voisine. J'ai le sommeil bon; quand je dors, rien ne me réveille. Bonsoir.

—Bonsoir.

Comment? il serait exposé tous les soirs à des dialogues de ce genre; à chaque instant dans le jour, il verrait Carmelita! Ah! certes non, et le lendemain il quitterait le Glion.

Le lendemain matin, comme il sortait de sa chambre, il trouva dans le vestibule le prince Mazzazoli qui se promenait en long et en large.

—Auriez-vous deux minutes à me donner? demanda-t-il en serrant la main du colonel.

—Mais tout ce que vous voudrez.

—Connaissez-vous Champéry? j'entends, y êtes-vous allé?

—Non.

—Et les Diablerets?

—Je n'y suis pas allé non plus.

—Et le val d'Anniviers?

—Je ne le connais que par les livres.

—Voilà qui est fâcheux. J'avais compté sur vous pour me tirer d'embarras: les livres, les guides, c'est parfait, mais dans notre situation ce n'est pas suffisant.

—Et que vous importe Champéry ou le val d'Anniviers?

—Il faut être franc, n'est-ce pas? D'ailleurs je voudrais ne pas l'être, que cela me serait impossible. Je vous demande des renseignements sur Champéry et les Diablerets, parce que mon intention est d'aller aux Diablerets, ou à Champéry, ou au val d'Anniviers, enfin dans un pays où ma pauvre soeur trouvera les conditions atmosphériques qui sont ordonnées; et si je choisis ces pays, c'est parce qu'ils ne sont qu'à une courte distance du Glion.

—Mais le Glion lui-même?

—J'avais choisi le Glion, parce que je le connaissais et que je savais que c'était la station par excellence pour ma malheureuse soeur. Mais nous ne pouvons pas rester au Glion. Vous m'avez demandé d'être franc, je veux l'être jusqu'au bout. Avec une bonne grâce parfaite, avec un élan spontané, vous avez voulu nous céder vos chambres; mais il est bien évident que notre présence vous gêne.

—Comment pouvez-vous penser?

—Je ne pense pas, je suis certain. Pour des raisons que je n'ai pas à examiner, vous désirez être seul; notre voisinage vous incommode et vous trouble. Alors vous partez. Eh bien, mon cher colonel, cela ne doit pas être. Ce n'est pas à vous de partir, c'est à nous de vous céder la place.

—Permettez....

—Je vous en prie, laissez-moi achever. Nous sommes ici dans des conditions tout à fait particulières. Si vous n'aviez pas habité cet hôtel, nous n'aurions pas pu nous y faire recevoir. Nous ne sommes donc ici que par vous, par votre complaisance. Eh bien, mon cher colonel, il serait tout à fait absurde que vous fussiez victime de votre complaisance. Nous vous gênons; vous désirez la solitude, que vous ne pouvez plus trouver, nous ayant pour voisins. Nous nous en allons: rien n'est plus simple, rien n'est plus juste. Voilà pourquoi je vous demandais des renseignements sur les hôtels des environs, pensant que vous les connaissiez et ne voulant pas me lancer à l'aventure avec une malade.

—Jamais je n'accepterai ce départ.

—Et moi, jamais je n'accepterai le vôtre.

—Mon intention n'était pas de rester au Glion.

—Elle n'était pas non plus d'en partir aujourd'hui. De cela, je suis bien certain; j'ai interrogé Horace, qui ne savait rien, et qui assurément eût été prévenu si votre départ avait été arrêté avant notre arrivée.

Le colonel demeura assez embarrassé. Il ne lui convenait pas en effet de reconnaître qu'il quittait l'hôtel pour fuir la présence du prince et de Carmelita: c'était là une grossièreté qui n'était pas dans ses habitudes, ou bien c'était avouer sa faiblesse pour madame de Lucillière, ce qui le blessait dans sa pudeur d'amant malheureux.

—Devant partir un jour ou l'autre, il est bien naturel cependant que je vous cède tout de suite une chambre qui vous est indispensable, car vous ne pouvez pas rester dans le trou où vous avez passé la nuit.

—Un jour ou l'autre, je vous le répète, je comprends cela; ce que je ne comprends pas, c'est aujourd'hui. Ainsi, voilà qui est bien entendu: si vous persistez dans votre intention de partir ce soir, c'est nous qui partons ce matin pour les Diablerets ou pour Champéry, peu importe; si au contraire vous restez pour quelques jours, nous restons, nous aussi, tout le temps qui sera nécessaire pour la santé de ma soeur.

Dépossédé de la chambre dans laquelle il prenait ses repas, le colonel dut déjeuner dans la salle à manger commune.

Au moment où il allait entrer dans cette salle, il se rencontra avec le prince, et celui-ci lui proposa de prendre place à la table qu'il s'était fait réserver, au lieu de s'asseoir à la grande table.

Il se trouva donc placé entre la comtesse et Carmelita, et, au lieu de lire tout en mangeant, comme il en avait l'habitude lorsqu'il était seul, il dut soutenir une conversation suivie.

Il avait une crainte assez poignante, qui était que la comtesse ou Carmelita vinssent à parler de madame de Lucillière; mais le nom de la marquise ne fut même pas prononcé, et, comme s'il y avait eu une entente préalable pour éviter les sujets qui pouvaient le gêner, on ne parla pas de Paris.

La comtesse ne s'occupa que de sa maladie, et Carmelita que du pays dans lequel elle allait passer une saison.

Elle montra même tant d'empressement à connaître ce pays, que le colonel se trouva pour ainsi dire obligé à se mettre à sa disposition pour la guider après le déjeuner.

—Nous commanderons une voiture, dit le prince, et et nous emploierons notre après-midi à visiter les villages environnants.

Pendant que la comtesse et sa fille allaient revêtir une toilette de promenade, le prince prit le colonel par le bras et l'emmena à l'écart.

—Est-ce que vous avez reçu des lettres de Paris depuis votre départ? demanda-t-il.

—Non.

—Alors vous ignorez l'effet que ce départ a produit?

C'était là un sujet de conversation qui ne pouvait être que très pénible pour le colonel; il ne répondit donc pas à cette question.

Mais le prince continua:

—Personne ne s'est mépris sur les causes qui ont provoqué votre brusque détermination.

Le colonel leva le bras, comme pour fermer la bouche au prince; mais celui-ci parut ne pas comprendre ce geste.

—Et tout le monde vous a approuvé, dit-il; il n'y a qu'une voix dans tout Paris.

Disant cela, le prince Mazzazoli tendit sa main au colonel comme pour joindre sa propre approbation à celle de tout Paris.

La situation était embarrassante pour le colonel. Que signifiaient ces paroles? Pourquoi et à propos de quoi l'avait-on approuvé? C'était une question qu'il ne pouvait pas poser au prince cependant.

—Je vous dirai entre nous, continua celui-ci, que madame de Lucillière elle-même n'a pas caché son sentiment.

Ce nom ainsi prononcé le fit pâlir et son coeur se serra, mais la curiosité l'empêcha de s'abandonner à son émotion.

—Quel sentiment? demanda-t-il.

—Mais celui qu'elle a éprouvé en apprenant votre départ. D'abord, quand on a commencé à croire que vous aviez véritablement quitté Paris, on a été fort étonné; tout le monde avait pensé qu'il ne s'agissait que d'une excursion de quelques jours. Mais, en ne vous voyant pas revenir, on a compris que c'était au contraire un vrai départ. Pourquoi ce départ? C'est la question que chacun s'est posée, et, chez tout le monde, la réponse a été la même.

Sur ce mot, le prince Mazzazoli fit une pause et regarda le colonel en se rapprochant de lui.

—Trouvant votre responsabilité trop gravement compromise dans votre association avec le marquis de Lucillière, vous vouliez bien établir que vous n'étiez pour rien dans les paris engagés sur Voltigeur.

Le colonel respira: l'esprit et le coeur remplis d'une seule pensée, il n'avait nullement songé à cette explication, et il avait tout rapporté, dans ces paroles à double sens, à madame de Lucillière.

—Un jour que l'on discutait votre départ mystérieux dans un cercle composé des fidèles ordinaires de la marquise, le duc de Mestosa, le prince Sératoff, lord Fergusson, madame de Lucillière affirma très nettement que vous aviez bien fait de quitter Paris. «Le colonel est un homme violent, dit-elle, un caractère emporté; il eût pu se lâcher en entendant les sots propos qu'on colporte sur les gains extraordinaires de Voltigeur, et avec lui les choses seraient assurément allées à l'extrême. Il a voulu se mettre dans l'impossibilité de se laisser emporter; je trouve qu'il a agi sagement.» Vous pensez, mon cher ami, si ces paroles ont jeté un froid parmi nous. Personne n'a répliqué un mot. Mais la marquise, s'étant éloignée, on s'est expliqué, et tout le monde est tombé d'accord sur la traduction à faire des paroles de madame de Lucillière. Évidemment la femme ne pouvait pas accuser le mari franchement, ouvertement; mais, d'un autre côté, l'amie ne voulait pas qu'on pût vous soupçonner de vous associer aux procédés du marquis. De là ce petit discours assez obscur, en apparence, mais au fond très clair. Qu'en pensez-vous?

Ainsi la marquise n'avait pas craint d'expliquer leur rupture en jetant la suspicion sur son mari. «Ce n'est pas avec moi qu'il a rompu, avait-elle dit; c'est avec M. de Lucillière.»

Elle tenait donc bien à ménager la jalousie de ses fidèles, qu'elle ne reculait pas devant une pareille explication.

A ce moment, la comtesse Belmonte et Carmelita descendirent dans le jardin, prêtes pour la promenade, et l'on monta en voiture.

Le prince s'étant placé vis-à-vis de sa soeur, le colonel se trouva en face de Carmelita.

Il ne pouvait pas lever les yeux sans rencontrer ceux de la belle Italienne, posés sur les siens.

La promenade fut longue et ils restèrent plusieurs heures ainsi en face l'un de l'autre.

—Est-ce qu'il y a des chemins de voiture pour aller sur les flancs de cette montagne? demanda Carmelita en rentrant à l'hôtel et en montrant du bout de son ombrelle les pentes boisées du mont Cubli.

—Non, répondit le colonel; il n'y a que des sentiers pour les piétons.

—Ne me demande pas de t'accompagner, dit le prince; tu sais que les ascensions sont impossibles pour moi.

—Oh! quand je voudrai faire cette promenade, ce ne sera pas à vous que je m'adresserai, mon cher oncle, dit-elle en riant; ce sera au colonel.


Ida et Carmelita

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