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RÉBÉNACQ. »

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— Mon pauvre Gaston, dit-il en se laissant tomber sur une chaise.

Sa femme le regarda avec un étonnement mêlé de colère.

— Tu vas pleurer ton frère, maintenant, dit-elle, un égoïste, avec qui tu es fâché depuis dix-huit ans et dont tu n'hérites pas.

— Il n'en est pas moins mon frère ; dix-huit années de brouille n'effacent pas quarante ans d'amitié fraternelle.

— Elle a été jolie l'amitié fraternelle, qui nous a abandonnés le jour où nous avons eu besoin d'elle !

— Tu sais bien que Gaston était d'un caractère entier, qui ne pardonnait pas les torts qu'on avait envers lui.

— Ni surtout ceux qu'il avait envers les autres ; ton frère a été indigne envers nous, et plus encore envers Anie qui, elle, ne lui avait rien fait ; n'aurait-il pas dû lui laisser sa fortune ?

— Sais-tu s'il ne la lui a pas laissée ?

— Est-ce que Rébénacq ne te le dirait pas ? notaire de ton frère, son ami, son conseil, il connaît ses affaires : s'il se tait sur elles, c'est que, de ce côté, il n'aurait que de tristes nouvelles à t'apprendre, c'est-à-dire l'existence d'un testament qui nous déshérite.

— Il fait faire les invitations en mon nom.

— Seraient-elles décentes au nom du bâtard de ton frère ? Si nous ne sommes pas la famille pour l'héritage, on ne peut pas nous empêcher de l'être pour les invitations, et l'on se sert de nous ; elles seraient vraiment jolies celles qui seraient faites de la part de M. Valentin Sixte, capitaine de dragons, fils naturel du défunt, et un fils naturel non reconnu encore. Si, avec ta tête toujours tournée à l'espérance et aux illusions, tu t'es imaginé que tu pouvais hériter de ton frère, parce qu'il était ton frère, tu t'es abusé une fois de plus : quand vous vous êtes fâchés, il t'a bien dit que tu n'aurais jamais rien de lui sois tranquille, il a tenu sa parole ; et le notaire Rébénacq a aux mains un bon testament qui institue le capitaine Sixte légataire universel.

— Pourquoi Rébénacq ne le dit-il pas ?

— Dans l'espérance de t'avoir à l'enterrement.

— N'y serais-je pas allé quand même j'aurais eu la certitude du testament ?

— Tu veux aller à cet enterrement ?

— Admets-tu que j'y manque ?

Après avoir remis la dépêche qu'il apportait, Barnabé était entré dans la cuisine, et il y restait immobile, ne sachant que faire, écoutant sans en avoir l'air ce qui se disait dans le hall ; au lieu de répondre à son mari, madame Barincq vint à la porte de la cuisine :

— En attendant qu'on arrive, préparez vos verres et vos plateaux, dit-elle, ne laissez pas le feu s'éteindre ; vous ne ferez pas chauffer le chocolat avant minuit.

Revenant dans le hall, elle fit signe à son mari de la suivre, et passa dans la salle à manger, puis dans le salon d'où le bruit des voix ne pouvait pas arriver jusqu'à la cuisine.

— Qu'est-ce que c'est que cette folie ? demanda-t-elle.

— Quelle folie ?

— Celle de vouloir assister à l'enterrement ?

— N'est-ce pas tout naturel ?

— Naturel d'aller à l'enterrement de quelqu'un avec qui on avait rompu toutes relations, non ; qui pendant dix-huit ans ne vous a pas donné signe de vie bien qu'il vous sût dans une position gênée, alors que lui jouissait de cinquante mille francs de rente ! Non, non, mille fois non.

— Tout ce que tu diras ne fera pas que nous n'ayons été frères, que nous ne nous soyons aimés dans nos années de jeunesse, et qu'au jour de sa mort le souvenir de nos différends s'efface pour ne laisser vivace et douloureux que celui de notre affection fraternelle. Il n'était pas ton frère, je comprends que tu parles de lui avec cette indifférence ; il était le mien, je le pleure.

— Pleure-le tant que tu voudras, pourvu que ce soit en dedans et que tu n'attristes pas notre fête.

— Tu veux !

— Quoi ?

Il resta un moment sans répondre, stupéfait.

— Comme je vais partir, je ne vous attristerai pas.

— Partir !

— Par le train de onze heures.

— Tu es fou.

Il ne répondit pas et regarda sa fille les yeux noyés de larmes.

— Et comment comptes-tu partir ? Avec quel argent ? Je te préviens qu'il me reste quinze francs ; et ils sont pour Barnabé. D'ailleurs, si tu partais, qui ferait danser notre monde ?

— Tu veux faire danser !

— Pouvons-nous prévenir nos invités ? D'une minute à l'autre ils vont arriver. Est-il possible de les renvoyer ? En tout cas, alors même que cela serait possible, je ne le ferais pas : nous nous sommes imposé assez de sacrifices en vue de cette soirée, pour ne pas les perdre. D'ailleurs, qui la connaît cette dépêche ?

— Nous.

— Eh bien, faisons comme si nous ne la connaissions pas, ce sera la même chose.

— Pour toi peut-être qui n'aimais pas Gaston ; pour Anie aussi qui ne se souvient guère de son oncle…

— C'est là sa condamnation.

— … Mais, pour moi, crois-tu que, sous le coup de cette mort, je pourrais montrer à tes invités un visage affable ?

— Avant de penser à ton frère, tu penseras à ta fille, je l'espère, et tu te feras le visage que tu dois montrer dans une fête qui est donnée pour elle ; si c'est beau d'être frère, c'est mieux d'être père ; si c'est bien d'être tendre aux morts, c'est mieux de l'être aux vivants. Je t'engage donc à réfléchir, ou plutôt à te dépêcher d'aller t'habiller.

Comme il ne bougeait pas, elle se tourna vers sa fille :

— Parle à ton père, dit-elle, fais-lui entendre raison, si tu peux, moi j'y renonce.

Les quittant elle retourna dans la cuisine donner ses derniers ordres à

Barnabé.

Anie

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