Читать книгу Les petits voyageurs en Californie - Hippolyte de Chavannes de La Giraudière - Страница 7
ОглавлениеTRAVERSÉE DE NEW-YORK A CHAGRES.
Le jour de leur départ pour Chagres arriva; cette fois ce n’était plus sur un navire à voiles qu’ils devaient s’embarquer, mais sur un superbe bateau à vapeur, dont la puissante machine représentait la force de deux cent cinquante chevaux. Ce bateau ne faisait pas habituellement cette navigation; il avait été construit pour établir un service régulier entre l’Angleterre et l’Amérique, et tout avait été mis en œuvre pour le rendre digne de sa destination.
Nos jeunes gens admirèrent ses vastes emménagements, sa chambre resplendissante de glaces, décorée avec le luxe des plus riches salons, et dont les portes, les panneaux, les colonnettes, les corniches étaient travaillés avec une délicatesse exquise. Tous les bois semblaient avoir été mis à contribution pour déguiser la robuste charpente du navire sous de légères boiseries où l’érable si blanc, le citronnier aux reflets dorés, l’acajou, le palissandre et l’ébène mariaient leurs couleurs.
Quand la machine se mit en mouvement et que ses pistons firent tourner l’arbre armé de ses immenses roues à palettes qui fouettaient la mer, un frémissement intime parcourut le bâtiment, comme si la force prodigieuse qui le poussait en avant eût menacé toutes ses jointures d’une dislocation imminente. Cette cheminée qui vomissait des torrents de fumée, ces sifflements de la vapeur, ce pont qui tremblait sous leurs pas, ces ronflements confus qui résultaient du frottement et du jeu de tant de leviers et d’engrenages, tout cela impressionna les fils de M. Canton encore plus vivement qu’ils ne l’avaient été par les manœuvres du navire à voiles. Ils ne laissèrent aucun repos à leur père jusqu’à ce qu’il leur eùt expliqué le merveilleux mécanisme du corps de cet esclave aux membres de fer, dont la vapeur était l’âme, et qui, malgré le vent, la marée et les flots, imprimait au bateau une vitesse de dix kilomètres à l’heure.
Du Havre à New-York, malgré la grande distance qui sépare ces deux villes, nos jeunes voyageurs n’avaient éprouvé aucune de ces variations de température qui caractérisent les climats différents, parce que, si la ville des États-Unis se trouve placée de huit degrés plus près de l’équateur, à l’époque où ils y arrivèrent il n’y fait guère plus chaud qu’en France.
Mais au bout de trois jours de navigation dans le sud, Vincent et Arthur commencèrent à s’apercevoir qu’ils approchaient de la zone torride. Les rayons du soleil étaient d’une ardeur telle, qu’ils ne s’en faisaient aucune idée auparavant; le matin et le soir le jour naissait et mourait avec une rapidité qui les surprenait toujours. A peine le soleil se cachait-il à l’horizon, que presque aussitôt le ciel paraissait parsemé d’étoiles. La nuit succédait au jour et le jour à la nuit sans cette transition que nous appelons aube et crépuscule, et qui, par une belle nuit d’été, dure si longtemps. Ils remarquèrent aussi le bleu à la fois éclatant et foncé du firmament et l’intensité de la lumière, qui inondait tous les objets et augmentait leur relief par la vigueur et la crudité de leurs ombres.
Le septième jour après avoir quitté New-York, le bateau qui les portait entra dans le golfe du Mexique. Ce jour-là, la température s’éleva d’une manière extraordinaire; les ferrures qui se trouvaient sur le pont, exposées en plein soleil, étaient trop chaudes pour qu’on pût y appliquer la main. Un orage épouvantable, accompagné de torrents de pluie, éclata dans la soirée; jamais Vincent et Arthur n’avaient entendu des roulements si formidables, contemplé un ciel si enflammé, ni vu tomber en quelques heures une pareille quantité d’eau. Ce bouleversement des éléments fut heureusement de peu de durée. Le vent, après s’être déchaîné avec furie et avoir soufflé de tous les points de l’horizon, se calma comme par enchantement; les nuages amoncelés par la tempête descendirent derrière l’horizon, la lune se leva claire et brillante, et sans la mer, qui avait été trop profondément soulevée pour que ses vagues ne survécussent pas à la cause qui les avait produites, on ne se serait jamais douté à minuit qu’à neuf heures du soir la tempête était dans toute sa violence.
Le surlendemain, au matin, le bateau jetait l’ancre à l’embouchure de la rivière de Chagres.