Читать книгу Ronce-les-Bains : Marennes et la côte saintongeaise - J.-André Lételié - Страница 4
ОглавлениеLA PLAGE.
La plage, ainsi nommée parce qu’elle est le prolongement du banc de sable de Ronce, est le fait des érosions marines. Le vent d’ouest, soufflant avec violence, a progressivement miné le littoral, au point de transformer le coureau d’Oleron en une petite mer intérieure. Le fond, perpétuellement balayé par la vague, a été mis à nu; et sur la craie dont il se compose, et que recouvre une mince couche de bri ou de sable, vivent moules, sourdons, hérissons de mer, crabes, étoiles de mer et l’hippocampe ou cheval marin. A mesure que la plage allait s’élargissant et que les parties friables de la roche recevaient l’action des courants, une sorte de ravinement s’opérait: de là des canaux naturels qui restent seuls pleins d’eau aux marées de syzygies, tandis que les bancs de Barat, Bry, Auger, Ronce, Perquis, Bourgeois et autres, sont complètement découverts. L’un de ces ravins, et le plus ancien, longe la côte orientale de l’île d’Oleron, et il semble avoir été le premier canal d’alimentation de la Seudre — de ce côté-là du moins, — la Seudre étant elle-même le résultat d’un semblable travail sous-marin, et le dernier vestige de l’antique golfe des Santons. Ce ravin oleronnais, ce «fossé », conséquence de l’ouverture convulsive du pertuis de Maumusson, aurait donc formé, dans le principe, la ligne de démarcation de l’île et du continent. Il était si étroit «qu’on le sautoit avec un bâton», s’il faut s’en rapporter à une enquête du XIV° siècle, dans laquelle cent témoins affirment le fait. La Sauvagère va même plus loin. D’après une tradition dont il s’est fait l’écho, le seigneur de la Marlière aurait «traversé le pertuis de Maumusson à l’aide d’une carcasse de tête de cheval, pour ne pas se mouiller les pieds dans un courant d’eau qui y restait à marée basse .»
Quoi qu’il en soit de ces dires, il ne faut pas moins inférer que, de cette ligne de démarcation jusqu’à La Tremblade, c’étaient des terres arables, des laisses de mer, entrecoupées par les affluents de la Seudre dont les principaux sont le chenal de Disail, depuis quatre siècles sous les sables 1, ceux de Putet, de Brandelle, de la Pierre ou Péride. On arriva ainsi au VIe siècle sans que cet état de choses dût se modifier beaucoup. Mais, lorsque des profondeurs de l’Océan vinrent s’amonceler les sables, l’aspect des lieux changea. Les chartes du XIIe siècle, qui établissent la possession et la délimitation respectives des monastères de la Couronne et de la Garde, nous aideront à déterminer la topographie locale. Parlant de la «terre avec les brandes», qui est entre ces deux prieurés, elles nous disent que cette terre est «close par un ancien chemin qui, passant par le moulin de Disail, se dirige vers le pré de Maupertus (mauvais trou), va jusqu’à «la montagne du Roi», puis au «cap de la Vingasa, qui est au-dessous de la rège (rega, sillon) du Saut-au-Loup (fossé)», enfin «jusqu’à Palatreu». Ces noms, et beaucoup d’autres, ne nous ont pas été conservés, parce que les endroits qu’ils spécialisent sont couverts par les eaux ou sous les sables. Toutefois il faut en excepter Palatreu et la propriété des Brandes, traversée par le chemin qui mène à la plage.
Tels sont donc les bouleversements géologiques successifs qu’a subis ce point de la côte sainton-geaise, et tel était son aspect il y a une trentaine d’années. Aucun chemin viable n’y accédait: on était obligé de s’ouvrir une voie à travers la forêt, d’escalader les dunes pour arriver à la mer. Comme les plages maritimes étaient recherchées, quelques personnes d’initiative pensèrent que le moment était venu de faire valoir celle de Ronce. L’idée était bonne, mais elle n’était réalisable qu’avec le concours des propriétaires riverains, sur les terrains desquels il fallait construire. Fort heureusement le grand massif de dunes qui s’étend de la Seudre à la forêt de l’État, et dont la plage s’est formée à son détriment, appartenait à M. Edouard Perraudeau de Beaufief, très favorable à l’entreprise. Cette circonstance en assura le succès. Non seulement M. Perraudeau concéda généreusement des terrains, il traça en outre la grande artère, dite «allée Gabrielle» ; et, perpendiculairement à cette allée, d’autres chemins débouchant un peu partout. Les parties dénudées furent boisées, une place publique délimitée. Il se faisait en quelque sorte le créateur de la station dont il dessinait l’ébauche. De son côté, l’administration municipale, à la tête de laquelle était M. Emile Bargeau, entra dans les vues des organisateurs et fit construire un chemin de grande vicinalité, reliant La Tremblade à la plage. Tout était prêt pour que la «truelle», suivant une expression stéréotypée, «marchât bien». Effectivement, les premières assises du grand châlet furent jetées; et sur la ligne littorale d’autres châlets furent édifiés. Un enthousiasme fébrile régnait alors.
Toute cette activité, il faut le reconnaître, fût restée à peu près stérile sans l’intervention d’un praticien intelligent, un compatriote. Le docteur Brochard, par un simple examen des lieux, se rendit compte des ressources hygiéniques offertes, surtout à l’enfance, par une plage de plusieurs kilomètres d’étendue, à pente extrêmement douce, que la mer baigne deux fois le jour, et facilement réchauffée par le soleil. Les senteurs balsamiques des pins, un air salin vivifiant, une température qui permet à divers spécimens de la flore du midi de croître spontanément: il ne lui en fallait pas davantage pour le confirmer dans l’idée qu’il avait sous la main tous les éléments réunis pour une station balnéaire. Il fut compris; les plus hésitants se rassurèrent, et le docteur Brochard écrivit sa brochure: Des bains de mer de la Tremblade.
En toute entreprise, fonder n’est pas petite besogne lorsque, à un ardent désir, manque le «nerf des affaires», l’argent. A défaut de numéraire, on organisa des fêtes, on fit de la réclame. Survinrent les événements de 1870, qui modifièrent un peu les hommes et les choses. La paix rétablie, on oublia vite les angoisses de la veille, et les bains de mer reprirent partout faveur. On créa, de-ci de-là, des stations nouvelles: dès lors pourquoi ne mettrait-on pas à profit les conseils du docteur Brochard, et ne donnerait-on pas un renouveau de vie à Ronce? On se remit à l’œuvre. Mais à phase nouvelle hommes nouveaux; — surtout une personnalité qui voulut bien, sans trop compter avec sa peine, s’associer à l’œuvre de ses devanciers et la faire progresser. Cette personnalité se trouva, et M. Georges Dières-Monplaisir devint un précieux auxiliaire. Grâce à ses relations sociales et à son infatigable activité, il amena les étrangers à bâtir; les habitants, encouragés, firent de même. Et actuellement, aux quelques châlets qui bordaient la falaise, au Grand Châlet très agrandi, qui fut le premier jalon planté sur cette grève, il s’en est joint une foule d’autres, permettant à deux cents baigneurs de se livrer aux plaisirs d’une agréable villégiature. Les besoins religieux et matériels n’ont pas été oubliés: il y a chapelle et marché.
Maintenant que l’élan a été donné, que les familles ont pu apprécier la sécurité de la plage, que les enfants peuvent être abandonnés sans péril à leurs amusements, qu’on a à discrétion les produits de la mer, et qu’on peut se livrer à des promenades nautiques, à la chasse dans la forêt, la station de Ronce-les-Bains ne saurait que s’accroître et devenir le séjour privilégié des personnes qui fuient les exigences mondaines, et recherchent avant tout l’isolement, la tranquillité, le repos et la santé.
«Par son étendue, par sa beauté, par la sûreté qu’elle offre aux baigneurs, même aux enfants, et aussi par la disposition topographique de ses environs, cette plage, dit le docteur Brochard, dans l’ouvrage cité, réunit tout ce que le malade le plus soucieux de sa santé, tout ce que le médecin le plus exigeant peuvent désirer sous le double rapport de l’agrément, de l’hygiène et de la salubrité. » — «La chaleur relative qui caractérise le climat de cette partie du littoral du département de la Charente-Inférieure, a, depuis longtemps, frappé les observateurs.» — «A La Tremblade, bien plus facilement que sur beaucoup d’autres plages, le baigneur pourra observer les règles de l’hygiène la mieux entendue et suivre le régime le plus convenable à sa santé.» — «De tous les exercices auxquels il convient le plus de se livrer sur les bords de l’Océan, la promenade est selon moi le plus agréable et le plus facile, surtout à La Tremblade. La plage est tellement unie que l’on peut en suivre les contours pendant des heures entières, à la marée haute comme à la marée basse, avec la plus grande sécurité. Lorsque l’on fera ces promenades que je regarde comme très salutaires et que l’on aura des enfants avec soi, je ne saurais trop recommander aux parents de les laisser marcher dans l’eau. Ces courses, dans lesquelles les enfants ont de l’eau tantôt jusqu’aux chevilles, tantôt jusqu’aux genoux, les amusent beaucoup et donnent à leur organisme une force étonnante.» — «Les personnes naturellement faibles, celles dont la constitution aura été momentanément affaiblie par un motif quelconque, toutes celles enfin qui auront besoin de respirer l’air chaud et réparateur du bord de la mer, pourront se rendre sur cette plage, assurées qu’elles seront d’en éprouver un bien-être certain. Dans cette classe de malades si nombreuse, si intéressante, se trouvent beaucoup d’enfants fatigués par la croissance, la plupart des femmes du monde épuisées par les veilles, par le séjour des grandes villes, et un grand nombre d’hommes de cabinet. Car si le travail et l’étude sont deux amis qui ne trompent jamais et sur lesquels on peut toujours compter, il faut bien reconnaître qu’ils fatiguent quelquefois ceux-là mêmes qui les aiment avec passion. »
C’est de Nogent-le-Rotrou, où il exerçait la médecine, que, le 15 juin 1862, le docteur Brochard a daté sa brochure des Bains de mer de La Tremblade. Il y a bientôt trente ans, et depuis les faits sont venus confirmer son appréciation, ses éloges, ses conseils. «Connue seulement des marins, des pêcheurs et des habitants de la localité, qui allaient souvent y prendre des bains ou y faire des parties de plaisir, cette plage était naguère encore tout à fait déserte.» Ainsi écrivait-il après l’avoir parcourue, visitée dans ses détails. Et c’est avec bien plus de vérité encore qu’il lui serait permis d’ajouter aujourd’hui, si la mort ne l’avait pas ravi à la science et à ses amis: «Elle est maintenant couverte de cabanes de baigneurs. » 2.