Читать книгу Ronce-les-Bains : Marennes et la côte saintongeaise - J.-André Lételié - Страница 8
LA SEIGNEURIE D’ARVERT.
ОглавлениеLa baronnie d’Arvert changea souvent de maîtres. Comme son histoire politique est intimement liée à celle du pays abonné, dont elle dépendait, ce que nous dirons des autres îles de Saintonge lui sera également applicable. Ses premiers seigneurs, on l’a vu, appartiennent à la maison de Mathas, à laquelle succède celle de Périgord. Puis vient la maison de Pons, qui tombe en disgrâce dans la personne d’un de ses membres, Jacques de Pons. Alors arrivent les de Villequier, obligés plus tard de s’effacer devant les armes et les procès des Pons, ceux-ci ayant recouvré la faveur royale, et étant redevenus seigneurs d’Arvert. A la fin du XVIe siècle, ils vendent leur baronnie à François d’Epinay, dit le «brave saint Luc», gouverneur de Saintonge et de Brouage. Après François d’Epinay, son fils Timoléon, marquis de Saint-Luc, maréchal de France, qui avait succédé à son père dans ses biens et dans son gouvernement, la terre d’Arvert passa aux mains du cardinal de Richelieu. suivant adjudication du 20 novembre 1627, moyennant la somme de 150,000 livres. Le premier ministre de Louis XIII ayant institué «légataire particulier et universel» de ses domaines son petit-neveu, Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu, ce dernier fit au roi, le 29 novembre 1659, aveu et dénombrement général de ses possessions. En ce qui concerne «l’îsle et baronnie d’Arvert», il déclare la tenir «relevant » du roi. Et la description qu’il en donne est reproduite dans les baux à ferme que lui et ses successeurs auront à souscrire. Au duc de Richelieu succèdent les deux duchesses d’Aiguillon, ensuite Anne Gombauld de la Croix, la princesse de Conti; le duc d’Aiguillon, autre duc de Richelieu, le maréchal de Senecterre, enfin le marquis de Conflans.
En 1751, le propriétaire était «très hault et très puissant seigneur, monseigneur Emmanuel-Armand du Plessis-Richelieu, duc d’Aiguillon, pairde France, comte d’Agénois et de Condomois, seigneur baron d’Arvert, Saujon, etc., etc.» La maison seigneuriale, qu’on appelait le «château », et dans laquelle on versait toutes les dixmes, était située à La Tremblade, rue de la «Régénération», ci-devant place du canton de L’homme, aujourd’hui place Gambetta. Vendue comme bien national, un des derniers propriétaires l’a fait démolir 17. Par acte du 8 août 1751, devant Gardrat, notaire royal, le duc de Richelieu, en personne, afferme pour neufannées, et moyennant 13,000 livres par an, sa baronnie à Jacques Rivière et Daniel Chaillé, sieur de la Touche, bourgeois. La nomenclature des droits concédés est fort étendue. Ce sont d’abord «tous les droits utiles consistant en cens, rentes, redevances de bois mort et mort bois, terrages, complans en vins et grains, droits de garde, suivant l’usage, dixmes inféodées, fours bannaux, minage, plaçage et carnelage qui consistent dans la perception des fillets sur les bœufs et cochons qui se vendent et débitent dans la présente baronnie, et droit de minage et carnelage... Item, les droits d’ancrage sur le coureau d’Olleron et rivière de Seudre... Plus le droit de marques des armes de la présente baronnie sur les sacs des jurés traçonneurs d’icelle. Item, les pacages et terrains vagues qui sont au couchant de Brejac, audit seigneur duc d’Aiguillon appartenant en propre, y compris les sartières des étangs de Buze et Sallebœuf, le Ranquin, les laides de Tournegand, le jard Lesté (sic), prés des vergnes, et générallement tous les pacages dépendant dudit étang de Brejac. Item, les pacages et terrains vagues des villes d’Anchouane, Mus-de-loup et laides dans les dunes de sable. Item, les lots et ventes de tous les biens rôturiers, ceux des nobles réservés... Item, les prés, prairies et pacages en domaine, situés en le marais doux d’Arvert... Item, les marais salants aussy en domaine. Ensemble les droits de dixmes et coutumes du sel, qui se perçoivent... Item, les biens et corvées des bœufs et charettes, avec la moitié de celles des manœuvriers et journaliers à bras... se réservant l’autre moitié... pour s’en servir... lorsqu’elles luy seront nécessaires pour bastir ou réparer son parquet, fours bannaux et autres bastiments... Item, tous les bois taillis et pins de la guarenne située en la paroisse des Mathes, et toute sa consistance et dépendance, pour l’émonder la présente année, et ensuitte la réduire en quatre coupes... Item, le buisson et guarenne de Bourrefart, consistant en bois taillis et arbres, en toute son étendue. Tous lesquels bois ils couperont à blanc une fois pendant le cours de leur bail... conformément à l’ordonnance des Eaux et Forests... Item, une claire ou réservoir d’huitres, sittuée au lieu de la Lasse... Item, le greffe et exercice de la présente baronnie... à la charge que le sujet qu’ils présenteront pour le service sera convenable aux officiers de justice, et qu’il leur portera l’honneur et le respect qui leur est deu. Item, les poids et mesures... Item, la pesche entière dans les étangs de Brejac et de Buze... Et finallement toutes les nouvelles découvertes des cens, rentes, terrages, complans et domaines réunis à ladite seigneurie... se rézervant toutefois la forest d’Arvert et lieux en dépendant... » En même temps qu’il signait ce contrat, Armand du Plessis-Richelieu donnait à «messire Jean Arnaud de Solnier de Beaupine 18, escuyer, seigneur de Monsalu, chevalier de l’ordre royal militaire de saint Louis, garde du Roy, capitaine de cavallerie, demeurant au présent bourg de La Tremblade», procuration pour recevoir «les foy et homages» dus au baron d’Arvert, par ses vassaux de ladite baronnie 19.
Le bail du 8 août 1751 approchait de son terme, lorque Rivière et Chaillé soulevèrent une question qui devait survivre à la révolution, et que les tribunaux ont eu à connaitre sous une autre forme, jusqu’en ces dernières années, savoir: «Droit de pacage, droit d’usage; bois mort et mort bois.»
Les paroissiens des Mathes et de Dirée faisaient pacager leurs bestiaux dans le marais de Brejat. Les fermiers leur contestant ce droit; ils citent les habitants devant le juge de la baronnie, afin que chacun d’eux soit condamné à cent livres d’amende. Le magistrat renvoie les parties à se «pourvoir où il leur sembleroit bon.» Richelieu les assigne aux Eaux et Forêts de Rochefort, «concluant à ce qu’il soit permis aux manans et habitans des dites paroisses des Mathes et Dirée, et autres habitans des autres paroisses assignés pour même fait, de se nommer un sindic» pour plaider et défendre. Donc, le 4 juin 1759, issue des vêpres, Alexis Daviaud, capitaine de navires, syndic du bourg de la Tremblade, assemble les habitants devant la porte de l’église, et leur expose les doléances des parties en cause. «Avec tous les autres habitans des dites paroisses, leur dit-il, ceux d’Arvert et de La Tremblade sont en possession, depuis plus de cinq cents ans, de faire pacager et élever du bétail dans le lieu appelé Brejat et la montagne, qui dépendent de l’ancienne forest de Salis, couverte depuis plusieurs années par des montagnes de sable et mauvais pâturages, joignant la forest qui subsiste dépendant de la baronnie d’Arvert. A raison de quoy, tant pour ce pascage que pour le bois mort de la forest du dit Arvert, ils payent quinze sols et quatre corvées, chaqu’un an au seigneur de ladite baronnie, et ils ont toujours jouy sans aucune interruption ny inquiétude de tous ces droits.» En conséquence, il somme les habitants de La Tremblade de déclarer «s’ils entendent se joindre, ou non, aux supliants pour le soutien des droits de pacage et coupe de bois mort dont est question.» La réponse fut négative, «ne s’agissant que du droit de pacage, et non d’uzage du bois mort et mort bois, qui est par effet commun, et qui n’est point contesté. »
A l’expiration du bail, la baronnie d’Arvert avait cessé d’appartenir au duc de Richelieu. Le 10 novembre 1762, la ferme en est donnée, pour un même laps de temps, et pour le même prix, à Pierre-Jacques Ranson, l’aîné, marchand, demeurant à Rochefort, rue Martrou, — et à lui renouvelée en 1771 — par «très haut, très puissant seigneur, monseigneur Jean-Charles, marquis de Senectère et de Pisany, mareschal de France, chevalier des ordres du roy, gouverneur d’Aulnis, et commandant dans les provinces de Poitou, Aulnis, Saintonge et isles adjacentes; baron de Didonne, Saujon et Arvert, Saint-Georges des Couteaux, etc.» Les clauses sont les mêmes, sauf qu’il est spécifié que le preneur jouira de «la maison seigneurialle pour la recette, située au bourg de la Tremblade, en toute son étendue, et d’une petite maison au bout d’icelle, en dépendant; ensemble tous les vaisseaux vinaires, gros et petits, suivant l’estat qui en sera fait de leur estat actuel.» De son côté le bailleur s’engage à «faire construire, en bois seullement, ou autrement, ainsy qu’il le jugera à propos, deux cabanes qui consisteront en granges tant pour loger les bestiaux que voudra y mettre ledit preneur, au nombre de cent testes chacun, que pour y loger les cabaniers» ; le tout sur «les prés, prairies au couchant de Brejat», qui ont été affermés le 17 octobre 1760, à Jean-Isaac Taupier, bourgois et négociant au bourg de La Tremblade, et dont la cession du bail est faite à Ranson. Le procès-verbal de constat du mobilier de la maison seigneuriale est dressé le 23 août 1763, par Jacques Gardrat, notaire royal, «agissant en qualité de procureur fiscal, pour et au nom du dit seigneur marquis de Senectère.»
La Tremblade possédait trois fours banaux «nobles», qui appartenaient, comme celui d’Arvert, au seigneur de cette baronnie, et ils étaient régulièrement affermés pour une période de neuf années. On désignait ces fours comme suit: «Four de la halle», joignant les anciennes halles, et dont l’emplacement est occupé par les nouvelles; «four des champs», sur la rue des «coëts de la Martelle» (ou de la Seudre), aujourd’hui maison Chardavoine-Vieulle; «four du Maine-au-Vigner, » rue de la Noue, maison Frédéric Charles. Les «droits, profits, revenus et émoluments y attribués sont de faire de la pâte qui se porte à cuire par les habitans.» — «Plus les droits nobles de minage, plasage, bancs de foires et marchés sous la halle, et tout ce qui en dépend, qui consistent en six deniers par pochée de grains qui se mesurent et se débitent sous la dite halle et apartenances d’icelle, et cinq sols par emplacement des marchandises qui si établissent, à l’exception des bancs destinés pour les boucheries. Plus les droits de carnelage... (dont il est parlé plus haut). Plus les droits de marque des sacs des jurés trassonneurs pour la liée et enlèvement du sel; et finallement le droit de pesage et mesurage pour toutes les marchandises qui se vendent et se débitent au poids dans la présente seigneurie». (Cotard.)
Il est une expression dont nous nous sommes déjà servi, et dont nous nous servirons encore: celle de «pays abonné », qui demande une explication.
Le pays abonné est ainsi appelé parce que le pays avait été redimé de l’impôt de la gabelle au moyen d’un abonnement payé au trésor royal. En 1425, il fut fait assiette des impôts en la sénéchaussée de Saintonge, et l’on y voit figurer Pons, Saint-Fort, Malaigre, Saint-Jean d’Angle, Saint-Symphorien, Arvert, paroisse de Salles, Saint-Sornin, Saint-Just en Marennes, Mornac, Royan, Ile d’Oleron, où la recette n’a pu être faite, les localités étant en possession des Anglais. Mais Jeanne d’Arc ayant chassé l’étranger, Louis XI, par lettres patentes données à Tours, le 5 décembre 1462, sur la représentation des habitants du bailliage et îles de Marennes et d’Arvert, accorda à ceux-ci exemption de la taille et autres impôts moyennant un abonnement annuel de 600 livres tournois. Le roi confirma cette concession en mai 1472 . Le premier acte capitulaire de notre chapitre Referendum est tout à la fois une exposition de ce privilège et une protestation contre les atteintes que le pouvoir voudra y porter.
Tout le territoire de l’abonné était limité par des bornes 20.
A la Révolution, le pays abonné comprenait les 30 paroisses ou communautés qui forment l’élection de Marennes, plus les 4 communautés de la châtellenie de Talemont, en l’élection de Saintes. Le Comité dirigeant de Marennes, écrivant le 1er février 1790 «à nos seigneurs les président et députés» de l’assemblée nationale «pour que ledit pays abonné fût érigé en district, proposait d’abandonner la châtellenie de Talemont, et de recevoir en compensation d’autres paroisses moins éloignées du chef-lieu. Il dressa, à l’appui de sa demande, un tableau divisionnaire en «six ou huit cantons», savoir: Marennes, 7 communes; Saujon, 13; Pont-l’Abbé, 17; Arvert, 9; Soubise, 9; île d’Oleron, 6: total 6. Mais, dit le Comité, de l’île d’Oleron on pourrait former deux cantons, et diviser aussi en deux le canton d’Arvert, «très fort en population et en territoire», lesquels auraient pour chefs-lieux Mornac et La Tremblade. Les événements se précipitaient trop pour que cette combinaison ait pu être étudiée, et l’on s’en tint à la division actuelle.