Читать книгу Ronce-les-Bains : Marennes et la côte saintongeaise - J.-André Lételié - Страница 6

LA TREMBLADE.

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Les cités ont généralement pris naissance à l’ombre d’un manoir féodal ou d’un monastère; et La Tremblade ne devait pas déroger à cette loi de groupement qui pousse les travailleurs à chercher une protection. Elle doit son existence à deux prieurés, celui de la Garde et celui de la Couronne.

Le prieuré de Notre-Dame de la Garde et le prieuré de Notre-Dame de la Petite Couronne en Arvert ou de Disail, qui relevait de l’abbaye de la Grande Couronne près d’Angoulême, ont été fondés à peu près à la même époque, au XIIe siècle. Voisins l’un de l’autre, leurs intérêts se sont trouvés mêlés, et il en est résulté des discussions dont les chartes nous ont conservé les incidents .

Gombaud, seigneur de Mornac, et Audéarde, son épouse, avaient établi dans la forêt de Salis, au lieu appelé la Garde, les frères de Grandmont. La donation faite en leur faveur fut confirmée en 1195, par Geoffroi Martel, fils et héritier de Gombaud. Quant aux clôtures et aux tenances dont ils jouissaient sur les forêts, les prés, les marais, et ailleurs, ils les posséderont désormais sans conteste des frères de la Couronne, lesquels admettront les frères de la Garde au droit de mouture dans leur moulin de Disait. Et en vue, sans doute, d’éviter tout procès, les religieux de l’un et l’autre ordre ne pourront rien acheter réciproquement depuis la levée dudit moulin jusqu’à la montagne de Pierre.

Le moulin de Disail appartenait aux frères de la Couronne, en vertu du droit de posséder sur l’étier de Disail, que leur avait reconnu, en 1197, Geoffroi Martel, «pour le repos de son âme et de celle de ses parents.» Cet étier aboutit au bras de mer (la Seudre), in esterio Disal quod tendit ad brachium maris. En outre, il leur avait été permis de murer ledit moulin, situé, dit la charte, «sur le ruisson qui passe auprès.» — «Moi et mes héritiers, avait ajouté Geoffroi Martel, serons les tuteurs et les défenseurs de ce moulin, de l’église de la Couronne contre toute personne, et notamment contre les frères de Grandmont.» Cette clause n’empêcha pas, entre les deux monastères, un long procès dans lequel intervint le pape Innocent III, dans la personne de son légat «Robert, serviteur de la croix du Christ, cardinal-prêtre de Saint-Etienne du Mont Cœlius.»

Ce bienfaiteur ne ménagea pas ses libéralités aux frères de Grandmont. Du consentement de Philippe, sa femme, et de ses deux fils Robert et Foulques, il leur cède, en 1221, tous ses droits de propriété sur la Grande Saline, in grandi Satina, de la Garde, et dans toute la forêt, avec la brande, cum brandario, le tout suivant les confrontations que nous avons indiquées plus haut. Cette saline est maintenant sous les sables. Enfin, les mêmes donateurs font abandon, en 1226, du fossé du Petit-Pont, avec faculté de construire des moulins à blé et à drap, «autant qu’ils voudront», avec prise d’eau dans l’étang de Barbareu. Le droit attaché à cette donation consiste dans le prélèvement d’un quart seulement, «laissant l’autre quart pour aider à la dépense de journées d’hommes et d’ouvriers pour la teinture des vêtements. » Deux ans après, 1228, Robert de Sableuil informe que Michel Gombaud lui a déclaré qu’il a abandonné aux frères de la Garde tous les droits qu’il pouvait prétendre sur le moulin des Fossés. Notre Maine - au - Fossat rappelle cet ancien fief qui a perdu complètement son premier aspect.

Les enfants de Geoffroi Martel héritèrent des sentiments de leur père. En effet, le même Robert de Sableuil, seigneur de Matha, avec le consentement de Mathe, son épouse, concède aux frères de la Couronne, en 1235, sur tout l’étang de Barbareu, in toto stagno de Barbareu, le droit de construire un ou plusieurs moulins, jusqu’à la «nouvelle gueule, ad gulam novam». Cette «nouvelle gueule», qui suppose un déversoir antérieur, n’est autre que le canal ou «fossé » du Petit-Pont, déjà occupé par les moulins des frères de la Garde. Robert se réserve toutefois le droit de construire un moulin «dans la partie de l’étang qui est vers les Mathes, que est versus Les Mathes.» Ce que l’on nomme les mottes et les prés de la rivière occupe l’emplacement de cet étang.

La même année, le même seigneur leur permet aussi d’établir, «partout où ils voudront», du milieu jusqu’à l’endroit appelé «Sternusson», un vivier, et d’y mettre les poissons de leur choix. Les vestiges de ce «vivier» subsistent encore, bien que les dunes l’aient en partie envahi; l’eau y séjourne, et les oiseaux aquatiques s’y réfugient dans les grands froids. Les habitants disent «aller en Ternusson».

Trois ans après, 1238, c’est au tour des frères de la Garde. Concession leur est faite, par ledit Robert, «de tout le marais de Brajard, Brajardo, Bréjat, excepté les marais des moines de Cluny et du sieur Alard de Forât; plus l’exploit et le chauffage dans la forêt de Salis.» Et comme il faut abréger, — le 12 décembre 1330, Robert de Matha, par lettres revêtues de son sceau, «délivre au prieur de la Garde en Arvert le moulin appelé le moulin de la Garde, assis devant la Tublerie de la Garde en Arvert, et voulons qu’il le tienne perpétuellement... » De même, en 1405, un autre seigneur de Matha et de Mornac, du même nom de Robert, désirant prévenir des discussions «prêtes à s’élever » entre Geoffroi de Cravans et le prieur de la Couronne, à propos de certains droits d’usage exercés par ce dernier dans la forêt de Salis, décide, dans un traité passé entre lui et Denis, archiprêtre d’Arvert, que ledit prieur continuera à prendre du bois pour le four à tuiles, ad furnum tegularem, et tout ce qui est nécessaire pour les clôtures et la maison dudit prieuré, dans les endroits ou cantonnements nommés le Taillis, Allamilla, Verc et Secha, sans en excepter les arbres qui regardent le fief du Forestier. Tous ces noms ont disparu; peut-être dans le cantonnement de Verc trouverait-on l’origine de notre Terrier vert. Les signataires de cette importante charte sont: Guillaume Pierre, chevalier, prieur de Coux; frère Aymeric, correcteur de la Garde en Arvert Philippe, recteur de l’église de Dirée; Geoftroi Blanchard et Hélie Vital, prêtres; Jehan Parry et Robert de L’Ile; Ramnulfe, recteur de l’église de Saint-Étienne d’Arvert, agissant pour Denis, archiprêtre.

Tous ces seigneurs de Mornac, qui présidèrent à la formation de nos paroisses, appartenaient à la maison de Matha. Après eux viendront les comtes de Périgord, les sires de Pons, et les autres.

Lorsque, après les troubles du XVIe siècle, les moines étant dispersés, il ne resta plus que le temporel proprement dit des prieurés de la Couronne et de la Garde, ce temporel fut successivement affermé par les bénéficiaires. Ainsi, en 1644, Henry de Forgues, prieur de la Couronne, afferme 800 livres les revenus de son prieuré à Jehan Michel, seigneur de Chassagne . En 1653, Pierre Trébuchet en est le fermier, moyennant 750 livres. En 1678, l’abbé Raymond de Forgues de Lavedan, chanoine prébendé de la cathédrale d’Angoulême, et prieur, passa contrat avec Jehan Germon, marchand, pour 450 livres, par une sorte de substitution à Jacques Bression, sieur de Saint-Bris, qui venait de mourir. Enfin, en 1744, Jehan Teynier, chanoine régulier de Saint-Augustin, titulaire, traite avec Charles Amiot de Vincelotte des Isles, au prix de 600 livres; lequel cède son bail, en 1751, à André Roy, son beau-frère déjà fermier du prieuré de la Garde. André Roy avait remplacé sa mère, Jeanne Beau, veuve de Léonard Roy, marchand, qui payait 120 livres de ferme à dom Regné-François-Pierre de la Guérinière, 1er aumônier du roi, abbé de l’abbaye de Grandmont, chef général de tout l’ordre; et cette même ferme lui fut renouvelée le 1er mai 1756, par «dom François-Xavier, second de la maison Rouge (sic), abbé chef et gérant de tout l’ordre de Grandmont.» Par lettres patentes du roi, l’ordre de Grandmont fut supprimé en France en 1769.

En quel endroit précis était situé le monastère de la Garde? Dans un terrier de 1750, qui existe aux archives départementales de la Charente-Inférieure, article 19, on lit: «Une pièce de terre sableuse actuellement en pinèdres, contenant un journal, située à la Garde, appellée Gasle-Bourse, joignant d’un côté du levant au chemin qui conduit au Rivau, d’autre côté le chemin ou sentier qui conduit où étoit bastie l’église du prieuré de la Garde, d’autre côté du midi au grand chemin qui conduit au Monard, et d’autre côté du septentrion à la vigne de la veuve Audouin, et pinèdre du sieur Cerclé.» 3. Depuis lors les lieux n’ont pas changé d’aspect; le sentier subsiste toujours: c’est le premier à droite du grand chemin du Monard, aussitôt après la bifurcation du chemin du Rivau. Ce sentier aboutit à une vigne appartenant à M. Chardavoine-Vieulle; et cette vigne, où des tessons de tuiles surabondent, est l’emplacement de l’église.

Ce ne sont pas les seuls établissements conventuels qui existaient dans l’île d’Arvert: on y comptait aussi les prieurés de Sainte-Catherine de Coux, ordre de Saint-Benoît, et de Notre-Dame des Oulmes, ordre de Saint-Augustin; malheureusement les documents font absolument défaut. Coux est un petit village sur la saline. Son prieur, dans une charte de 1213 relative au différend suscité par le moulin de Disait, signe et «appose sa clef en guise de sceau». D’après un pouillé, ses revenus, du XVIe au XVIIIe siècle, sont évalués 500 livres. Ils étaient de 600 livres en 1789. En 1619, Jehan de Bourran de Douzon, prieur, met en demeure ses tenanciers, dans la personne d’Hélye Thomas, Ezéchiel Chaillé, Monbeuil, Jacques Bargeau, et autres de lui payer la rente qu’ils avaient indûment versée entre les mains de Pierre Le Roy 4, qui s’était dit l’agent du précédent prieur, Antoine Murât. Pierre Le Roy était mort. Ses héritiers s’exécutent; et Michel de Lestrille, mandataire de l’abbé de Bourran, donne, le 22 octobre 1620, à Charles Le Roy, praticien, quittance finale de la somme de 25 livres 10 sols, dont restait débitrice sa mère, Persède Bonneteau. Le 20 mars 1646, c’est Jehan Taret, vicaire de La Tremblade, qui, «par certaynes considérations a desclaré à Hélye Daniel, pilotte de navires à La Tremblade, faisant pour messire André Des Movines, pryeur de Poulliat (Pauillac) en Médoc, et de Coux en Arvert, qu’il s’est désisté... de l’assignation qu’il a fait donner au sieur de Poulliat par Mre Germyn, prestre et curé de Chaillevette, par devant Mrs de la Primasse (Primatiale) de Bourdeaux....» Pierre Rivière, cluniste, était titulaire de ce prieuré en 1789.

Nous sommes encore plus pauvre de documents pour le prieuré des Oulmes, ou des Ormeaux. Nous savons seulement que, le 7 août 1605, frère Anthoine Transène, religieux de l’ordre de saint Dominique, vicaire d’Arvert, prend possession, au nom de Jehan Thibault, clerc tonsuré, «escollier estudiant en l’Université de Bourdeaux», du prieuré de Notre-Dame des Oulmes, «par l’antrée et sortie libre, tant au dedans ladicte églize, au son de la cloche d’icelle, action des manumissions dudict priouré, ouverture des portes. Et estant dans le jardrin planté de divers fruictiers, a cueilli en iceluy divers fruicts et faict tous autres actes de vray possesseur.» D’après les chartes du XIIIe siècle, il y avait un lieu dit de ce nom «avant Villeneuve», ad Elmetos ante Villam novam; et il semblerait qu’il en existait un autre dans la paroisse de Dirée, apud Ulmatam in parrochia de Direu, où il y aurait une passe, portant encore le nom Doulme, qui ferait communiquer ce petit centre avec la prairie. Aujourd’hui, les anciens centres religieux, à quelques-uns desquels nous venons de consacrer une sorte de mémorial, sont complètement oubliés. Personne assurément n’a jamais entendu parler des prieurés de Saint-Nicolas de Ruaux et de Notre-Dame de Riu, les deux en Arvert. Au sujet de ce dernier, l’abbé Cholet écrit: «L’origine devait être de Rivis .» En dehors du canal du Petit-Pont, nous ne voyons de ruisseaux nulle autre part, si ce n’est les ruissons alimentés par les nombreux étiers de la Seudre.

Parallèlement à l’action religieuse s’exerçait celle des seigneurs, dont le rôle, déjà grand, finit par devenir dominant dans la contrée. Nous y reviendrons plus loin.

Le littoral avançait beaucoup plus dans la mer; et tout le long, en forme d’arc, à partir du chenal de la Péride jusqu’à Breuillet, une immense forêt de chênes et pins, la forêt de Salis, où nous verrons les vassaux du seigneur d’Arvert revendiquer un droit d’exploit; au pied de la forêt de Salis, côté des terres, un étang d’eau douce, le Barbarellum, Barbareu de nos chartes, qui eut son premier déversoir dans la Gironde, et que les canaux du Petit-Pont et de Lamayre ont complètement desséchés. Ainsi ont été formés les prés-rivières d’Arvert et de La Tremblade. M. Georges Musset ne serait pas éloigné de voir dans cette prairie la cuvette d’une ancienne formation lacustre.

Nous avons dit plus haut ce qu’était le pertuis de Maumusson, et la faible distance qui aurait séparé l’île d’Oleron du continent.

C’est vers le VIe siècle que les sables se montrent, et c’est au XIe qu’ils deviendront un fléau véritablement destructeur.

Jusque-là, le monastère de Notre-Dame de la Garde se développa, et les moines défrichèrent la forêt de Salis, dont il prirent le nom, «frères de Salis.» Les religieux de Notre-Dame de la Couronne, établis près de l’embouchure de la Seudre, les aidèrent dans cette exploitation.

Les chartes nous représentent la période comprise entre le XIIe et le XVe siècle comme prospère. Le vide fait par les défrichements dans la forêt est promptement occupé. Des centres habités, que marque la construction d’une église, s’y forment; on plante la vigne et l’on sème le froment sans se douter que la cause de la création de tous ces foyers, et de la richesse agricole à laquelle on travaille, amoindrit les éléments de résistance contre le futur ennemi. Parallèlement à ce déploiement de l’activité humaine, on «bâtit» des marais salants dans les alluvions marines qui bordent la Seudre: travail gigantesque qui fit la fortune du pays tant que le pouvoir ne pressura pas les intéressés, mais qui fut une occasion de conflits et une source de désaffection, lorsque François Ier eut la malencontreuse idée d’imposer le sel. La Réforme arrivant par surcroît, c’en était assez pour qu’une scission religieuse prît ici des développements et une acuité qu’elle ne connut pas ailleurs.

L’invasion des sables d’un côté, les guerres religieuses de l’autre, que fallait-il de plus pour que l’île d’Arvert changeât d’aspect? Les prieurés de la Garde et de la Couronne furent entièrement ruinés; les villages et les exploitations rurales furent ensevelis sous les sables. Et là où l’activité la plus grande se manifestait naguère, on ne voyait plus que «des sommets allongés en dos de requins, arrondis en cônes, creusés en entonnoirs, à pente abrupte du côté des terres, rarement isolés, parfois contigus, ordinairement disposés en chaînes entrecoupées de cols et perpendiculaires aux vents dominants .» C’est-à-dire le désert, une miniature du Sahara algérien; en un mot, on avait les dunes, au boisement desquelles a largement coopéré l’intelligent forestier, M. de Vasselot de Régné, que nous venons de citer.

Elie Vinet, dans l’Antiquité de Bordeaux... 1565, et Claude Masse, ingénieur, dans son Mémoire géographique sur... le païs d’Aunis et Saintonge , 1715, ont parcouru ces lieux désolés, et ils en ont laissé cette description: «Je vi entr’autres choses, dit le premier,... une forest déjà la pluspart couverte de sable,... et vismes aussi plus près de la mer, au milieu de ces grandes montaignes de sable, des maisons que les gens du païs n’avoient onques veües... Et approchant plus près,... arrivasmes à la sime d’un mont qui de loin nous descouvroit quelque clocher: là nous trouvasmes un temple, ou pour mieus dire, les murailles d’un temple, dedans lequel il nous fut aisé d’entrer par là où avoit autrefois esté le toit...» — «J’ay remarqué en divers endroits, écrit l’autre, des vestiges de villages que le sable couvre de temps à autre... J’y vu les vestiges d’une église que l’on dit avoir esté proche de la pointe de la Coubre: elle s’appelle Notre-Dame de Buze.

«Le long de la Coubre, il y avait trois ou quatre paroisses qui sont englouties dans les sables, auss bien que la ville d’Ensogne.»

Cette ville d’Ensogne, c’est Anchoine, dont la tradition a perpétué le nom. Les Trembladais se prétendent les descendants d’Anchoine qui fut abandonnée par les habitants lorsqu’ils virent leur cité envahie par les sables. Et quand, il y a quelque trente ans, des substructions furent découvertes, à deux cents mètres de la plage, en pleins travaux de terrassement du chemin de Ronce-les-Bains, on admit sans conteste que ces vieux murs confirmaient cette tradition.

Rien n’autorise cette double hypothèse. D’abord nos chartes, où il est précisément parlé de La Tremblade, ne disent rien d’Anchoine, et ne font aucune allusion à celte ville. D’auire part, les substructions en question ont révélé l’époque de leur origine. En effet, on en a retiré deux colonnettes, à chapiteaux sculptés, datant du XIIe siècle . Devant ce silence de nos chartes, devant ces témoins irrécusables d’une date certainement postérieure aux faits invoqués, il semble plus rationnel d’inférer qu’Anchoine était une ville gallo-romaine, située au bord de l’Océan, et dont la destruction est le résultat d’une convulsion géologique coïncidant avec la première apparition des sables, au VIe siècle. Nous la placerions volontiers dans le voisinage de Maumusson, au point où le cadastre fait aboutir le «chemin de la ville d’Anchoine à Royan», s’il ne nous fallait pas tenir un peu compte de la tradition recueillie par Masse, venant dire qu’Ensogne — ou Putensogne — était «à 700 toises de la pointe de Terre-Nègre », — ce qui nous place au lieu des Combots; tradition d’ailleurs confirmée par un titre de 1744, avec plan à l’appui, portant cession «du terrain inculte et couvert de sable appelé vulgairement Ansoine», par le duc de Montmorency-Châtillon, marquis de Royan, dans la seigneurie duquel se trouvait la paroisse de Saint-Palais-sur-Mer .

Le grand fait industriel, agricole et professionnel qui domine dans la contrée est sans contredit la construction des marais salants, la fabrication du sel, et les vocations maritimes. C’est à la limite même de ce vaste champ d’exploitation, tout près du prieuré de la Garde, que les habitants de La Tremblade ont établi leurs foyers. La place Gambetta, — ci-devant place du Canton — est probablement le point initial vers lequel ont convergé, et d’où sont parties, les principales rues du bourg. La rue des Bains (ancienne rue des Sables), parallèle à la saline, mène à la plage de Mus-de-Loup, où le duc de Beaufort armait les vaisseaux du roi. La rue de la Seudre (ancienne rue des Coëts ou de Marennes), avec son annexe la rue du Centre (ci-devant rue du Port), reliées l’une à l’autre par la rue des Martelles (devenue par altération rue des Maltaises), pénètre dans les marais, et une route départementale la prolonge jusqu’à la Seudre. A la fin du XVIIIe siècle, cette voie s’arrêtait à l’une des sinuosités du chenal de la Lasse, dont on avait fait un port sous le nom de Grève-Ronde. De ce port à la Seudre, un arrêt du conseil du roi autorisa en 1775 le creusement d’un chenal de délestage, qu’il était réservé à notre siècle d’achever, jusqu’au port de l’Atelier. La rue Forant va du quai de l’Atelier au canton Gambetta, longeant un petit affluent, le Vivier, dont on fit aussi un port. Sur ce port, une société bordelaise, sous la direction de Léopold de Bonnay 5, construisit, au siècle dernier, une verrerie qui fut plus tard transférée un peu plus loin. Dansl’angle formé par le Vivier, les Vigier, seigneurs de Treslebois, n’hésitèrent pas à bâtir la maison occupée par M. de Vermont, nonobstant le peu de garantie offert par le sol, qui n’est qu’une alluvion marine, et les mauvaises conditions hygiéniques résultant de la nature même de ce sol. Tels étaient anciennement les ports de la Tremblade, les seuls du moins qu’il convient de citer. Celui qui a survécu à tous les autres est le port de l’Atelier où s’établirent, au XVIIe siècle, les principales maisons de commerce. La Grande rue, se dirigeant au sud-ouest, était la grande artère qui traversait les exploitations agricoles du Maine-au-Fossat, les Rouchards, le buisson de Bourefard, les Etaings, et reliait à La Tremblade Saint-Augustin, Saint-Palais, Vaux et Royan. C’était la grande route de Bordeaux par la Gironde. A gauche on côtoyait le fond asséché de l’étang de Barbareu, c’est-à-dire de riches prairies, source d’aisance des riverains. Enfin la rue du Rivau, — ou des Gorces — voie d’accès qui menait au prieuré de la Garde, distant de 800 mètres, et au Monard.

Le Monard était le point extrême nord, une annexe ou démembrement du grand étang de Barbareu. Le trop plein de ses eaux se déversait dans le chenal de Disail, qui les transportait à la Seudre. Les terrains maraîchers dont il était le point central sont dits, dans les chartes, «situés en Palatreu» ; d’où cette expression: «Monard de Palatreu.» Le chenal de Putet absorbait l’excédent d’humidité de ces terrains. Les tenanciers de Palatreu ont eu affaire, tour à tour, aux prieurés de la Couronne et de la Garde, ainsi qu’il ressort d’une charte de 1329, où on lit que «frère Gui Lacoste, procureur de la maison de la Garde, assurait à frère Pierre Rossignol, «humble prieur» du couvent de la Couronne en Arvert, que ses prédécesseurs et les supérieurs de ladite maison de la Garde ont perçu et reçu, aux temps passés, de ses prédécesseurs de la Couronne, et chaque année, 32 boisseaux de blé, ancienne mesure du prieuré, moitié froment, moitié méture, et dix écus d’or sur le lieu et le Monard de Palatreu, anciennement de la Couronne. C’est pourquoi, moi, prieur de la Couronne, je quitte, en présence des frères Robert Orréti et Hélie Oucain, avec leur propre consentement, ledit lieu de Palatreu et le Monard, et j’en fais l’abandon à jamais.» Le 12 avril 1561, Antoine, sire de Pons, seigneur et baron d’Arvert, fait bail à rente à Jacques Geay, «d’un mas d’héritage appellé le Monard», suivant acte reçu par Ravard, notaire royal en Xaintonge, moyennant 5 sols de rente noble, directe et foncière.» En 1640, l’abbé de Grandmont, Georges de Barny, «pryeur de la Garde », forme action contre les descendants de Geay, «aux fins du désistat desdits lieux en sa faveur.» Ces derniers, savoir: Pierre Beau, mari de Suzanne Geay; Marie Geay, veuve d’Hélye Heurtin; Jehanne Geay, femme d’Elye Guitard, et Elizabeth Geay, «supplient très humblement monseigneur le cardinal-duc [de Richelieu] prendre fait et cause pour eux. Il leur serait impossible de soutenir le procès à raison de leur pauvreté. «François Chappus 6, procureur fiscal de ladite isle d’Arvert pour le cardinal, «et au nom qu’il agit», acquiesce à leur demande.

Le Monard devait être profond, les dunes qui l’entourent comme un cirque ne l’ont pas comblé. Aussi est-il resté un lieu de pêche jusqu’au commencement du XIXe siècle. Dans un acte du 23 juin 1630, François Duga, demeurant à la «Ronze», tout près du Monard, est qualifié «pescheur ». Le 15 juin 1769, Marie Pain, veuve de Jean Laleu, et autres, disent qu’ils sont propriétaires de plusieurs mottes, actuellement appelées la «Grande Claire des Devaulx», et les environs, qui se trouvent «présentement sous l’eau, et font partie d’un grand étang appelé le Monard, et lequel est tenu à un obit ou rente de 36 sols 3 deniers envers le prieuré de la Couronne, que la pêche est le seul revenu qu’on peut en tirer, et qu’ils afferment, moyennant deux livres par an, non compris ledit obit, le droit de pêche à Michel Rousseau, marchand vitrier, qui aura le droit d’établir des filets, engins et gabarres propres à la pêche. Jusqu’en 1820, le Monard ne changea pas d’aspect; mais à cette époque les questions agricoles commençaient à subir un courant progressiste dont s’enthousiasma un peu vite son propriétaire Michel Saulnier de Beaupine 7, qui l’assécha. pour en faire une oseraie, et ne réussit pas. Le Terme, dans Notice sur l’arrondissement de Marennes, fait l’éloge de cette entreprise, qui «offre, dit-il, un nouveau et précieux exemple de ce que peut une volonté persévérante, malgré l’opposition et les sarcasmes.» Le sous-préfet de Marennes administra assez longtemps cet arrondissement pour être désillusionné, et reconnaître que M. de Beaupine fut loin d’obtenir «le plus heureux dédommagement des frais de son opération. » Depuis lors, le Monard donne un mauvais fourrage, et son dessèchement n’a, en somme, profité qu’aux terrains maraîchers de Ronce, la Blanchirie, Saute-Chèvre, la Garde, les Ethers (nom qui rappelle d’anciens étiers), et le Rivau; — c’est-à-dire à toute la portion de l’ancien Palatreu non ensablée. A côté du Monard, vers la même époque, les vents mirent à nu les vestiges importants d’une chapelle, dont les matériaux servirent à des travaux exécutés au domaine de la Ronce. Ce n’était pas la première fois que des ruines de cette nature ont vu de temps à autre le jour. Élie Vinet et Claude Masse en ont signalé des exemples; Le Terme, à la page 282 de sa Notice sur l’arrondissement, donne pour lieu d’origine l’ «abbaye de Notre-Dame de Buze» à une pierre d’autel qui est entrée dans le pavage de l’église, d’où la construction du clocher l’en a fait sortir. Cet écrivain se méprend assurément: la pierre ou table d’autel en question provient d’une autre chapelle, — celle du prieuré de la Couronne 8. dont les substructions nous ont occupé plus haut, et que l’impétuosité des vents désensabla au siècle dernier.

Nous avons parlé des vocations maritimes. La Tremblade a toujours été un pays de marins, moins aujourd’hui qu’anciennement.

Aux XVIe et XVIIe siècles, on armait pour la pêche de la morue; les capitaines des navires ainsi frétés prenaient l’engagement de vendre leur pêche soit à La Rochelle, soit à Bordeaux. On faisait aussi le trafic de la troque, c’est-à-dire que des barques chargées de poissons salés, de vin, grains, et autres denrées, partaient < à la grosse aventure» pour Bayonne, l’Espagne, Madère, et devaient rapporter en échange, les produits des contrées explorées. On «troquait» aussi contre du sel étranger, quand la récolte en Saintonge avait été nulle. Ainsi une charte-partie du 4 novembre 1630, passée par Jacques Léger et Jacques Michel, «maistres et bourgeois», chacun pour une moitié du navire le Petit-Jacques d’Arvert, avec Pierre Texier, pilote, nous montre «ledit navire appareillé et pourvu de ses victuailles, et outre le nombre de 300 moullues poisson verd, devant faire voille pour aller à quelque port et hâvre de la coste de Portugal... pour estant parvenu à port de salut vendre ladite marchandise, et du provenu faire acheter du sel pour la charge dudit navire; lequel avec ledit sel il promet (Texier) ramener et conduire en rade de la Palisse, Chef de Baye, Pierre Menue, l’isle Des (Aix) ou les Trousses, et donner advis de son retour auxdits Léger et Michel..»

D’après une autre charte-partie du 3 juin 1627 entre Pierre Gacherie, notaire royal, «commis du recepveur des consignations de Xaintonge», et Pierre Guytard, me de la barque la Jehanne, du port de 20 tonneaux, chargée de 47 barriques de sardines pressées, ledit Guytard s’engage à «conduire à Bayonne ou à Saint-Jean de Lux, vendre et débiter en gros ou parcelles. S’il ne trouve pas vente raisonnable, mettre les dictes sardines en chai et en commettre la vente à telle personne qu’il avisera; en recevoir le provenu en troque de marchandises, ou autre telle valeur.»

Par contre, les importations viennent de Normandie, d’Angleterre ou de Flandre. En la même année 1630, Christophe Girons, marchand de Honfleur, vend du blé aux habitants de La Tremblade, qui lui donnent en échange «sept à huict centz aulnes de toilles blanches, noyres et droguet , et quelque layne et plumes.» Sa barque, la Petite Vierge, dont il est «mestre», est «sur Seuldre apartenant à monsigneur le cardinal de Richelieu. » En 1652, c’est un navire du port de Plimouth, l’Espérance, capitaine Richard Howd, qui échange lui aussi sa cargaison contre 140 tonneaux de sel. En 1669, Pierre Gombaud, marchand à La Tremblade, reçoit d’Ecosse, par le navire le David, une cargaison de laines; il en cède quatre balles à François de Chaban, marchand à Saint-Augustin, qui, en s’en retournant, périt assassiné par les valets du sieur de Beauchamps. Nul doute aussi que la fameuse Hanse allemande (Union générale des compagnies commerciales) n’envoyât ses navires, chargés de bois de construction, prendre en retour nos sels. Dans les villes hanséatiques, Danzig tenait le premier rang. «Dès le commencement du XVe siècle, lisons-nous dans un ouvrage estimé, cette ville était en rapport direct avec tous les pays entrés par leur marine marchande dans le réseau hanséatique. Leur commerce était très actif sur les rives de la Galicie et les bords occidentaux de la France, surtout à Baïe, port situé au sud de Nantes, d’où ils tiraient entr’autres marchandises le fameux sel du pays. En 1474, soixante-douze vaisseaux de Danzig abordèrent en Bretagne .» Que faut-il entendre par ce «port situé au sud de Nantes» ? Evidemment Chef-de-Baïe , actuellement la Palice, à six kilomètres de La Rochelle. C’était l’une des rades indiquées par nos armateurs aux terreneuviers et au petit cabotage, à leur retour d’expéditions; et c’est aussi à Chef-de-Baïe — on le verra encore plus loin — que l’île d’Arvert exportait pour la Rochelle, et que les navires étrangers étaient mouillés.

Parmi les hautes notabilités du négoce maritime de cette époque, nous citerons les Michel, les Froger de la Rigaudière, les Lestrille. Jehan Michel, le seigneur de Chassagne, était le plus en vue. Il avait avec lui deux de ses frères, Abraham et Jacques, celui-là qui devint conseiller du roi en ses conseils, receveur général du taillon de Saintonge, et fut l’associé du duc de Saint-Simon dans la grande entreprise du dessèchement des marais de Blaye. Jehan Corné, qui mourut jeune, armait des navires pour la course; l’inventaire fait après son décès atteste l’importance qu’il entendait donner à son négoce. Le détail d’armement et «victuailles» des corsaires mérite d’être signalé. Voici, dans son «beau désordre», celui que Jehan Corné a écrit proprio manu, et qu’il a fourni à Bastien Rousselot, pilote, «maistre et bourgeois de la barque nommée la Magdelaim», pour faire voyage en Irlande «et course en mer contre les ennemis de l’Estat.» (1637): 2 tonneaux de vin pur, 4 poinçons vin de Bayonne, 3 pierriers avec chacun deux boîtes et leur «sarce», 1 fauconneau de fer, six vingt balles de canon, 3 escoubillons et foulon de corde, 24 piques, 1 antonnoir et sa douille de cuivre, 44 livres de suif, 3 bidons, 22 balles de fauconneau de plomb, 80 livres de balles de mousquet, 1 baril de vinaigre de 30 pintes, 2 boute-feu, 1 grapin d’abordage et sa chaine, 100 poissons secs, 2 quarts d’huile d’olives de 6 livres pièce, 65 feuilles de parchemins à faire des gargousses, 1 main de papier à gargousses, 100 poissons verts moyens, 20 gargousses de papier vides, 1 grand pavillon rouge pour mettre sur le derrière, 2 pompes de fer volantes, 3 moulles à gargousses, 2 gargousses de canon, 1 tire-bourre de mousquet, 4 palans de canon, 3 braques de canon, 1 plaque de plomb de trois plataines pour les canons, pesant 36 livres, un cent de gaules, 2 cuillères de canon, un tire-bourre et deux foulloures, 100 livres de bœuf salé, 100 livres de lard, 1 grande chaudière d’airain, 1 lanterne sourde, 1 ouillette commune, 12 avirons de 18 à 20 pieds de long, 1 traque d’aviron de chaloupe, 17 mousquets, 17 bandoulières. Un demi sac de charbon pour le chirurgien, 3 cuirs de pompe, 400 clous de pompe, 8 livres de chandelles de suif, 6 plats de bois, 2525 livres de pain, 100 livres de poudre à canon, 60 livres de poudre à mousquet, 56 livres de mèche, 6 gargousses de fer blanc, 100 clous doubles carnelles, 100 clous de lisse, 100 clous de double tillac, 1 poèle à frire, 1 grande hache, 1 baril à beurre, 1 pont de corde devant-arrière.

Ces armements s’expliquent: on était en pleine Fronde bordelaise, etil importait que les navires qui allaient à Terre-Neuve, chargés de sel et de vin, pussent se défendre contre toute attaque possible. Jehan Michel armait de la même façon, le 22 février 1651, son Saint-François de Paul, du port de quatre-vingts tonneaux, montépar quinze hommes. La charte-partie stipule qu’ils seront occupés «à la peschery des morrues, poisson vert, huisles, rabes (rogue), langues et noues,» au grand banc de Terre-Neuve, «banquereaux, ou l’isle de de sable.» Le quart du «provenu» du voyage appartiendra au capitaine et à son équipage, sauf les noues et les langues, dont il aura la moitié. Si le navire est attaqué «par ennemis», s’il y a combat, les blessés seront traités, pansés et «médiquamantés jusques à guérison au despans et sur le provenu du dict voyage.»

Indépendamment de ces gros négociants armateurs, il y avait à La Tremblade, comme partout ailleurs, un grand nombre de petits marchands tenant de tous objets en quantités restreintes. Un inventaire du 6 août 1640 nous renseignera sur l’état d’un de ces comptoirs, dont nos pères, moins raffinés que de nos jours, se contentaient. A titre de curiosité, voici les genres d’étoffes en usage dans cette première moitié du XVIIe siècle. C’est d’abord le genre «carèze», dont le «bleu du Poitou», «le gris bure», le «vert», le «gris argenté », le «coulombin». Puis la «revesche» ; «zinzelin, violet clair, coulombin, céleste, blanche ». Le frison «bure, jaune, vert» ; le «redin blanc», l’ «estamine grise», le «cadis gris», le «raz violet et coulombin», la «sarge de Saint-Messans (Saint-Maixent)», le «camelot coulombin et bleu», le «droguet», enfin le drap blanc et noir, et le «coyty». Il y avait aussi le petit «lies tanné » et le petit «lies zinzelin».

Il n’est pas moins intéressant de connaître l’ameublement, à cette même époque, des ménages occupant une situation moyenne. Ce sera encore l’inventaire de 1640, celui de Jehan Girauld, qui va nous instruire à cet égard, bien que nous en possédions plusieurs autres, notamment celui du notaire Jehan Hourtin ; mais ils se ressemblent tous: Un chalit à panneaux et une couchette bois de noyer, garnis l’un et l’autre de courtines et rideaux, lits de plumes, couvertes laine blanche «cothelonne» et verte. Un buffet en bois de noyer. Une table et ses «tretaulx». Trois petits tabourets, deux chaises foncées de paille. Crémaillère, landiers, une «poisle ayrin», un «buffeau, un coffre» ; et dans le coffre des garnitures de lit, quatorze «linceulx», un linceul de cheminée, trois nappes de chanvre, six de «reparonne », sept serviettes de lin. Un bassin d’airain, un chandelier, une évière d’airain, trois plats d’étain, un «sallouer». On ne ne saurait être plus modeste. Si nous voulions le confortable, et même le luxe, nous irions le prendre dans les inventaires des seigneuries de Chassagne et du Fouilloux.

Lorsque Louis XIV, pour soutenir ses grandes guerres contre la Hollande et l’Angleterre, eut besoin de marins expérimentés, il alla chercher dans les ports les plus habiles et les plus braves capitaines de la marine marchande. La Tremblade fournit beaucoup de capitaines «entretenus», dont Hélie Chabosseau, Pierre Decoux, Pierre Roux, Jean Rolland, Jacques Gentet, Jean de Lestrille, sieur de la Clide, et Jacques de Lestrille, sieur de la Puisade, Ozée Blanchard, Jean Thomas, Jean Serpaud, et deux ou trois Heurtin. Isaac Heurtin 9, seigneur de la Massonne, était capitaine de vaisseau et du port de Rochefort. Un autre Heurtin commandait le vaisseau l’Écueil, et mourut à Siam en 1689. Il y eut bien des nôtres dans cette expédition de Siam! Ajoutons à ce contingent les Froger, les Du Vignau, les Treslebois, les Rabanières, les La Motte-Michel, et enfin, le marin le plus en vue, Job Forant, chef d’escadre, qui avait sa maison dans la Grand’Rue, et mourut à Bresten 1692. On prétend que la maison des Forant est devenue un couvent de Pères Jésuites. C’est une erreur. Elle servi de pied à terre aux Jésuites et aux Récollets de Marennes, lorsqu’ils vinrent, chaque semaine, sur l’ordre de Louis XIV, exercer un ministère de prédication, après le départ de Fénelon et de ses missionnaires. Vis-à-vis de la maison Forant logeaient les filles de la Charité.

Les Indes Orientales et les îles d’Amérique, tel était l’objectif de nos navigateurs, dont beaucoup périrent victimes de la mer et de la guerre. Claude Masse, déjà cité, prétend que de son temps (1698) il y avait à La Tremblade cinq cents femmes veuves dont les maris étaient morts pour la plupart au service du roi. Et d’après Eugène Pelletan, qui a rédigé, dans l’Histoire des villes de France... d’Aristide Guilbert, les articles des villes de la Saintonge, l’équipage du Vengeur aurait été recruté sur les rives de la Seudre.

Après la révocation de l’édit de Nantes, le gouvernement chercha tous moyens pour enlever le commerce de mer aux protestants convertis. Des maisons que nous avons indiquées, et de celles qui existaient dans les autres îles de la Saintonge, il n’y avait plus alors que «sept convertis: Chateigner et Garesché à Nieulle, Decour et Godet à Marennes, Samuel Neau et Chevallier des Landes à La Tremblade. Bouffard en Oleron.» Il s’agissait de remettre le négoce entre les mains des catholiques.

Avec les années, cette situation fut moins tendue, et le XVIIIe siècle ressembla à son aîné. Même activité sur terre et sur mer, avec cette différence qu’on remarque, à l’intérieur des ménages, plus de recherche; on sent que l’aisance pénètre dans la famille, en même temps que souffle un certain esprit d’indépendance, qui rendra accessibles les nouveaux dogmes politiques de la Révolution. Le centre du négoce est toujours le quai de l’Atelier, où florissent les maisons Rivière,Tolluire et autres. La bourgeoisie est nombreuse: elle faisait souche alors; le fonctionnarisme ou des déplacements d’intérêts ont dispersé ses membres. Il s’en forme actuellement une nouvelle, plus démocratique, qui devra son illustration à l’ostréiculture: carrière qui était, au commencement de ce siècle, le privilège du petit nombre, et qui est maintenant l’apanage de la presque généralité des habitants. En vain rechercherait-on aujourd’ hui les Cotard 10, 11, les Gardrat, les Guillet. Le nom de la première de ces familles se perpétue dans les deux établissements scolaires dirigés par les frères de la Doctrine chrétienne et les filles de la Sagesse, que fonda, en 1856, Mlle Céline Cotard. Si, du pavé de la vieille église, l’on chasse la poussière qui le couvre, on lira encore cette inscription funéraire appelée prochainement à disparaître:

ICY GIT LE CORPS DE MADEMOISELLE

ANNE MARTIN, ÉPOUSE DE MICHEL COTARD SIEUR DE LISLE, AVOCAT, DÉCÉDÉE LE 8 SEPTEMBRE 1742, ÂGÉE DE 63 ANS. UN DE PROFUNDIS POUR LE REPOS DE SON AME.

Cette sépulture n’est pas la seule. «Entre la chaire et le confessionnal» il en est une autre, celle de dame Marguerite Saulnier de Beaupine, épouse de messire Henry de Jaubert, écuyer, seigneur de Bazas», inhumée le 21 janvier 1737. Dans cette famille de Beaupine, le sentiment de la bienfaisance était héréditaire, même dans ses alliances. Qui des plus anciens de la paroisse ne se rappelle les époux de Beaupreau de Beaupine, et ne se remémore combien était vivante en eux cette noble tradition? Remontant plus haut, on en découvrirait bien d’autres, notamment la sépulture de Marie Forant, «nouvelle convertie», sœur du chef d’escadre, morte en 1698, et celle de Jehan Heurtin, notaire royal, néo-catholique, décédé en 1693. Il était marié à Jehanne Chasseloup, de l’île d’Oleron (qui lui donna treize enfants); un nom auquel se rattache le marquis de Chasseloup Laubat, ancien ministre de Napoléon III 12, 13.

Le culte réformé prédominait dans l’île d’Arvert. En 1680, on ne comptait guère, à La Tremblade, plus de six ou sept familles catholiques, qui s’assemblaient dans une petite chapelle située en face de leur cimetière, près du temple des huguenots. C’est le chiffre donné par Masse, qui ajoute que le vicaire «ne pouvoit pas souvent dire la messe faute de clerc», et «qu’il s’estoit servi longtemps d’un calviniste pour y répondre.» Nous avons trouvé ce même nombre sept dans un certificat de résidence, 15 février 1646, délivré à Jehan Taret, «prestre viquaire de l’églize Saint-Sébastien de La Tremblade, filiolle et annexe de l’églize Saint-Estienne d’Arverd», devant le notaire Elizée Bechet, par les «paroissiens dudit lieu de La Tremblade, savoir: Mes Mathurin Fombeurée, sieur de la Ramée, et Ollivier Aymeric, «archers de la maryne» ; Me Vincent Besnard, sieur de Boisrobert; Pierre Aymeric, sieur des Marais; Michel Cornu, me chirurgien; Jehan Bâte, «prévôt d’Arverd», et François Buyneau, «me serruryer». Pour les témoins du contrat, il fallut prendre deux huguenots: Jehan Michel, sieur de Chassagne, et Jacques de Lestrilles, sieur de la Clide. Du reste le notaire Bechet était également huguenot. Jehan Taret avait remplacé le «sieur Donnefort.»

Le temple, construit vers 1610, fut-il vendu aux catholiques par le pasteur Mauzy, ainsi que nous l’avons dit ailleurs , suivant une chronique du temps? Ce n’est guère supposable. D’après une ordonnance de Colbert de Terron, son interdiction fut prononcée le 11 août 1681, «attendu que les religionnaires ne peuvent justifier de leur droit. Le temple servira d’église aux catholiques.» Et c’est le 8 septembre de la même année que l’évêque de Saintes, Mgr de la Brunetière, le bénit et le plaça sous le vocable de la sainte Vierge, en présence de M. de Carnavalet, gouverneur de Brouage, M. de Clairville, gouverneur de l’ile d’Oleron, et de l’intendant Arnou. Ce vocable n’était pas celui de la paroisse qui était dédiée aux saints Fabien et Sébastien . Parlant de la «première » procession qui eut lieu avant l’interdiction du temple, «elle se fit généralle, dit Masse, avec le Saint-Sacrement; on fit l’office sous la halle, la chapelle estant trop petite.» Les registres paroissiaux font mention de cette procession. Tout était prêt pour recevoir Fénelon et ses missionnaires.

Le séjour de Fénelon, durant six semaines à La Tremblade, rend intéressante la question de savoir où il mit pied à terre, et quelles familles il a fréquentées. C’est d’abord Samuel Neau 14, marchand, père d’une nombreuse famille, qui lui donne l’hospitalité, en lui laissant la liberté d’instruire ses enfants dans la foi catholique. Or, Samuel Neau, qui venait tout juste de quitter Marennes, sa paroisse d’origine, avait affermé, en 1686, une maison appartenant à Anne Thomas, veuve de Jehan Corné, — notre armateur de corsaires de 1637; — et cette maison était «sur le chenal de l’atelier». La chronique de tout à l’heure nous a appris aussi que les religionnaires reprochaient à Fénelon de prendre «le café » chez les «Gombaudes». Il s’agit d’Anne et Éléonore Gombauld, filles de Pierre Gombauld, sieur de la Croix, et de Léonore Boutineau, qui favorisèrent les abjurations, bien qu’Éléonore ne dut réellement se convertir qu’en 1693. La maison d’Anne Gombauld était située près de l’église «confrontant du côté du midi sur un passage de séparation de la dite église, dont la dite maison a un emplacement , chai et tour du sieur Baudouin des Valades; du septentrion à la maison et appartenances du dit sieur Baudouin des Valades; du levant à la grand’ rue, et d’autre bout à la rue du cimetière.» Ainsi s’exprime un acte d’arrentement du 21 septembre 1740, consenti par dame Catherine-Eléonore Chabosseau, épouse de messire Joseph des Aigues, écuyer, demeurant à Bordeaux, à Charles Cornu, perruquier, et à Marie Latreille sa femme. La dame des Aigues était la nièce d’Anne Gombauld, et son héritière. Le prix provenant de cet arrentement — 550 livres — servit à payer une somme égale que la dite Anne avait empruntée au sieur de Lacouture, lorsqu’elle «eut à soutenir une procédure criminelle avec le sieur Baudouin de Laudouine. »

«Le progrès est bien lent», mandait le futur archevêque de Cambrai à Seignelay, le 8 mars 1686 15. Il fut «lent» en effet, si on en compare les résultats à ceux qui ont été obtenus sur la rive droite de la Seudre; mais la moisson fut bonne. Le «grain de sénevé » a produit un grand arbre, et seize cents catholiques se trouvant trop à l’étroit dans l’ancien temple calviniste, il est devenu nécessaire de lui en substituer un autre. Difficile et laborieuse entreprise devant laquelle M. le chanoine Barbotin, curé-doyen, n’a pas reculé. Grâce à ses actives démarches, grâce à son instante et inébranlable persévérance, il est parvenu à jeter les fondements d’une gracieuse église romanoogivale . Quatre travées, le transept et l’abside sont terminés; le clocher s’élève peu à peu; et si les ressources affluaient pendant que les ouvriers sont à l’œuvre, l’édifice complet serait parachevé. L’argent est venu de partout, — les paroissiens n’étant pas gâtés par la fortune; — chaque pierre représente un ami de la belle architecture chrétienne; et en cherchant bien, on trouverait ces amis, qu’un même lien unit, sur les divers points de la France, en Europe, et jusque dans le nouveau monde. Si Fénelon revenait, il reconnaîtrait que ses successeurs n’ont pas trop dégénéré du Maître, et que la reconnaissance du cœur a été une de leurs vertus. En effet, en jetant les yeux à l’une des voûtes, on trouvera sculptées les armes de l’apôtre de la Saintonge, avec ce mémorial: FENELON APOSTOLUS HUJUS LOCI. 1686.

Anne Gombauld de la Croix est un personnage quasi-historique, sur lequel il importe que nous nous arrêtions. Dame des terres et baronnie d’Arvert et Saujon, elle eut de longs démêlés avec MM. de Richelieu et avec Jacques-René de Bremond d’Orlac, seigneur de Chassagne. Elle refusait à ce dernier un droit d’exploit en la forêt d’Arvert. Ses agents étaient Pierre Gardrat et Isaac Langlois, qui se donnaient comme syndics, l’un de La Tremblade, l’autre des Mathes. M. de Chassagne leur conteste ce titre, et il réunit capitulairement les habitants d’Arvert et do la Tremblade, le 30 mai 1715, aux fins de se prononcer. Ils s’en réfèrent à l’acte du 18 avril 1706, «créant messire Jacques Verneuil, docteur en théologie, prieur des Mathes, et Me Bernard Desmaisons, notaire royal, pour suivre toutes les actions concernant ladite forêt.» Anne Gombauld avait acquis la terre d’Arvert, moyennant 100,000 livres, de «madame la seconde duchesse d’Aiguillon», par acte du 21 septembre 1704, et la terre du Fouilloux, de Mme de Bremond d’Ars, qui la lui vendit 26,500 livres. La terre de Saujon avaitété acquise par elle le 29 janvier 1714. Les héritiers de la duchesse d’Aiguillon obtinrent, le 15 janvier 1718, des lettres de rescision de la vente. Dans leur mémoire, ils appellent la demoiselle Gombauld «plaideuse de profession». L’affaire de la forêt d’Arvert donna lieu à une correspondance assez active entre Louis-Armand Vignerot du Plessis-Richelieu, duc d’Aiguillon, et Jacques-René de Bremond d’Orlac. «Je vous remercie, mande le duc à M. de Bremond, le 5 février 1716, de tous les bons advis que vous voulés bien ordonner pour mettre la Gombault à la raison... Pour ce qui est d’estre comptant d’elle, je ne le seroy que lorsqu’elle m’aura payé jusqu’au dernier sol...» Le même au même, 21 décembre 1716: «La Gombault, monsieur, s’est donné bien du mouvement, à ce que j’ay appris, pour tâcher de gagner son procès contre vous, et ensuite pour tâcher de faire changer l’arrest... On m’a dit que je pouvois m’attendre à bien des chicanes. Je les essuieray, s’il le faut; mais pour d’accommodement, je ne puis me résoudre à en faire avec une friponne...» Et le 27 janvier 1717, le même, à qui M. de Bremond a envoyé copie de l’arrest: «Je ne comprends pas comment ces messieurs-là ne reviennent point sur le chapitre de cette créature qui leur fait croire tout ce qu’elle veut ...» Toujours les gros mots dans la bouche des plaideurs! toujours les vingt-quatre heures de grâce pour maudire les juges!

La Tremblade était-elle un chef-lieu paroissial avant l’introduction de la réforme, et une église y avait-elle été construite? Nos chartes sont muettes à cet égard, bien que parmi leurs signataires figurent l’archiprêtre de Saint-Étienne d’Arvert, les prieurs des Mathes et Dirée, et celui de Chaillevette et de Coux. Cependant aucun doute ne saurait subsister sur ce point, puisque dans la liste des bénéfices ecclésiastiques existant aux XIIIIe-XVIe siècles, on lit: «cure de Saint-Sébastien deLa Tremblade, à présentation de... (en blanc).» Le nom du collateur est resté inconnu d’Alliot, mais la pancarte de Rochechouart (1402) indique l’évêque de Saintes. Quant à l’édification de l’église où s’assemblaient les fidèles, nous serons moins précis, la tradition ne nous en ayant absolument rien dit. On a vu plus haut que le temple a été interdit parce que les réformés n’en ont pu justifier la possession légitime en leurs mains: alors était-il l’ancienne église? Nous en doutons un peu. Il a pu se faire que les paroissiens exerçassent leur culte dans l’église des religieux de N.-D. de la Garde, située à un petit kilomètre de la halle; et c’est peut-être à quoi font allusion divers actes de baptêmes protestants, entre autres celui-ci: «Le XXXe de mars 1596, Jeanne Babinot, fille de Jehan et d’Elizabeth Bression, a esté ce jourd’huy baptizée par monsieur de la Corbinière, en ce lieu de la Tremblade, au lieu de la Chapelanie... »

Les troubles religieux ont fait perdre à La Tremblade les avantages attachés à son titre curial, et elle devint alors une annexe, la «filiole» de Saint-Étienne d’Arvert. Cette situation dura jusqu’au XVIIIe siècle. Le 16 février 1749, les habitants réunis capitulairement, parmi lesquels figurent: Michel Cotard de Lisle, bourgeois; André Roy, négociant; Charles Amiot de Vincelotte (un canadien), capitaine de navires; Bonnaventure Le Bègue, bourgeois; Pierre Maltier, instructeur de la jeunesse, exposent «qu’un curé résidant sur les lieux seroit plus en état d’y faire du bien et d’y procurer l’avantage de la Religion et des peuples qu’un vicaire amovible, sujet à changer souvent; que ces considérations, et bien d’autres, très pressantes, ont fait penser qu’il étoit convenable de travailler à obtenir de Monseigneur l’évêque de Saintes que ladite église de La Tremblade fut érigée en paroisse séparée de celle d’Arvert » ; mais comme il ne serait pas possible d’assembler les habitants chaque fois «qu’il faut instruire une procédure requise en pareil cas», leurs pouvoirs sont délégués à M. Michel Cotard de Lisle.

Cette mesure mit fin à certains conflits, à certaines susceptibilités dont le XVIIe siècle avait été témoin, du genre de ceux-ci, par exemple. En 1659, Hélie Despruetz, archiprêtre, curé d’Arvert et de La Tremblade, avait obtenu des habitants de ce dernier bourg, «soubz le nom des sieurs Jacques Delestrille, Jehan Guichard et Pierre Heurtin », qu’ils lui fourniraient «expressément les abits sacerdotaux et ornements nessesserres pour estre le service divin fait et célébré en l’esglise du dit lieu.» Cet engagement ne fut pas entièrement tenu. De là mise en demeure, par acte du 14 février 1663, de l’exécuter; «ledit service divin» ne pouvant être «retardé au préjudice des habitants catoliques tant dudit bourg et parroisse de La Tremblade, que forains et estrangers qui abondent audit lieu», — sauf recours au parlement.

Les mêmes habitants s’étaient aussi engagés à fournir à Despruetz, «et effectivement l’investir d’une maison size audit bourg, de montant, prix et valleur de mille livres tournois.» Comme ils n’en firent rien, ce que «voyant leur réticence», le curé leur notifie, le 8 juillet 1666, qu’il «s’est porté à faire prix d’unne maison du sieur Michel Dioré, marchant droguiste dudit bourg, y cituée sur la grande ruhe» ; et il les «prye et requiers de fournir ladite somme de mille livres dans huict jours les prochains.»

L’évêque de Saintes s’empressa d’accueillir la Supplique des habitants de La Tremblade; et dès la même année 1749, Jean Doussin, docteur en théologie, curé de Saint-Martin de Pons, leur fut donné pour pasteur. Son premier soin fut de mettre de l’ordre dans sa nouvelle paroisse. Tout d’abord il afferma, moyennant 800 livres par an, à Jean Delafargue, négociant, les «grosses, menues et vertes dixmes douces» de son temporel. Et comme les pauvres sont aussi l’objet de sa sollicitude, il achète, par contrat du 10 août 1760, de François Artaud, laboureur à bras, une petite maison, Grand’Rue, moyennant 200 livres, en déclarant que «ladite somme luy a été remise de confiance secrette et de charitté d’un de ses paroissiens, pour être employée à la présente acquisition; et que suivant son intention, ladite maison sera et demeurera à l’avenir, en conséquence des présentes, aux pauvres, à la direction des sœurs de la Charité du présent bourg, pour y loger ceux mandians malades dudit présent bourg.» Ces sœurs étaient les filles de Saint-Vincent de Paul, établies à La Tremblade par Louis XIV, que la tempête révolutionnaire a dispersées, et qui ne sont pas revenues 16. Cinq ans après (4 février 1765), Jean Doussin, qui ne devait mourir que le 29 janvier 1782, résignait sa cure en faveur de son neveu, Jean-Pierre Pelluchon, curé de Médis, lequel en prit possession le 15 mai suivant.

A Pelluchon succéda, en 1771, Jean-Baptiste Landreau, qui s’empressa, le 23 décembre de ladite année, de faire constater l’état de la sacristie de son église, et de faire procéder à l’inventaire du mobilier et ornements sacerdotaux. Nos exigences mondaines trouveraient aujourd’hui ce mobilier bien misérable. C’est sous le curé Landreau, suivant sa déclaration et celle de «M. Pierre Gardrat, avocat en la cour, juge sénéchal; messire Léopold de Bonnay, écuyer, syndic et père des pauvres; sieurs Pierre Roy, premier marguillier, Benoît Forget, dit Chevallier, procureur de la fabrique, et Charles Rousseau, aussi marguillier», que fut instruite la revendication d’un legs fait aux pauvres par un colon d’Amérique: «Nicolas Gautier, natif dudit bourg de La Tremblade, et décédé à l’isle Saint-Domingue, vers l’année 1736, avait légué aux pauvres de ladite paroisse de La Tremblade la somme de deux mille livres tournois pour être acquittée par le sieur Trantigneau, son légataire universel; ce que n’ayant point exécuté, il en avait chargé sa filleule, épouse de messire Picot, chevalier de Saint-Louis, demeurant à Rayonne.» Ainsi s’exprime le contrat passé devant Rousseau, notaire, le 24 juillet 1774. Afin d’obtenir la délivrance de ce legs, qui était en souffrance, les déclarants constituent pour «leur procureur spécial la personne de M. Delamotte, docteur en médecine, et médecin des hôpitaux de Saint-André et des Enfants-Trouvés de la ville de Bordeaux.»

Ce Nicolas Gautier a un très grand air de famille — si ce n’est le même personnage — avec Nicolas Gaultier, fils de Daniel, maître chirurgien, et de Jeanne Rouffard, présenté au temple de La Tremblade, le 10 octobre 1666. Jeanne Boudard s’expatria lors de la révocation de l’édit de Nantes, avec sa sœur Marthe Rouffard, et le mari de celle-ci, Michel Dioré, «ministre». Nicolas Gaultier fut-il aussi fugitif comme sa mère, son oncle et sa tante? L’île de Saint-Domingue n’était pas le lieu habituel des réfugiés; et son legs ferait supposer un retour à la foi catholique.

En 1781, 24 mars, prise de possession de la cure de La Tremblade par Pierre-Cyrille Mongrand, «cy devant curé et prieur de Chaillevette», en remplacement de Jean-Nicolas Henry, décédé, dernier titulaire, en présence des sieurs «Jacques et Mathurin Rivière, frères, négociants; Ignace Mesnier, Me en chirurgie, Michel-Augustin Cotard, sieur de la Clide, bourgeois; Me Antoine-Jean Gaudin, notaire royal; messire René-Hilaire du Rivault, écuyer; Benoît Forget, dit Chevallier, marchand; Jacques Venot, Me en chirurgie, et autres.» Simon-Pierre Puliers de la Sablière étant vicaire, Reddon et Roussau, notaires royaux, ayant instrumenté.

Jean-Louis Doussin, deuxième du nom, vicaire d’Arvert, fut le dernier curé de La Tremblade sous l’ancien régime (1782) . Il eut la faiblesse de prêter le serment schismatique, et de se marier. Le 16e jour de septembre l’an second de la République française, étant âgé de 44 ans, et dénommé fils de Jacques-Louis Doussin, chirurgien, et de Catherine Cherron, demeurant à Saintes, il épouse devant Pierre-Élie Vollet, membre du conseil général de la commune de La Tremblade, Jeanne-Angélique-Charlotte Taupier, fille de Pierre-Isaac Taupier, négociant, domicilié à Lille en Flandre, et de feue Jeanne-Angélique Bretineau. Charlotte Taupier était sacriste de son église. Le «tridi de la seconde décade» de floréal an II, Doussin informe le directoire de Marennes qu’il «a transporté son domicile dans la commune de Xantes (Saintes), où il desire toucher le traitement ou pension qui lui est accordé par la Convention nationale.» Il entra dans l’administration des droits réunis, qui le nomma receveur à La Tremblade, d’où il dut s’enfuir, ses anciens paroissiens l’ayant mal accueilli; il fut promu ensuite contrôleur à Rochefort, et mourut au commencement du siècle. C’est par lui, le 2 mai 1790, que fut bénite la «seconde » cloche de l’église, «laquelle a eu le nom de JUDITH. Son parrain a été M. Léopold de Bonnay, écuyer, directeur de la verrerie, et sa marraine demoiselle Judith Rivière.» Ont signé : J. Rivière. De Bonnay, Lacouture de Bonnay, Massieu-Rivière, Jeanne-Charlotte Taupier, Adélaïde Vignaud, Judith Daviaud, Marie Daviaud, de Beaupine; Vignaud, maire; Taupier des Marais, Landreau; Rousseau, procureur fiscal; Simon, procureur de la commune; Rivière l’aîné, Rousseau, Judith Vignaud-Massieu; D. Cerclé, officier municipal; Gardrat-Rousseau, Marchand, Alain-Rivière, Rousseaux née Rocher, Suzanne Marchant, A. Mesnier, M. Rivière, Guillet de Létang; Doussin, curé de La Tremblade. La première cloche date du 4 avril 1691. Jean Delafargue, curé archiprêtre d’Arvert, avait été délégué par l’évêque de Saintes pour procéder à sa bénédiction; il était assisté des prêtres Gardrat et Hémery.

Après le concordat, François de Crugy fut donné à la paroisse de La Tremblade, qu’il abandonna en 1817. Nommé vicaire général de l’évêque de la Nouvelle-Orléans, il mourut à Saintes en 1843, chanoine honoraire du diocèse d’Aire. Son successeur fut un jeune prêtre qui possèda la confiance et les sympathies de toute la population, durant les 53 années de son ministère, et dont la longue et bienfaisante administration a laissé un souvenir toujours vivant dans les cœurs. Nous avons nommé Louis-Benjamin Desmortiers, décédé en 1870. Son tombeau, produit de dons volontaires, est placé au centre du cimetière. Ce fut sous lui, en 1822, qu’eut lieu la première restauration de l’ancien temple dans lequel on montrait encore la chaire qu’illustra Fénelon .

Aucun monument remarquable à signaler. La Tremblade paraît être restée en dehors du mouvement architectural, religieux et civil, qui a laissé des traces de son épanouissement en tant d’endroits de la Saintonge. On voit que la vie de ce petit peuple se passait à la mer, parmi les larges horizons que lui ouvraient ses navires. Les anciennes halles ont été modernisées, et l’on s’est efforcé de donner un aspect monumental à l’hôtel de ville. Cette absence de cachet artistique n’a pas échappé à Claude Masse, qui se borne à dire: «Il y a une rue de 700 toises de long et plusieurs autres, toutes pavées, mais peu de maisons remarquables, et habitées presque toutes par des matelots qui sont d’excellents mariniers.» Il a compté les «feux» : il y en a 700. Dans peu d’années, le bourg sera fier de son église qui aura avantageusement remplacé l’ancien temple calviniste: délicieuse imitation de l’architecture des grands siècles chrétiens!

Ronce-les-Bains : Marennes et la côte saintongeaise

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