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INTRODUCTION.

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Table des matières

Plus d’échafauds! tel est, depuis un demi-siècle, le cri que l’humanité fait entendre, soit dans la vieille Europe, soit au sein des fertiles contrées du Nouveau-Monde; partout où palpite un cœur d’homme libre, partout, ô nature sainte! où grandit à l’ombre de ton culte tutélaire une nation civilisée. Tantôt sourd et menaçant, comme s’il eût annoncé aux féroces préjugés des peuples une chute prochaine; tantôt calme et doux, et empruntant, pour purifier les mœurs des races humaines, le voile d’une bienfaisante philosophie; tantôt enfin, ferme el retentissant comme l’explosion d’une conviction intime et d’une raison victorieuse, toujours ce cri régénérateur a éveillé l’attention des hommes, toujours il a su remuer profondément ce qu’il y avait dans leurs entrailles de noblesse, de sensibilité et de grandeur.

Le philosophe de Milan a donné le signal; son inspiration généreuse a été recueillie; elle a germé dans les consciences, et apparaissant tout à coup comme une lumière vivifiante, elle a changé la face des deux mondes. Beccaria! génie sublime, ton nom, cher à l’humanité, vivra dans l’avenir, entouré d’une gloire immortelle et pure! Bienfaiteur des hommes, réjouis-toi; ta pensée féconde n’est pas demeurée ensevelie dans ta couche glacée; des ames à forte trempe ont compris la tienne. L’Angleterre, les États-Unis, la Suisse et surtout la France, la France, reine des nations, ont produit des écrivains qui, suivant tes pas dans la carrière de la civilisation et du progrès, achèveront la tâche que tu as si noblement commencée.

Ah! sans doute, tout n’est pas consommé ; il faut quelques années encore. Mais le triomphe est assuré, et à cet égard surtout il est permis de dire «que le présent est gros de l’avenir.» Qu’importe en effet que le dogme sacré de l’inviolabilité de la vie de l’homme compte de nombreux adversaires; que l’échafaud et le bourreau aient des défenseurs, magna est veritas et prœvalebit, la vérité est grande et doit prévaloir, L’opinion des masses se forme dans ces luttes ardentes; des idées qui d’abord leur paraissaient étranges, comprises et appréciées, sont accueillies par elles avec transport, et bientôt, mûries au foyer de leur intelligence, elles éclatent en longs applaudissemens de sympathie et d’amour.

Tel est, selon moi, le résultat inévitable de ce combat moral que soutiennent avec une égale bonne foi, avec une égale persévérance, les sectateurs de la réforme et les partisans de la peine de mort. Ceux-ci, malgré leur talent, bridés par les liens de la routine; ne voient l’humanité qu’à travers la rouille des âges. Pour eux, les faits accomplis sont sans éloquence, et le passé n’a point d’enseignemens. Mesurant toujours au même compas la société grandie, ils tâtonnent, ils louvoient; toute innovation radicale les épouvante, et, au lieu de porter le fer et le feu dans l’ulcère qui nous dévore, ils préfèrent un vain replâtrage à un système régénérateur. Les autres, au contraire, hommes de progrès et d’énergie, se sont placés sous l’influence d’un principe plus vrai, celui de la perfectibilité humaine. Ils ont étudié la marche des sociétés, et suivi l’homme dans toutes les phases de la civilisation. Ils ont relevé à ses propres yeux cette créature immortelle, mais avilie, et que ses institutions surannées tendaient incessamment à flétrir. Ils ont proclamé l’homme inviolable dans son existence parce qu’il est tel et pour qu’il devînt tel; et en sondant les replis de sa conscience et de sa raison, ils ont trouvé dans sa nature morale toutes les garanties d’intimidation, de répression et d’amendement que la société peut désirer, et qui doivent seules suffire aujourd’hui à la formation de tout Code pénal conçu sur les larges bases du système pénitentiaire.

Dans cette lutte imposante, si j’ai cru devoir planter mon drapeau dans le camp des réformateurs, ce n’est point par un entraînement irréfléchi ni par un fol amour du changement et de la nouveauté. Sous l’influence des vieux préjugés dont je reconnaissais l’empire, j’ai long-temps, malgré les murmures de mon cœur, opiné pour la peine de mort. Frappé du spectacle décourageant de la perversité humaine, dans les nombreuses et lointaines contrées que j’ai parcourues, ma raison se révoltait à l’idée de dépouiller la société d’une arme que je croyais nécessaire, et de la livrer sans défense au débordement des passions. Mais un examen plus approfondi de cette grave question, la lecture attentive des divers ouvrages où tant d’auteurs illustres ont apporté le tribut de leurs lumières et de leur génie; enfin, les inspirations de ma conscience mieux éclairée que je consultai dans le recueillement et la méditation, qui sont, dit Mirabeau, les premières puissances de l’homme; tout me fit bientôt rentrer en moi-même, et je ne tardai pas à reconnaître l’énormité de mon erreur.

Sans doute j’aurais pu célébrer en silence ce baptême moral de mon intelligence, et ne point divulguer au public le secret de ma conversion.

Mais qui peut connaître la vérité et contenir dans son sein l’exaltation qu’elle inspire? Qui peut voir son ame délivrée du joug d’un préjugé sanglant, et ne point désirer de faire jaillir, partout où règne l’erreur, des flots de lumière? La peine de mort est un si horrible cauchemar que la conscience a besoin d’épanchement quand elle a brisé le poignant aiguillon de ses tortures.

Mais on pourra me dire: Il fallait attendre; pourquoi choisir ce moment pour publier votre ouvrage? personne ne vous lira. La politique absorbe tout. L’attention publique, enchaînée et captive, semble concentrée vers le double horizon où, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, le vaisseau de l’Etat paraît menacé par de sourds orages. A cela je réponds: Oui, sans doute, la politique occupe le pays et c’est un bien. La situation est grave. En présence des événemens que chaque jour voit éclore, l’indifférence serait un signe de langueur et de mort. Mais est-ce à dire que des questions palpitantes d’intérêt et de vie, des questions de bien-être et d’avenir, qui naguère encore avaient puissance d’émouvoir si vivement les cœurs, passent aujourd’hui inaperçues, livrées au dédain et à l’oubli? Oh! non, la France constitutionnelle a de longues années de gloire et de prospérité à parcourir. Sentinelle avancée de la civilisation, centre du progrès et des lumières, elle a une haute mission à accomplir! Si dans cette carrière toute libérale, elle s’est laissée devancer par la Suisse et les États-Unis, elle prendra noblement sa revanche. En adoptant chez elle le système pénitentiaire, en proclamant l’abolition de la peine de mort, elle ressaisira le sceptre qui lui appartient, et se retrouvera à la tête des nations dans cette voie réparatrice et féconde qui s’est ouverte pour le bonheur du genre humain. Tous les peuples civilisés de la terre s’empresseront de l’imiter, car son exemple est entraînant, et l’autorité de son grand nom est irrésistible.

D’ailleurs, la France pourrait-elle ne pas reconnaître que l’heure de la double réforme a sonné ? Ignore-t-elle que les vœux que nous formulons aujourd’hui, ces vœux de la justice, de la raison et de l’humanité, ont pour inébranlable appui désormais les lumières du siècle et la marche de la civilisation? Il ne s’agit point ici, en effet, d’une concession purement philosophique, d’un vain essai de philantropie, d’un tâtonnement étroit et mesquin, mais d’une réforme complète et inévitable, d’une nécessité en quelque sorte fatale, d’une de ces nécessités intellectuelles qui changent la face morale du monde, et auxquelles il ne peut pas plus se soustraire qu’à ces nécessités matérielles, catastrophes épouvantables qui bouleversent sa nature physique jusque dans ses fondemens.

Oui, l’heure de la double réforme a sonné ! la société elle-même le proclame. Quelle ame ne serait émue! quel cœur ne répondrait à son appel! Fussions-nous aveugles, insensibles ou sourds, quel cadavre ne se ranimerait en voyant étinceler partout le progrès, la régénération et la vie? Laissant de côté ces siècles de barbarie et d’ignorance, où la peine de mort, souveraine de fait, rencontra cependant encore quelques courageux adversaires, jetons les yeux autour de nous, suivons avec une attention scrupuleuse les mouvemens de la civilisation moderne, en Italie, en Allemagne, en Russie, en Suisse, en Angleterre, aux États-Unis, et enfin dans notre belle France, et disons, à la gloire de l’espèce humaine, que partout l’empire des vieux préjugés s’écroule, que partout la grande voix des peuples a parlé, et que rien ne peut arrêter désormais l’impétueux élan qui les entraîne: disons en un mot, que l’adoption du système pénitentiaire et l’abolition de la peine de mort sont un besoin de notre époque, une des conséquences inévitables de la civilisation.

Mon intention n’est pas d’analyser les ouvrages des nombreux auteurs qui ont écrit sur cette matière intéressante. Ces ouvrages sont dans les mains de tout le monde; une stérile répétition ajouterait peu à leur influence. Néanmoins, quelques-unes de leurs pensées trouveront place dans cet écrit: j’y insérerai même quelquefois plusieurs de leurs pages éloquentes. Je puiserai dans tous, çà et là, suivant le besoin de ma cause, cherchant toujours à fortifier mes raisonnemens du poids de leur autorité. Puisse le lecteur s’apercevoir souvent que je me suis inspiré de leurs œuvres, et dire que je n’ai pas été un infidèle traducteur de leur génie!

Le temps vole, les faits s’accomplissent. Il faut tout enregistrer et tout recueillir; l’expérience du jour ajoute à l’expérience de la veille. Qui oserait dire à l’homme perfectible: Assez! arrête-toi! Où seraient d’ailleurs les limites? La science du progrès ne puise-t-elle pas sa principale force dans l’enchaînement des preuves matérielles? J’ai donc plus d’une vérité neuve à produire, plus d’une lacune importante à combler.

Je tâcherai d’être clair et concis: j’éviterai surtout le langage abstrait et métaphysique. Ce langage que les fondateurs de la réforme ont employé est inutile désormais. Créateurs d’une doctrine nouvelle, œuvre de hardiesse et de profondeur, il leur a fallu d’abord poser les principes, et établir les bases du temple sur de solides et impérissables fondemens. S’adressant nécessairement au petit nombre, leur langage devait être élevé, nerveux et logique, le langage en un mot de la science et du raisonnement. Mais aujourd’hui que les idées nouvelles se sont infiltrées dans les masses, et ont été accueillies dans tous les cœurs avec un empressement dont l’humanité s’honore, on peut, avec le peuple, descendre des hautes régions de la philosophie: son infaillible instinct a merveilleusement servi son intelligence, et loin que le système de la réforme ait rien qui l’étonne, déjà, j’ose le dire, dans sa conscience il a prononcé sans appel l’abolition de la peine de mort.

Il faut donc, pour éclairer sa conviction, lui parler une langue plus familière, et mettre pour ainsi dire à sa portée les sublimes enseignemens que la science réservait aux doctes. Dans la discussion de ces matières arides, si quelques ornemens sont nécessaires, il ne faut point les dédaigner. Parer la vérité de quelques fleurs, ce n’est point la dénaturer, c’est lui rendre hommage. L’objet, l’objet essentiel est de populariser des doctrines saintes, et de faire apprécier par toutes les classes de la société les bienfaits du système pénitentiaire.

Tel est le but que je me suis proposé, et j’ai l’espoir de le remplir. Si parfois ma voix s’élève, si quelque enthousiasme se mêle à mes raisonnemens, qu’on daigne se rappeler que je plaide ici la plus noble des causes, celle de l’inviolabilité de la vie de l’homme; que c’est à l’homme que je m’adresse; que je veux relever à ses propres yeux la dignité de sa nature morale trop long-temps dégradée; le purifier de toutes ses souillures, et effacer enfin sur son front cette tache de sang humain qui le déshonore. Ah! sans doute il est naturel que des intérêts si sacrés échauffent le cœur et exaltent la pensée, car qui ne sent que leur triomphe complet ne peut s’obtenir qu’à l’aide de cette entraînante émotion de l’ame qui produit au sein des masses attentives l’ébranlement, la sympathie et la conviction.

D’ailleurs, dans la bouche d’un nouveau converti, le langage de l’apôtre ne saurait surprendre; or, ce langage, pour être efficace, ne doit pas manquer de chaleur. Je n’écris point dans un vain espoir de gloire et de renommée, mais plutôt pour céder à l’impérieux besoin de mon cœur que le souvenir de son aveuglement passé importune encore, et qui serait heureux de trouver dans le peu de bien que cet ouvrage pourra faire une consolante expiation de ses premières erreurs.

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