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La Féerie de la Rue

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’ENTENDS féerie au sens moderne du mot, ou plutôt au sens parisien, féerie signifiant une pièce à décors, à trucs, à transformations, à personnages allégoriques, où les légumes parlent, où les machines à coudre chantent des rondeaux, pièce stupide s’il en fut.

Et dire qu’on paie huit francs des fauteuils pour aller contempler ça! Mais regardez donc autour de vous! C’est bien plus drôle et ça ne coûte rien.

Vingt pas dans une rue, au hasard! Voici ce que j’ai vu et entendu.

Une grosse courge tient par le bouton de l’habit un petit melon.

La courge parle, vite, vite. Le petit melon prend des notes sur un carnet en cuir de Russie, vite, vite. Quelles cucurbitacées pressées!

–Nous disons donc: fin courant, 9345; libérées, numéros1,327, 28, 29, 30, 31. Voir Masson, à sept et demie. Report, néant. Répondre non à Lévy. Cinq cinquante un tiers, à prime.

Et ainsi de suite pendant un quart d’heure.

A côté, un saucisson décoré, à un autre saucisson non moins décoré:

–Mon cher, c’est inévitable. Une crise en amène une autre, sacrebleu! Ils ont beau gueuler. C’est nous qui jouerons le dernier acte de la comédie, credieu! A propos, savez, Robinot est passé au choix. C’est infect.

Entre deux échalas qui ont entendu les saucissons:

–Hein! ces brav’ m’itaires! Toujours le régime du sabre!

–Bah! ça vaut bien le régime du sable.

–Un mot! Je le pige.

–Tra la la! C’est moi qui l’ai fait.

–Oui, mais je te l’ai suggéré.


Passe une petite caille, dandinant son derrière et portant au bout de l’aile un grand carton carré. Elle est suivie par un bouledogue qui porte, lui, environ cinquante ans. Chose singulière, c’est la caille qui montre les dents, tandis que le bouledogue courcaille:

–J’paie tes dettes, j’paie tes dettes.

Bousculade! Entre la caille et le bouledogue, deux bâtons de papier mâché, avec un pif en trompette, se précipitent ensemble sur un petit morceau de chose noire, gluante, fumante, que le bouledogue vient de jeter. Le premier bâton de papier mâché saisit ce bout de cigare mâché; mais l’autre le lui prend et le fourre dans sa bouche en disant:

–Laisse donc! Puisque tu ne chiques pas.

Sur le bord du trottoir, presque en file indienne, trois pivoines forment chapelet. Une pivoine dans un cornet blanc, traîne une autre pivoine dans des rubans jaunes, laquelle traîne la dernière pivoine, plus petite, dans un col marin. Une quatrième pivoine, coiffée d’un pot en cuir bouilli, les regarde, assise sur une boîte à thé.

–M’man, suis fatigué, geint la pivoine minuscule.

–V’là, mon bourgeois! crie la pivoine perchée.

–Oh! nous prendrons l’omnibus, soupire la pivoine aux rubans.

–Gustave, tu n’es jamais content, grogne la pivoine en cornet. Va donc pedibus cum jambis. Il faut t’habituer à marcher, pour la revanche.


–Tas de panés! hurle la pivoine à fouet.

Et les courges, les melons, les saucissons décorés, les échalas, les bouledogues qui chantent, les petites cailles qui montrent les dents, les bâtons de papier mâché, les pivoines, et un tas d’autres grotesques, tout ce personnel de féerie va, vient, se cogne, s’injurie, grouille, joue des coudes, joue des badigoinces, et chacun dit son couplet dans une langue que le voisin n’entend pas.

Quel est l’auteur de la féerie? Où est le régisseur? Où est même le public? Y a-t-il une intrigue? Y aura-t-il un dénoûment? Personne n’en sait rien. Personne non plus ne s’en occupe. Les acteurs ne s’aperçoivent seulement pas qu’ils sont en même temps spectateurs et qu’ils se sifflent entre eux. C’est le comble de la féerie, lisez de l’ahurissement et de la bêtise.

Et on dit que l’esprit court les rues!

C’est apparemment parce que tout le monde le perd.


Paysages et coins de rues

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