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L’Italie pour Trois Sous

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IMEZ-VOUS l’ITALIE? Moi, j’en suis revenu. Excepté pour les peintres et les archéologues, c’est le voyage le plus décevant du monde.

On part, sur la foi de Musset, du romantisme et des Guides-Conty; on est longuement bringueballé depuis Modane dans des trains-omnibus empuantis de crasse et de mauvais cigares; on est écorché clans des hôtels tenus par des Suisses, et, en fin de compte, on ne voit nulle part les Italiens rêvés, au costume éclatant, ni l’Italie qu’on s’imaginait, aux mœurs originales, étranges, poétiques, pittoresques.

Le vermout di Torino est une médecine qui sent la pharmacie. Le Falerne est un gros vin épais qui donne le déboire et peut se mettre en tartine comme du raisiné. Les Italiennes ont des voix de rogomme. Le macaroni lui-même est surfait. Parole d’honneur, on le réussit mieux chez nous!

Quant aux vêtements bariolés, bonsoir! On n’en rencontre qu’à Rome, aux environs de la place d’Espagne, où les Chauchards et les Chauchardes viennent pour servir de modèles à nos peintres de la villa Médici. A part ce coin, toute la Péninsule est habillée par Godchau.

Après de tels aveux, vous pensez bien que je ne vais pas vous proposer un voyage par delà les monts.

Si toutefois vous êtes férus quand même du désir qui pousse les Cooks’ tourists vers le pays où fleurit l’oranger, écoutez-moi bien! Je peux vous aider à satisfaire cette passion ridicule; et cela, moyennant la faible somme de quinze centimes, trois sous, juste le même prix que pour les chalets de nécessité.

Vous prenez l’omnibus de Batignolles-Jardin-des-Plantes, et vous allez jusqu’à la place Jussieu, derrière l’Entrepôt des vins, au bas de la rue des Boulangers. C’est là que sont les derniers Italiens ayant l’air d’Italiens.

Le soir, cette petite place vous donnera l’illusion complète que vous chercheriez en vain dans tous les coins de la Botte, et vous pourrez fredonner en pleine couleur locale la Mandolinata ou

Sorrente, Sorrente,

Sur ta plage odorante...


Il y a là des Romaines aux lourdes épaules, au tablier rouge, des Transtévérin es avec leur galette aplatie au-dessus du chignon, des Napolitaines en corsage bariolé, des pinceurs de harpe, des racleurs de jambon, des pifferari soufflant dans leur outre, des justaucorps en peau de mouton, des jambières en poil de bique; et certains hauts chapeaux pointus, apparus brusquement derrière un arbre, vous feront songer au bandit calabrais qui illustrait les romances il y a quarante ans.

Vous verrez grouiller des marmots vêtus de loques multicolores. Vous entendrez marmonner des vieilles au teint recuit, comme passé au jus de réglisse des fausses vieilles peintures. Vous vous heurterez à des couples qui roulent des yeux comme Rossi dans Hamleto. Vous trouverez au bout de vos pieds des joueurs vautrés à terre, et se chamaillant en mots brefs, avec les doigts ouverts ou les poings fermés, pour un coup douteux de mourra. Vous vous régalerez enfin de cette langue divine, langue du Tasse et des anges, dit-on, et qui ressemble si fort au charabias de nos porteurs d’eau.

S’il vous plaît de pénétrer plus avant dans les mœurs et la vie intime de ces macaronistes, descendez la rue Linné. Vous rencontrerez là, sur la gauche, un lavoir, puis un friturier, lequel, entre parenthèses, vend des merlans recommandables pour cinq sous. Entre le lavoir et le friturier, si je ne me trompe, s’ouvre la porte cochère de la maison, ou plutôt de la caserne, qui sert de caravansérail à la colonie italienne.

Musiciens ambulants, vendeurs de plâtres moulés, modèles des deux sexes, ils sont là dedans au moins deux cent cinquante.


Parfois on y voit de jolies filles. Jadis, sortaient de là, tous les soirs, pour aller chanter dans les cafés du quartier latin, deux sœurs, dont l’une était boiteuse et avait bien la plus ravissante figure de Madone qu’on pût rêver. Deux yeux à la Vinci! Une morbidesse quasi mystique! Combien de cœurs d’étudiants ont battu, quand elle roucoulait, en s’accompagnant sur son violon appuyé à la cuisse, l’air banal et berceur de Santa-Lucia!

Pour moi, je l’avoue, mes impressions les plus nettes, les plus vives et les plus charmantes sur l’Italie, c’est de la place Jussieu que je les ai rapportées.

J’étais revenu du voyage, furieux contre Musset, contre le romantisme et contre les Guides-Conty, qui m’avaient fait manger des côtelettes d’agneau frites, boire de la boue vineuse, affronter les hôtels pleins de Suisses et de punaises, fumer du tabac en feuilles de chou, et tout cela pour rien, pour voir un pays où les locomotives sont anglaises, les garçons de café allemands, les pièces de dix sous en papier-monnaie, les indigènes vêtus à l’instar de Paris, les hommes braillards et les femmes hommasses.

J’avais conservé une rancune à l’Italie de ma désillusion. Je me suis raccommodé avec elle, avec Musset, le romantisme et les Guides-Conty, quand plus tard j’ai demeuré rue des Boulangers et rue Guy-de-la-Brosse.

Aussi, croyez-moi, si vous aimez l’Italie, comme ça, de chic, sans savoir, sur la foi de votre imagination, n’allez pas en Italie. Prenez l’omnibus des Batignolles-Jardin-des-Plantes et descendez rue Linné. C’est là que sont les derniers Italiens ayant l’air d’Italiens. C’est là que s’est réfugiée la vraie Italie, la seule, celle de nos rêves! C’est là, oui, c’est là (musique d’Ambroise Thomas)!


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