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CHAPITRE II

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Table des matières

DE PHŒNIX, UN

avion avait amené Hubert au «Grand Canyon Airport». Là, il prit un taxi pour franchir les 30 kilomètres qui le séparaient encore du parc national. Son entretien avec la jeune Indienne l’avait laissé rêveur. L’histoire qu’il avait entendue dans le parloir de la Mission pouvait n’être que le fruit de l’imagination débordante d’une adolescente à l’âge ingrat. L’interrogatoire du père aurait pu tout ramener à des proportions normales...

Mais, le témoignage de Jane Pima n’avait été que le point de départ du dossier «Crash». D’autres étaient venus s’y ajouter, apportant des pierres au terrifiant édifice... Le témoignage de Kendal B. Amacker, par exemple...

Le taxi s’arrêta. Ils étaient à l’entrée du parc. Hubert donna un dollar et reçut en échange un ticket et un guide dépliant contenant un plan sommaire. Ils repartirent. La route, large et bien entretenue s’enfonçait en une large courbe à travers la forêt de sapins. De grands panneaux recommandaient aux visiteurs de ne pas écraser les cerfs, et aussi de ne pas leur donner à manger...

Ils atteignirent Mather Point. De nombreuses automobiles étaient rangées sur le parking, entre la route et le précipice. Le chauffeur demanda si Hubert voulait s’arrêter pour admirer la vue. Hubert refusa. Il connaissait le Grand Canyon depuis longtemps et il avait d’autres chats à fouetter.

Ils dépassèrent le carrefour de Yavapai Point, puis la station-service, et arrivèrent au village. Un train était en gare. Des touristes s’entassaient dans un car, devant l’El Tovar Hotel. Hubert fit arrêter le taxi sur le parking central, en face Bright Angel Lodge.

—Attendez-moi ici, dit-il au chauffeur.

Il monta l’escalier, au flanc du petit mur, et marcha sous les pins, entre les cabines, en direction du canyon. Il y fut rapidement et s’arrêta, frappé d’émerveillement devant l’extraordinaire spectacle...

C’était en fin d’après-midi et les rayons obliques du soleil tiraient des prodigieuses murailles une somptueuse symphonie de bleus, de roses, d’ocres et de mauves. Hubert perdit là quelques minutes. Il connaissait à peu près tous les sites les plus réputés dans le monde entier, mais le Grand Canyon restait toujours celui qui lui procurait la plus forte émotion...

Des gens approchaient, toute une famille bardée de caméras et claironnant bien haut leur abominable accent texan. Hubert s’engagea dans le sentier muletier qui descendait au flanc du ravin. Cent mètres plus loin, il arriva devant une maison de bois accrochée au bord du précipice. Une grande pancarte au-dessus de la porte annonçait:

AMACKER STUDIO

Photo—Post Cards—Curios

Souvenirs

Hubert entra. La porte était grande ouverte. Une demi-douzaine de Bobby-soxers[3] s’était abattue comme un vol de pies sur un tourniquet de cartes postales. Une vieille dame chaussée de souliers ferrés et armée d’une canne à pointe examinait d’un œil critique des photographies fraîchement tirées. Le maître des lieux, un petit homme roux au visage marqué de taches de rousseur, regarda entrer Hubert.

—Etes-vous Kendal Amacker? demanda celui-ci.

—Je suis. Pourquoi?

—Mon nom est Roswell, reprit Hubert, M. Hobbs a dû vous avertir de ma visite.

—Oh! Parfaitement, monsieur Roswell. Je vous attendais...

Il n’avait pas l’air spécialement ravi. Il regarda autour de lui, visiblement indécis, puis ouvrit une porte au fond de la boutique et cria:

—Georgia!... Georgia!

Quelques instants plus tard, la réponse arriva:

—Oui!... Qu’est-ce que tu veux encore?

Une voix de femme, plutôt acidulée.

—Viens me remplacer, il faut que je sorte...

—Impossible!

Amacker serra les poings et devint rouge. Il regarda Hubert, puis la vieille dame qui l’observait. A ce moment, les gamines firent tomber le tourniquet et les cartes postales se répandirent sur le parquet. Amacker jura entre ses dents, puis disparut, refermant la porte derrière lui. Des éclats de voix, puis des claques sonores se firent entendre. Quelques instants plus tard, Amacker reparut, poussant devant lui une créature aussi rousse que lui, aux yeux verts flamboyants, vêtue d’un robe outrageusement décolletée sur une poitrine mansfeldienne, et qui s’affairait rageusement à rabattre sa jupe sur son derrière.

—Reste ici jusqu’à ce que je revienne, ordonna le terrible petit homme.

Puis il marcha vers la sortie.

—Venez, dit-il à Hubert en passant.

Ils se retrouvèrent dehors. La famille du Texas arrivait à grand bruit. Ils la laissèrent passer.

—Vous savez y faire avec les femmes, apprécia Hubert.

—Georgia n’est bonne qu’au lit, répliqua le rouquin. Moi, je prétends qu’il y a temps pour tout.

—Vous avez mille fois raison. Ce n’est pas au lit que l’on peut faire fortune...

—A moins d’en faire le commerce. Georgia vaudrait de l’or... Mais, ce n’est pas mon genre.

Ils remontèrent au bord du plateau et cherchèrent un endroit tranquille. Ils s’assirent finalement sur un vieux banc de bois, au bord du gouffre. Une grosse chaîne tendue à quelque 50 centimètres du sol entre des poteaux de ciment faisait office de garde-fou. A cette hauteur, pensa Hubert, elle devait être plus dangereuse qu’efficace. Il regarda le fond du canyon à 1000 ou 1500 mètres au-dessous, où coulait, invisible, le Colorado.

—Vous connaissez le but de ma visite? demanda-t-il à mi-voix.

—Sûr!... Et je peux vous dire tout de suite que je regrette d’avoir raconté cette histoire. J’aurais mieux fait de tenir ma langue.

—C’est la dernière fois que vous la raconterez, promit Hubert.

—On l’a mise noir sur blanc et on me l’a fait signer...

—Je l’ai vue, mais je veux l’entendre de votre bouche. Un rapport écrit ne vaut jamais un rapport verbal. Les intonations n’y sont pas et on ne peut pas poser de questions s’il vous en vient à l’esprit.

—O.K.! dit Amacker avec résignation. Allons-y...

—Je vous écoute.

—C’est arrivé y a un mois, jour pour jour. J’avais été à Flagstaff avec ma voiture et je ne sais pas quelle idée m’a pris de rentrer par Cameron au lieu de passer par Williams. Ça faisait 20 bons milles[4] de plus et la route est loin d’être aussi bonne... Je crois d’ailleurs que c’est à cause de la route. Ils ont refait la 64, entre ici et Cameron, et je voulais voir où ça en était. C’était tout en virages avant et ils ont percé tout droit à travers la forêt...

—Bon, approuva Hubert. Vous êtes donc revenu par Cameron...

—Oui, j’étais parti assez tard de Flagstaff et je m’étais arrêté pour boire un café au Gray Mountain Trading Post. Je ne sais pas si vous connaissez. D’un côté de la route, il y a un motel, très bien, et de l’autre un drugstore avec un restaurant. C’est un endroit bien isolé, exposé à tous les vents sur le haut plateau... Y a aussi des pompes à essence, bien sûr, et j’y avais fait mon plein. Bref, quand je suis reparti, il faisait nuit. Peut-être bien qu’il était dans les neuf heures... Et j’avais 65 milles à faire...

Ils entendirent marcher derrière et se retournèrent. C’était un couple d’amoureux, trop occupés d’eux-mêmes pour entendre ce qui ne les concernait pas. Kendal Amacker reprit en baissant un peu plus la voix:

—Sur ces 65 milles-là, on ne rencontre pas une maison, rien. C’est d’abord le désert, puis la forêt. Tout s’est bien passé au début. Juste avant Cameron, j’ai pris à gauche la 64, et c’est là que j’ai crevé la première fois... Le pneu arrière gauche. J’étais à cinq ou six milles de Cameron, pas plus, et j’aurais dû retourner pour faire réparer. Mais j’avais pas crevé depuis longtemps et j’ai pensé qu’il y avait bien peu de chances pour que ça m’arrive encore dans la même soirée. Je suis donc reparti après avoir changé de roue. Un quart d’heure après, j’approchais de Desert View, voilà que je recrève sur un bout de route en rechargement. Cette fois, j’étais cuit. J’ai rangé la voiture sur le bas-côté et je suis parti à pied. Je savais qu’il y avait un terrain de camping à cinq milles de là et j’espérais y trouver du secours, au moins la possibilité d’y passer la nuit...

Hubert écoutait avec patience ce long préambule. Il ne voulait pas interrompre son interlocuteur qui semblait avoir la tête près du bonnet et qui aurait pu prendre la mouche.

—Je marchais pas depuis longtemps quand j’aperçois les phares d’une voiture qui sortait de la forêt. Pensez si ça m’a fait plaisir!... Je m’arrête pour attendre. Et, tout d’un coup, plus rien.

A quelques mètres des deux hommes, un pivert attaquait le tronc vermoulu d’un arbre mort qui dressait ses branches nues sur un fond de ciel bleu et blanc.

—J’ai trouvé ça bizarre. Je suis reparti... Et un demi-mille plus loin, j’ai vu cette voiture tous feux éteints, qui semblait attendre quelqu’un.

—Vous vous êtes approché très près?

Kendal Amacker chercha autour de lui, puis montra un éperon rocheux qui surplombait le précipice à cinquante mètres de là.

—Loin comme d’ici là-bas. Il faisait plutôt noir. Je me suis planqué derrière un arbre avec l’idée que c’était peut-être bien des braconniers... Je suis resté là sans bouger peut-être cinq, dix minutes... Comment savoir? Quand on est comme ça, le temps est bien plus long... Et puis, tout d’un coup, j’ai entendu...

A ce souvenir, Kendal Amacker pâlit et déglutit avec peine.

—Vous avez entendu quoi?

—Une espèce de sifflement... Ça m’a fait penser au bruit du vent dans les rochers, quand la tempête souffle dans le canyon. C’était ce bruit-là, mais beaucoup moins fort, comme si j’avais eu du coton dans les oreilles... Seulement, y avait pas un brin de vent. Les feuilles étaient aussi immobiles que les pierres qui sont sous vos pieds. Alors, j’ai levé la tête et j’ai vu...

Hubert observait son interlocuteur qui semblait éprouver une grande frayeur rétrospective.

—Vous avez vu quoi?

Amacker passa une main tremblante sur son visage défait.

—C’était rond, c’était gros comme une maison et c’était verdouillant...

—Verdâtre?

—Oui. On aurait dit que ça dégageait une lumière... verdâtre. Une lumière qui n’éclairait pas... C’était si près que j’ai cru que ça allait me tomber sur la tête...

—Ça descendait ou c’était immobile?

—Je crois que c’était immobile quand j’ai regardé pour la première fois, et puis ça s’est mis à descendre... J’ai pas honte de le dire, j’ai pissé dans ma culotte et j’avais les jambes si molles que je suis tombé sur le cul...

—Quand ça s’est mis à descendre, est-ce que le bruit a augmenté?

—Oui, je crois bien... Ça descendait doucement, hein! Très doucement!... Et puis, ça s’est arrêté à un mètre au-dessus de la route. J’ai eu l’impression que ça bougeait dessous... Pas longtemps. Le truc s’est mis à remonter, d’abord sans se presser, puis à une vitesse folle. Bzout! Il avait disparu.

—Avec beaucoup de bruit?

—Non. Pas plus qu’avant.

—Et alors?

—Alors, j’ai de nouveau regardé sur la route. Il y avait trois hommes. Ils sont montés dans la voiture. Je me suis mis à plat ventre dans les broussailles. Les phares se sont rallumés et la voiture a démarré en direction de Cameron. Ils sont passés juste devant mon nez et j’ai de nouveau vu les trois hommes...

—Vous êtes sûr que c’était des hommes.

—Oui. Le second coup, je pouvais pas me tromper. Ils avaient la tête... nette, avec des cheveux coupés court. Une chevelure de femme, ça fait pas pareil.

—Certaines femmes ont les cheveux plaqués.

—C’est pas pareil.

Hubert n’insista plus.

—Vous avez identifié la voiture?

—J’ai pas relevé le numéro, je voyais pas assez clair...

—La marque, la couleur...

—Elle devait être noire et, à mon avis, c’était une Mercury. Mais, je peux me tromper...

—Cela ne pouvait pas être une Willys Overland?

—Sûrement pas. Une Mercury ou une Willys, c’est tout de même pas la même chose.

Ils restèrent silencieux un instant. Hubert regardait l’extraordinaire panorama, sans le voir. Il demanda:

—A votre avis, c’était quoi?

—Le truc?... Une soucoupe volante, sûrement.

—Vous savez que nous fabriquons actuellement des engins qui ressemblent bougrement à l’idée que les gens se font d’une soucoupe volante...

—Je sais. Je suis abonné à Popular Mechanic... Et je ne crois pas qu’on fabrique actuellement sur cette terre des engins comme ça avec des moteurs pratiquement silencieux. Et il y avait cette lumière. C’était une lumière...

Il chercha longtemps le mot, puis le trouva:

—Une lumière hideuse.

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