Читать книгу En Virginie, épisode de la guerre de sécession - Jean de Villiot - Страница 10
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UNE ÉVASION
Notre maison était fort bien située pour la mission que nous avions à remplir, notre plus proche voisin demeurant à trois milles, et la petite ville de Hampton étant à peu près à la même distance.
La température était très élevée, mais je m'y habituai parfaitement et, tous les jours, je faisais de longues promenades dans la campagne, vêtue d'une robe légère et d'un chapeau de paille; les nègres eurent vite fait de me connaître, et, s'apercevant de l'intérêt que je leur portais, ils m'offraient de nombreux présents, entre autres de beaux morceaux d'opossum et de coon, animaux à chair délicate dont les esclaves étaient très friands.
Souventes fois je me promenai dans les plantations et dans le quartier des esclaves, mais je prenais grand soin à faire ces visites secrètement, car si les propriétaires d'esclaves ou même les blancs des environs s'en étaient aperçus, nos desseins eussent bien vite été découverts.
Trois mois passèrent ainsi tranquillement. Nous recevions en moyenne deux ou trois esclaves fugitifs par semaine. Ils arrivaient généralement à la nuit tombante; nous leur faisions prendre un repas réconfortant et leur donnions un abri dans la cabane. Munis de provisions, ils repartaient le lendemain au soir pour une autre station, se dissimulant soigneusement dans les sentiers ou le long des plantations.
Parfois, trop fatiguées pour continuer leur route, les femmes restaient jusqu'à ce qu'elles fussent en état de partir.
Parmi ces nègres marrons, les uns arrivaient bien vêtus et sans avoir trop souffert, mais d'autres, le plus grand nombre, étaient dans un état horrible. Beaucoup de femmes avaient des enfants sur les bras, quelques-unes venant de la Floride, après une marche pénible et dangereuse.
Presque tous ces évadés portaient des traces récentes de coups de fouet, et certains le stigmate de leur propriétaire imprimé au fer rouge. J'ouvre ici une parenthèse pour vous donner une idée de la misère de ces pauvres diables.
Un soir, nous étions, Miss Dean et moi, tranquillement installées à lire et à discuter sur le sujet de notre lecture; depuis près d'une semaine, nous n'avions eu personne à secourir et mon amie disait justement: «Je me demande si un de ces malheureux viendra, ce soir, nous demander l'hospitalité», quand nous entendîmes heurter à la porte.
Je courus ouvrir. Une femme entra en chancelant et vint tomber évanouie à mes pieds. J'appelai à mon aide Miss Dean et Marthe et nous transportâmes la malheureuse sur un canapé.
C'était une fort jolie fille, très claire de peau; ses cheveux bruns flottaient sur ses épaules, car elle ne portait pas de madras. Elle pouvait avoir seize ans; ses seins étaient déjà très développés.—Les femmes de couleur entrent très jeunes en état de nubilité. Elle n'avait jamais travaillé dans les plantations, car ses mains étaient fines et blanches et ses vêtements d'une certaine recherche étaient seulement déchirés et souillés. Elle était chaussée de gros souliers qui, ainsi que ses bas, étaient recouverts de boue. Elle revint promptement à elle et ses grands yeux hagards nous regardèrent avec une expression de douleur et de crainte. Elle but avidement un grand bol de bouillon et dévora la viande qu'on lui servit. La pauvre femme n'avait rien mangé depuis vingt-quatre heures! Au lieu de l'envoyer dans la cabane, je fis monter cette pauvre fille dans une chambre inoccupée où se trouvait un lit, et je la priai de se déshabiller. Elle me regarda timidement, puis après un moment d'hésitation, enleva sa robe et ses jupons—elle n'avait pas de pantalon. Je vis alors que sa chemise était remplie de taches de sang. Je compris que la malheureuse avait été fouettée récemment, et, doucement, je la décidai à me raconter son histoire.
Elle appartenait à un planteur, un homme marié et père de famille, qui demeurait à 25 milles de là. Son maître, la trouvant à son goût, lui ordonna un jour de se trouver dans son cabinet de toilette, à une certaine heure. Elle était vierge et, comme elle savait ce qui l'attendait, elle osa se soustraire à l'ordre donné. Le lendemain, on lui donnait une note à remettre au majordome, qui, l'emmenant à la salle d'exécution, lui apprit qu'elle allait être fouettée pour désobéissance. Couchée sur un chevalet, les membres attachés et son jupon relevé, le capataz la fouetta sans pitié, jusqu'à ce que le sang ruisselât. Puis on la releva en la menaçant du même supplice si elle ne se pliait pas aux exigences du maître. Courageusement, et plutôt que de sacrifier sa virginité, elle se sauva à travers bois, jusqu'à ce qu'elle eût atteint notre maison.
Nous la cachâmes pendant une semaine et, un autre captif nous étant arrivé, ils partirent tous deux, de compagnie, réconfortés par nos secours et munis de provisions.
Ces cruautés ne dépassent-elles pas en horreur tout ce que l'imagination peut concevoir de plus horrible. Honte à jamais sur ces barbares qui, au nom de la civilisation jetaient le sang des noirs à la face de l'humanité.
Combien d'autres anecdotes ne pourrais-je encore vous raconter, si je ne craignais d'assombrir davantage mon récit. Ces actes d'inouïe sauvagerie, presque incroyables, se renouvelaient journellement et se pratiqueraient peut-être encore si l'attitude ferme d'un petit nombre d'hommes qui se dévouèrent à cette cause, n'avait mis un frein à ces actes qui déshonorent la civilisation.
Mon histoire et celle de mon amie furent étroitement liées à cette époque de mon existence. Reprenons cette histoire.