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VI
APRÈS LA LUTTE

Table des matières

A peine eut-il disparu que je remis un peu d'ordre dans ma coiffure et dans mes vêtements; l'esprit plein encore d'un trouble extrême, je courus vers la maison.

Je pus rentrer heureusement dans ma chambre sans être aperçue de Miss Dean ni de Marthe.

Vivement je me déshabillai; ma robe était en loques. Le matin, quand je l'avais mise, elle était blanche et immaculée, elle était maintenant toute verte dans le dos. Les cordons de mes jupons étaient brisés et mes dessous en charpie. Mes cuisses étaient marbrées de taches noires et bleues causées par la pression des doigts de la brute, et j'étais horriblement courbaturée.

Mes vêtements remplacés, je me jetai sur le lit, et cachant mon visage dans mon oreiller, je me mis à pleurer abondamment. Je ne pouvais me pardonner d'avoir eu confiance en Randolph.

J'aurais dû surtout me méfier de lui, depuis que j'avais surpris le peu de cas qu'il faisait des femmes, et j'étais plus honteuse encore qu'il m'eût prise pour une de ces filles qui livrent leur corps au premier venu.

Le souvenir de ses menaces me revint à l'esprit; j'étais certaine qu'il les mettrait à exécution, et je sentais qu'il était de mon devoir de prévenir Miss Dean; je n'en eus cependant pas le courage; il eût fallu lui avouer ma honte, et cet aveu était au-dessus de mes forces.

En imagination, je nous voyais déjà, Miss Dean et moi, vêtues de vêtements grossiers, travaillant du matin au soir avec du pain noir pour toute nourriture.

On frappa tout à coup à la porte.

C'était Marthe qui annonçait le dîner. Miss Dean remarqua immédiatement mes traits décomposés, mon trouble, mes yeux rouges, et, très inquiète me demanda ce que j'avais. Je mis le tout sur le compte d'un mal de tête, ce qui était vrai; l'excellente femme me fit coucher sur le sofa, me baigna la tête avec de l'eau de Cologne et me fit mettre au lit.

Malheureusement, je ne pus dormir; je rêvai continuellement d'un être formidable qui luttait avec moi, et qui réussissait à me ravir ma virginité.

Je me levai le jour à peine éclos, me demandant anxieusement où nous serions dans vingt-quatre heures, m'attendant absolument à voir se réaliser les menaces de Randolph.

Le jour passa lentement, à chaque instant il me semblait entendre les pas des gens de police, et je surveillai avec angoisse la grande avenue qui conduisait à la maison.

Le soir vint enfin, sans que rien d'extraordinaire se soit passé. Vers neuf heures, un esclave marron vint nous demander l'hospitalité, et, en soignant la pauvre créature, j'oubliais mes propres peines.

Plusieurs jours passèrent ainsi, en des alternatives de crainte et de quiétude.

Je commençais à retrouver un peu d'assurance, mais j'avais grande envie de fuir; je demandai un jour à Miss Dean si elle ne pensait pas avoir assez fait pour la cause de l'émancipation et si elle ne retournerait pas bientôt chez elle.

Elle ne voulut pas entendre parler d'une semblable chose. Elle se rendait très utile, disait-elle, et, au moins pour quelque temps encore, elle voulait rester dans la station.

Quinze jours passèrent encore, et j'étais tout à fait rassurée. Je pensais que Randolph ne se souvenait plus de son acte de lâcheté.

Je ne l'avais pas revu depuis la fameuse scène à laquelle je ne pouvais penser sans honte. Je devais, hélas! me retrouver avec lui, dans une circonstance sinon moins terrible que la dernière, du moins très pénible.

En Virginie, épisode de la guerre de sécession

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