Читать книгу Les fausses antiquités de l'Assyrie et de la Chaldée - Joachim Menant - Страница 4
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A Téhéran, les intailles sassanides sont depuis longtemps l’objet d’une contrefaçon incessante. Les types des Sapor et des Ardeschir sont exploités avec une habileté qui a quelquefois trompé l’œil le plus exercé. Je ne m’occuperais pas de ces intailles, si ce n’est qu’elles touchent à notre domaine, car, à l’aide d’inscriptions en caractères cunéiformes, on a voulu les faire passer pour des portraits de princes achéménides!
Je parlerai d’abord de deux pierres gravées, deux cornalines, je crois, provenant de la Collection du Comte A. de Gobineau. Elles ont été publiées dans son Traité des Écritures cunéiformes; j’en donne une copie d’après les dessins qui figurent dans cet ouvrage. Depuis que la Collection a été vendue, j’ignore en quelles mains elles sont arrivées aujourd’hui?
La première de ces intailles (fig. 1.) présente un personnage de profil à la barbe pointue, coiffé d’un béret orné d’un riche galon et de deux plumes formant aigrette. Le costume est surchargé de broderies; dans le champ, en exergue, se développe une inscription en caractères cunéiformes du style perse.
La seconde intaille (fig. 2.) offre un personnage à longue barbe, vu à peu près de trois quarts; sa coiffure est la même que celle du précédent, mais l’artiste a essayé cette fois de donner du mouvement à la tête; il a fait plafonner les lignes et les traits du visage. Le bras gauche mal dessiné descend le long du corps; la main s’arrête à la ceinture; le bras droit relevé semble commander l’attention. Enfin, dans le champ, une inscription en caractères perses s’y développe confusément.
Les traits des personnages gravés sur ces intailles rappellent vaguement ceux des princes de l’époque des Sophis. La pose est toute moderne; on chercherait en vain une figure de trois quarts sur les marbres antiques de la Perse!
Le travail paraît avoir été exécuté avec une certaine précipitation, et pourtant le graveur s’est complu dans les détails! Bien que les procédés d’exécution révèlent déjà la trace d’une facture récente, ces intailles auraient pu circuler, si on s’en fût tenu là ; mais pour donner, sans doute, plus de prix à son œuvre, le faussaire a encore tracé en exergue, autour de chaque figure, une inscription en caractères cunéiformes.
C’est ici surtout que la fraude se révèle d’une manière instructive. Les légendes ont été gravées avec une connaissance suffisante des travaux accomplis sur les écritures cunéiformes des inscriptions dites de la première colonne de Persépolis , pour faire illusion un moment. Ce sont, en effet, des caractères perses, plus ou moins réguliers toutefois, mais qui ont la prétention de rattacher ainsi ces sujets aux dynastes achéménides. Les pierres gravées de cette époque sont rares; je ne connais que quatre cylindres sur lesquels il y a des caractères perses . Nos deux intailles, si elles étaient authentiques, constitueraient une véritable rareté. L’illusion disparaît, quand on les compare aux monuments perses qui offrent des figures dont les traits sont bien accentués, et qui s’éloignent complètement de ceux qui ornent ces intailles.
Les portraits des princes achéménides sont devenus classiques aujourd’hui, ainsi que les types des personnages de cette époque. On les voit à Persépolis, à Nâkch-i-Roustam, à Bisitoun, et même sur une foule d’intailles anonymes, où un dynaste perse lutte contre des lions ou des chimères. Or, si les figures que nous étudions font songer aux types des Sophis, il faut renoncer à y voir des princes achéménides? Sans aller plus loin, cette observation suffirait pour décéler la fraude, mais il est intéressant de la poursuivre jusqu’au bout.
En examinant les inscriptions qui accompagnent nos deux personnages, on voit que le clou a bien l’apparence de cet élément caractéristique de l’écriture perse. La tête est évidée en queue d’aronde, le corps effilé en forme de coin ou de pointe de flèche, tel que les inscriptions de Persépolis nous ont appris à le connaître; mais l’ensemble qui doit former la lettre est mal rendu . Les clous ne sont pas groupés avec cette régularité que les grandes inscriptions présentent, et l’écriture n’a pas cette beauté qui l’avait fait prendre jadis pour un ornement d’architecture. Quelque habitude que l’on ait du dessin, ceux qui copient pour la première fois des inscriptions en caractères cunéiformes n’arrivent pas à grouper les clous avec intelligence. Les signes ont cet air gauche qu’on rencontre précisément dans les copies malhabiles des premiers voyageurs qui ont fait connaître les inscriptions de l’Iran, Flower, Chardin, Corneille-le-Bruyn. Cette maladresse s’efface déjà dans celles de Niebuhr et de Ker-Porter, et disparaît enfin dans les belles planches de Texier, de Coste et Flandin. La facture des caractères tracés autour de nos personnages est donc un indice; voyons ce que ces lettres vont nous apprendre.
Nous lisons sur la première intaille (fig. 1.) un nom, Vasdasba, dans lequel on est porté à reconnaître celui d’Hystaspe; mais la forme est insolite, car il est écrit ordinairement à Persépolis et ailleurs Vistaspa. D’où vient cette incorrection, si ce n’est que le faussaire n’avait pas suivi les progrès accomplis sur l’écriture perse? Le changement du p en b et du t en d s’explique par suite d’une prononciation vicieuse; mais la forme du premier signe révèle la connaissance qu’il avait déjà des ressources de l’alphabet perse pour employer le caractère v avec la forme qui emporte la voyelle a, au lieu de celui qui convient à la voyelle i, suivant l’orthographe ordinaire.
Sur la seconde intaille (fig. 2.) l’inscription est plus compliquée. Elle provoque la même observation, quant à la manière dont les caractères sont tracés; mais elle ménage la surprise de nouvelles habiletés d’exécution. Nous pouvons encore lire le nom d’Hystaspe écrit, cette fois, Vaçdaçpâya, incorrectement sans doute, puisqu’il est au génitif, et que la forme régulière serait Vistaspahijya. Le nom, du reste, ne présente plus d’anomalies que dans l’échange de la dentale, et le v est conforme à l’orthographe achéménide. Cette forme, au génitif, appelle le complément ordinaire, Putra «fils» ; on peut supposer qu’il est sous-entendu ici. Enfin, le nom est précédé de trois caractères dans lesquels nous reconnaissons les lettres D, r, h, assez incorrectement tracées, mais qui nous invitent à voir dans ce groupe le commencement du nom de Darius sous la forme Darhiush, telle qu’elle résultait des premières lectures du texte perse.
Il est évident que le faussaire a voulu présenter son œuvre comme les portraits, l’un d’Hystaspe, l’autre de Darius, fils d’Hystaspe.
Ces deux intailles sont donc fausses. Nous estimons qu’elles ont été fabriquées depuis l’époque où la connaissance de l’écriture perse a permis de lire les textes achéménides; leur production est nécessairement contemporaine des travaux de Burnouf, de Lassen et de Rawlinson, alors que ces savants ont dégagé les premières valeurs de l’alphabet perse (1836).
Je n’insiste pas sur ces étranges anachronismes, car nous allons bientôt les voir apparaître dans des falsifications d’une autre nature. N’oublions pas toutefois ces profils à la barbe pointue, cette coiffure richement galonnée et ce luxe de détails dans les ornements du costume. Nous aurons occasion de les rappeler.